Vous êtes ici : Accueil / Articles scientifiques / Dossiers thématiques / Le développement durable, approches géographiques / Corpus documentaire / Territoire des animaux, territoire des hommes : aspects et enjeux du retour des grands prédateurs

Territoire des animaux, territoire des hommes : aspects et enjeux du retour des grands prédateurs

Publié le 28/04/2008
Auteur(s) : Farid Benhammou, Docteur d'Agro Paris Tech, professeur de géographie en classes préparatoires, chercheur associé - Lycée Camille Guérin de Poitiers / Université de Poitiers

Mode zen PDF

Les animaux font partie de ces "oubliés de la géographie" (N. Blanc et M. Cohen, 2001). Même la biogéographie, qui a su replacer ses approches dans un cadre social et culturel, néglige le champ de la grande faune, ce qui est déploré par Paul Arnould (1994). Pourtant, nombre d'espèces animales posent des problèmes territoriaux, écologiques et socio-culturels. L'étude des grands prédateurs en France (ours, lynx, loup) est un cas d'école pour aborder les relations société / nature. Ses problématiques renvoient aux aspects politiques et conflictuels inhérents aux questions environnementales. Les territoires des zones rurales concernées, souvent marginales, sont l'objet d'une demande d'environnement qui parcourt toute la société mais qui n'est pas sans rencontrer des résistances. Les enjeux prennent souvent des formes plus complexes que la caricaturale opposition entre des ruraux a priori hostiles à la conservation de la nature et des citadins écologistes rêvant d'une nature sans hommes et soutenus par un État central.

L'ours (Ursus arctos), le loup (Canis lupus) et le lynx (Lynx lynx), encore largement présents sur le territoire français au XVIIIe siècle, ont quasiment tous disparu au milieu du XXe siècle, victimes de la chasse, du piégeage, de la destruction des milieux naturels et seuls quelques ours persistaient dans les Pyrénées. Depuis les années 1980, ils ont le statut d'espèce protégée (Convention de Berne), conforté par la directive Habitat de 1992 [2]. Si ces trois espèces ont fait leur retour en France dans des territoires aux caractéristiques proches, leur état de conservation et leurs dynamiques de croissance territoriale sont néanmoins distincts.

Après avoir abordé les conditions et le contexte du retour des prédateurs sauvages en France, nous verrons en quoi ces espèces emblématiques sont des analyseurs des évolutions de certains territoires et de notre société, puis nous ouvrirons sur les perspectives qu'offre leur conservation.

 

De leur disparition à leur retour, des animaux sans frontières

L'ours dans les Pyrénées (Béarn et Pyrénées centro-orientales)

L'ours est dans une situation précaire malgré une opération de réintroduction en 1996-97, qui, si elle n'est pas poursuivie, conduira à la disparition de l'espèce dans les Pyrénées. Au fil des années, ce dossier a fini par devenir emblématique des problèmes de conservation de la faune en France. Le déclin de la population s'est particulièrement accéléré au XXe siècle (Camarra et Parde, 1992 ; Caussimont, 1993). Cette espèce, dont l'aire de répartition s'est réduite en îlots éloignés, de plus en plus petits, se trouve aujourd'hui dans une position critique. La population actuelle, de 15 à 19 individus, provient de deux origines différentes et jusqu'à une époque très récente, le dossier de l'ours recouvrait deux volets territoriaux distincts.

Cartorama : régression de la population d'ours dans les Pyrénées du début du XIXe siècle aux années 1990

 

 

Le volet béarnais correspond à un reliquat de population autochtone, qui regroupait moins d'une dizaine d'individus au début des années 1990. Aujourd'hui, il ne comporte vraisemblablement plus que quatre ours, la dernière femelle, Cannelle, ayant été abattue par un chasseur en novembre 2004. Sans intervention, la population est condamnée à l'extinction. Les tentatives des années 1980 pour mettre en place une gestion concertée de cette population béarnaise d'ours ("Plan Ours" de 1984, "Directive Ours" de 1988) se sont heurtées à une résistance obstinée soutenue par le ministère de l'Agriculture, par ses services déconcentrés et les établissements publics. Des conflits intenses ont défrayé la chronique dans les années 1980 et 1990, culminant avec la "guerre de l'ours" autour, entre autre, de la mise en réserve d'un espace minimum vital pour la préservation des derniers ours pyrénéens : les "réserves Lalonde" (Dendaletche, 1993). Le climat est alors d'autant plus agité qu'en 1990-1992, sont venus s'ajouter les antagonismes au sujet de l'axe routier E7 et du tunnel du Somport en vallée d'Aspe.

À la suite de cet épisode, certains acteurs locaux (élus, chasseurs, socio-professionnels agricoles) aidés par des services du ministère de l'Agriculture, remportent l'épreuve de force et obtiennent, en 1993, que leur soit confiée la gestion de l'ours et des aménagements associés à sa conservation. À cette fin, un Syndicat mixte, l'Institution patrimoniale du Haut Béarn (IPHB), est créé en 1994 (Mermet, 2001 et 2002). Les acteurs locaux et nationaux favorables à l'ours sont alors largement dépossédés du dossier de l'ours en Béarn et voient s'éloigner la perspective d'un renforcement de la population d'ours jugé pourtant nécessaire par de nombreux experts (AScA et Servheen, 1996).

Un deuxième volet du dossier ours s'ouvre alors dans les Pyrénées centrales, plus à l'est. En effet, un groupe d'élus locaux de la Haute-Garonne montagnarde, encouragé par ARTUS, une importante association de défense de l'ours (11 000 membres donateurs à son apogée, d'importants moyens de communication), décide de créer en 1991 l'Association pour le développement économique et touristique de la haute vallée de la Garonne (ADET, devenue par la suite Pays de l'ours - ADET). Son objectif est de réintroduire des ours afin de valoriser écologiquement et économiquement cette zone rurale fragile. Cependant, le ministère de l'Environnement est réticent. À l'époque, il ne resterait qu'un seul ours autochtone dans les Pyrénées centrales. À partir de 1993, le blocage de la situation dans le Haut-Béarn conduit le ministère à changer de stratégie. Il soutient alors le dossier de l'ADET, qui prend forme assez rapidement.

Où sont les ours en 2005 ?

Une réintroduction de trois ours originaires de Slovénie (pour des raisons génétiques, géopolitiques et de stocks), deux femelles et un mâle, a donc lieu en 1996 et 1997. Les lâchers sont faits dans la forêt de Melles en Haute-Garonne. Les femelles étant pleines, quatre oursons issus de deux portées survivent. Une des ourses est abattue par un chasseur. Le grand mâle slovène ainsi que les ours issus des reproductions ultérieures débouchent sur un effectif de 11 à 15 ours (DIREN Midi-Pyrénées, 2005). Ces ours, notamment les jeunes, sont beaucoup plus mobiles que certains ne l'avaient prévu et se trouvent répartis des Pyrénées-Atlantiques aux Pyrénées-Orientales, soit sur toute la chaîne des Pyrénées. Ainsi, c'est à l'échelle du Massif pyrénéen que les acteurs hostiles et favorables à l'ours se structurent.

