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Vocabulaire et notions générales

Publié le 10/06/2007

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Nouvelles entrées ou entrées mises à jour : Enfants soldats - Esclavage moderne - "France - Afrique" - Réconciliation et pacification - Ressources et rente

A à D E à F G à O P à Z


Afro-pessimisme

"L'Afrique noire est mal partie" ! Ce titre de René Dumont, datant de 1962 , est repris à l'envi au fil de bien des ouvrages, articles et propos divers concernant le continent.
La perception des réalités africaines est bien souvent catastrophiste et revient régulièrement sur les "malédictions" qui frappent le continent (famines et pénuries, épidémies, guerres et guerillas, catastrophes et aléas naturels de toute nature, etc.) et sur les nombreux déficits (éducatifs, démocratiques, de gouvernance, etc.) qui le pénalisent.
L'afro-pessimisme radical de certains est nourri de l'idée qu'il y a des blocages entretenus par les Africains eux-mêmes, qu'aucune aide au développement ne suffira à surmonter. Violences, conflits, mauvaises gestions, corruption, trafics illicites et mafieux feraient partie d'une africanité indépassable. Les sociétés africaines ne seraient pas faites pour la démocratie, ni pour le respect des droits de l'homme, ni pour bénéficier d'un État de droit équitable dans les domaines politique, économique et social ! L'afro-pessimisme peut aussi reposer sur le cliché d'une acceptation fataliste des africains à leur propre sort.
Ces différentes formes d'afro-pessimisme aboutissent à abandonner le continent à son propre sort ou aux simples intérêts à court terme de ceux qui en exploitent les hommes et les ressources (factions au pouvoir, entreprises peu scrupuleuses, etc.). La marginalisation du continent noir dans les échanges économiques et culturels mondiaux en est la conséquence.

À cet afro-pessimisme tente de s'opposer une vision plus positive des réalités africaines, sur la base de l'énergie, des capacités créatives, imaginatives et d'adaptation des sociétés africaines. Le processus de mondialisation qui bénéficie actuellement au développement de nombreux pays de la planète, pourrait, sous certaines conditions d'accompagnement et d'aide, bénéficier aussi à l'Afrique subsaharienne.

La confrontation de ces points de vue peut être illustrée par le débat autour d'un film documentaire traitant de la situation des populations vivant de la pêche dans les étendues d'eau douce de l'est africain, plus particulièrement celles du lac Victoria. Il s'agit du film Le cauchemar de Darwin d'Hubert Sauper (distribué en France en mars 2005), aux tonalités apocalyptiques, qui évoque, pêle mêle, les dégâts écologiques, la dissémination de la prostitution, du HIV/Sida, le financement de trafics d'armes, etc. Ce film a bénéficié d'un assez large succès dans les pays développés d'Europe. Mais un article du East African Standard* évoque les propos du Dr Alice Kaudia, directrice régionale de l'IUCN pour l'Afrique orientale, contestant l'image négative que donne le film sur la situation et lui reprochant, notamment, d'occulter les effets positifs des pêcheries sur le développement de la région. De son côté, Thomas Maembe, directeur de l'Organisation des pêcheries du lac Victoria dénonce, dans une lettre adressée à Hubert Sauper, une vision européenne stéréotypée sur l'Afrique ("There were better sides of the story, but the documentary preferred to confirm the stereotypical image of Europe towards Africa ... the documentary does not depict how East Africa gains from the export of fish").
Selon une formule de Sylvie Brunel, l'Afrique peut-elle être pensée comme "un continent en réserve de développement" ? Le pari est engagé, le débat est ouvert.

- Un article de Géoconfluences, dans le cadre des "brèves" :
La pêche dans le lac Victoria : un exemple de mal-développement ?
- Par François Garcon, une étude critique du film documentaire d'H. Sauper, "Le cauchemar de Darwin") sur RFI : www.rfi.fr/radiofr/editions/082/edition_80_20070121.asp
- Georges Courade (dir. de recherches, IRD) - Quel avenir pour l'Afrique sub-saharienne ? :
www.univ-perp.fr/perspectives/article.php3?id_article=11
- L'article de Harold Ayodo pour le East African Standard (Nairobi, 14 décembre 2005) disponible sur le site Allafrica - http://allafrica.com/stories/200512130768.html
Alimentation et agriculture

Les situations de famine n'ont pas encore disparu d'Afrique alors qu'elles se sont considérablement réduites ailleurs dans le monde. L'aide alimentaire internationale assure la survie de nombreux africains, qu'ils soient déplacés, regroupés dans des camps de réfugiés ou qu'ils vivent sur leurs propres territoires.
Alors que la part des personnes souffrant de déficit alimentaire a été ramenée de 37% de la population mondiale pour la période 1969 - 1971 à 17% en 2002 - 2003, elle n'est passée que de 34% à 33% en Afrique subsaharienne pour ces mêmes dates.
Les conditions climatiques, les invasions de criquets et autres "calamités" dont souffre le continent n'expliquent pas par à elles seules ces situations extrêmes. Elles sont, en revanche, révélatrices des précarités de vie de nombreuses populations, sans réserves alimentaires permettant de pallier de mauvaises années, d'assurer des soudures délicates. La plupart des pays d'Afrique ne sont pas dotés des "amortisseurs" nécessaires pour résister aux aléas tant locaux et régionaux (sécheresses, inondations, etc.) qu'internationaux (volatilité des cours des matières premières par ex.) et la vulnérabilité des populations est parfois extrême.
Un rapport remis par la FAO* en 2005 au Comité de la sécurité alimentaire mondiale, relevait que ce sont les conflits armés qui restaient la cause principale des crises alimentaires. D'une manière générale, les situations de famine sont, la plupart du temps, davantage les conséquences des actions humaines que de la variabilité inter-annuelle des conditions naturelles.
Ainsi, au Zimbabwe, les aléas climatiques ne sont pas seuls responsables des crises alimentaires récentes. La réforme agraire, engagée en 2000 par le président Robert Mugabe, visait à redistribuer aux populations noires les terres détenues par les fermiers blancs. Mais, conduite de manière brutale et sans moyens ni assistance auprès des nouveaux exploitants, elle a complètement déstructuré le secteur agro-alimentaire et ses filières. La quasi totalité des fermes commerciales a été saisie par l'État et les terres les plus intéressantes ont souvent été confiées à des proches du pouvoir, sans être réellement mises en valeur. Des dizaines de fermes ont été pillées, parfois incendiées et des friches ont souvent pris la place des champs cultivés. Jadis gros producteur régional de céréales (dont le maïs, base de l'alimentation nationale) et d'autres produits agricoles (tabac), le Zimbabwe doit faire appel à l'aide alimentaire. Une telle situation est bien entendu source de violences, de conflits. De nombreux fermiers blancs ont dû fuir vers les pays voisins (Mozambique par exemple) et de nombreux Zimbabwéens clandestins tentent leur chance en Afrique du Sud ou au Botswana. Pour se protéger de ces migrants, ce dernier pays, relativement prospère, a entrepris de protéger sa frontière en édifiant un grillage électrifié.

- Dans ce dossier :
> Agriculture et conflits en Côte d'Ivoire   (A. Fromageot)
> Crises, insécurité alimentaire et aides d'urgence . L'exemple de la Côte d'Ivoire

- L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) :
www.fao.org/index_fr.htm
- Le Programme alimentaire mondial (PAM) : www.wfp.org/french ou le World Food Programme (WFP, davantage d'informations) : www.wfp.org/english

Colonialisme, néo-colonialisme

"En France, les quatre années de l'occupation allemande sont encore très présentes dans les mémoires. Nous, nous avons subi un siècle de colonisation et le silence pèse encore" ... ainsi s'exprime le romancier ivoirien Ahmadou Kourouma. Cette quête de mémoire pèse encore et est un enjeu dans les relations internationales. On peut y voir les racines de certaines situations de violence à travers le continent.
Les mécanismes du système colonial sont bien connus : les colonies devaient fournir des matières premières aux métropoles qui, en retour, y déversaient, à l'abri de barrières douanières, les surplus de leur production manufacturière.
De nos jours, l'économie africaine hérite encore pour une large part de ce système caractérisé par la dépendance vis-à-vis des capitaux, des technologies, des marchés extérieurs. Son taux de dépendance envers l'exportation de produits primaires sont très élevés. Ces schémas n'ont pas fondamentalement changés et ils entretiennent frustrations et rancœur. Le manque d'autonomie et d'initiative locale dans des systèmes productifs dont les décisions essentielles sont prises à l'extérieur en est une donnée structurelle du mal-développement africain.
Les recettes tirées des produits du sous-sol ont partout créé l'illusion du développement. Mais les termes de l'échange (différence entre le prix des importations et celui des exportations) n'ont cessé de se dégrader en défaveur de l'Afrique subsaharienne dont la part dans le commerce mondial a chuté de 6% en 1980 à 0,68% en 2004.
Au demeurant, 40 ans après la vague des indépendances de 1960, les impasses du développement africain ne peuvent être toutes imputés exclusivement au colonialisme et au néo-colonialisme. Quelques comparaisons internationales, avec de nombreux pays d'Asie par exemple, suffisent à discréditer cette approche. Beaucoup s'accordent pour tenter d'analyser avec lucidité les causes endogènes des "malheurs" africains afin de parvenir à mieux les surmonter.

Conflits, conflictualité

En Afrique, les situations de conflit sont une entrave aux progrès de la démocratie et des droits de l'Homme. Ils compromettent les performances économiques des États, une équitable redistribution des richesses et les efforts pour lutter contre la pauvreté.
Dans une tendance mondiale à la diminution des conflits ("Guerre et paix au XXIe siècle", un rapport de l'Human Security Center / HSR *), l'Afrique subsaharienne fait figure de cas particulier avec des conflits (Côte d'Ivoire, Soudan / Darfour, RDC / Ituri) souvent à la une de l'actualité contemporaine. Les conflits continuent à y faire plus de victimes que dans toutes les autres guerres réunies à travers le monde. Le risque politique de conflits a un effet dissuasif sur les investissements étrangers ce qui alimente le cercle vicieux de la pauvreté du continent.
La région cumule les facteurs générateurs de guerre : pauvreté, instabilité d'institutions politiques inéquitables, discrimination ethnique, effets de contamination d'autres guerres. Les conflits violents exacerbent les conditions qui les ont au départ générés, créant un "piège à conflit" dont il est extraordinairement difficile de s'échapper, affirme le rapport de l'HSR.
Mais le nombre de conflits en Afrique serait toutefois passé de 15 à 10 entre 2002 et 2003, avec de moins en moins de massacres et de moins en moins de morts. À l'échelle mondiale comme en Afrique, les tentatives de coups d'État se raréfient, avec 25 en 1963 contre 10 en 2004, qui ont toutes échoué. Le rapport 2004 - 2005 sur les perspectives économiques en Afrique* (OCDE et Banque africaine de développement / BAD) relève également que les conflits ont plutôt eu tendance à diminuer au cours de la dernière décennie, de même que l'instabilité politique.
L'Afrique subsaharienne a pu bénéficier des dynamiques positives issues de la fin des guerres coloniales et de la Guerre froide, donc de la fin de la paralysie de l'ONU qui a pu multiplier les missions de paix, de l'activité constructive de nombreuses ONG, des efforts de médiation et de pacification entrepris par certaines organisations régionales.
Certes, il y a eu des échecs, des catastrophes (Somalie, Rwanda), mais l'intense activité diplomatique déployée pour rechercher et maintenir la paix a permis d'engranger des succès en Namibie, au Burundi, par exemple. Certains processus de reconstruction et de réconciliation post-conflits paraissent encourageants : en Angola, en Guinée-Bissau, en Sierra Leone et au Libéria où les élections présidentielles pluralistes de décembre 2005 ont abouti à l'accession d'une femme (Ellen Johnson Sirleaf) à la tête de l'État, symbole fort pour le continent.
"Trappe à pauvreté" et "trappe à guerre" forment bien souvent un cercle vicieux en Afrique subsaharienne. Dans une étude publiée en 2003, Briser la trappe à conflit, guerre civile et politique de développement, la Banque mondiale établit un lien très fort entre pauvreté et risque de guerre et observe que, plus la croissance est faible, plus la dépendance à l'égard des matières premières est forte. On notera en effet que ce sont certaines régions riches en ressources naturelles qui ont les potentiels de conflictualité les plus intenses : delta du Niger, RDC par exemple.

