Vous êtes ici : Accueil / Informations scientifiques / Dossiers thématiques (transversaux) / Le développement durable, approches géographiques / Le développement durable en pratique : la préservation des ressources en eau potable des communes rurales dans les pays de grande culture

Le développement durable, approches géographiques

Le développement durable en pratique : la préservation des ressources en eau potable des communes rurales dans les pays de grande culture

Publié le 26/07/2004
Auteur(s) : Gérard Dorel - Inspecteur Général de l'Éducation nationale

Mode zen

Bruyères-et Montbérault est un petit bourg de 1 500 habitants du Laonnois ( département de l'Aisne ). J'en suis le Maire depuis 27 ans et, avec le recul, je peux témoigner de la manière dont nous avons pris en compte une des problématiques majeures du développement durable, la protection d'une ressource vitale, celle de l'eau des sources alimentant notre réseau d'adduction d'eau potable, dont la qualité est aujourd'hui fortement menacée par un taux excessif de nitrates, et peut être bientôt de pesticides.

Ces sources sont en effet alimentées par les nappes phréatiques du plateau qui forme géomorphologiquement le revers de la cuesta de l'Ile de France. Nous sommes ici, comme partout dans le Soissonais, dans le domaine de la grande culture, une forme intensive de production basée sur des pratiques fortement consommatrices d'intrants, notamment d'engrais nitrés indispensables aux cultures céréalières dominantes dans les assolements.

Localisations sur photographie aérienne de l'IGN

Coupe géologique du plateau de Bruyères-et-Montbérault

D'un point de vue géologique, la commune de Bruyères est située sur un plateau sédimentaire datant de l'Eocène. Il est délimité, au nord, par la cuesta de l'Ile de France dont les versants sont pentus et occupés par la forêt. Là où l'érosion est moindre, les couches de l'Eocène sont recouvertes de deux dépôts de limons loessiques quaternaires, très fertiles, qui peuvent atteindre jusqu'à 7m d'épaisseur.

Les sables de Beauchamp forment un aquifère superficiel dont l'eau réalimente le réservoir principal du Lutétien, plus profond. Celui-ci, compris entre l'argile de Laon et les marnes et caillasses, est constitué par le calcaire grossier de 15 à 25m d'épaisseur. Cet ensemble d'eaux souterraines présente une vingtaine de sources d'émergence et cinq exutoires principaux dont le plus significatif est la source Zézin.

Sauf vers l'extrême sud du département de l'Aisne, la nappe du Lutétien présente un régime libre, c'est-à-dire que la couche qui la surmonte n'est pas imperméable. Dans la partie moyenne et supérieure du réservoir, c'est la perméabilité des fissures qui l'emporte, comme pour la craie.
L'alimentation se fait principalement par impluvium direct, mais aussi à partir de la percolation lente (drainage) ou du déversement latéral des eaux du Bartonien sus-jacent. Les réactions aux recharges saisonnières sont nettes et rapides.

Stratigraphie et aquifères

  • Stock de la nappe du Lutétien : 1 +/- 0,4 106
  • Stock d'eau total de l'aquifère : 14 millions de m³, la zone non saturée représentant, de loin, le principal stock d'eau.

Ce système agraire est ancien dans cette région, mais il ne s'est vraiment épanoui qu'avec la mise en place du marché commun agricole au début des années soixante. Sa réussite incontestable ne pouvait donc guère porter ce monde agricole à remettre en question les bases d'un productivisme qui lui allait si bien et qui répondait par ailleurs aux sollicitations des pouvoirs publics, soucieux de faire de la céréaliculture le fer de lance de la puissance agricole française. Il est vrai qu'il pouvait considérer qu'il avait relevé le défi de la modernisation, puisque la France était passée d'une pénurie prolongée bien au-delà de la guerre à une position de grande puissance agricole exportatrice. L'agriculture française n'était plus ce secteur archaïque dénoncé dans nos livres de géographie de l'époque qui la stigmatisait en comparant sa consommation moyenne d'engrais avec celle de nos voisins du Benelux.

Personne donc ne remettait en question cette évolution et rien en réalité ne portait les pouvoirs publics locaux à s'inquiéter d'une éventuelle pollution qui, d'une part, n'apparaîtra que tardivement (le temps que les nappes phréatiques soient progressivement envahies par les nitrates, c'est-à-dire dans les années 1980), et d'autre part, parce que son caractère nocif a été tardivement révélé, contesté d'emblée par un monde agricole, "sûr de lui et dominateur", et qui considéra initialement comme une agression tout ce qui pouvait limiter sa course au productivisme, aux rendements et aux records. En réalité, les élus, pas plus d'ailleurs que les agriculteurs, n'étaient en situation de mesurer les conséquences de cette façon de produire sur l'environnement.