Retour en haut de page

Le loup, des Alpes du Sud à l'Ain

Les loups connaissent un meilleur sort que les ours, alliant croissance territoriale et des effectifs. Alors qu'ils avaient disparu du territoire national depuis près de 50 ans, deux canidés ressemblant à des loups y ont été aperçus lors d'un comptage de chamois et de mouflons en vallon de Molières en 1992. Environ six mois tard, après vérifications et tergiversations, la présence du loup est officiellement reconnue en France. S'agit-il d'une réintroduction, artificielle et donc aidée par l'homme, ou d'un retour naturel ? Un groupe de pression agricole tente de démontrer que l'espèce a été réintroduite mais une réapparition naturelle spontanée est la plus vraisemblable (encadré ci-dessous).

La progression du loup de l'Italie vers la France

Source :Gruppo Luppo Italia, 1997.

Pour comprendre la réapparition du loup en France, il suffit de voir ce qui se passe de l'autre côté de la frontière, en Italie où il n'a jamais disparu. Il en reste moins de 100 spécimens lorsque sa protection a débuté en 1973. Il commence sa reconquête territoriale à partir du bastion principal que constitue le massif des Abruzzes. En quelques années, il réapparaît dans de nouvelles zones, profitant des milieux naturels très favorables (zones de forêt) et des milieux péri-urbains où ordures et chiens constituent son alimentation principale. Tout à fait capable de traverser routes, autoroutes, voies ferrées et ponts, les loups pionniers peuvent parcourir de 80 à 100 km en 24 heures. En effet, une meute a besoin d'un territoire de 150 à 200 km² pour vivre, chasser et se reproduire. Or, le nombre de loups sur un territoire étant à peu près stable au regard de ce que peut fournir le milieu, la meute exclut régulièrement des jeunes à la fin de leur croissance. Ce sont ces derniers, vagabonds, endurants mais exposés à une forte mortalité qui vont errer jusqu'à trouver un partenaire du sexe opposé pour fonder une nouvelle meute. Cela explique la colonisation aléatoire des loups qui pratiquent une expansion par bond et non en tache d'huile.

On profite du nom de la sous-espèce du loup italien "loup des Abruzzes" pour sous-entendre que les loups colonisateurs des Alpes françaises sont directement originaires de ces montagnes du cœur de l'Italie. Or ce massif est trop éloigné et les populations de loups discontinues ainsi que le montre cette carte d'expansion du loup selon le Groupe Loup Italie (regroupement d'experts du loup). En mars 2004, un loup italien renversé par une voiture près de Parme a été, après avoir été soigné, équipé d'un radio-émetteur puis relâché. Le dispositif de suivi indique qu'il avait, en novembre 2004, parcouru 400 km vers le nord-ouest, en direction des Alpes françaises et de la zone frontalière du Mercantour : une preuve supplémentaire du retour naturel du prédateur.

 

Dès le début des années 1990, des spécialistes italiens alertent, sans retenir beaucoup leur attention, des biologistes français et la direction du Parc du Mercantour de l'arrivée imminente du loup. Pourtant ce sont bien des Canis lupus italicus qui foulent les Alpes françaises. Le dynamisme de la colonisation est surprenant. Dès 1997, les loups fréquentent le Plateau de Canjuers (Var), le massif du Queyras et les Hautes-Alpes. En 1998, leur présence est attestée dans les Monges (Alpes-de-Haute-Provence), puis dans les massifs du Vercors (Drôme, Isère) et de Belledonne (Isère, Savoie) l'année suivante en 1999. De 2000 à 2003, le loup montre sa trace dans les Préalpes de Grasse non loin de Nice, en Maurienne (Savoie) et dans le Bugey (Ain). Sa présence est même attestée dans les Pyrénées-Orientales.

Cette dynamique de colonisation peut paraître surprenante. Cependant, le rythme de progression du loup est comparable à celui observé en Italie. De plus, de nombreux facteurs socio-territoriaux et écologiques favorisent cette colonisation dans les zones de montagne françaises particulièrement touchées par des modifications d'usage et par l'extension d'espaces peu perturbés par les activités humaines. Parallèlement, l'imposition des plans de chasse et les différents programmes de réintroduction du gibier ont contribué à reconstituer des populations de proies nécessaires au loup (chamois, mouflons, cervidés). Pour différentes raisons, ces territoires bénéficient fréquemment du statut d'aires plus ou moins protégées : réserves naturelles, parcs naturels régionaux, parcs nationaux [3], ce qui a pour effet d'accroître le degré de protection de l'espèce.

En complément, pop-up : Le lynx (l'Est et les Alpes)

 

Les prédateurs sauvages marqueurs des évolutions territoriales

Une théorie du complot

"On sent bien que ce sont nos territoires qui sont convoités pour servir à autre chose (…). On a trop laissé la parole à d'autres qui n'avaient pas nos références historiques, culturelles, à d'autres qui n'étaient pas issus du milieu agricole, rural pyrénéen, il fallait qu'on reprenne l'initiative (…). C'est Nous les Pyrénées, c'est pas Eux qui vont nous imposer ça" affirme une éleveuse des Hautes-Pyrénées, responsable d'une association anti-ours. Pour plusieurs éleveurs des Pyrénées, les prédateurs sauvages et la réintroduction de l'ours ne sont que des moyens utilisés pour se débarrasser d'eux. Mais cette théorie du complot a deux visages. D'un côté,  ces acteurs pensent que l'on veut les remplacer par une nature sauvage où ils n'auraient plus leur place. De l'autre, ils refusent le renvoi d'une image archaïque qui les infantilise et les empêche d'être des hommes du XXIe siècle. En Béarn, les jeunes éleveurs ont souvent une image très négative du gardiennage permanent assuré par les bergers. Pour eux, c'est une régression, un retour au cadet de famille sacrifié pour veiller sur le troupeau.

Les éleveurs reçoivent des subventions agricoles depuis les années 1960. Mais nombre d'entre eux supportent mal de recevoir de l'argent "des prédateurs", ils ont là un ennemi concret. À travers l'ours ou le loup, c'est bien souvent l'extérieur qui est stigmatisé  et caricaturé : les "écolos", Paris, Bruxelles, la Politique agricole commune. Mais en fait ces espèces incarnent des peurs légitimes qui ont davantage trait aux évolutions des sociétés rurales françaises. La  montagne a connu la même évolution culturelle que le reste de la France urbaine et rurale. De la représentation de l'espace aux modes de vie, les populations dites rurales ont changé et se rapprochent fortement des populations urbaines. La campagne est devenue surtout un lieu de vie plus qu'un lieu de production. Beaucoup d'habitants du Haut-Béarn travaillent à Oloron ou à Pau, plusieurs habitants des vallées du Mercantour possèdent des biens immobiliers sur la Côte d'Azur et la bi-résidence est fréquente. Les activités principales concernent désormais le tourisme et les services. Un brassage sociologique s'est produit inévitablement et comme l'écrit Henri Mendras, "les sondages récents montrent qu'il n'y a plus guère de différences entre urbains et ruraux, tant par les attitudes que pour les modes de vie (…). Les Français, urbains et ruraux, témoignent d'un fort attachement à la campagne, à la nature, à l'environnement". Mais ces évolutions, accompagnées d'un changement de l'occupation de l'espace, heurtent certains groupes, comme les agriculteurs, maintenant minoritaires en campagne et en montagne.