- Voir, dans ce dossier,
> par Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes"
> par Eric Bordessoule, "L'État-nation en Afrique subsaharienne"
>par Marc Lavergne, la crise du Darfour

Pour approfondir :
- "Guerre et paix au XXIe siècle", un rapport du Human Security Center de l'Université de Colombie Britannique à Vancouver au Canada (2005 Human Security Report: War and Peace in the 21st Century) : www.humansecurityreport.info/index.php?option=content&task=view&id=134
et : www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-700474,0.html
- Perspectives économiques en Afrique 2004/2005 - Quoi de nouveau en Afrique? : ce rapport de l'OCDE et de la Banque africaine de développement (BAD) relève également que les conflits ont plutôt eu tendance à diminuer au cours de la dernière décennie, de même que l'instabilité politique.
www.oecd.org/document/37/0,2340,fr_2649_15162846_34808805_1_1_1_1,00.html
Corne de l'Afrique

L'expression "corne de l'Afrique" désigne cette péninsule de l'Est africain, à la forme évocatrice, qui s'étend au sud du golfe d'Aden. Par extension elle forme un ensemble régional dans lequel sont en général rangés : l'Éthiopie, l'Érythrée, la Somalie et Djibouti. Sa situation, au débouché de la mer Rouge, en fait une zone sensible dans le contexte géopolitique mondial contemporain. À Djibouti, la France et les États-Unis entretiennent des bases militaires permanentes.
Cette région fut longtemps un des théâtres africains de la Guerre froide, avec des retournements spectaculaires d'alliances et des conflits cristallisés autour de la maîtrise des territoires de l'Ogaden et de la revendication indépendantiste de l'Erythrée.
À partir de 1990, si les affrontements directs entre les États se sont atténués, certaines crises ont pu légitimer des interventions externes dans la région : par exemple, de la part de la France, au nord de Djibouti après la rébellion des Afars. L'État somalien s'est effondré sous la pression de factions armées, la famine qui a suivi légitimant alors l'opération multinationale Restore Hope de l'ONU (1992 - 1994). Une tentative de reconstitution de l'État somalien est en cours, le nord du pays (Somaliland) bénéficiant d'une autonomie de fait.
Entre Éthiopie et Érythrée une situation de guerre l'emporte depuis 1998, générant des combats très meurtriers. L'ONU, plus particulièrement la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE) en place depuis juillet 2000, semble largement impuissante.

Coupeurs de route

Les tensions territoriales sont aussi entretenues et aggravées en Afrique subsaharienne par les problèmes d'insécurité et par les obstacles à la circulation sur les routes ou les pistes. On désigne souvent par l'expression (vulgarisée par la presse au cours des années 1990) de "coupeurs de route" ceux qui contribuent à entraver les mobilités, les échanges et les investissements licites mais qui vivent au contraire des opportunités d'un large secteur informel florissant. Cette activité est liée à l'affaiblissement généralisé de l'État de droit et à l'aggravation de la corruption associant gardiens de l'ordre et délinquants. En voici un exemple, dans l'ensemble régional du lac Tchad, décrit par Janet Roitman* :

"Un trajet sur les routes qui relient les différents États-nations du bassin du lac Tchad est une expédition fort hasardeuse. On est sans cesse obligé de faire des embardées et de négocier des virages pour éviter des cratères sur les quelques axes goudronnés, de contourner des ornières et des trous sur les pistes poussiéreuses. Certaines régions sont particulièrement périlleuses : on y est à la merci d'une rencontre avec les nombreux gangs armés qui sillonnent les routes à la recherche d'argent et de biens de valeur, érigeant des barrages routiers, brandissant des fusils faits maison et surtout des kalachnikovs. Bien qu'opérant dans des espaces bien délimités, ces "gangs de grand chemin", connus localement sous le nom de "coupeurs de route", sont perçus comme un phénomène régional lié à des flux transnationaux. Y participent des nationaux de tous les pays du bassin du lac Tchad – Nigérians, Camerounais, Tchadiens et Centrafricains (peut-être aussi des Nigériens, des Sénégalais et des Soudanais itinérants). Connectés aux marchés régionaux et internationaux d'armes légères et de fausse monnaie, ces "bandits" s'insèrent dans un réseau d'échanges économiques et de relations de travail qui est à la base d'un important mode d'accumulation dans la région. Ce dernier, s'étendant au-delà des formes violentes d'appropriation, est également composé d'une foule d'activités économiques non régulées qui ont transformé la brousse et les frontières internationales en un espace de grand business et couvrent aussi bien la contrebande de quincaillerie, d'électronique et de tissus que le commerce d'essence sur le marché noir, de 4 x 4 volés, d'ivoire, de cornes de rhinocéros et d'or. (...)
Ce phénomène a été exacerbé par la chute des prix des matières premières comme le coton et l'arachide sur les marchés mondiaux, et par les recompositions récentes dans la production industrielle, privilégiant les marchés du travail de l'Asie du Sud-Est, de l'Asie du Sud et de l'Amérique latine. D'où la migration massive de nombreux "réfugiés économiques" vers ces espaces frontaliers, où ils sont employés comme transporteurs, gardes, guides et porteurs dans le commerce non régulé, puis l'arrivée des "réfugiés militaires" nés des programmes de démobilisation et de l'incapacité des armées nationales à subvenir aux besoins de leur personnel. (...) Souvent, ils "entrent en brousse", comme ils disent (...). Ce mouvement d'hommes a transformé les régions frontalières et les périphéries de certaines villes, aujourd'hui tachetées de campements, d'entrepôts ou de dépôts et de points d'éclatement. Bien qu'inscrits sur les marges, ces espaces ne sont nullement marginaux. À l'instar des activités qu'ils hébergent, ils reposent en grande part sur des relations commerciales et financières qui les relient aux villes. Ils sont nés, et dépendent, du lien militaro-commercial, qui est particulièrement bien saisi par le lieu et la métaphore de la garnison-entrepôt. En tant que matérialité, la garnison-entrepôt concentre et résume à elle seule, en effet, le lien militaro-commercial. Bien qu'ils fassent sans aucun doute partie des plus démunis, ceux qui sont impliqués dans ces activités sont très souvent financés et encadrés par le personnel militaire, les douaniers, les gendarmes, les riches marchands et les chefs locaux (...)"

- D'après Janet Roitman (CNRS-MALD) - "La garnison-entrepôt, une manière de gouverner dans le bassin du lac Tchad" - Centre d'études et de recherche internationales, Sciences Po - Critique internationale, n°19, avril 2003 : www.ceri-sciencespo.com/publica/critique/article/ci19p93-115.pdf et
www.ceri-sciencespo.com/cerifr/publica/critique/criti.htm
- Autour du lac Tchad, intégrations et désintégrations - dossier de Politique africaine dossier réalisé avec le soutien du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest / OCDE, n° 94, juin 2004 :
www.politique-africaine.com/numeros/094_SOM.HTM
- Mutations africaines dans la longue durée (MALD / CNRS, UMR 8054) :
http://mald.univ-paris1.fr/index.htm

Développement

Le développement économique et social a partie étroitement liée avec la pacification et l'atténuation des conflits, en Afrique ou ailleurs dans le monde. Parmi les 10 pays en bas de tableau de l'IDH en 2004, neuf ont connu un conflit violent depuis les années 1990.
Le développement peut être mû par des mécanismes endogènes. Mais, dans le cas des pays d'Afrique subsaharienne les plus démunis, divers mécanismes d'aide internationale paraissent indispensables.
L'Onu avait défini en 2000, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)* visant à réduire l'extrême pauvreté d'ici à 2015. De nombreux États africains sont concernés. Les fonds nécessaires à leur mise en œuvre doivent être rassemblés pour 2010, l'Aide publique au développement (APD) devrait alors atteindre 130 milliards d'USD (contre 80 en 2004), soit 50 milliards supplémentaires, dont la moitié destinéeà l'Afrique. Mais, selon les derniers engagements pris par les pays développés du G8, il n'est pas précisé si les mesures d'annulation de la dette feront partie de ces montants.
Des mécanismes de taxation redistributive ont également été proposés. Par exemple, le Trésor britannique espère lever 4 milliards d'USD d'ici à 2015 par le biais d'un système de "Facilité financière internationale". Les Français, suivis par les Chiliens et les Britanniques, ont proposé une taxe sur les billets d'avion qui devrait être effective en France pour la mi 2006.
Mais l'aide au développement ne se résume pas aux différentes formes d'aide publique. Les règles des échanges mondiaux définis dans le cadre de l'OMC, ou dans des cadres bilatéraux, peuvent inciter ou, au contraire, freiner, le développement économique des pays les plus pauvres. Les financements privés, par le biais de fondations d'entreprise par exemple, jouent aussi leur rôle (par exemple, la fondation Bill et Melinda Gates, dotée de 30 milliards de dollars, investit beaucoup dans le domaine de la santé et de la lutte contre le sida). Le bilan global est donc délicat à faire.
À moins de 10 ans de l'échéance de 2015, les OMD des pays d'Afrique subsaharienne paraissent souvent loin d'être acquis : 42 des 47 pays concernés ne pourront pas atteindre la moitié d'entre eux et 12 pays ne devraient en atteindre aucun. Au demeurant, la définition de ces objectifs a mobilisé la coopération internationale contre la pauvreté en la dotant d'un contrat collectif et d'un calendrier, premier exemple d'une planification de développement à l'échelle mondiale. La gestion de l'aide a été recentrée sur la recherche de résultats plutôt que sur le suivi des moyens mis en œuvre. Des cercles vertueux d'un développement durable en Afrique pourraient en être favorisés.
La réflexion sur les conditions du développement en Afrique passe aussi par l'examen du couple développement x gouvernance. Comment fonctionne leur corrélation ? Une bonne gouvernance est-elle la condition d'un développement vertueux ou l'inverse ?
La Banque mondiale, dans son dernier rapport sur la "gouvernance mondiale" (2005), a passé en revue 209 pays en fonction de 352 critères provenant de la Banque mondiale elle-même mais aussi de la fondation Freedom House ou du cabinet d'audit PriceWaterhouseCoopers. Son constat est le suivant : l'amélioration des conditions de vie est le résultat d'une meilleure gouvernance et non l'inverse. C'est donc la démocratie qui prime, pas l'économie, du moins pour une majorité de pays car il peut y avoir des exceptions (la Chine ou les pétro-monarchies du Golfe, par exemple, dont les caractéristiques sont à bien des égards particulières). D'une manière générale, une bonne gouvernance, à savoir une redistribution équitable des richesses et des ressources, des transferts raisonnés en faveur de l'éducation, de la santé, débouche sur des conditions de vie meilleures et sur une réduction renforcée de la pauvreté. Les effets sont rapidement efficaces : l'amélioration des droits humains, l'efficacité de l'administration et des régulations publiques, la lutte contre la corruption, le respect de règles de droit ont, d'après le rapport de la Banque mondiale, des résultats en moins de 10 ans.