L'avis de la DDASS nous informant que nous avions dépassé le taux légal de 50mg/litre de nitrates, fixé par la Commission européenne, dans l'eau distribuée par la régie communale nous a donc complètement surpris. J'étais mis en demeure d'avertir la population que l'eau n'était plus potable, que, notamment, elle devait être interdite à la consommation des femmes enceintes et des nourrissons. L'effet fut considérable, d'autant que l'opinion commençait à réagir beaucoup plus aux problèmes de pollution et manifestait désormais une plus grande sensibilité aux questions sanitaires. Il nous fallait donc réagir. Mais comment ?

La première solution qui se présentait à nous était d'abandonner ces ressources superficielles et d'aller chercher de l'eau non polluée dans les nappes souterraines profondes, celles de la craie. La seconde était d'installer un dispositif de dénitrification au niveau des captages. Les deux solutions, un moment étudiées, se sont révélées impossibles, coûteuses et aléatoires quant aux résultats sur le plan technique. Elles aboutissaient aussi à doubler le prix de l'eau de consommation, ce qui revenait à faire payer deux fois les contribuables : une première par leur facture d'eau, une seconde par la part de leurs impôts allant au financement d'une politique agricole européenne directement responsable de ce système intensiviste destructeur. Tout compte fait, il nous a paru vraiment aberrant d'abandonner ainsi une ressource naturelle dont nous connaissions la qualité initiale.

Cependant, plutôt que de dénoncer les agriculteurs eux-mêmes, par ailleurs instruments et victimes de ce système productiviste - assurance de forts rendements au prix d'épandages excessifs d'engrais -, nous avons privilégié une voie moins radicale en engageant avec eux une concertation pour les inciter à mettre en œuvre des pratiques agricoles moins nitrophages. L'appui des chercheurs de l'INRA de la station agronomique de Laon s'est alors trouvé décisif. Leurs études très fines sur les reliquats azotés et sur la circulation de l'eau dans les nappes ont en effet permis de connaître avec précision les processus de nitrification. Il fut donc possible de proposer aux agriculteurs une programmation de leurs semis et de leur indiquer les types de cultures intermédiaires nécessaires pour piéger les reliquats de nitrates. La Chambre d'Agriculture de l'Aisne, bientôt elle aussi convaincue dès lors que le système ne cherchait pas à réduire la production mais les intrants, s'est également engagée avec ses techniciens, tandis que l'Agence de l'eau Seine Normandie et la commune participaient au financement conjoint de l'opération, au demeurant peu élevé.

Il nous a fallu également convaincre les administrations de tutelle, notamment la DDASS, responsable de la santé publique, pour leur faire comprendre que nous nous engagions dans une démarche sur le long terme alors qu'elles sont tentées d'exiger des mesures à court terme. Mais l'élimination des excès de nitrates dans les nappes prendra autant de temps qu'il en a fallu pour les apporter, soit, au minimum une vingtaine d'années, les nappes polluées en profondeur ne se "vidangeant" qu'à un rythme relativement lent. Mais le fait de pouvoir associer sur un projet expérimental tant de compétences et de bonnes volontés a fini par convaincre les pouvoirs publics. Les premiers résultats sont d'ailleurs encourageants. Certes, le taux de nitrates dans les sources reste encore élevé, puisque nous consommons en réalité des eaux polluées depuis une vingtaine d'années. Mais, au niveau des parties sommitales des nappes, la teneur observée tend à décliner sensiblement.

Ainsi, cette étude de cas montre que le développement durable ne se décrète pas. Il procède – dans un environnement systémique complexe – d'abord du repérage des différents acteurs et de leur capacité à accepter la concertation et les sacrifices nécessaires. C'est là que le rôle du Maire est décisif. Plus conciliateur que décideur, il exprime une volonté politique forte qui garantit aux acteurs une continuité dans l'effort qui leur est demandé, que ce soient les agriculteurs, leurs organismes professionnels, l'INRA et les financeurs, l'Union européenne et l'Agence de bassin. Mais la parole du Maire ne suffit pas : il doit également faire en sorte que l'opinion directement concernée accepte les contraintes imposées, ou mieux, s'approprie cette action de développement durable, ce que nous tentons d'obtenir grâce à une campagne annuelle conduite dans les écoles et intitulée "Bruyères, Eau Pure" qui a permis de toucher les parents et de les mobiliser.

 

Gérard Dorel, IGEN histoire et géographie, Maire de Bruyères-et-Montbérault (Aisne)

Pour compléter, pour prolonger, quelques ressources :

 



Mise à jour :   26-07-2004

 

trait_vert.gif
Copyright ©2002 Géoconfluences - DGESCO - ENS de Lyon - Tous droits réservés, pour un usage éducatif ou privé mais non commercial
Pour citer cet article :  

Gérard Dorel, « Le développement durable en pratique : la préservation des ressources en eau potable des communes rurales dans les pays de grande culture », Géoconfluences, juillet 2004.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/DevDur/DevdurScient4.htm