Retour en haut de page

Des boucs émissaires des difficultés du pastoralisme ?

Depuis une cinquantaine d'années, l'agriculture et le pastoralisme de montagne ont dû s'adapter aux changements (Legeard, 2000), et bien souvent disparaître, sans que cela semble alerter les pouvoirs publics et la communauté scientifique outre mesure. Les évolutions des systèmes d'élevage ont conduit à une spécialisation pastorale qui n'a pas toujours eu les meilleurs impacts sur l'entretien du milieu, des pâturages et sur les possibilités de valorisation économique (Dorioz, 1998) [4].

Le loup en particulier et les grands prédateurs en général sont les révélateurs et les boucs émissaires de la mutation douloureuse du pastoralisme [5] de montagne. La présence d'ovins en montagne n'est pas toujours signe de vitalité humaine et la présence de l'homme peut y être réduite. La Politique agricole commune a, par une politique de primes liée au nombre de têtes (cf. pop-up sur la PAC infra), favorisé le quantitatif au détriment du qualitatif. Dans les Pyrénées centrales mais surtout dans les Alpes du Sud, notamment dans le Mercantour, les autres activités agricoles associées à la polyculture traditionnelle n'étaient plus viables et l'élevage ovin s'est imposé comme la seule activité possible. En l'absence de prédateurs les pratiques pastorales ont permis de concentrer et d'accroître les troupeaux tout en ne maintenant qu'un gardiennage limité. Comme les ressources générées par cet élevage (exclusivement la viande) sont modestes, l'embauche d'un berger [6] pour l'estive par un groupement d'éleveurs ne devient rentable que pour 1 000 à 2 000 brebis. Les évolutions des pratiques ont eu tendance à marginaliser les bergers alors que la taille des troupeaux augmentait et que leur nombre diminuait.

Le Mercantour entre déprise pastorale et reconquête forestière

Cliché Farid Benhammou, octobre 2002

Formes de mobilisation "anti-loup" dans le Vercors

Cliché : Ruud Van Der Helm, 2003

Reconquête forestière et dispersion des troupeaux non-gardés dans le Mercantour (Alpes du sud). Dans cette zone à loup, les rhododendrons (qui ressortent en vert) et la bruyère remplacent peu à peu les pâturages avant d'être supplantés à leur tour par les mélèzes. L'action sélective des brebis sans conduite humaine n'empêche pas la modification des paysages.

 

En l'absence de bergers, les éleveurs visitent leurs troupeaux moins souvent d'autant que le travail pastoral repose souvent sur une seule personne, de plus en plus âgée, qui doit assumer toutes  les tâches d'entretien des bêtes, de récolte du foin, de surveillance, de gestion administrative, etc. Dans ces conditions, l'arrivée d'un prédateur a pu rendre plus criante la précarité croissante de l'activité ovine d'autant que la plupart des systèmes d'exploitation ovine ne prenaient pas en compte la prédation, de quelque nature qu'elle soit. Or, les mesures de protection qu'ont bien voulu mettre en place plusieurs éleveurs de la zone à loup ne sont pas toujours la panacée mais elles peuvent réduire, voire quasiment éliminer, le problème. Dans le Mercantour et les Alpes du Sud, les exploitations qui ressentent le moins la présence des loups ont conservé ou réactivé un gardiennage et une conduite précise des brebis (Garde, 1998 ; Benhammou, 1999) et elles montrent que l'élevage ovin peut évoluer. Ce n'est pas le cas pour ceux qui refusent toute modification des pratiques et qui, souvent, n'adoptent pas la conduite la plus raisonnée de leur troupeau (Benhammou, 1999 ; Durand, 1999).

Les pouvoirs publics et les représentants agricoles ont laissé l'élevage de montagne tendre vers certaines dérives, abandonnant littéralement cette activité marginale saupoudrée par des subventions. Bien qu'elles représentent moins de 5% du total des aides agricoles, elles contribuent à hauteur de 80% en moyenne au Revenu brut d'exploitation [7] des éleveurs ovins (Agreste, 2002). La situation actuelle de l'élevage ovin doit beaucoup à la PAC, dont les aides ont surtout favorisé les céréaliers français et les éleveurs britanniques dans les années 1980, alors que la filière ovine avait besoin de soutien pour se restructurer efficacement (Legeard, 2000). Un système "productiviste" précaire a donc été encouragé de fait puisque la course à la prime poussait à avoir de plus en plus de têtes sans se soucier des impacts sur le territoire. La prime à l'herbe de la réforme de la PAC de 1992 (voir en pop-up ci-dessous) a, par la suite, davantage incité à l'entretien des espaces difficiles en montagne. Depuis une décennie les louanges des pratiques agro-environnementales ont pris de l'ampleur dans les discours mais sans être vraiment suivies d'une politique concrète d'encouragement.

 

Complément, en pop-up : La PAC et ses conséquences pour l'agriculture de montagne et le pastoralisme

Quelques mots-clefs : OMC ; Groupe de Cairns, G20, G33 ; boîte rouge, verte, bleue, orange ; Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ; Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA) ; Organisations communes de marché (OCM) ; Agenda 2000 ; politiques agro-environnementales ; Prime au maintien des systèmes d'élevage extensif (PMSEE dite "prime à l'herbe") ; Prime herbagère agri-environnementale (PHAE) ; Prime à la brebis et à la chèvre (PBC) ; Contrats territoriaux d'exploitation (CTE) ; Contrats d'agriculture durable (CAD) ; éco-conditionnalité ; programme LEADER

Certains services déconcentrés du ministère de l'Agriculture et des organismes agricoles d'aménagement ont favorisé expertises, initiatives et travaux intéressants en termes d'entretien et d'exploitation pastorale des milieux. Cependant, cela ne concerne pas tous les territoires montagnards qui en auraient besoin et les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous. Tous ces bouleversements sont mal vécus par le milieu agricole et la présence des grands prédateurs soulève de vrais enjeux territoriaux, politiques et économiques et révèle un véritable malaise.

Entre instrumentalisation et récupération politiques

L'ours est utilisé comme le symbole d'une attaque supplémentaire contre un monde déjà victime d'autres mutations moins passionnelles mais beaucoup plus profondes : exode rural, disparition d'exploitations, concurrence internationale. Certains élus sont tentés d'en faire une exploitation démagogique qui  passe par un discours sur la défense de l'identité et des racines : "L'identité pyrénéenne, c'est d'abord nos racines, et nos racines, excusez-moi, elles sont agricoles" disait Augustin Bonrepaux (député de la 1ère circonscription de l'Ariège) à une réunion publique à Toulouse en juin 2000.