Pour prolonger, compléter
- Dans le corpus documentaire du dossier : Le développement pour prévenir les conflits en Afrique > Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)
- La page de la Banque mondiale :
www.worldbank.org/depweb/french/modules/economic/gnp/print.html
- Le FMI (IMF - Fonds monétaire international) : www.imf.org/external/country
- La Banque africaine de développement (BAD) : www.afdb.org

Enfants soldats

Le nombre des enfants recrutés ou utilisés par les groupes et forces armés dans le monde est estimé à 250 000 en 2007. En Afrique, en 2007, ils étaient estimés à 27 346 en RDC, 20 000 en Ouganda, 16 400 au Soudan, 11 780 au Liberia, 3 200 en Angola, 3 015 au Burundi, 1 194 en Côte d'Ivoire, 360 en Somalie, etc. Plusieurs pays bénéficiaient de programmes de prise en charge par l'ONU/UNICEF des enfants démobilisés : Côte d'Ivoire, Somalie, Soudan, OUganda, Rwanda, Burundi, RDC, Angola.

La communauté internationale s'est progressivement mobilisée sur ce problème : le 26 août 2006 a marqué le dixième anniversaire du rapport des Nations Unies intitulé "L'impact des conflits armés sur les enfants" (A/51/306), souvent appelé "Rapport Machel", du nom de Mme Graça Machel, expert du Secrétaire général. Le rapport de 1996 proposait un programme d'action général pour améliorer la protection des droits des enfants et leur traitement dans les situations de conflits. En dix ans, au plan mondial, des progrès ont été réalisés pour favoriser l'application, sur les territoires de confilts armés, des normes et des critères internationaux en matière de protection de l'enfance. Ainsi, l'adoption des "Principes du Cap" (1997) sur le recrutement des enfants a établi les normes que devaient respecter les groupes armés engagés dans les conflits, complétés par les Protocoles facultatifs (2000) de la Convention relative aux droits de l'enfant (1989). Parallèlement, des programmes de démobilisation et de réintégration comprennent des mesures spéciales pour les enfants et les violations des règles relatives au recrutement des enfants font l'objet de poursuites auprès des tribunaux internationaux et d'actions en justice. Un Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés à l'ONU a été constitué. L'adoption récente (2005) de la résolution 1612 du Conseil de Sécurité donne mandat au Secrétaire général d'instituer un mécanisme de surveillance et de communication de l'information sur les violations graves des droits des enfants, accentuant de façon significative la pression internationale.
À l'initiative de l'Unicef, une "Conférence internationale consacrée aux enfants associés aux groupes et forces armés" a élaboré des "Principes de Paris" (5-6 février 2007) qui actualise les "Principes du Cap" en incitant à l'élaboration de nouveaux programmes de libération, de protection et de réinsertion des enfants - soldats. Elle définit ainsi le cadre d'une intervention efficace sur le terrain à la lumière des expériences acquises depuis dix ans.

Pour compléter :

- Sur le site de l'ONU : www.un.org/children/conflict/french/home6.html
> Les rapports du Bureau du Représntant spécial pour les enfants et les conflits armés
www.un.org/children/conflict/french/reports89.html
> Proposition d'examen stratégique du "Rapport Machel", L'impact des conflits armés sur les enfants (11- 2006) : www.un.org/children/conflict/_documents/machel/MachelStrategicReviewProposal-fr.pdf
- L'Unicef : www.unicef.org/french/emerg/3737_childsoldiers.html
- La résolution 1612 du Conseil de sécurité : www.un.org/french/docs/sc/2005/cs2005.htm
- L'action diplomatique de la France :
www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/droits-homme/.../index.html
- Jean-Hervé Jezequel : "Les enfants soldats d'Afrique, un phénomène singulier", article publié initialement dans la revue Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°89, janvier-mars 2006 :
www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0605-JEZEQUEL-FR-2.pdf
- Coalition to stop the use of Child Soldiers : www.child-soldiers.org

- À lire : Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas obligé, Éditions du Seuil, 2000. Compte-rendu dans le volume 35, n°1 (2003) des Études littéraires, "Afrique en guerre" :

www.erudit.org/revue/etudlitt/2003/v35/n1
 

Environnement et biodiversité

Les dégradations environnementales peuvent être, tout à la fois, cause et conséquence de situations conflictuelles. La raréfaction de ressources comme l'eau, le bois, cristallisent les conflits locaux et régionaux. La protection de la biodiversité suppose des arbitrages délicats entre des enjeux parfois contradictoires susceptibles de déboucher sur des situtations de violence nécessitant des moyens de surveillance, de contrôle et d'encadrement dont beaucoup d'États ne disposent pas.
Le paradigme de la "conservation" et de la protection de la biodiversité oppose parfois les perceptions qu'en ont pays du Nord et du Sud (Pierre Jacquet*). Le lien entre biodiversité et développement est complexe, ambigu et met en jeu une double tension. Entre les individus tout d'abord : la collectivisation de la ressource empêche son utilisation par d'autres et l'apprentissage social de l'action collective, dans laquelle chacun accepte de perdre un peu pour que tous gagnent beaucoup, est insuffisant. Entre le court terme et le long terme ensuite : si l'extinction de la ressource prive l'individu ou les générations futures de son utilisation ultérieure, pour les sociétés les plus pauvres, l'urgence du court terme occulte les enjeux de moyen et plus long terme. Interdire l'exploitation pour empêcher la surexploitation entre en conflit avec l'objectif de développement et de réduction de la pauvreté dans des pays où la ressource naturelle reste l'atout essentiel.
Les "projets participatifs" mis en place autour des aires protégées impliquent les populations dans la recherche d'une répartition équitable des contraintes et des bénéfices de la protection environnementale. Les programmes de gestion concertée de la forêt du bassin du Congo étendent cette approche à des zones d'exploitation forestière et des programmes de "pêche durable" reposent sur des principes similaires. L'élaboration d'une gouvernance mondiale pourrait progressivement faciliter la production de biens publics tels que la biodiversité. Elle peut justifier l'attribution de financements compensatoires au profit des pays les plus démunis. Ainsi, à Kinshasa, en 2005, une première conférence sur la survie des grands singes menacés d'extinction a décidé de la mise en place de "plans nationaux" de sauvegarde financés par divers pays donateurs.
L'attribution du prix Nobel de la paix 2004 à Wangari Maathaï*, secrétaire kényane à l'environnement, a eu valeur de symbole.

- Dans ce dossier des exemples :
> les parcs naturels d'Afrique australe  (Sylvain Guyot)
> l'exploitation forestière en Centrafrique (Benoît Boutefeu)
> les conflits autour des ressources environnementales évoqués dans les articles d' Audrey Fromageot (Côte d'Ivoire) et de Marc Lavergne (Darfour).
- Pierre Jacquet, chef économiste de l'Agence française de développement, s'exprime dans le quotidien Le Monde du 1er février 2005
- Wangari Maathaï (de l'ethnie kikuyu), prix Nobel de la paix en 2004 et secrétaire kényane à l'environnement, a centré une part de son action sur les conséquences de la déforestation en termes de biodiversité et sur les problématiques de la gouvernance. Elle avait créé une association, le Green Belt Movement (Organisation de la ceinture verte), qui employait des femmes au reboisement.

Esclavage moderne

Des formes modernes d'esclavage sévissent encore de nos jours dans le monde et plus particulièrement en Afrique subsaharienne. Les Cahiers d'études africaines y ont consacré un numéro. Pour Roger Botte, anthropologue à l'EHESS, s'il existe des zones résiduelles d'esclavage en Afrique (Mauritanie, Niger), on ne peut plus parler d'esclavage en tant que tel sur ce continent. Mais de nouvelles formes d'assujettissement sont apparues comme le travail forcé, l'exploitation de travailleurs migrants, de la main d'œuvre enfantine ou l'esclavage domestique. Définie par le Bureau international du travail (BIT/OIT) en 1993, la notion d'esclavage moderne a été ensuite abandonnée pour retenir celle de travail forcé, qui ne fait pas intervenir la notion de propriété. Mais utiliser le terme d'esclave à la place de celui de travailleur exploité porte préjudice au combat contre le travail contraint illégal, souligne Roger Botte. Un point de vue partagé par plusieurs chercheurs comme Alain Morice (CNRS-URMIS, Paris), qui critique cette notion fourre-tout où se retrouvent un ensemble hétéroclite de rapports d'oppression et de travail contraint ou sous la menace.
Mike Dottridge, ancien directeur de l'ONG Anti-Slavery International, dresse une typologie des différentes formes de travail forcé et de violations en Afrique subsaharienne. De son côté, Suzane Miers (Ohio University, Etats-Unis) fait le point sur le nouveau visage de l'esclavage contemporain, de la servitude pour dettes, à la prostitution forcée, en passant par le trafic d'êtres humains, le travail des enfants, l'exploitation de la main d'œuvre, le tourisme sexuel, les enfants soldats et l'adoption d'enfants en vue de leur exploitation. Enfin, Françoise Vergès, professeur au Goldsmiths College (Londres), s'interroge sur les "troubles de la mémoire" concernant la traite négrière et l'esclavage.
Plusieurs articles de la revue étudient en détail les pratiques d'esclavage qui perdurent en Afrique ainsi que leur prolongement dans les pays traditionnels d'émigration. Florence Boyer (France) parle de l'esclavage chez les Touaregs de Bankilaré (Niger). Issa Saïbou (Cameroun) évoque la survivance de l'esclavage royal dans la partie nord du Cameroun. Mathias Deshusses (Genève) livre les résultats d'une étude menée sur les petites bonnes ivoiriennes victimes d'esclavage domestique en France. Fabio Viti (Italie) parle de l'exploitation de jeunes apprentis déqualifiés dans les métiers artisanaux du secteur informel urbain en Côte d'Ivoire. Nasima Moujoud et Dolorès Pourette (France) évoquent la "traite" des femmes migrantes originaires de pays défavorisés orientée vers la domesticité et la prostitution. D'autres articles constatent également la survivance de liens de dépendance et de clientélisme entre descendants d'esclaves et descendants de maîtres comme à Madagascar, en Tunisie ou en Mauritanie.

