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Le Brésil, ferme du monde ?

L’accès à l’information géographique brésilienne : du Geoportal à l'agriculture de précision, une affaire à suivre…

Publié le 09/07/2009
Auteur(s) : Leca De Biaggi, maître de conférences en géographie - Université de Lyon

Mode zen

Une politique d'information spatiale généreuse, ouverte et multiple

À une époque où surfer sur Google Earth devient le passe-temps quotidien d'une partie de la population, personne ne s'étonnera de voir un autre "Geoportal" venir participer à la panoplie de systèmes de navigation spatiale sur le web. La différence ? Geoportal n'est pas à confondre avec le portail spatial de l'IGN français qui, depuis 2006, fait de son mieux pour montrer la qualité de la gestion de l'information géographique française. Réalisé entièrement par une entreprise privée, spécialisée dans la création et le traitement de l'information géographique au Brésil, Geoportal est une réponse brésilienne à l'engouement pour l'imagerie spatiale (www.geoportal.com.br).

Lancé en août 2007, Geoportal a dépassé rapidement le seul affichage d'images pour intégrer la recherche d'adresses, le suivi de marchandises et pour des liens vers des utilisations directes en termes de marketing territorial, de marchés immobiliers et de services en général. Plus de 2 700 municipes brésiliens [2] y trouvent les informations nécessaires à leur gestion quotidienne, dans un projet qui montre la maîtrise dont sont capables les Brésiliens lorsqu'il s'agit de "géotechnologies". Geoportal veut surtout guider les internautes brésiliens, professionnels ou amateurs, dans le suivi direct des dynamiques spatiales en intégrant rapidement les nouvelles images des changements au plus proche du temps réel : les mises à jour pour les données urbaines, par exemple, constituent un travail permanent.

Outre le souci de répondre aisément aux demandes concrètes de navigation spatiale au niveau national, le Geoportal fait preuve d'une habilité toute particulière pour valoriser les données historiques, proposant en ligne, dès janvier 2008, la couverture aérienne intégrale de la ville de São Paulo dans son état de 1958, avant même que son homologue français ne commence à proposer des données historiques en octobre 2008. C'est l'exemple le plus clair des immenses possibilités d'un marché très dynamique et toujours intéressant dans un pays où les défis dans l'aménagement du territoire restent de taille.

Pour suivre l'évolution de la géomatique au Brésil, plusieurs portails proposent une plateforme d'échanges sur l'actualité géospatiale qui s'étend au-délà des frontières brésiliennes : www.fatorgis.com.br, créé en 1991, et www.mundogeo.com.br, créé en 1998, sont  deux exemples qui réunissent des dizaines de milliers d'abonnés pour analyser les entreprises, les services et les produits proposés, ainsi que l'évolution de la réglementation dans le secteur. L'internaute français peut essayer de suivre un débat qui se veut international : l'espagnol et l'anglais sont souvent proposés comme langues d'affichage, même si le portugais reste la langue la plus utilisée. Fin 2008, par exemple, une discussion sur le "vide cartographique" du pays, faisait état du besoin d'intervenir pour une cartographie du pays à grande échelle ("vamos mapear o Brasil" - nous allons cartographier le Brésil). À l'origine de ce débat : le constat de la Commission nationale de cartographie (CONCAR) indiquant que seulement 1% du territoire serait couvert à l'échelle du 1:25 000ème. L'occasion pour différents acteurs privés, y compris des Organisations non gouvernementales [3], de rappeler leur effort constant de combler ces "lacunes".

Avec l'IBGE et l'INPE, on ne peut pas dire cependant que le secteur public soit inactif, depuis une dizaine d'années, dans le domaine de l'information spatiale. Ce sont des acteurs clés dans le libre accès à cette information au côté des entreprises privées.

Au contraire de ses voisins latino-américains où la cartographie est restée longtemps une affaire de militaires, le Brésil compte depuis plus de 70 ans une institution fédérale civile responsable de la gestion de l'information géographique et statistique, l'Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE). Fondé en 1939, l'IBGE a survécu à toutes les recompositions gouvernementales depuis cette date et a gardé ses missions qui relèvent à la fois des tâches attribuées en France à la fois à l'INSEE et à l'IGN réunis. Et, surtout, au milieu des années 1990, l'IBGE a fait le pari d'intégrer le développement informatique à la diffusion de l'information.  Le Système IBGE de récupération automatique (SIDRA) de données [4], propose depuis 2001 une interface d'interrogation de la base de données collectées, que ce soit le recensement de la population de 2000, le recensement agricole de 1996 ou de 2006, les enquêtes mensuelles ou annuelles sur une variété de thèmes,  mises à disposition par téléchargement  à un niveau de détail qui peut atteindre le secteur censitaire, et ceci gratuitement.  L'utilisateur étranger devra probablement se munir d'un bon dictionnaire pour pouvoir accéder à l'ensemble de données proposées, mais il sera sûr de trouver une source d'information des plus variées (Théry et Le Tourneau, 2003 [5]) aussi bien du point de vue statistique que cartographique.