L'activité pastorale, peu viable économiquement en l'absence d'aides, évolue vers d'autres fonctions et tend à être rémunérée non pas pour sa production directe, mais pour un service : l'entretien des paysages par exemple. Mais c'est difficilement conforme aux canons de l'identité paysanne véhiculés par les principales organisations agricoles vouées au productivisme. Les milieux paysans refusent aussi de concevoir un partage de l'espace dans lequel ils ne seraient plus dominants. Ce partage existe pourtant et est ancien. L'ouvrage de Renaud de Bellefon sur l'histoire des guides de montagne montre qu'il remonte au XIXe voire au XVIIIe siècle dans les Pyrénées et dans les Alpes. En montagne, les paysans et les éleveurs ont dû cohabiter voire céder la place aux forestiers, aux guides de montagne Or, à écouter le discours développé par les opposants à l'ours et au loup, les seuls vrais tenants des territoires de montagne resteraint les éleveurs, les autres acteurs ou agents ne sont que "tolérés" et le prédateur est rejeté car perçu comme l'outil de ces envahisseurs. Bien que minoritaires, les agriculteurs restent influents localement par l'ancienneté de leurs réseaux clientélistes, par leur surreprésentation relativement à leur poids démographique réel dans la société française contemporaine. Le monde pastoral a néanmoins changé lui aussi puisqu'il est devenu perméable aux idées de protection de l'environnement et de la faune comme l'a montré par exemple la constitution de l'Association pour la cohabitation pastorale dans les Pyrénées.

 

Des causes mobilisatrices

Au cœur des conflits

La géopolitique s'applique très bien à des échelles locales, notamment pour des questions d'environnement où des conflits territorialisés mettent en scène des rivalités entre groupes différents [8]. La problématique des grands prédateurs en est un bon exemple où l'on parle, de manière médiatique, de "guerre de l'ours" entre les partisans de leur conservation et leurs détracteurs,  à différentes échelles (de l'échelle communale à l'échelle internationale).

La question de la conservation des grands prédateurs, celle de l'ours en particulier, est un problème d'environnement et de territoire. En effet, quels usages dévouer à des zones rurales montagnardes où survivent certaines activités humaines en situation difficile comme le pastoralisme ? Zones où la chasse, le tourisme, l'exploitation forestière cherchent également à maintenir leur place.

Parallèlement, un fort courant de l'opinion publique est demandeur d'une nature préservée. En outre, l'imaginaire de la "bête" ne laisse pas indifférent et accroît la portée dramatique des événements qui lui sont associés. Chaque force en présence, pro-ours et anti-ours pour faire simple, tente de manier à son avantage les représentations individuelles et collectives. Par le biais des médias, pour séduire l'opinion publique, chaque acteur se met en position de victime ou met en scène ses thématiques mobilisatrices mais antagonistes : perte de biodiversité, disparition du pastoralisme, déshumanisation de la montagne, peurs ancestrales.

La presse n'hésite pas à utiliser dans ses titres et ses Unes un vocabulaire alarmiste ou guerrier, souvent bien moins pondéré que le contenu des articles. Dans l'ensemble, les médias ont du mal à rendre compte des rapports de force fluctuants entre les camps, en lien direct avec le terrain. Lorsque la perte de 400 brebis à l'été 2003 a été imputée au loup, ses opposants ont obtenu la mise en place d'une commission parlementaire à l'origine de l'autorisation annuelle de tir de quatre loups, en dérogation avec son statut d'espèce protégée. À l'inverse, après la mort de Cannelle (2004), ce sont plutôt les protecteurs de l'ours qui ont eu l'avantage auprès des pouvoirs publics.

Retour en haut de page

Les "contre", les "pour" et … les pragmatiques

Médias et pouvoirs publics ne semblent sensibles qu'aux opposants les plus radicaux à la présence des prédateurs qui revendiquent la légitimité du local alors que l'opinion publique et nationale est plutôt favorable à leur protection. Les locaux seraient les seuls ayant le droit de parler au nom des populations vivant dans ces régions. Les organisations agricoles jouent à plein cette carte et sont activement relayées par des élus, souvent membres de l'Association nationale des élus de montagne (ANEM). Certains députés, dans les Pyrénées comme dans les Alpes, n'hésitent pas à mettre en avant leur mandat républicain pour affirmer qu'ils représentent l'opinion des "montagnards". Or si l'opposition aux prédateurs est une réalité, notamment dans le monde de l'élevage, elle n'est pas unanime. Localement l'ambiance n'est pas propice au débat, à la concertation et les personnes favorables à l'ours ou au loup peuvent subir de fortes pressions dans les vallées. Dans ces territoires peu peuplés, les opinions de chacun sont vite connues d'où une discrétion ou une neutralité d'apparence fréquente sur ces sujets. Les éleveurs acceptant, de manière pragmatique, les mesures de protection de leurs troupeaux sont considérés comme des traîtres et parfois la cible de violences sociales (exclusion de certains pâturages) voire physiques.

Un débat passionné

Des "pro-ours"

Cliché : Laurent Nédélec

2500 personnes réunies à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), le 28 novembre 2004 pour réclamer la réintroduction d'ours

Des "anti-ours"

Cliché Farid Benhammou, Arbas, septembre 2005.

Slogan anti-ours déployé lors des Automnales du Pays de l'ours organisées par des acteurs favorables à la conservation de l'espèce

Confrontés aux loups ou aux ours, la plupart des éleveurs finissent par adapter leurs pratiques grâce à l'appui des pouvoirs publics ou de leur propre initiative. Ils réussissent même souvent à intégrer les prédateurs comme une variable de leur exploitation et à éliminer les contraintes majeures. Pour l'ours, dont les prédations sont moindres, de nombreuses mesures efficaces ont été encouragées, par exemple, l'utilisation de chiens de protection Patou et l'aide à l'embauche de bergers. Elles ont aussi permis de diminuer les dégâts liés aux attaques de chiens. De plus, des acteurs locaux œuvrent sur le terrain pour favoriser l'acceptation de l'ours dans les Pyrénées et les récents sondages de 2003, 2004 et 2005 [10] montrent que les Pyrénéens, zone de montagne comprise, sont majoritairement favorables au sauvetage de l'ours par des opérations de réintroductions. Le Fonds d'intervention éco-pastorale (FIEP) a été pionnier en Béarn car, dès 1975, cette association a initié les premières indemnisations d'attaques d'ours et des aides directes aux bergers pour favoriser la cohabitation (prêts de radio-téléphones, premiers héliportages de matériel), dispositifs repris par les pouvoirs publics et généralisés aujourd'hui. De même, dans les Pyrénées centrales, "Pays de l'ours – ADET", association regroupant des élus et des acteurs économiques locaux (restaurateurs, commerçants, accompagnateurs en montagne, éleveurs), cherche à promouvoir le territoire concerné par la réintroduction en misant sur l'image environnementale et touristique de l'ours et en menant une réflexion sur le développement durable du monde pastoral. Elle a notamment aidé une association d'éleveurs et d'usagers de la montagne, l'Association pour la cohabitation pastorale (ACP), à lancer une charte qualité d'éleveurs de broutards "Estives du pays de l'ours" (cf. ci-dessous à droite et www.agneaubroutard.com), agneaux de montagne dont l'élevage respecte un cahier des charges à la fois agricole et environnemental. La cohabitation avec l'ours et toute la biodiversité y figure en bonne place.