Source : MFI, Isabelle Verdier www.rfi.fr/Fichiers/MFI/CultureSociete/1733.asp et Cahiers d'études africaines, n° 179-180 (2005) : "Esclavage moderne ou modernité de l'esclavage ?"
http://etudesafricaines.revues.org/sommaire5572.html

Ethnies, ethnicité et nations

L'Afrique subsaharienne se caractérise par une extraordinaire diversité ethnique. Par exemple, dans la seule République démocratique du Congo, les ethnologues ne répertorient pas moins de 250 groupes différents. Sans fétichiser l'ethnie ni chercher dans le "tribalisme" le deus ex machina des affrontements, guerres civiles, violences au quotidien, comme ont tendance à le faire les médias, on se gardera de minimiser l'importance des facteurs ethniques dans les dynamiques socio-politiques contemporaines en Afrique (R. Pourtier*).
En termes d'analyse géopolitique, des questions en découlent : la diversité ethnique est-elle un obstacle à la formation de l'unité nationale ? la présence de groupes ethniques en position transfrontalière est-elle un facteur d'instabilité régionale ? Des exemples récents peuvent alimenter la réflexion.
Le Rwanda a connu l'expérience absolue des ravages de l'ethnisme lors du génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. Le pouvoir actuel du Paul Kagamé (tutsi, ayant accédé à la présidence en 2000) s'efforce d'appliquer une politique volontariste consistant à nier le fait ethnique afin de tenter de bâtir une nation rwandaise qui ne comporterait plus ni Hutus, ni Tutsis. Une telle politique n'est-elle qu'un leurre ? Les modalités de la réconciliation entreprise peuvent laisser perplexe.
Autre exemple, au Burundi voisin où, depuis les massacres de 1972, les conflits entre Tutsis et Hutus avaient fait environ 300 000 victimes. Pour tenter de mettre fin à la spirale des sanglants affrontements, à base ethnique, un accord de paix, inspiré par Nelson Mandela, a été signé à Arusha, en Tanzanie, en août 2000. Au lieu de nier la question ethnique, l'esprit de cet accord l'assume et en fait un point de départ. Il s'agit alors d'assurer une représentativité équitable des composantes de la population (composée à 15% de tutsis, à 85% hutus). D'une manière générale, la réactivation du concept d'ethnie en Afrique subsaharienne est également venue de la mise en place du processus démocratique qui a fréquemment entraîné la résurgence de l'appartenance ethnique pour fonder le multipartisme.
Il apparaît que la multiplicité des ethnies n'est pas en soi un obstacle au fonctionnement de l'État dans la mesure où l'appartenance ethnique ne constituerait qu'un cadre de référence identitaire parmi d'autres, à une échelle située entre le groupe familial de proximité et l'État. Ethnie et État peuvent alors cesser d'apparaître comme des catégories antagonistes dès lors qu'on raisonne en termes d'emboîtements et non d'exclusion (R. Pourtier*). Les appartenances ethniques participent alors aux dynamiques linguistiques et culturelles qui transcendent les groupes et les frontières et constituent ainsi autant de strates pouvant favoriser les processus d'intégration.

- Voir, dans ce dossier,
> l'article d'Eric Bordessoule, "L'État-nation en Afrique subsaharienne"
> de Marc Lavergne sur la crise du Darfour
- Roland Pourtier - Derrière le terrain, l'État - Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard - Éditions du CNRS - 1991

Foncier, questions foncières

Les conflits et les violences en Afrique subsaharienne trouvent souvent leur origine dans les évolutions rurales et plus précisément agraires dans un contexte où les pressions sur des ressources aussi essentielles que la terre et l'eau s'amplifient. Les conflits liés au foncier peuvent également naître de la politique de "sécurisation des terres" conduite par la Banque mondiale ayant, à terme, des effets dommageables sur la vie paysanne, conséquences, sans doute perverses, d'une logique de transfert de modèles.
Pression foncière, privatisation et marchandisation de la terre, tensions inter-communautaires entre autochtones et allochtones, baisse des revenus des cultures d'exportation : ces processus, qui échappent souvent aux chefs coutumiers traditionnels, peuvent alimenter de fortes tensions. De la même manière, les aménagements ruraux (hydrauliques par exemple), en modernisant les conditions de production agricole, sont aussi à l'origine de la redéfinition, potentiellement conflictuelle, des conditions d'attribution des terres.

Pour approfondir :
- un article d'Audrey Fromageot :
Agriculture et conflits en Côte d'Ivoire : terroirs maraîchers, territoires disputés

- un article de Marc Lavergne (situation au Soudan, au Darfour)

France - Afrique, Françafrique / Afrique - France

La deuxième formulation, forgée par F.-X. Verschave, désigne, avec une nuance d'ironie et de critique, les relations que la France entretient avec les pays issus de son ancien domaine colonial en Afrique. Depuis les indépendances, certaines "affaires" ont pu illustrer le mélange douteux d'intérêts politiques et économiques et discréditer ainsi l'action française en Afrique.
Ancienne puissance coloniale majeure en Afrique, la France a conservé des relations privilégiées avec ses anciens territoires. Elles se traduisent de différentes manières.
- Celle de la francophonie, chapeautée par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et dont le secrétaire général est, en 2005, l'ancien président du Sénégal Abdou Diouf. Périodiquement, les sommets de la francophonie s'efforcent de promouvoir les diversités linguistiques et culturelles ainsi que le respect des droits de l'homme. Ils sont aussi l'occasion de réunir de nombreux acteurs de la coopération décentralisée et de la société civile.
- Mais aussi une présence militaire française revêtant des formes variées qui lui ont valu le qualificatif de "gendarme de l'Afrique". Des accords de défense lient la France à six États (fin 2006 : Sénégal, Côte d'Ivoire, Togo, Gabon, Cameroun, Centrafrique) et, au Tchad, par un simple "accord de coopération militaire". Environ 11 000 militaires (fin 2006) y sont positionnés et peuvent agir à partir de 5 bases permanentes (Abidjan, Djibouti, Libreville, Dakar, N'Ddjamena).

Des interventions militaires directes, ont été décidées au fil des années et des crises africaines. Par exemple : dans l'ex-Zaïre en 1978 (opération sur Kolwezi) ; pour soutenir le Tchad face à la Libye (opérations "Manta" en 1983, "Epervier" en 1986) ; au Rwanda de 1990 à 1994 (opération "Turquoise"* en 1994) ; en intervenant dans la vie politique centrafricaine (1979, 1996) ou togolaise (1986) ; par des opérations de forces spéciales, dans le cadre d'une force multilatérale d'urgence sous mandat de l'ONU, pour sécuriser la ville de Bunia (Ituri) et son aéroport (RDC, opération "Artémis" en 2003). Dans le contexte actuel de la crise ivoirienne, sous mandat international, la France maintient sur le terrain 3 000 hommes de la force "Licorne" (au 21 mai 2007) auxquels il faut ajouter le déploiement de plus de 7 000 casques bleus. Le 6 novembre 2004, l'attaque de la base de Bouaké causant la mort de neuf soldats français, a marqué un point de rupture et elle symbolise les contradictions et les difficultés auxquelles la présence française en Afrique est confrontée.

Sous le poids des nouvelles réalités de la géopolitique mondiale, la France cherche aujourd'hui d'autres voies pour encadrer et justifier ses actions en Afrique sans courir le risque d'être accusée d'ingérence abusive ni le risque inverse d'être jugée indifférente. Les stratégies en sont multiformes : gestion multilatérale des crises, incitation à la prise en charge régionale des problèmes du continent par le biais de l'UA, de l'ONU, par exemple ; "européanisation" de la politique africaine.
La "communauté de destin" franco-africaine du XXIe siècle est en pleine reconfiguration. Ainsi, au cours du 23e sommet Afrique-France de Bamako, au Mali (2 au 4 décembre 2005), il a été annoncé que deux des cinq bases militaires permanentes actuellement en activité devraient fermer : N'Djamena et Abidjan. Tous les États-majors concernés par le théâtre africain œuvreraient, à terme, en liaison avec les soldats de la paix de l'Union africaine (UA) qui, à l'horizon 2010, aura mis sur pied cinq "brigades en attente" de 5 000 hommes, activables dès qu'il s'agira de prévenir ou d'enrayer un conflit sur le continent (exercices Recamp : Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix). Mais, en attendant, des crises telles que celle du Darfour peuvent imposer leurs urgences.

Notons enfin que, dans un nouveau contexte où les États perdent de leur influence par rapport aux firmes transnationales, le concept de "France - Afrique" perd peu à peu son contenu. Et il est probable que la concurrence, déjà effective et croissante, d'autres influences (États-Unis, Chine, Inde, mais aussi religieuses, humanitaires) contribuera également à limiter l'influence française dans son ex- "pré carré" africain.

Voir aussi,
- dans ce dossier :
> par Eric Bordessoule (L'État-nation en Afrique subsaharienne)
> par Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes"
> Un exemple : la coopération de l'AFD en Centrafrique (Benoît Boutefeu)


- Les sommets Afrique - France / France - Afrique :
www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/.../presentation_15946/index.html.
Une frise chronologique :www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/frise
- Sur RFI, "Bases françaises en Afrique - Une réforme du dispositif est à l'étude" :
http://rfi.fr/actufr/articles/069/article_38531.asp
- Un dossier de l'Express : www.lexpress.fr/info/monde/dossier/francafrique/dossier.asp
- L'opération Turquoise avait engagé la France au Rwanda. Sous mandat de l'Onu, la France avait été chargée de former une zone humanitaire sûre (ZHS) dans le sud-ouest du Rwanda entre le 22 juin et le 22 août 1994

