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Image à la une. Edmonton, Alberta (Canada). Un réveil non-conventionnel

Publié le 20/10/2020
Auteur(s) : Emmanuelle Santoire, Doctorante contractuelle en géographie, agrégée de géographie - Université de Lyon, ENS de Lyon

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Capitale provinciale de l’Alberta, en retrait par rapport à la métropole Calgary, Edmonton est la tête politique d’une mise en ressource énergétique du Nord-Ouest canadien dont l’intérêt dépasse la frontière. La dépendance aux énergies fossiles se lit partout : de l’économie minière aux pratiques urbaines, des oléoducs aux autoroutes. À l’heure où l’urgence d’une transition bas-carbone rend obligatoires de nouveaux choix pour la province, c’est un ensemble de pratiques quotidiennes qui est à repenser.

Des ordinaires fossiles face à la transition énergétique

Bibliographie | citer cet article

Emmanuelle Santoire — Edmonton downtown lever de soleil sur l'Alberta

Lever de soleil sur un parking à la jonction entre la rue 105 NW et l’avenue Jasper à downtown Edmonton (centre-ville), Alberta, Canada. Le bâtiment de couleur cuivre est l’Energy Square, immeuble de bureaux comprenant notamment des cabinets d’avocats. En face, de l’autre côté du parking, le long bâtiment est un magasin automobile. 

Autrice : Emmanuelle Santoire
Date de prise de vue : mai 2019
Droits d’utilisation : toutes les photos sont de l’autrice et placées sous licence Creative Commons nc-sa-by (attribution, usage non commercial, partage à l’identique).

Croquis de synthèse

Emmanuelle Santoire — Alberta Edmonton gaz de schiste parcs nationaux autoroutes oléoducs

Toutes les conduites n’ont pas pu être détaillées par souci de clarté. Voir une carte plus complète des oléoducs et gazoducs canadiens : https://www.capp.ca/wp-content/uploads/2019/11/Crude-oil-pipelines-and-refineries.pdf

 

Le regard de la géographe

Le jour se lève à l’Est des Rocheuses, 7h50 au réveil d’Edmonton, capitale provinciale de l’Alberta, la « rose sauvage » du Canada ((Fleur officielle de la province.)). Le soleil matinal commence tout juste à se refléter dans les vitres teintées du rutilant Energy Square qui, sans rougir, prend des allures de lingot d’or. L’espace d’un instant. Les trucks, eux, sont déjà là, rangés comme les arbres le long des parkings, en plein centre-ville. D’autres arriveront bientôt. D’autres… des arbres ou des voitures ? Voilà peut-être résumée en deux symboles une question que se posent les autorités provinciales pour le futur de l’Alberta. La dépendance aux énergies fossiles n’est pas durable et il s’agit de trouver rapidement des solutions car l’idée d’une urgence est de plus en plus admise, autant dans les couloirs universitaires que dans ceux du gouvernement. En attendant, l’entreprise de pneus de l’autre côté de la rue est prête à accueillir ses clients en plein centre-ville. Plus qu’un stop au drive-in pour un café double crème, double sucre et la journée commence.

On pourrait dire d’Edmonton qu’elle concentre tous les paradoxes de l’Alberta : ville de pionniers, siège politique provincial, tout autant traversée par l’autoroute 16 que par l’avenue Jasper de 6,2 km dont le nom semble déjà évoquer la wilderness (nature sauvage). Cette ville toute organisée par l’automobile s’insère dans une province où les énergies fossiles sont aussi centrales pour les modes de vie que dans l’économie. 

Emmanuelle Santoire — Arrivée à Edmonton

Arrivée à Edmonton vers 11h, par l’autoroute depuis Red Deer. Cliché : Emmanuelle Santoire, 2019, licence CC by-nc-sa.