Deux systèmes d'agriculture en montagne

Pour lire les schémas :

  • Les signes + correspondent à des interactions positives et les - à des interactions négatives.
  • Dans la colonne "Durabilité", la flèche vers le haut correspond à une amélioration ou augmentation et la flèche vers le bas, une dégradation ou une diminution.

Système "productiviste", par exemple : la société est majoritairement favorable à l'ours (+), mais le plantigrade peut manger des brebis (-) ; ces dernières, si elles sont laissées à elles-mêmes sans gardiennage, risquent fortement de sous-pâturer certains secteurs et d'en surpâturer d'autres, conduisant à une dégradation des milieux de montagne (-).

Système "durable", un exemple de lecture : le chien patou protège le troupeau (+) contre l'ours (-) ; la présence d'un berger en montagne (absent dans le système productiviste) est bénéfique pour l'entretien et la surveillance des brebis (+) dont l'action sur le milieu est guidée et contrôlée (+).

Conception et réalisation : Alain Reynes

Retour en haut de page

Quelles perspectives pour ces espèces et pour les territoires concernés ?

Les politiques hésitantes des pouvoirs publics

L'ours, en danger de disparition, est probablement le grand prédateur dont la protection est la plus symbolique. Ses besoins écologiques supposent la prise en compte de vastes territoires et l'adoption de mesures de préservation qui bénéficieraient à des milieux remarquables et à des espèces végétales et animales bien moins mobilisatrices (plantes endémiques, grands tétras, desman des Pyrénées, etc.). À la suite de l'abattage de Cannelle qui avait ému toute la France (2004), l'État a décidé de passer outre l'imbroglio politique dans lequel il s'était laissé piéger en Béarn [11]. Dès janvier 2005, le ministre de l'Écologie de l'époque, propose la réintroduction d'une quinzaine d'ourses femelles sur plusieurs années. La mobilisation de militants agricoles et l'hostilité médiatisée de certains élus béarnais et ariégeois notamment, a entraîné la réduction de ce programme à cinq ours. Certains responsables de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB), qui a longtemps bénéficié de financements importants  au titre de l'ours, font pourtant partie de l'opposition à sa réintroduction [12]. En conséquence, bien que plusieurs élus locaux béarnais, en dépit de fortes pressions, aient proposé leur commune comme territoire de lâcher, aucune ourse ne sera réintroduite en Béarn. La réintroduction programmée au printemps 2006 se fait donc uniquement en Pyrénées centrales (Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées), dans les territoires de communes où des acteurs et des élus locaux agissent concrètement en faveur du plantigrade, fréquentés principalement par les descendants des ours slovènes introduits en 1996-1997. Cette réintroduction, qui engage tout un jeu d'acteurs impliquant le sommet de l'État (Conseil d'Etat, ministre), se fait peu à peu, dans une atmosphère passionnée, sur fond de manifestations locales "anti-ours" parfois violentes.

Pour ce qui est du loup, la situation évolue en faveur d'une "régulation" de plus en plus poussée des effectifs dérogeant au statut d'espèce protégée. Afin de contenter les organisations professionnelles agricoles, certains élus des Alpes ont obtenu des pouvoirs publics l'élimination de quatre loups pour 2004 et de six pour 2005 [13]. Ce "quota de tir" est destiné à obtenir la paix sociale avec le monde des éleveurs.  Mais, au regard de la dépense publique et du temps de travail engagés par l'État, les résultats sont décevants. Ces tirs aléatoires n'ont eu aucun impact sur les dégâts causés par les loups. Le seul département des Alpes-Maritimes a concentré plus d'un tiers de la croissance des dégâts et 30% des attaques en 2005 après plus de 10 ans de présence du loup [14].

Reconsidérer les territoires de montagne

Il n'est pas dans ce propos de minimiser l'impact des grands prédateurs mais les dérangements divers des troupeaux [15] et, surtout, la concurrence des agneaux néo-zélandais sont des menaces bien plus pesantes sur l'élevage ovin viande tel qu'il se pratique dans les montagnes françaises. Ces espèces ont soudainement incarné des difficultés davantage liées à l'exode rural, aux évolutions socio-économiques et à la concurrence internationale. Les grands prédateurs, s'ils incarnent ce retour du "sauvage", ont attiré l'attention sur des activités humaines, le pastoralisme ovin notamment, dont peu d'acteurs publics ne se souciaient sérieusement. Au-delà des discours, combien d'élus de zone de montagne ont découvert la réalité de l'existence des éleveurs à cette occasion ? Paradoxalement, les prédateurs sauvages ont permis de dégager de nouveaux moyens humains et financiers : plus de la moitié des fonds d'accompagnement à la présence de l'ours servent à créer des emplois de bergers et à faciliter les pratiques d'élevage en montagne. Mais les aides estampillées "prédateurs" conservent une image négative auprès d'une grande partie de la profession agricole.

Pour finir, une certaine injustice peut être soulignée. Les activités d'élevage de montagne, malgré certaines dérives, sont probablement le mieux à même d'intégrer la dimension environnementale prônée dans les discours politiques. Pourtant, les dernières moutures de la PAC censée les valoriser les vident de contenus et de moyens. Le pastoralisme de montagne, qui bénéficiait de nombreuses aides spécifiques, commençant à porter leur fruit, redevient le parent pauvre d'une politique contre laquelle nombre  d'élus et d'organisations agricoles, hostiles aux grands prédateurs, ne trouvent rien à redire (cf. pop-up supra).

 

Notes

[1] Farid Benhammou, agrégé de géographie, doctorant à l'École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (Engref - benhammou@engref.fr).
Crier au loup pour avoir la peau de l'ours. Une géopolitique locale de l'environnement à travers la gestion et la conservation des grands prédateurs en France, la thèse de l'auteur (obtention du grade de Docteur de l'Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et Forêt de Paris, spécialité Sciences de l'environnement, mention Géographie) soutenue le 22 Novembre 2007 peut être téléchargée ici (environ 21 Mo)

Pour se procurer les Actes du colloque "La cohabitation Hommes / Grands Prédateurs en France (Ours et Loup) - 21 et 22 mars 2004 à Orléans, document .pdf à télécharger.