Frontières, États et territoires

Le discours qui consiste à souligner, pour le déplorer, le caractère artificiel et arbitraire du découpage colonial ne mène pas loin même s'il ne faut pas perdre de vue que la balkanisation coloniale et post-coloniale de l'Afrique a une part de responsabilité dans les crises qui agitent le continent. Mais, plus que le tracé des frontières, c'est le modèle étatique d'encadrement de l'espace et de la société qui a bouleversé l'Afrique.
Par ailleurs si la détermination des frontières africaines, issue de la colonisation, a pu paraître arbitraire, elle ne s'est pas faite sans principes ni logiques. La partage de l'Afrique congolaise, par exemple, a mis en jeu une représentation naturaliste du monde liée à la théorie des bassins hydrographiques. C'est ainsi que le bassin de l'Ogooué donne, dans l'ensemble, une unité formelle au Gabon. Il est intéressant de voir comment une unité plutôt abstraite, dérivant d'un naturalisme indifférent au substrat humain, a pu servir de fondement à une entité territoriale revendiquée aujourd'hui comme nation. L'État colonial, puis l'État indépendant qui en a poursuivi l'action, ont, à travers leur action administrative et organisatrice, "produit du territoire", nouveau modèle de contrôle social surimposé aux anciens modes de relation socio-spatiales.
R. Pourtier*, à propos du Gabon, s'interroge en ces termes : "Pourquoi le Gabon, comment le Gabon ? Que signifie cette figure spatiale, espace clos dont la carte atteste l'indubitable réalité ? Quels sont les fondements de son identité ? Par quelles mutations une étendue forestière inorganique est-elle devenue territoire d'État ? Comment s'est effectué le passage d'un espace fluide à un espace encadré ? Ce ne sont pas des questions académiques car on s'aperçoit que les transformations socio-spatiales résultent, pour une part déterminante, de la dynamique, largement exogène, de l'État."
On notera que les "frontières chaudes", conflictuelles, ne sont pas une spécialité de l'Afrique et ne sont pas générales en Afrique. On y rencontre plus souvent des espaces vides, sans fonctions, où l'État est peu présent ainsi que des espaces transfrontaliers perméables aux échanges licites ou illicites. Mais les groupes ethniques transfrontaliers ne constituent pas, le plus souvent tout au moins, une remise en question du contour des États. Contrairement à ce que prétendent certains analystes, les frontières africaines en général ne sont pas globalement contestées même si l'idée de redessiner l'Afrique a toujours des adeptes.
Certes, les découpages frontaliers voulus par les colonisateurs pour des raisons économiques, militaires et stratégiques, peuvent paraître inadaptés aux réalités du peuplement et de la mobilité. La délimitation, orthogonale à la côte, du territoire de certains pays côtiers correspondait à la volonté de drainer les richesses vers les ports (Ghana, Côte d'Ivoire, Nigeria, Cameroun), ou à celle de donner aux zones sahéliennes un débouché sur la mer (Bénin, Gambie, Togo). Ce découpage avait été dicté par la Conférence de Berlin (1885) au cours de laquelle les grandes puissances européennes s'étaient partagé le continent. De tels "espaces couloirs", de petite taille et sans réelle homogénéité, posent problème et les États sahéliens, vastes et peu peuplés ont des difficultés à assumer leur souveraineté nationale et à freiner les velléités indépendantistes.
Mais, malgré tout, ces frontières sont désormais stabilisées, à la suite d'une Conférence de l'OUA (devenue l'UA) de 1964, qui, dès les débuts des indépendances et craignant l'implosion du continent, a réaffirmé l'intangibilité des frontières.
Cette charte de 1964 a cependant été écornée une fois, en 1993, lorsque l'Érythrée a fait sécession avec l'Éthiopie.
Il apparaît plutôt aujourd'hui qu'au-delà des États, l'avenir de l'Afrique passe par des formes de concertation et d'organisation régionales supra-nationales. Les frontières étatiques, en Afrique comme ailleurs, sont en partie subverties par les logiques de la globalisation, par les flux "invisibles" licites et illicites et par les impératifs d'actions d'ingérence aux contours discutés.

- Dans ce dossier,
> par Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes"
> par Eric Bordessoule, "L'État-nation en Afrique subsaharienne"
- Roland Pourtier - Derrière le terrain, l'État - Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard - Éditions du CNRS - 1991

Génocide

Le continent africain a le triste privilège d'avoir connu deux génocides au XXe siècle, et c'est sur son sol qu'est née cette pratique nouvelle du meurtre de masse. Le terme a été créé en 1944 par le juriste Raphaël Lemkin. L'ONU lui a donné une définition juridique dans la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention de la répression du crime de génocide (art II) : il désigne les actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Selon d'autres approches (Joël Kotek, Université libre de Bruxelles) cinq caractères sont requis pour qualifier l'entreprise génocidaire : la désignation d'un groupe humain dont l'élimination est recherchée ; une idéologie, généralement un racisme teinté d'ethno-nationalisme ; la volonté d'éliminer totalement le groupe objet du génocide ; la décision, préméditée, d'engager cette action ; l'exécution de cette entreprise au nom de l'État.
Si l'Afrique n'a pas expérimenté les premiers camps de concentration, ceux-ci ont été ouverts à Cuba en 1895 par les Espagnols, elle en a connu un développement lors de la guerre des Boers (1896 - 1901), dans la répression conduite par les Britanniques (lord Kitchener). Mais le premier massacre systématique d'une population revient à l'Allemagne de Guillaume II : après la découverte de gisements diamantifères en Namibie, de nombreuses exactions se produisent qui amènent le peuple Héréro, occupant des lieux, à se rebeller en 1904. Les troupes du général Lothar Von Trotha engagent alors un massacre systématique du peuple Héréro. Seuls 10 000 d'entre-eux survivront sur une population initiale de 80 000 personnes. Et c'est au Rwanda que se déroule, sous les yeux de la communauté internationale, le dernier génocide du XXe siècle avec l'extermination, en trois mois, du 7 avril 1994 au 4 juillet 1994, de 800 000 personnes d'ethnie tutsie, soit 1/10e de la population du pays.

Gouvernance et corruption

La notion de gouvernance a fait son apparition à la fin des années 1980 dans le champ des relations internationales. Le terme de "good governance" est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d'une bonne administration publique.

Dans son rapport 2005, l'organisation non gouvernementale Transparency International (TI) relevait que les pays les plus corrompus au monde sont aussi parmi les plus pauvres, "deux fléaux qui s'alimentent réciproquement, enfermant les populations dans le cycle de la misère". Selon l'organisation, qui évalue un "Indice de perception de la corruption", la corruption et ses conséquences alimentent la violence, du niveau supérieur de l'État à ses échelons locaux.
Parmi les 70 pays où l'ONG considère que la corruption atteint un niveau grave (indice inférieur à 3 sur 10, 10 représentant l'absence de corruption) figurent bon nombre d'États africains : Tchad, Côte d'Ivoire, Guinée Equatoriale, Nigeria.
Selon TI, la corruption a augmenté en Afrique entre 2000 et 2004 et les pays pétroliers riches, tels que l'Angola, la Libye, le Nigéria et le Tchad, affichent les indices de corruption les plus élevés.
TI fait observer que "la corruption dépouille les pays de leur potentiel" et que "les pays riches en pétrole comme l'Angola, la Libye, le Nigéria, le Soudan, le Tchad affichent tous des scores extrêmement bas. Dans ces pays, la passation de marchés publics dans le secteur pétrolier est corrodée par la disparition des revenus qui aboutissent dans les poches des dirigeants de sociétés pétrolières occidentales, d'intermédiaires et de fonctionnaires locaux".
Selon un calcul du FMI, 4,22 milliards d'USD auraient disparu des caisses de la Banque centrale d'Angola entre 1997 et 2002, soit 9,25% du PNB du pays. Et certaines recettes n'apparaissent pas du tout dans les comptes publics, celles du diamant par exemple.
Par ailleurs, entreprises et groupes qui investissent en Afrique, souvent pour en exploiter les ressources, conditionnent rarement leur présence à des garanties de bonne gouvernance et n'y appliquent pas toujours les règles de "Responsabilité sociale et environnementale".
De plus en plus d'institutions et organisations internatianales, bailleurs d'aide à destination de l'Afrique subsaharienne, conditionnent leurs financements à des garanties de bonne gouvernance et de transparence quant à leur utilisation. Si certains y voient une ingérence supplémentaire des puissants et des riches à l'égard des plus pauvres, les populations concernées ne peuvent qu'en bénéficier.

Pous compléter et prolonger, voir dans le corpus documentaire de ce dossier (des cartes, des graphiques) : La croissance et le développement : à quelles conditions ?

- Les "diamants de sang" à travers le film Blood diamond, présenté par Zéro de conduite :
http://cinema-education.fluctuat.net/blog/14137_Blood+Diamond+:+This+is+Africa%85.html
- et par les Cafés géographiques : www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1031

Grands Lacs

L'Afrique des Grands Lacs est particulière à plus d'un titre. C'est l'Afrique du rift, et, dans les mythologies de l'Humanité, celle des origines, véritable métaphore de la création. Mais elle fut aussi le théâtre des déchirements récents du continent, dont le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 qui fit, environ, 800 000 victimes pour un nombre à peu près équivalent de "génocidaires", suivi par environ 200 000 Hutus tués pendant leur fuite à travers la RDC.
Le volume Afrique de la Géographie Universelle, paru en 1994, ne faisait pas mention d'une Afrique des Grands Lacs. Rwanda et Burundi, anciens "royaumes interlacustres", étaient rattachés à l'Afrique orientale. Non sans raison : l'ouverture de ces États enclavés, tout comme celle de l'Ouganda, s'effectue exclusivement par l'océan Indien. Leur rattachement à l'Afrique centrale n'est dû qu'aux aléas de l'histoire, en l'occurrence le partage des dépouilles des colonies allemandes.
L'Afrique des Grands Lacs, comme entité géopolitique, ne s'est imposée que récemment. Devenue un des espaces névralgiques du continent, cette région a fini par acquérir un statut autonome, par devenir un objet politique et scientifique en soi. Le Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs Africains dont le secrétariat est à Genève et le Centre d'étude de la région des Grands Lacs d'Afrique, créé en 1995 à l'Université d'Anvers, contribuent dans une large mesure à conforter l'identité de cet espace.
Au final, cette Afrique des Grands Lacs occupe une position singulière à la charnière entre deux entités, l'Afrique centrale francophone, caractérisée par un fort tropisme atlantique, et l'East Africa, anglophone et swahiliphone, qui regarde vers l'océan Indien et le monde arabe. De même que l'Afrique centrale de tradition française se perpétue dans la Communauté économique et monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), l'Afrique orientale britannique trouve son expression institutionnelle dans l'East African Community (EAC).
Si l'on connaît l'Afrique des Grands Lacs à travers ses malheurs, certains processus récents pourraient annoncer des évolutions plus encourageantes. C'est ainsi, par exemple, que le Burundi s'est engagé dans un double processus, de démocratie électorale d'une part, de réconciliation nationale d'autre part.

- La Mission de l'ONU en R.D. du Congo (Monuc) : http://monuc.org/Home.aspx?lang=fr
- Conférence régionale des Grands Lacs : la première en Tanzanie en 2004.
- Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains :
www.grandslacs.net/index.html
- La Documentation française, le contexte régional de l'Afrique des Grands Lacs :
www.ladocfrancaise.gouv.fr/dossier_actualite/conflit_grandslacs_afrique/index.shtml

Humanitaire

L'Afrique est le théâtre récurrent d'opérations humanitaires, parfois qualifiées, d'une manière critique, de charity business lorsqu'elles sont perçues négativement en raison du jeu complexe entre l'exposition ou la mise en scène médiatique des populations et l'aide qui leur est apportée.
Certaines populations y sont maintenues sous la perfusion des ONG et des plans d'aide d'urgence internationale, par exemple, à travers le Programme alimentaire mondial (World food program - WFP / PAM) ou les activités du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Les guerres civiles, les conflits entre nations, l'intervention d'urgence en cas de grave aléa naturel, les épidémies et pandémies, placent souvent la "communauté internationale" devant ses responsabilités et ses devoirs d'intervention en Afrique subsaharienne. Il faudrait, bien entendu, toujours tout faire pour éviter d'y recourir et pour que ces situations ne s'éternisent pas. Mais ces modes d'intervention sont bien inséparables des problématiques de l'ingérence.

