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La Russie et sa nécessaire place dans la lecture géographique du monde

Publié le 10/01/2013

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Ce dossier consacré à la Russie a pour objectif de mettre à disposition des professeurs une information actualisée sur un objet d'enseignement qui peut, compte-tenu des transformations radicales intervenues depuis une quinzaine d'années, poser problème en terme de documentation.
Par ailleurs, un regard porté sur la place occupée par la Russie dans les programmes de géographie et sur les angles successifs d'analyse de cet État – qui a été et reste au-delà des avatars politiques le plus vaste du monde – est en lui même susceptible de nourrir une réflexion épistémologique sur la géographie scolaire, ses fondements et ses pratiques.

Quelle place pour la Russie dans les programmes ?

En référence à la période qui s'est étendue des années 1950 aux années 1990, pendant laquelle l'URSS était présente au titre de grande puissance, la Russie occupe actuellement une place modeste dans les programmes de géographie du collège ou des lycées.

Elle n'est mentionnée comme État territorial qu'en classe de quatrième où elle peut – sans caractère d'obligation – être choisie : "on étudiera au moins trois États, au choix dans la liste suivante : l'Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni, un État de l'Europe méditerranéenne". Sa présence dans cette liste, et dans le cadre d'un programme intitulé "L'Europe et la France", tient moins à l'affirmation radicale de son appartenance à l'Europe qu'au souci de lui faire une place dans les programmes de collège, en dépit de sa rétrogradation de la classe de troisième vers celle de quatrième. Ce glissement étant lui-même le reflet de la perte du statut de super-puissance ou d'acteur de premier rang à l'échelle mondiale.

En classe de Terminale, un schéma identique conduit à une même forme de déclassement. La Russie, désormais absente des programmes de terminale S, figure dans le programme de Terminale L - ES, sous l'intitulé "Un État et un espace en recomposition : la Russie" qui signale à la fois les bouleversements qu'a connu cet ensemble territorial et les incertitudes quant à son devenir.
Pour le reste, sans être un "angle mort" des programmes, la Russie n'apparaît qu'en marge ou en creux : en marge par exemple du thème "l'Asie orientale, une aire de puissance en recomposition", en creux et par défaut dans l'évocation des puissances ou dans le thème "Les centres d'impulsion et les inégalités de développement".

La place de la Russie dans les préoccupations de l'enseignement de la géographie, retour épistémologique

Le relatif effacement de la Russie dans les préoccupations portées par les programmes d'enseignement secondaire s'explique assez naturellement par l'implosion du système soviétique et par ses effets : éclatement territorial et perte d'influence de l'État russe à l'échelle du monde. Il nous invite à jeter rétrospectivement un regard sur la place qu'occupait cet État, qualifié d'abord de Russie soviétique puis d'URSS.
Il convient tout d'abord de réinscrire cette lecture dans son contexte idéologique, la géographie ne pouvant pas davantage que les autres sciences sociales y échapper, et rappeler, pour ce qui est du discours géographique sur la Russie, le rôle et l'importance de Pierre Georges au sein de l'école française de géographie.
La Russie par les caractères propres de son espace – immensité, démesure des unités physiques (fleuves), prégnance de conditions climatiques continentales avec des contrastes saisonniers très marqués, zonalité bio-géographique – a constitué un support privilégié pour la géographie générale quand elle était largement une géographie physique et naturaliste.
Sur un autre plan, le modèle volontariste d'aménagement d'un espace de type colonial à partir d'un centre décisionnel unique, engagé par la Russie impériale et poussé au paroxysme par le régime stalinien, a été pendant des décennies un terrain de référence d'une géographie prométhéenne, qui se donnait pour objet de décrire les processus par lesquels les sociétés "mettent en valeur" des espaces jusque là, sinon qualifiés d'inutiles, du moins de "vierges". À cet égard, le discours géographique exaltant la mise en exploitation des ressources du sous-sol, le "domptage" des fleuves "sauvages", ou encore la mise en culture des "terres vierges" du Kazakhstan, dont on peut aisément retrouver les traces dans les manuels scolaire, est tout à fait révélateur.
Parallèlement à l'épuisement du modèle de référence ou indépendamment, ces deux aspects de la géographie générale et de l'aménagement volontariste ont été remis en cause au sein de la géographie française. Le bouillonnement épistémologique des décennies 1980 et 1990 a amené la géographie scolaire à réexaminer son objet et sa finalité. L'aboutissement de cette démarche se lit dans deux programmes dont le contenu n'est pas défini en portion d'espace (État, continent ou ensemble régional). C'est le cas de la Sixième avec l'entrée visuelle proposée sous l'intitulé "cartes et paysages du monde", ou de la Seconde avec des thématiques et notions abordées de manière croisée selon la démarche d'études de cas choisies par le professeur. Dans ces deux programmes se dessine une géographie globale, intégratrice des dimensions sociétales et naturalistes de la portion d'espace analysée, qui se substitue à la description exhaustive et zonale de l'espace terrestre.
Pour ce qui est de l'aménagement des espaces par les sociétés, la lecture en terme de mise en valeur se heurte à partir des années 1970 à l'émergence des préoccupations environnementales, elles-mêmes reflet d'inquiétudes sur la dilapidation du patrimoine naturel terrestre. À cet égard, une rupture s'opère avec la "découverte" de la mer d'Aral et son entrée en force dans les manuels et pratiques scolaires à la fin des années 1980 ; le discours sur la production cotonnière du Khazakstan s'inverse alors de manière radicale.
Les programmes de géographie de lycée, depuis l'entrée en vigueur de celui de la classe de Seconde en 2001, prennent en compte la dimension environnementale et sont désormais organisés en terme notionnels autour de la dialectique aménagement/environnement.

Enseigner la géographie de la Russie, une nécessité

En dépit de l'affaiblissement de son rôle d'acteur international, la Russie doit avoir sa place dans les analyses géographiques conduites avec les élèves. En collège, il paraît judicieux de la retenir parmi les États proposés au choix en classe de quatrième. En lycée, outre la place qui lui est faite en Terminale ES, elle peut être le support d'études de cas en classe de seconde.
Selon le niveau auquel cette étude intervient plusieurs entrées peuvent être envisagées et nourries par les différents éléments du dossier :
- sur les caractères et les propriétés de l'espace (immensité, contraintes),
- sur l'organisation du territoire – inégale distribution des hommes, organisation des réseaux, armature urbaine –, en prenant en compte les modifications géo-politiques et frontalières récentes,
- autour de notions de ressources et contraintes,
- dans le cadre de l'éducation à l'environnement pour un développement durable,
- en géographie, comme en histoire, dans le cadre d'une lecture géo-politique du monde actuel, en organisant une réflexion sur l'État territorial (dislocations et recompositions internes d'un État de type impérial, rapport avec l'étranger proche, rapports avec le monde).

Jean-Louis Carnat, IA-IPR d'histoire et géographie,
pour Géoconfluences, le 10/02/2005

Pour citer cet article :  

« La Russie et sa nécessaire place dans la lecture géographique du monde », Géoconfluences, janvier 2013.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/popup/JLC-Russie.htm