Présentations d'ouvrages : http://ours-loup-lynx.info/article.php3?id_article=434 et www.loup-ours-berger.org/2005/09/ours_4_verites.html

[2] La Convention de Berne, entrée en vigueur en septembre 1982, a pour objectif d'assurer la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe par une coopération entre les États de l'UE. Elle définit les espèces à protéger et les niveaux de protection dont elles doivent bénéficier : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l28050.htm

La directive Habitat (comme la directive Oiseaux) s'inscrit dans le cadre du réseau Natura 2000 de l'UE, destiné à maintenir la biodiversité. La Convention de Berne et les directives Oiseaux et Habitat engagent les États membres à protéger espèces et milieux.

[3] Ces aires protégées sont concernées par la présence du loup : Parcs nationaux du Mercantour, des Écrins, de la Vanoise, Parc naturel régional du Queyras, camp militaire de Canjuers, Réserve des Hauts-Plateaux du Vercors etc.

[4] Dorioz dénonce la perte culturale et culturelle liée à une spécialisation ovine qui s'est accrue dans les Alpes. Elle a souvent conduit au remplacement de vaches laitières par des ovins à viande dont la conduite a des conséquences néfastes sur beaucoup d'alpages (dégradation, appauvrissement).

[5] Élevage, principalement de montagne en France, fondé sur des mouvements saisonniers de troupeaux, appelés transhumance (s), dans le cadre de "l'estive" qui est à la fois la période et la zone où vont paître les bêtes en montagne.

[6] Les termes de berger et d'éleveur recouvrent des réalités différentes. L'éleveur est le propriétaire du troupeau tandis que le berger, souvent salarié, est responsable du gardiennage et de la conduite des bêtes. Un berger peut être éleveur, c'est-à-dire avoir des bêtes à lui qu'il mêlera au troupeau d'un ou plusieurs éleveurs pour l'estive. Tous les éleveurs n'ont pas forcément de berger salarié et s'arrangent pour assurer eux-mêmes le gardiennage.

[7] Le Revenu brut d'exploitation (RBE) est l'équivalent du chiffre d'affaire. La politique d'indemnisation des dégâts de prédateurs sauvages, prise en charge par l'État contrairement aux dégâts causés par les chiens par exemple, pousse les représentants agricoles à affirmer qu'ils ne veulent pas être achetés. Ils dénoncent ces subventions comme une négation de leur capacité à produire de la richesse en oubliant que, jusqu'à une date récente, l'essentiel de la PAC fonctionnait sur la base de subventions : Prime à l'herbe, Prime compensatrice ovine (PCO), remplacée par une Prime à la brebis et à la chèvre (PBC) depuis 2002, cf. pop-up sur la PAC.

[8] Concernant l'analyse stratégique et géopolitique appliquée à l'environnement se reporter à Benhammou F. et Mermet L., 2003. "Stratégie et géopolitique de l'opposition à la conservation de la nature : le cas de l'ours des Pyrénées", in Nature, Sciences, Sociétés, 11 : 381-393.

[9] Installation de chiens de protection, clôtures mobiles, aide-bergers… souvent initiés par le programme européen LIFE loup. Les initiatives des éleveurs eux-mêmes ne doivent pas être sous-estimées néanmoins. Les programmes LIFE : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l28021.htm

[10] Sondage réalisé en décembre 2002 et janvier 2003 sur 403 personnes de 15 ans et plus vivant dans des communes classées "zone montagne des Pyrénées", ainsi que sur 1 006 personnes représentatives de la population française / Sondage commandé par le groupe Pyrénées-Presse de Pau à l'Institut ARSH-Opinion les 7 et 8 décembre 2004 selon la méthode des quotas auprès de 400 personnes de 18 ans et plus, représentatives de la population de l'ensemble du département des Pyrénées-Atlantiques / Sondage réalisé par l'IFOP en février 2005 sur 906 personnes représentatives de l'Ariège, de la Haute-Garonne et des Hautes-Pyrénées.

[11] Pour plus d'éléments sur l'utilisation d'une rhétorique de concertation utilisée au détriment de la protection des ours en Béarn voir :www.rgte.centre-cired.fr/rgte/IMG/pdf/RE_21_-_09-21.pdf  et
www.rgte.centre-cired.fr/rgte/IMG/pdf/faux_dilemmes.pdf

[12] Voir les travaux de Mermet, 2001 et 2002 et Benhammou, 2001, 2005a et 2005b ainsi que ce document, en pop-up, sur le financement de l'IPHB et l'utilisation des fonds.

[13] Trois, légalement, par les services de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et un abattu illégalement par un berger qui s'est fait connaître. Les loups tués dans l'illégalité la plus totale, qui sont une réalité, ne sont bien évidemment pas comptés. www.oncfs.gouv.fr

[14] Une enquête administrative est lancée en 2006 en raison de soupçon d'absence de contrôle des indemnisations. Plus généralement, concernant les pertes de bétail attribuées aux deux prédateurs, en 2005 elles s'élèvent à 3 000 brebis pour le loup et 200 à 300 brebis pour l'ours. Pour comparaison, sur 200 000 brebis qui pâturent en zone à ours dans les Pyrénées, chaque année, 17 000 à 28 000 ne reviennent pas de la transhumance pour diverses raisons : maladies, chute dans des ravins, attaques de chiens ou de sangliers, intempéries, disparition en montagne (source : Reynes A., 2005).

[15] Ces dérangements divers sont causés notamment par des prédations autres que celles des loups. Les dégâts provoqués par les chiens divagants sont une gêne ponctuelle ou chronique qui peut sérieusement handicaper un éleveur. Mais pour la plupart des éleveurs c'est vécu et perçu différemment (Bobbé, 2000 ; Pistolési, 2000).

Farid Benhammou,

professeur agrégé de géographie,

doctorant à l'École nationale du génie rural, des eaux et des forêts

(Engref - benhammou@engref.fr),

Pour Géoconfluences le 15 mai 2006

Retour en haut de page

Annexe documentaire : Un exemple de cohabitation homme / grands prédateurs en Espagne : Le Parc naturel de Somiedo (Asturies)

Le Parc naturel de Somiedo (PNS) s'étend sur 29 164 ha (291 km²) au coeur de la Cordillère Cantabrique aux caractéristiques climatiques et morphologiques comparables aux Pyrénées. Le pastoralisme de montagne y est encore actif mais fondé surtout sur l'élevage bovin, à la différence des Pyrénées. La faune sauvage, diversifiée, comporte des ours (la population ursine espagnole serait de 60 à 90 ours répartis en deux noyaux situés dans le Nord du pays) et des loups (90 à 126 loups dans les Asturies).

Réserves et parcs des Asturies

Le Conseil constitutionnel espagnol a décidé de confier la gestion des parcs nationaux aux régions autonomes. Trois régions (Asturies, Cantabrie, Castille-Leon) se partagent les territoires protégés dans le cadre des différents parcs de la Cordillère Cantabrique ce qui, en cas de désaccord politique, peut poser des problèmes de cohérence.

Voir le "Sistema de Información Ambiental del Principado de Asturias (SIAPA)" : http://tematico.princast.es/mediambi/siapa/web/espacios/biosfera/index.php

Différentes étapes aboutissent à faire du parc une "Réserve de la biosphère". Tout d'abord, en 1966, la création d'une réserve nationale de chasse. Puis, en juin 1988, Somiedo obtient le statut de Parc national en Espagne. Et c'est en 2000 que l'Unesco lui accorde, dans le cadre de son programme Man and Biosphere, le label de Réserve de la biosphère.