Les Organisations non gouvernementales (ONG) ont acquis une place de premier ordre dans la gestion de ces situations du fait de leur professionnalisme, de leurs savoirs-faire géopolitiques, logistiques et techniques dans les domaines de la santé et de l'urgence médicale. Apparues, pour la plupart, après 1945, les ONG avaient alors une vision rédemptrice de leur action (racheter les fautes de l'Occident colonialiste) et c'est en Afrique, dans les années 1970 - 1980, que les French Doctors ont mondialisé l'émotion humanitaire à travers l'image des enfants pris dans la tourmente de la guerre du Biafra au Nigéria (1967). Les situations d'urgence se sont depuis diversifiées et multipliées sur le terrain africain : Restore Hope en Somalie en 1992, le génocide au Rwanda en 1994 et ses conséquences pour les pays voisins, la sécheresse en Éthiopie en 2000 (Ogaden), plus récemment, l'assistance aux populations fuyant le Soudan, etc..

Les conditions de l'action humanitaire en Afrique sont souvent particulièrement difficiles du fait du manque d'infrastructures et de la faiblesse des États. On sait par ailleurs que les malheurs qui affectent l'Afrique subsaharienne suscitent, proportionnellement aux victimes concernées, beaucoup moins de dons que d'autres lieux et d'autres circonstances. Ainsi, la mobilisation humanitaire exceptionnelle suscitée par le tsunami dans l'océan Indien a conduit les gouvernements, les organisations internationales, les ONG et organismes de bienfaisance, les particuliers, les entreprises à promettre 13,6 milliards d'USD en faveur des pays affectés. Parallèlement, la crise alimentaire au Niger, les situations d'urgence qui prévalent actuellement au Soudan et en République démocratique du Congo mobilisaient beaucoup moins la générosité internationale.

- Voir, dans ce dossier, les articles de Luc Cambrézy et de Marc Lavergne
- Un article du site de Médecins sans frontières : "Niger / Tsunami, un système d'aide à deux vitesses ? (1er juillet 2005) : www.msf.fr/site/actu.nsf/actus/tsunami010705
Ingérence et sécurité

De nos jours, environ 70% des décisions de l'ONU et du Conseil de Sécurité concernent directement le continent africain, ce qui reflète le haut degré de conflictualité qui y règne encore et la nécessaire mobilisation de la communauté internationale.
Les opérations internationales de maintien de la paix en Afrique sont actuellement au nombre de sept. Il s'agit, par exemple, de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc), etc.. Il faut y ajouter la Force multinationale en Centrafrique (Fomuc), dirigée par la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (Cemac), depuis 2002.
La Monuc, par exemple, créée en 1999, fut constamment renforcée par la suite. Pour accompagner le processus de normalisation en cours en République démocratique du Congo (l'accord de Pretoria de 2002 prévoit le déroulement d'un cycle d'élections qui doit s'achever en juin 2006), les Nations unies ont déployé au Congo leur plus importante mission de maintien de la paix dans le monde à ce jour, avec un effectif de 18 600 soldats (casques bleus) et policiers (dont 4 800 en Ituri), un budget annuel d'1 milliard d'USD. Elle est chargée de faire respecter le cessez-le-feu entre la RDC, ses alliés (Angola, Namibie et Zimbabwe) et les États qui soutiennent la rébellion en RDC (Ouganda, Rwanda).
Certes, on peut sans doute déplorer que l'ingérence dans les affaires intérieures d'un État soit toujours l'expression des intérêts et des droits des plus forts. Mais ce ne sont pas les populations civiles victimes d'exactions de toute sorte qui s'en plaindront.

Et il semble que des progrès soient en cours en Afrique. De nombreux conflits se sont éteints ces dernières années ou sont en voie de l'être. Parfois par suite de l'élimination physique ou de l'éviction d'un protagoniste (Joseph Savimbi en Angola, John Taylor au Liberia), de plus en plus, par le biais de coalitions militaires avec mandat des Nations unies. Le Sommet du 60e anniversaire de l'ONU (septembre 2005) a pris la décision d'établir une Commission de consolidation de la paix pour tenter d'empêcher des pays sortant d'un conflit de replonger dans la guerre et a pris l'engagement d'assumer la responsabilité et le devoir de protéger les populations d'un État qui n'en a plus lui-même les capacités.
De leur côté, les organisations régionales africaines, comme l'UA et le Nepad qui lui est associé, s'efforcent d'œuvrer en faveur de la pacification du continent.

- Voir les articles du dossier    (Eric Bordessoule, Luc Cambrézy et Marc Lavergne) et de Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes"
- La Documentation fr
ançaise :
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/maintien-paix/carte-omp.shtml

Migrations et mobilités

La libre circulation des personnes est inscrite dans les textes fondateurs de différentes organisations régionales africaines.
Dans le monde rural, lorsque les migrations sont transfrontalières, elles posent les problèmes complexes des relations entre autochtones et étrangers, dès lors que le statut de la terre, les questions foncières et l'exercice du pouvoir sont en cause. Les migrants ruraux, le plus souvent résidents temporaires, gardent un statut d'étrangers.
Mais ce sont les villes qui constituent aujourd'hui le principal lieu de destination des migrants africains. Les flux d'immigrés se composent majoritairement de jeunes hommes célibataires qui cherchent à accumuler un pécule, en vue du mariage, de la construction d'une maison ou de la création d'une entreprise "au pays". La plupart des migrants étrangers travaillent dans le secteur informel du commerce, des transports, de l'artisanat, des services, de la petite activité marchande où ils sont indispensables au fonctionnement de l'économie urbaine.
Ces migrants temporaires tissent des réseaux transnationaux, contribuent à une redistribution régionale des ressources monétaires, diffusent des pratiques religieuses et culturelles, participant ainsi à la formation d'une urbanité africaine. Si en période de crise politique ils sont exposés à la vindicte populaire et aux pillages et doivent parfois se résoudre à un rapatriement prématuré, ils ne posent pas de problèmes aussi complexes que dans le monde rural.
De leur côté, les étrangers non africains constituent une catégorie d'acteurs importante tant par leur rôle dans les secteurs économiques, que par leur influence politique et culturelle et leurs relations avec les élites africaines. Ils se répartissent en différents groupes ou réseaux ayant chacun leurs rôles spécifiques : "expatriés" Européens et Américains, Libano-Syriens, Indo-Pakistanais, et, de plus en plus, cadres et ouvriers chinois.
De nombreux États de l'Afrique subsaharienne sont confrontés à la présence de populations réfugiées et déplacées. La question des réfugiés n'est pas seulement humanitaire, elle est aussi politique : les réfugiés représentent en effet un potentiel d'instabilité régionale. Peu d'autres régions dans le monde connaissent des mouvements d'ampleur comparable. Les migrations sous contrainte créent des conditions de vie très artificielles, plus ou moins éphémères, généralement dans des camps gérés par le HCR, signe tangible de leur non-intégration dans le pays d'accueil. Une réflexion d'ensemble sur l'Afrique subsaharienne ne peut éluder un questionnement sur l'avenir des populations réfugiées et sur les possibilités de résorption des camps, soit par des politiques de retour, soit par des politiques d'intégration.

- Voir, dans ce dossier, les articles de Luc Cambrézy et de Marc Lavergne
- ainsi que l'article de Martine Drozdz :
Places marchandes, places migrantes dans l'espace saharo-sahélien

Organisations régionales et intégration

L'exemple de l'Europe, parvenue en quelques décennies, à travers la construction d'une Union, à surmonter l'essentiel de ses divisions et de ses conflits, le démontre : la coopération inter-étatique dans différents champs (économie, politique, aménagement et développement des territoires) est un facteur puissant de pacification.
Différentes formes de concertation, d'harmonisation, et d'intégration peuvent être favorables à l'atténuation et à la gestion des conflits sur le continent africain. La configuration des regroupements régionaux repose sur deux axes, politique et économique et elle ne peut se comprendre sans référence à l'histoire, principalement aux héritages coloniaux et au temps des indépendances.

L'axe politique occupe les discours et les esprits et le rêve du panafricanisme est ancien. Au moment des indépendances, le sénégalais Léopold Sedar Senghor et le ghanéen Kwame Nkrumah développent l'idée d'une nécessaire intégration africaine. Aux yeux de Kwame Nkrumah, un système fédéral permettrait de dépasser le néo-colonialisme induit par le maintien des frontières nationales.

Plus récemment, l'OUA, devenue l'Unité africaine (UA) en 2000
, se donne pour objectif de structurer l'ensemble du continent autour d'un Parlement panafricain, d'une banque centrale et d'un Fonds monétaire, d'une Cour de justice, etc. Parallèlement, au sein de l'UA, le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad / New Partnership for African Development) a été lancé en 2001 pour faire progresser la gouvernance en Afrique. Il est né d'une initiative des chefs d'État sénégalais, Abdoulaye Wade, et sud-africain, Thabo Mbeki (son secrétariat général est à Johannesburg), en association avec leurs homologues algérien (Abdelaziz Bouteflika) et nigérian (Olusegun Obasanjo).
Comme son nom l'indique, le Nepad est surtout un instrument de planification du développement, ce n'est pas une institution. Il vise à mobiliser des fonds internationaux pour réaliser des projets continentaux ou régionaux, au moment où de nombreuses études montrent l'importance des infrastructures dans le domaine de l'accès aux services de base (éducation, santé), dans la cohésion sociale et dans le développement économique. La construction de grands projets régionaux structurants est envisagée et/ou programmée : dans le domaine des transports, l'autoroute côtière Nouakchott/Lagos permettant de relier 10 pays africains, l'autoroute Dakar/N'Djamena et le chemin de fer d'interconnection entre le Bénin, le Togo et le Burkina Faso ; dans le domaine de l'énergie, deux projets de gazoducs (Nigéria – Algérie et Nigéria – Bénin, Ghana, Sénégal et Togo ; dans le domaine des TIC, la connection au réseau mondial de câbles à fibres optiques.

Mais si, dans les discours, le Nepad est très présent, sur le terrain ses réalisations sont plus discrètes à ce jour. Aux yeux de certains africains, il pourrait faire figure d'"éléphant blanc". Une de ses réalisations la plus visible est la mise en place d'un Mécanisme agricain d'évaluation par les pairs (APRM) auquel, en 2005, 23 des 52 pays membres avaient souscrit. L'idée est d'attirer les investissements étrangers en échange d'engagements de "bonne gouvernance" politique et économique accompagnés par l'évaluation et l'aide du PNUD. Les objectifs du Nepad sont corrélés aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de lutte contre la pauvreté définis par l'ONU et ils affichent aussi la volonté des États membres de ne pas rester en marge du processus de mondialisation. D'impact réel encore limité, le Nepad a surtout valeur symbolique. Dans le contexte de la mondialisation des institutions, c'est un outil de communication et de lobbying et de recherche de financements de projets.

Sur le plan économique, les arguments en faveur d'une intégration régionale en Afrique sont nombreux : faiblesse des échanges intra-régionaux, frontières poreuses, marchés internes exigüs, infrastructures déficientes, faible diversification des appareils productifs. De plus, aujourd'hui, la mondialisation vient relancer la question des "territoires pertinents". L'intégration régionale peut faciliter l'insertion des économies nationales dans le commerce mondial et amplifier leur poids dans les négociations internationales. Cet argument, qui prévaut dans la construction de la plupart des coopérations régionales, vaut aussi pour l'Afrique. La dimension économique fait aujourd'hui partie d'un processus qui justifie les aides et les attentions des bailleurs, de l'Union Européenne notamment. Ainsi, les accords entre l'UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) prévoient une ouverture réciproque des marchés à partir de blocs régionaux.