L'agriculture au Brésil, à l'échelle des mésorégions, sur des données du système SIDRA de l'IBGE

Réaliser des cartes thématiques (cartographie interactive), en rubrique "savoir faire"

Cet outil de cartographie interactif permet une analyse en cartes choroplètes et en figurés proportionnels. L'application, réalisée avec le logiciel de webmapping Geoclip par Hervé Parmentier, cartographe à l'ENS de Lyon (UMR 5600 Environnement, ville et société), permet de produire des cartes au format flash  et de les éditer.

L'Institut national de recherches spatiales (INPE), autre bastion des technologies de gestion des données spatiales dans le pays, est lui aussi un symbole d'engagement vers le libre accès à l'information territoriale (voir les articles de G. Camara [6]). L'INPE est connu par la mise à disposition d'un des premiers logiciels SIG libres dans le monde, le SPRING, qui compte toujours actuellement  en assurant un suivi régulier de mises à jour et de documentation (www.dpi.inpe.br/spring).

La politique brésilienne de diffusion des données géospatiales est également géopolitique. Présent également dans la plupart des forums et des réunions concernant le développement de géotechnologies libres, surtout dans les pays en développement, l'Institut diffuse en ligne, depuis 2003, des images de différents satellites couvrant le territoire sud-américain (www.dgi.inpe.br/CDSR).  Depuis 2004, de nouvelles images du programme de satellites sino-brésilien CBERS sont également proposées. Plus de 350 millions de dollars ont été investis conjointement par la Chine (70% des recettes) et par le Brésil (30%) pour mettre en orbite trois vecteurs depuis 1999. En mai 2009, lors d'une visite à Pékin, le président Lula a confirmé l'augmentation de la participation brésilienne dans le projet : le Brésil assurera 50% des investissements pour les deux prochains lancements prévus en 2011 et 2014. En même temps, de nouvelles installations de réception sont prévues en Afrique du Sud, en Egypte et aux Iles Canaries, pour relayer la totalité des images du continent africain produites [7], dans une démarche volontariste de démarquage des exemples des pays du "nord".

Cartographie et agriculture au Brésil : de l'agriculture de précision au registre foncier

Le contexte favorable d'accès à l'information géographique au Brésil contribue largement à ce que la diffusion de cartes et de services cartographiques y soit remarquable, entre le suivi d'un modèle nord-américain de diffusion libre de l'information spatiale et une réponse originale à une pléiade d'acteurs de plus en plus actifs dans la création et dans le traitement de l'information spatialisée. Certes, on déplore parfois une certaine simplicité d'analyse à des échelles qui restent moyennes, mais les approches se multiplient pour tenter d'arriver à un niveau de précision qui fait vivre un marché où la demande est forte. Comme pour la gestion des collectivités territoriales, l'offre en termes de géotechnologies pour la production agricole foisonne de différents acteurs.

D'un côté, une agriculture dite "de précision" s'intensifie. Depuis le milieu des années 1990, l'utilisation des outils de géolocalisation pour améliorer les rendements agricoles implique toute une panoplie de services spécialisés destinés aux grandes monocultures (café, soja, fruits, sylviculture…). Les congrès brésiliens d'agriculture de précision (ConBAP) coordonnés par l'Université d'agronomie de l'État de São Paulo (ESALQ), loin d'être de simples événements scientifiques, sont le fruit d'une pratique de gestion optimisée de la production "mètre à mètre" bien affirmée commercialement. Cette notion de gestion de production "mètre à mètre" implique que l'irrigation et même l'usage d'intrants sont contrôlés sur les parcelles agricoles : le tracteur, guidé par une cartographie thématique spécialisée, appliquera une correction par pesticide seulement sur les parcelles indiquées sur la carte. De même pour l'irrigation : l'interprétation des images satellite indique directement les parties du terrain en stress hydrique et un dispositif technique permet de n'irriguer que ces parcelles. Les différents procédés cherchent à déterminer, GPS et images satellites haute résolution à l'appui, les résultats de récoltes, base d'une cartographie des rendements qui sera croisée à l'analyse du sol et du milieu. L'utilisation d'engrais et de pesticides interviendra de manière ponctuelle et spécifique selon le potentiel de chaque parcelle directement sur le champ. Les résultats laissent croire à une économie de 10 à 15% dans l'utilisation d'intrants agricoles, ce qui, ajouté à la hausse de la production à l'hectare, indique un fort potentiel de gains de productivité. Serait-ce aussi une possibilité de mieux répondre aux innombrables accusations de gaspillage des ressources naturelles dont sont l'objet ces grandes exploitations agricoles ? Toujours est-il que le même suivi via satellite permet d'évaluer le rythme de déboisement (souvent sous la pression de ces grandes cultures [8]) des différentes régions brésiliennes.