Organiser le partage de l'espace : zonages et signalétique

La circulation et le partage du territoire entre éleveurs et visiteurs du parc sont organisés :

Cliché : Sylviane Tabarly, avril 2005

Le territoire du PNS est organisé en zones à usages différents : usage général, usage agro-pastoral, zone de pâturages, usage restreint et de protection intégrale. À cela s'ajoute, depuis 2000 et dans le cadre du programme MAB de l'Unesco, le zonage de la Réserve de la biosphère :

  • la zone centrale de la réserve sert de refuge aux espèces menacées et seules les activités non préjudiciables y sont autorisées.
  • la zone tampon est contiguë à la zone centrale. Elle comporte des pâturages et on peut y mener des activités pastorales ou touristiques. La chasse, la pêche y sont soumises à un contrôle de l'administration. Les infrastructures permanentes et les véhicules à moteur y sont interdits.
  • la zone de transition comporte les lieux d'habitation, la plupart des activités économiques ou intensives liées au pastoralisme, les infrastructures de communication.

 

Le programme MAB (Man and Biosphere) fut adopté par l'Unesco en 1971. En 1974, conjointement avec le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), fut décidé un zonage des réserves ou territoires concernés en trois catégories de zones : centrale, tampon et de transition. Les premières "Réserves de biosphère" sont désignées en 1976 mais seules sont retenues les zones protégées consacrées à la recherche. Après une longue période de tâtonnements, en 1995 à Séville, un  "Cadre Statutaire du réseau mondial des réserves de biosphère" est adopté.

Cette "Stratégie de Séville" définit, dans le cadre des accords signés par les États membres de l'Unesco, des principes de fonctionnement des réserves. L'application des directives associées reste sous la juridiction du pays dans lequel elles se trouvent et les réserves s'appuient en partie sur des espaces légalement protégés, comme des parcs ou des réserves naturelles.

Les réserves de biosphère ont trois fonctions distinctes mais étroitement liées.

  • La conservation : protection des ressources génétiques indigènes, des espèces animales et végétales, des écosystèmes et des sites naturels indispensables à la conservation de la diversité biologique de la planète.
  • Le développement économique et social respectant la nature et la culture locale en tirant parti des connaissances traditionnelles, des productions autochtones, des aptitudes locales. Ceci implique que la population y prenne une part active et soit associée aux prises de décision.
  • Le fonctionnement en réseau mondial qui relie les réserves de manière à ce qu'elles servent à la recherche, à la veille scientifique, à l'enseignement et à la formation, à l'échelon local comme dans la perspective des programmes de recherche et de suivi comparatifs aux niveaux régional ou international.

De fait, le titre de Réserve de la biosphère est moins une nouvelle couche réglementaire qu'un moyen de drainer de nouvelles subventions pour des projets de développement. Ce statut permet au PNS d'être reconnu internationalement. Le zonage d'origine du Parc naturel et celui de la Réserve de la biosphère se superposent donc et tentent d'intégrer et de développer l'aspect "éco-tourisme" [1] qui permet de maintenir certaines activités et d'en créer : mise à disposition et entretien de chemins de randonnée, activités d'accompagnement et d'animation diverses, etc.

Le double statut de Parc naturel et de Réserve de la biosphère permet également au territoire de Somiedo de bénéficier de la présence d'organismes de gestion efficaces et indispensables à son fonctionnement : les gardes du Parc, de l'ONG FAPAS, de la Fondation Oso Pardo (FOP) ou les gendarmes du SEPRONA [2].

Au-delà des succès engrangés par cette démarche, différents défis restent à relever. Au nom du développement économique les gestionnaires du Parc peuvent être tentés de rentrer dans une logique de "marchandisation de l'espace terrestre" [Grenier C., 2000] et de la faune sauvage. Sans garde-fou l'étiquette "MAB", devenue un argument marketing attirant fonds et touristes, peut engendrer des impacts contraires à ses objectifs. Or, la politique d'image prime souvent sur une mise en application stricte des réglementations.

Les touristes, en nombre croissant, complexifient la gestion du territoire et, malgré la présence des gardes, ne respectent pas toujours les limites des zones. Plus que les touristes eux-mêmes, ce sont souvent les développements induits qui peuvent poser problème. Le PNS semble en effet avoir du mal à éviter la multiplication des structures d'accueil, les asphaltages systématiques de routes et chemins qui facilitent l'accès des touristes mais aussi des braconniers à certaines zones de montagne fragiles.

Des images pour promouvoir le Parc de Somiedo

Un dépliant de présentation du parc

Le parc de Somiedo utilise largement l'image de l'ours (oso pardo cantábrico) pour assurer sa promotion. La présence des grands prédateurs est un moyen efficace pour attirer les touristes. Des sentiers, musées ou maisons de l'ours et du loup accompagnent ce tourisme de nature. Les boutiques vendent parallèlement des produits à l'effigie des deux grands prédateurs.

Sur la page de présentation du dépliant, ci-contre, on relève deux des principaux emblèmes du parc : l'ours et la cabaña de teito* en arrière-plan.

Un extrait d'une brochure de promotion :

Somiedo, tierra de osos, brañas y vaqueiros

Somiedo, terre des ours, des brañas* et des vaqueiros
"Despuès de siglos de persecucion implacable, el oso ha pasado a ser el animal más protegido, querido y emblemático de la fauna astur. Hoy, los habitantes de Somiedo sienten el orgullo de convivir con los osos ; y los visitantes del parque, la emoción de presentir su presencia."

Traduction : Après des siècles de persécution implacable, l'ours est devenu un animal très protégé, aimé, l'emblème de la faune asturienne. Aujourd'hui, les habitants de Somiedo s'enorgueillissent de vivre avec les ours et les visiteurs du Parc ont l'émotion de ressentir leur présence

*les brañas de cabañas de teito sont des hameaux de granges aux murs épais et au toit de chaume, traditionnellement utilisées par les éleveurs pour l'estive.

Par ailleurs, l'activité touristique, source de revenus plus faciles à acquérir, décourage les activités dites traditionnelles comme l'élevage, l'apiculture, la production de fromage, la charcuterie qui sont peu à peu délaissées par les nouvelles générations. L'importation de viande bovine argentine décourage les éleveurs et le système des indemnités qui leur sont accordées en cas de pertes attribuées à la faune sauvage peut aussi avoir des effets pervers car, qu'ils veillent ou non sur leurs troupeaux, ils ne sont pas perdants. Ainsi, la distinction entre territoires sauvages et territoires entretenus est moins bien préservée par les activités humaines. Le déclin de l'élevage se traduit par une reprise de la forêt et par la diminution, voire la disparition des pâtures. Or, les effets de lisières et les milieux ouverts favorisent un cortège d'espèces végétales et animales dont profite l'ours.