Ce tour d'horizon des grandes organisations régionales montre qu'il existe une intense activité sur le plan institutionnel en Afrique. Reste à évaluer l'efficience de ces groupements en étudiant les structures et les dynamiques spatiales, pour montrer en quoi les facteurs environnementaux, démographiques, économiques, culturels, peuvent, au-delà de l'actualité politique, favoriser à terme l'intégration ou au contraire lui faire obstacle. Certains pays membres sont soupçonnés de participer à l'intégration pour multiplier les guichets de l'aide internationale (fonds de l'UE notamment). Tandis que l'Europe a pu mettre en œuvre une politique régionale de convergence territoriale, les pays d'Afrique s'enlisent trop souvent dans une crise des territoires qui sont encore, trop souvent, des enjeux de pouvoir et d'accaparement des richesses.
Mais ces recompositions reflètent les dynamiques politiques contemporaines. Les élargissements en cours correspondent à la tendance mondiale privilégiant les grands ensembles économiques dans le contexte de la mondialisation et ces questions sont en arrière-plan des enjeux géopolitiques à long terme en Afrique subsaharienne.

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Christel Alvergne - Quelle intégration régionale pour l'Afrique de l'Ouest ? - XLème Colloque de l'ASRDLF : Les politiques régionales à l'épreuve des faits (Bruxelles, Septembre 2004) :
www.ulb.ac.be/soco/asrdlf/programme.html
- Roland Pourtier - Derrière le terrain, l'État - Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard - Éditions du CNRS - 1991
- L'Union africaine : www.africa-union.org/home/bienvenue.htm
- Le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad / New Partnership for African Development) : www.nepad.org/2005/fr/home.php
- Intégration régionale en Afrique, cartothèque de Sciences-Po : www.sciences-po.fr/cartographie/
cartes/monde/organisations_internationales/67_integration_afrique_2005.jpg

Pauvreté

L'Afrique subsaharienne rassemble 689 millions d'habitants, soit 11% de la population mondiale, en croissance moyenne annuelle de 2,7%. Parallèlement, son PIB, de 311 milliards d'USD, soit 1% du PIB mondial, ses exportations, de 90 milliards d'USD, ne représentent que 0,68% du commerce mondial total. Avec un revenu moyen/hab/an de 375 €, les populations africaines sont souvent parmi les plus pauvres du monde.
Quatorze pays africains font partie de la catégorie des Pays pauvres très endettés (PPTE) dont la liste, dressée par le G8, comporte les pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Ethiopie, Ghana, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Ouganda et Zambie.
La hausse du prix des matières premières, parmi d'autres facteurs, ont permis une croissance économique de 5,1% en termes réels de l'Afrique en 2004. Mais, la pauvreté n'a pourtant pas reculé car les richesses ne sont pas redistribuées. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés par l'ONU en 2000 ont pour objectif de réduire la pauvreté de moitié d'ici à 2015. Pour les atteindre, une croissance de 7% par an serait nécessaire. Or, de 1990 à 2004, le rythme annuel moyen de croissance en Afrique subsaharienne n'a été que d'à peine 2,5%. Et la hausse du prix de certaines ressources énergétiques, minières, y a largement contribué, ce qui n'assure pas une croissance nécessairement durable. La croissance africaine n'est pas suffisamment forte et pas suffisamment "inclusive" pour tirer les populations les plus fragiles vers le développement.
Selon la Banque mondiale, le revenu par habitant a diminué d'un quart dans les pays de l'Afrique sub-saharienne entre 1975 et 2003 tandis qu'il augmentait dans le reste du monde. L'espérance de vie à la naissance y est, en 2004, inférieure à ce qu'elle était il y a quarante ans.

Aux yeux de certains, l'Afrique subsaharienne serait trop pauvre pour décoller économiquement, victime d'handicaps cumulés difficiles à surmonter : maladies endémiques, enclavements des territoires, insuffisance des infrastructures, déficits éducatifs, manque de capitaux propres ou capitaux dépendants de l'étranger, par exemple. Ainsi la plupart des États seraient dans l'incapacité d'enclencher les cercles vertueux du développement sans aide extérieure. De fait, l'Afrique subsaharienne a bénéficié d'une augmentation de l'Aide publique au développement (APD) ces dernières années, une part de celle-ci provenant de l'aide d'urgence et de l'allègement de la dette. Les "bons élèves", comme l'Ethiopie, le Mozambique, la Tanzanie, ont reçu l'essentiel de ces fonds. Inversement, l'aggravation des problèmes de gouvernance a pénalisé, par exemple, le Zimbabwe ou la République centrafricaine. Cette dernière illustre ce qu'est un État incapable de sortir du "piège de la pauvreté".


Voir en complément quelques données sur les Objectifs du millénaire pour le développement

Réconciliation et pacification

Des processus de réconciliation et de résilience se sont efforcés de mettre un terme à des conflits particulièrement meurtriers et de réduire le niveau de conflictualité en Afrique subsaharienne. Différents exemples peuvent être analysés et comparés.

Le défi judiciaire du génocide des Tutsis au Rwanda est exemplaire. On estime que 760 000 Hutus sont responsables du massacre de plus de 800 000 tutsis en trois mois (du 6 avril au 4 juillet 1994). Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) siège à Arusha en Tanzanie depuis novembre 1994 mais ne juge que "les échelons suprêmes" de l'élite qui gouvernait le Rwanda à l'époque du génocide.
Les "génocidaires" hutus réfugiés dans l'Est du Congo ont été invités, par le régime du président Paul Kagamé, à re
ntrer dans leur pays où ils sont accueillis dans des ingandos ("camps de solidarité"). Leur sont alors dispensées, en chanson, les vertus de la réconciliation nationale. Des juridictions gacaca ("tribunal sur gazon"), des tribunaux populaires traditionnels jugent, localement, les Rwandais qui ont participé aux massacres de 1994. Composé d'une douzaine de pays et de représentants des Nations unies, de l'UE et de l'UA, le Comité international d'accompagnement de la transition (CIAT) a appelé à "une collaboration totale des autorités rwandaises et congolaises pour assurer le bon déroulement des opérations de rapatriement". Mais ce processus de réconciliation peut avoir un goût amer aux yeux de ceux qui considèrent que le procès des "génocidaires" reste inachevé : des "impunis", bénéficiant d'influence et de réseaux, n'ont pas eu à s'expliquer sur leurs actes. Certains observateurs (ONG, experts internationaux) jugent ce processus de pacification insuffisant pour garantir une cohabitation sereine.
De son côté, le Burundi avait plongé, en 1993, dans un cycle de coups d'État et de massacres politico-ethniques entre Hutus et Tutsis. Douze années de guerre civile ont fait plus de 300 000 morts. En août 2000, sous l'autorité du président sud-africain Nelson Mandela, un accord de paix était signé à Arusha en Tanzanie. La première traduction, dans les faits, de cet accord a été l'intégration de quelques 3 000 soldats rebelles à l'armée régulière. Le processus de pacification, garantit par les États voisins, (Ouganda, Tanzanie et Rwanda), repose sur le retour à une vie constitutionnelle normale et sur un programme électoral (voir l'entrée ethnie du glossaire).

Dans l'Afrique du Sud tout juste libérée de l'apartheid (Nelson Mandela avait été libéré en 1990, les trois dernières lois de l'apartheid abolies en 1991), la création, en 1993, de la Commission "Vérité et réconciliation" (CVR / Truth and Reconciliation Commission TRC) a contribué à éviter l'affrontement direct entre victimes (en majorité noires) et bourreaux (blancs pour la plupart) du régime de discrimination raciale. La personnalité de Mgr Desmond Tutu, archevêque anglican de Johannesburg et prix Nobel de la paix, qui l'a présidée, n'est pas étrangère à la réussite de cette expérience originale sur le plan juridique. Mais le processus s'inspire aussi de l'esprit d'"Ubuntu", mot d'origine africaine qui désigne une forme d'harmonie, de fraternité, d'humanité commune, prenant en compte l'humanité totale de l'individu et de ses rapports avec la collectivité au lieu de s'attacher exclusivement à ses actes illicites.
Destinée à juger les infractions aux droits de l'Homme commises pendant le demi-siècle de l'apartheid, le principe en était simple : bénéficieraient d'une amnistie tous ceux qui viendraient devant la CVR reconnaître leurs exactions à condition que le requérant "expose tous les faits" et qu'il prouve que ses crimes étaient "politiquement motivés". L'objectif était de faire jaillir la vérité en révélant des événements passés, première étape du processus de réconciliation. Les déposants étaient surtout des membres de la police qui avaient torturé, et parfois tué, des militants des mouvements de libération noirs, principalement du Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela.
Le 15 avril 1996, la Commission tenait sa première audience publique et, au fil des dépositions, elle a réussi la catharsis réparatrice espérée en explorant les "peurs" et les "douleurs" du régime d'apartheid. Évitant le piège de cycles de vengeance sans fin, la révélation des sévices infligés par les bourreaux a facilité la réconciliation entre les communautés, pour les actes commis dans le passé. En 1998, le rapport final de la CVR avait recensé 21 000 victimes, dont 2 400 ont témoigné en audiences publiques. Sur les quelque 7 000 demandes d'amnistie reçues, la plupart ont été accordées. Cependant, l'expérience de la CVR n'a pas été sans heurts. Beaucoup de blancs, en particulier Afrikaners, y ont vu une chasse aux sorcières qui prenait pour cible leur communauté. Pourtant, la CVR s'est également intéressée aux violations des droits de l'Homme perpétrées par les mouvements de libération. Son impartialité à cet égard apparaît clairement dans son rapport et constitue en elle-même une importante contribution à la réconciliation.

Observons pour finir que les situations de post-conflit sont très complexes à gérer. On parle, dans les documents internationaux de "Peace building" (consolidation de la paix), de "Nation building" (construction et consolidation de la nation). Il s'agit de ramener la confiance dans un pays, de désarmer les belligérants, de faire rentrer et d'accueillir les réfugiés, de réintroduire au plus vite les services de base (éducation, santé), de sécuriser les voies de communication pour relancer l'économie, d'insufler les règles de justice et d'État de droit ... des objectifs qui légitiment souvent l'ingérence extérieure (présence militaire et missions de l'ONU, rôle des ONG par exemple), avec d'éventuels effets pervers que l'on peut imaginer.