D'autre part, les campagnes de régularisation foncière, face à un maillage foncier toujours confus, se précisent grâce aux différents outils de représentation du territoire, surtout dans les régions de forte concentration d'agriculture familiale. Mais malgré une technique de plus en plus maîtrisée, il s'agit toujours d'une procédure longue, semée d'embûches et génératrice de conflits, surtout lors de la création de zones de protection environnementale.

Outre la discussion sur les procédés techniques (utilisation de GPS et/ou de levés photogramétriques ou topographiques directs), le manque de précision dans le cadastre rural brésilien (voir l'entrée "cadastre rural" du glossaire) est source de difficultés juridiques considérables. C'est pourtant un élément clé pour l'obtention de crédits agricoles par l'exploitant, pour l'organisation des titres de propriété et pour la collecte des impôts, tous largement compromis dès lors que l'incertitude continue à dominer l'ensemble de la gestion cadastrale [9]. En 2007, l'Institut brésilien de colonisation et réforme agraire (INCRA) estimait à 5,2 millions le nombre de propriétés faisaint partie du cadastre national, c'est-à-dire 60% du territoire brésilien [10]. Les progrès spectaculaires réalisés ces dernières années sauront-ils venir à bout des pièges politiques consécutifs à 500 ans de colonisation puis au mode d'appropriation, sans règles, de l'espace ? Affaire à suivre …

Notes

[1] Leca de Biaggi, maître de conférences, université de Lyon, UMR 5600 EVS

[2]  Le Brésil compte 5 564 municipes en 2009, 25% desquels ont été créés après l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle de 1988. 

[3] Voir De Biaggi, 2006 – "Du territoire à la carte : l'émergence de la cartographie militante au Brésil", in Géocarrefour, vol.81, 3/2006, pp.235-243.

[4] Le Système IBGE de récupération automatique (SIDRA) de données, (qu'elles soient spatiales ou statistiques), est parfois appelé également "banque" de données agrégées car les extractions peuvent être réalisées à différents niveaux de découpage administratif. www.sidra.ibge.gov.br

[5] Hervé Théry et Francois-Michel Le Tourneau, Le Brésil, Eldorado de l'information géographique ? (The Brazil, Eldorado of the geographic information ?) Association française de topographie, Revue XYZ, 2003, n°94, pp. 39-44 ou hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/05/16/42/PDF/Texte_XYZ.pdf  .

[6] Par exemple :  www.codata.org/archives/2003/03march/papers/Camara.pdf.

[7] Dans un premier temps l'accès était ouvert seulement aux données sud-américaines à partir d'ordinateurs avec une adresse IP brésilienne. Depuis 2007, l'accès aux données sud-américaines est ouvert à tous. L'accès aux images africaines constitue une étape supplémentaire, sans que l'on sache si l'accès "ouvert à tous les pays" sera maintenu. Par exemple, les données chinoises ne sont pas accessibles librement, alors qu'elles sont produites !

[8]  En juin 2009, pendant le "Brazil ethanol trade show", Spot Image Brésil (du groupe éuropéen EADS) a lancé deux produits censés intervenir dans la "cartographie agricole et environnementale" : SpotCana, pour le secteur de la canne à sucre, et SpotMaps, pour le mosaïque d'images couvrant plus de 3 millions de kilomètres carrés à une résolution spatiale de 2,5 mètres, centrés sur les zones de plus forte production agricole brésilienne. Grands propriétaires, multinationales, institutions publiques seraient très intéressés par le service.

[9]  La loi 10267 du 01/08/2001 sur le géoréférencement des propriétés rurales au Brésil, indique que la collecte d'impôts fonciers est laissée à la responsabilité des municipalités sous réserve de maîtrise de la gestion cadastrale locale.

[10]   www.mundogeo.com.br/noticias-diarias.php?id_noticia=7232

pour Géoconfluences, le 9 juillet 2009

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Mise à jour : 09-07-2009

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Pour citer cet article :  

Leca De Biaggi, « L’accès à l’information géographique brésilienne : du Geoportal à l'agriculture de précision, une affaire à suivre… », Géoconfluences, juillet 2009.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Bresil/BresilDoc8.htm