On a donc ici un ensemble de contradictions qui sont autant de défis à relever pour les responsables et les gestionnaires du Parc naturel.

[1] L'éco-tourisme est une activité touristique qui est censée allier retombées économiques et souci de préservation de la nature. Cette notion est souvent liée à celle de tourisme vert ou tourisme de nature.

[2] Fondo Asturiano para la Protección de los Animales Salvajes (Fonds asturien pour la protection des animaux sauvages)

[3] Servicio de Protección de la Naturaleza (de la Guardia Civil) (Service de la protection de la nature de la Gendarmerie) qui joue un rôle essentiel dans la lutte contre le braconnage.

Annexe en .pdf (2 Mo) : La gestion des grands prédateurs (ours et loups) dans le Parc Naturel et la Réserve MAB de Somiedo (Espagne) : un modèle d'éco-développement ? Natalia Bonnet et Farid Benhammou. Paru  dans : Benhammou F. et al. (eds), 2004. “ La cohabitation Hommes / Grands Prédateurs en France (Ours et Loup) : enjeux didactiques pour la conservation de la nature et le développement durable? ” Actes du colloque du 21 et 22 mars 2204, Museum d'Orléans, Recherche Naturaliste en Région Centre.

Synthèse, adaptation de l'annexe documentaire : Sylviane Tabarly

Retour en haut de page

Bibliographie

  • Arnould P. - La forêt française : entre nature et culture - Habilitation à Diriger des Recherches, Paris IV, 375 p., 1994
  • Arnould P. - La recherche français en biogéographie, BAGF, n°4, pp. 404 - 413, 1994
  • Bellefon R. (de) - Histoire des guides de montagne, Alpes, Pyrénées - Cairn et Milan [Bayonne, Toulouse], 2003
  • Benhammou F. - Vivre avec l'ours - Editions Hesse, St Claude de Diray, 225 p., 2005
  • Benhammou F. - "Vendre la peau de l'ours avant de l'avoir sauvé ? Une géopolitique locale de la conservation d'une espèce animale emblématique", in L'ours des Pyrénées, les 4 vérités, Editions Privat, Toulouse : 77-120., 2005
  • Benhammou F., Baillon J. et Senotier J.-L. al. (eds.) - La cohabitation homme / grands prédateurs (ours et loup) en France : enjeux didactique pour la conservation de la nature et le développement durable ?, Acte du colloque au Muséum d'Orléans, mars 2004, Recherche Naturaliste,  n°14,décembre 2004, 215 p.
  • Benhammou F. - "Les grands préateurs contre l'environnement ? Faux enjeux pastoraux et débat sur l'aménagement des territoires de montagne" - Courrier de l'Environnement de l'INRA, 48 : 5-12 - 2003
  • Benhammou F., Baillon J. et Senotier J.-L. (coord.) - La cohabitation homme / grands prédateurs (ours et loup) en France, Acte du colloque au Muséum d'Orléans, mars 2004 - Recherche Naturaliste,  n°14, Nature Centre, décembre 2004
  • Benhammou F. - La réapparition du Loup en France : protection contre nature ou cohabitation durable ? - Mémoire de Maîtrise de Géographie, Université d'Orléans, 155 p, - 1999
  • Benhammou F. - Rôles et dynamiques des porte-parole dans les débats sur l'ours dans les Pyrénées, analyse stratégique et géopolitique d'un problème d'environnement - Mémoire de DEA Aménagement-Développement-Environnement, IRD, Université d'Orléans-ENGREF de Paris, 131 p. - 2001
  • Blanco J.C., de la Cuesta L., Reig S. - El lobo (Canis lupus) en España : situación, problemática y apuntes sobre su ecologia - ICONA, coll. Tecnica, Madrid, 118 p. - 1990
  • Bobbé S - Du folklore à la science. Analyse anthropologique des représentations de l'ours et du loup dans l'imaginaire occidentale - Thèse de 3ème cycle, EHESS, Paris, 419 p. - 1998
  • Bobbé S. - L'ours et le loup. Essai d'anthropologie symbolique - coédition INRA/MSH, Paris, 258 p. - 2002
  • Bonnet N. - Gérer les grands prédateurs dans le Parc Naturel et la Réserve de la Biosphère de Somiedo (Espagne) : Espaces protégés, garants d'une cohabitation durable ? - Mémoire de Maîtrise de Géographie, Université d'Orléans, 142 p. - 2003
  • Chabert J.-P, Lécrivain E. et Meuret M. - Éleveurs et chercheurs face aux broussailles. Courrier de l'environnement de l'INRA, 35 : 5-12 - 1998
  • Delibes M. - Statut et conservation du loup (Canis lupus) dans les états membres du conseil de l'Europe - Conseil de l'Europe, Strasbourg, 45 p. - 1990
  • Dorioz J.M. - Alpages, prairies et pâturages d'altitude, l'exemple du Beaufortain - Courrier de l'environnement de l'INRA, 35, 33-42, 1998
  • Grande del Brio R. - El lobo ibérico, biología y mitología, H. Blume, Madrid, 344 p. - 1984
  • Grenier C. - Conservation contre nature. Les îles Galápagos - IRD éditions, coll. Latitude 23, Paris, 375 p. - 2000
  • Hartasanchez A., Vignon V. - "L'homme et les grands prédateurs : quelle cohabitation en Espagne ?" - La Gazette des Grands Prédateurs, 3 : 10-12. - 2002
  • Landry J.-M. - Der Wolf (Le loup), [CD-ROM], éditeur : Finajour - 1999
  • Planhol, Xavier (de). - Le paysage animal. L'homme et la grande faune : une zoogéographie historique. Fayard, Paris - 2004
  • Reynes A. - "Éléments de compréhension de la relation éleveurs - ours en Pyrénées Centrales par l'approche systémique", in Acte du colloque La cohabitation hommes / grands prédateurs, Nature Centre, décembre 2004
  • Sales P. - Vivre avec le loup des Asturies aux Carpates, L'Atelier technique des espaces naturels, Gestion des milieux et des espèces, Cahiers Techniques n° 69, Montpellier, 96 p. - 2002

 

Des ressources en ligne pour aller plus loin, une sélection

Recherche, sites experts, sites officiels (collectivités, professionnels)
Du côté associatif, quelques exemples
À propos du Parc naturel de Somiedo :

 

Compléments et réalisation de la page web : Sylviane Tabarly

Retour en haut de page

Retour haut de page

Mise à jour :  28-04-2008


Copyright ©2002 Géoconfluences - Dgesco - ENS de Lyon - Tous droits réservés, pour un usage éducatif ou privé mais non commercial

Pour citer cet article :  

Farid Benhammou, « Territoire des animaux, territoire des hommes : aspects et enjeux du retour des grands prédateurs », Géoconfluences, avril 2008.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/developpement-durable-approches-geographiques/corpus-documentaire/territoire-des-animaux-territoire-des-hommes-aspects-et-enjeux-du-retour-des-grands-predateurs