 

Alors que l’Alberta défraye la chronique pour cacher « le secret environnemental le plus honteux du Canada » (The Guardian, 2017) : l’exploitation des sables bitumineux de l’Athabasca, Edmonton n’en est pas le théâtre direct. Pourtant, c’est bien du gouvernement à Edmonton ou de la Cour d’Appel que partent les décisions controversées d’expansion de l’oléoduc TransMountain (voir carte de synthèse ci-dessus). Centre de commandement aux allures parfois désuètes, elle n’en demeure pas moins la tête d’un système de mise en ressource du Nord canadien. Alors que l’aéroport international de Calgary voit son flux de voyageurs considérablement augmenter en hiver pour aller skier dans les Rocheuses, Edmonton demeure en retrait. On est à 4h30 d’autoroute de Calgary, première agglomération provinciale en population et capitale économique, où se concentrent les sièges sociaux des plus grandes entreprises pétrolières et gazières. On est aussi à 1h d’avion de Fort McMurray, centre urbain du secteur d’extraction Nord-Est. Ce n’est pas si pratique de s’y déplacer et pourtant, c’est bien de ces « pratiques » énergétiques (Shove, 2017) que vit la province. Pour un large champ universitaire (Bouzarovski, 2017 ; Bridge, 2018), il est donc nécessaire de considérer l’ensemble des pratiques énergétiques, de leurs modes de gouvernance et dimensions spatiales pour distinguer des discours volontaristes de décarbonisation, de simples tentatives de greenwashing ; en particulier à l’heure où les programmes de recherche se multiplient entre universités locales et grandes entreprises énergétiques pour trouver rapidement des alternatives de croissance pour la province.

Emmanuelle Santoire — J'aime le pétrole et le gaz canadiens

Sur le panneau : « J’aime le pétrole et le gaz canadiens ». Photo prise en centre-ville de Calgary, dans le quartier d’affaires. Cliché : Emmanuelle Santoire, mai 2019, licence CC by-nc-sa.

 

Dans le paysage urbain d’Edmonton se lit sa dépendance aux énergies fossiles. Pour faire ses courses, on va au mall ou on marche le long de l’Avenue Jasper. Aux maisons coloniales en briques et barreaudages succèdent rapidement des rectangles de béton brut et des postes à essence qui nous font prendre conscience d’une possible inadaptation de ce choix de mobilité. Edmonton n’a pas l’attractivité ni le dynamisme urbain de Calgary. Pourtant c’est un excellent cas d’étude pour comprendre ce que ce signifie la dépendance d’un système énergétique aux ressources fossiles et son soutien politique. L’attachement au pétrole s’inscrit dans la matérialité urbaine : mobilité, découpage foncier, usages professionnels et récréatifs, locaux de gouvernance.

Emmanuelle Santoire — skyline de Calgary

La skyline de Calgary, sièges des grandes entreprises extractives, depuis le parc Nose Hill au nord de la ville. Malgré le tramway qui permet un accès rapide au centre, la voiture reste reine pour profiter des espaces verts alentour. Cliché : Emmanuelle Santoire, 2019, licence CC by-nc-sa.

 

Depuis 2002, l’Alberta connaît un boom économique finalement très conventionnel, à bien des égards. La province est le premier producteur de pétrole brut et de gaz naturel dans un pays où la part de pétrole dans la consommation d’énergie primaire représente 34,5 % du mix (chiffres de 2014). L’Alberta produit 80 % des hydrocarbures nationaux, permettant au Canada d’être le 5e plus grand producteur de pétrole brut avec 10 % des réserves mondiales. Or 98 % des réserves de pétrole du pays proviennent des sables bitumineux (173 milliards de barils) et du pétrole bitumineux (3 milliards de barils) albertains (Héritier, 2007). L’exploitation de ces hydrocarbures dits non conventionnels a presque doublé en trois ans (2002-2005). Le nom donné à cette exploitation provient de l’usage de techniques extractives particulièrement dévastatrices pour les sols comme l’injection de vapeur sous la surface pour chauffer la matière et la pomper jusqu’à la surface. Malgré cela, le boom est vu comme une nouvelle ruée vers l’or noir et toutes les pratiques y sont attachées : en 2018, 90 % de l’électricité consommée en Alberta était issue de sources fossiles (Canada gov., 2020), l’automobile est omniprésente, et la richesse économique de la province s’exprime depuis 2001 par un avantage fiscal : l’Alberta Tax Advantage, un taux fixe de 10 % du revenu imposable pour la majorité des ménages.