- Une étude du Nepad sur le "Cadre politique de reconstruction post-conflit en Afrique" (2005) :
www.nepad.org/2005/aprmforum/PCRPolicyFramework_fr.pdf
- Une réflexion du Haut Conseil à la coopération internationale sur la gestion des situations de post-conflit : www.hcci.gouv.fr/travail/avis/post-conflit-crise.html
- Burundi, Un pas de plus vers la paix : www.rfi.fr/actufr/articles/065/article_36227.asp
- ONU : le site du Tribunal pénal international pour le Rwanda :
http://65.18.216.88/FRENCH/index.htm
- Un dossier sur France Culture, Rwanda, pour mémoire :
www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/dossiers/2004/rwanda
- La Commissio
n "Vérité et réconciliation" (Truth and Reconciliation Commission of South Africa) :
www.info.gov.za/otherdocs/2003/trc
Résilience

À l'origine, en métallurgie, la résilience désigne une qualité des matériaux qui tient à la fois de l'élasticité et de la fragilité. Elle se manifeste par leur capacité à retrouver leur état initial à la suite d'un choc ou d'une pression continue.
Dans le cadre de l'analyse socio-spatiale, la résilience désigne la capacité d'un système à assimiler, voire à tirer profit, d'une perturbation extérieure. Dans ce cas, il s'agit de capacités d'adaptation, plus que de retour à un état initial, telles qu'elles permettront au système socio-spatial de fonctionner après un désastre, en présence d'un stress continu ou plus couramment d'une bifurcation géopolitique, économique, environnementale. Les communautés sahéliennes peuvent être étudiées dans ces perspectives. Les processus judiciaires et de réconciliation, les arbitrages des organisations régionales et internationales, peuvent aider à la résilience des sociétés africaines touchées par les conflits.

Ressources et rente

"Sang du cacao", "diamants de sang", "pierres de la mort", ou autres "gemmes de la guerre" ... la floraison de ces expressions reflète une réalité : leurs abondantes ressources naturelles ne font pas, le plus souvent, le bonheur des populations africaines.
Pour les pays pauvres, les recettes provenant des matières premières alimentent trop souvent la corruption et la mal gouvernance. Elles sont autant de cercles vicieux de la violence et des prévarications. Elles multiplient les risques géopolitiques de coups d'État et servent souvent à financer les conflits, guerillas, guerres civiles. Si les investissements, dans le pétrole et le gaz par exemple, bénéficient à certains pays d'Afrique (Angola, Tchad, Guinée-Equatoriale, Soudan), ils ne profitent guère au développement de leurs populations. Et la dépendance, parfois extrême, à l'égard des seules ressources de leur sol et sous-sol, rendent ces économies très vulnérables. Cela crée des mentalités et des comportements rentiers privilégiant la consommation et peu favorables à l'entreprenariat. Le déficit d'esprit d'entreprise, souvent observé en Afrique, n'est sans doute pas sans rapport avec le poids écrasant d'une économie extractive contrôlée par des sociétés étrangères : les royalties ne stimulent pas le goût du risque.
Les firmes ou sociétés étrangères ou pseudo-nationales continuent, comme à l'époque coloniale, d'exporter des produits bruts en en réinvestisant que trop peu leurs bénéfices sur place. Les détenteurs du pouvoir politique pratiquent, trop souvent, une redistribution clientéliste et clanique des recettes nationales, visibles ou invisibles, générées par l'exploitation des ressources : la manne pétrolière prédispose, tout comme le coltan (composé de deux métaux rares, le columbium et le tantale), l'or et le diamant, etc… on le sait, à la kleptocratie.
Ainsi, en Angola, le diamant a longtemps financé la guerre puis, la paix revenue, le parti au pouvoir (le MPLA). Christine Messiant, chercheuse à l'EHESS, spécialiste de l'Angola, observe : "(...) il continue à y avoir appropriation massive des ressources de la nation, qui n'a, malgré le multipartisme et la paix, pas cessé d'être un parti-État. Depuis, l'économie est verrouillée, et ce contrôle général est en train de se renforcer avec la paix" (citation Le Monde du 3 septembre 2005). Selon un calcul du FMI, 4,22 milliards d'USD auraient disparu des caisses de la Banque centrale d'Angola entre 1997 et 2002, soit 9,25% du PNB du pays. L'envolée du cours des matières premières énergétiques a permis à l'Angola d'engranger une croissance moyenne d'environ 10% entre 1998 et 2004. Mais l'exploitation des recettes du pétrole (plus de 45% du PIB) est dans les mains de la compagnie pétrolière nationale Sonangol, de la Banque nationale d'Angola et du président Dos Santos. Certaines recettes n'apparaissent pas du tout dans les comptes publics, celles du diamant par exemple.
À l'échelle mondiale, le marché des diamants tente des mesures d'assainissement : le "Processus de Kimberley", lancé en 2000, regroupe 69 pays producteurs, transformateurs, importateurs et exportateurs de diamant brut. En théorie, il interdit l'acquisition de diamants lorsqu'ils proviennent d'une zone de conflit. Mais, dans les faits, le passage par d'autres territoires de production permet de les "blanchir". Alors authentifiés, ils gagnent les grands centres mondiaux de taille et de commerce du diamant. Ainsi, l'ONG Global Witness décrit un circuit de blanchiment des diamants alluvionnaires du nord de la Côte d'Ivoire qui transiteraient par le Mali (non membre du processus de Kimberley), pour gagner ensuite la Guinée (qui en est signataire) afin d'arriver, munis de faux certificat de provenance légale, sur le marché mondial. Cependant, d'après les diamantaires, le commerce illégal du diamant ne représenterait plus que 4% du commerce total en 2003.
Jusqu'à six armées étrangères et de nombreuses milices locales se sont affrontées en République démocratique du Congo, largement motivées par le contrôle des ressources. Un rapport d'experts internationaux, remis au Conseil de sécurité de l'ONU en 2003, a pu mettre en lumière les pratiques de pillage des ressources naturelles (coltan, or, diamants, etc), de travail forcé dans les mines et l'implication de certaines compagnies occidentales dans ce système.
La mono-exploitation de ressources a cependant pu entretenir des périodes de prospérité en Afrique, tel le "miracle" ou "modèle" ivoirien, largement fondés sur l'exploitation du cacao (60% des recettes d'exportation du pays en 2002). Mais le succès de cette économie de plantation reposait largement sur la stabilité politique du long règne de Félix Houphouët-Boigny, sur le travail peu rémunéré des Burkinabés et autres Maliens et sur le soutien du système de la France - Afrique.
Pour Roland Pourtier*, le cas du Gabon est exemplaire d'une intégration territoriale, d'une "gabonisation" réussie grâce à la rente perçue de l'exploitation forestière et pétrolière.

Dans certains pays, la situation pourrait évoluer positivement. Au Congo et au Nigéria par exemple, le budget est préparé en se fondant sur une estimation très prudente de l'évolution des cours du pétrole. Tout surplus est déposé sur un compte spécial auprès de la banque centrale. Ainsi, le gouvernement du Congo a pu régler les arriérés de sa dette extérieure. L'initiative sur la transparence des industries extractives (Extractive Industries Transparency Initiative - EITI)* vise à encourager le partage d'informations entre pouvoirs publics et compagnies privées, plusieurs pays producteurs africains pourraient y adhérer. Le Congo publie régulièrement sur son site web officiel des informations détaillées relatives aux opérations financières du secteur pétrolier.
De la même manière, un assez long bras de fer entre le Tchad et la Banque mondiale a trouvé une issue. En juillet 2006, l'Assemblée nationale tchadienne a adopté un projet de loi de finances conforme au protocole signé avec la Banque mondiale à propos de l'utilisation des revenus pétroliers du pays. Le Tchad s'engage à consacrer 70% de ses revenus pétroliers à des programmes prioritaires de réduction de la pauvreté (santé, éducation, agriculture, infrastructures, déminage et "bonne gestion des affaires publiques"). Une autorité indépendante sera chargée de contrôler l'utilisation des revenus pétroliers.

- Dans ce dossier : L'exemple de l'exploitation forestière en République centrafricaine (Benoît Boutefeu)

- Roger Brunet, "Aspects de la mondialisation : la révolution du diamant", article publié dans Mappemonde (février 2005) : http://mappemonde.mgm.fr/num6/articles/art05204.html
- Roland Pourtier - Derrière le terrain, l'État - Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard - Éditions du CNRS - 1991
- La campagne de Global Witness : www.globalwitness.org/pages/en/conflict_diamonds.html
- Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) : ww
w.eitransparency.org
- Les "diamants de sang" à travers le film Blood diamond, présenté par Zéro de conduite :
http://cinema-education.fluctuat.net/blog/14137_Blood+Diamond+:+This+is+Africa%85.html
- et par les Cafés géographiques : www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1031

Santé

La situation sanitaire de certaines populations des pays d'Afrique subsaharienne est alarmante. Elle est aggravée dans les zones de conflit et justifie certaines interventions humanitaires d'urgence. Les risques de diffusion non contrôlée de certains virus y sont réels : fièvres hémorragiques de Lassa et de Marburg, virus du SRAS (pneumonie atypique), virus Ebola, etc. Et bien entendu, l'épidémie à HIV/sida paraît hors de contrôle dans certains pays.
Ces situations mobilisent la communauté internationale, à travers l'OMS en particulier.

Pour prolonger :
- Voir l'article de Jeanne-Marie Amat-Roze :
L'infection à VIH/sida, image de la fracture Nord-Sud ?  (dossier "Risques et sociétés")
- La situation sanitaire des pays d'Afrique subsaharienne sur le site de l'OMS :
www.who.int/countries/fr

Villes et métropoles

La croissance démographique de l'Afrique subsaharienne est surtout urbaine et la population urbaine y croit à un rythme accéléré, de l'ordre de 6% de moyenne annuelle. Par comparaison, l'Europe affichait un taux de 2% au plus fort de sa croissance urbaine. La population de Londres a ainsi doublé en 30 ans, celle d'Abidjan a doublé en sept ans… celle de Lagos est passée de 300 000 à 9 millions en 40 ans (Kinuthia-Njenga C., 2002).
C'est le résultat d'un important exode rural, mais également d'une croissance naturelle des villes. L'urbanisation accélérée de l'Afrique a un impact sur la gestion urbaine, à travers la question foncière, l'accès aux services de base ou la maîtrise de l'étalement. Elle pose également des questions plus globales concernant la hiérarchie urbaine, les relations ville-campagne, et même l'intégration régionale.

L'image de la ville, tout au moins de la grande ville africaine, est souvent négative. Elle est perçue comme un lieu de perdition, de violence, de conflits exacerbés entre communautés,de corruption. Les grandes conurbations comme Lagos, Johannesburg, Abidjan, etc. paraissent concentrer les maux africains. De nombreux quartiers sont organisés sur une base ethnique et des guerillas urbaines peuvent s'y dérouler périodiquement comme à Brazzaville ou à Monrovia.
Mais les réseaux d'immigration et de sociabilité en milieu urbain sont facteurs de dynamisme et de diffusion de l'innovation. Et il ne faut pas oublier que les agglomérations urbaines sont les véritables moteurs du développement, y compris du développement rural. L'auto-développement des campagnes est en effet une vue de l'esprit : c'est du marché, des aires de chalandise, qu'est issu le stimulant permettant la mise en œuvre des processus de progrès de l'agriculture.


Glossaire proposé par Sylviane Tabarly,
avec la collaboration de Christian Bouquet et de Jean-Louis Carnat,

mise à jour partielle le 5 juin 2007

 


Mise à jour partielle :  05-06-2007

 

 

 

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Pour citer cet article :  

« Vocabulaire et notions générales », Géoconfluences, juin 2007.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahVoc.htm