Toutefois, il s’agit bien là d’un modèle à la soutenabilité impossible. Au cœur de l’Ouest canadien, ce front pionnier de ressources énergétiques fait aujourd’hui l’objet d’une campagne internationale de dénonciation pour ses abus environnementaux et sociaux dans les villes minières de l’Athabasca (Klein, 2017). En 2009, la tentative avortée de directive européenne sur la qualité des carburants menaçait de bannir du marché communautaire les productions albertaines. Depuis, de multiples tensions extérieures et oppositions internes fragilisent l’économie de la province autant qu’elles en dégagent contradictions et fragmentations spatiales. Tout d’abord, les tensions liées à la renégociation de l’ex-ALENA/ACEUM avec les États-Unis, premier partenaire commercial du Canada, questionne sur la dépendance énergétique du Canada envers un pays tiers ; pays en direction duquel la majorité des infrastructures de transport sont orientées ((Le pétrole brut et le bitume albertains sont majoritairement exportés vers les États-Unis pour y être raffinés, avant d’être en partie réexportés vers le Canada. Dans le cadre des accords de l’ALENA et dans un objectif d’intégration commerciale régionale, le Canada est lié par contrat aux États-Unis pour leur assurer une sécurité énergétique nationale (au prix de sa propre sécurité d’approvisionnement). Cette situation est actuellement remise en question à la fois par les États-Unis et par le Canada face à de forts déséquilibres de marché entre Est et Ouest canadien.)). Plus proche, l’opposition politique avec la province voisine de Colombie Britannique fait des éclats alors que celle-ci prescrit depuis 2019 un moratoire relatif aux pétroliers de la côte nord pour affirmer sa recherche de durabilité.

>>> Voir aussi : Stéphane Héritier, « Protéger un animal pour protéger un territoire : l'ours kermode, animal phare de la protection de l’environnement en Colombie britannique », Géoconfluences, avril 2019.

Tout cela s’ajoute aux nombreuses controverses autour de la construction d’oléoducs transcanadiens (comme Energie Ouest), pomme de discorde entre provinces, Premières Nations présentes sur les territoires traversés et gouvernement fédéral qui aujourd’hui prend l’allure de bras de fer devant les tribunaux.

Ainsi, tout le paradoxe d’un pays s’exprime ici, entre images de nature sauvage véhiculées par l’agence des Parcs Canada et ses publicités aux titres évocateurs « tomber en amour avec la nature » (Parcs Canada, 2019) ; et noirceur de ses productions énergétiques que les discours fédéraux tentent de faire oublier. Du parking 105 NW Street d’Edmonton aux bords du Lac Louise, en passant par les équilibres de marchés internationaux, cette image à la une invite à comprendre l’imbrication, à toutes les échelles, des pratiques énergétiques dans le cas d’un modèle extractiviste montrant de plus en plus ses limites.

Emmanuelle Santoire — Lac Louise / Lake Louise

Lac Louise, parc national de Banff, Mai 2019. Cliché : Emmanuelle Santoire, 2019, licence CC by-nc-sa.

 

Bibliographie

 


Emmanuelle SANTOIRE
agrégée de géographie, doctorante contractuelle à l'ENS de Lyon, UMR 5600 Environnement, ville société.

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Emmanuelle Santoire, « Edmonton, Alberta (Canada). Un réveil non-conventionnel », image à la une de Géoconfluences, octobre 2020.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/edmonton

 

Pour citer cet article :  

Emmanuelle Santoire, « Image à la une. Edmonton, Alberta (Canada). Un réveil non-conventionnel », Géoconfluences, octobre 2020.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/edmonton

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