Vous êtes ici : Accueil / Articles scientifiques / À la une / Image à la une / Image à la une : au Ladakh, « une route dans le ciel »

Image à la une : au Ladakh, « une route dans le ciel »

Publié le 09/01/2014
Auteur(s) : Martin Michalon, agrégé de géographie - Centre Asie du Sud-Est

Mode zen

Le Ladakh, dans l’Himalaya indien, a pour capitale Leh, reliée au reste du pays par avion ou par deux jours de route, sur 500 km de pistes via trois cols à 5000 m d’altitude. À partir de Leh, 150 km supplémentaires mènent à la vallée de la Nubra, l’une des plus isolées d’Inde.

Citer cet article

Au Ladakh, « une route dans le ciel »


Date de la prise de vue

4 novembre 2012

Auteur de l'image

Martin Michalon

Localisation

col de Khardung, Ladakh, Inde

Le regard du géographe

Une route large à faible pente escalade en lacets les versants rocheux du col de Khardung, pour lequel le gouvernement indien revendique une altitude de 5602 m, ce qui en ferait le plus haut col carrossable au monde. Or, de récentes mesures GPS indiquent une altitude réelle de 5369 m : le col de Khardung serait donc moins élevé que le col tibétain du Semo La qui, d’après le gouvernement chinois, culminerait à 5565 m. A travers cette bataille de chiffres, ce sont la maîtrise technique et le contrôle territorial des Etats qui sont en jeu : l’armée indienne est ainsi très fière de se proclamer « mountain tamer » (dompteur de montagne) et de « construire des routes dans le ciel ».

L’existence même de cette route est directement liée au statut géostratégique du Ladakh, qui borde la frontière contestée entre Inde et Pakistan (documents 1 et 2). La vallée de la Nubra constitue le seul accès au glacier du Siachen, qui fait l’objet d’un conflit depuis 1984 : la route du col de Khardung, ouverte aux véhicules à moteur dès 1988, est par conséquent vitale pour acheminer hommes et matériel vers un front toujours tendu. La surveillance y est constante : deux postes militaires, les South et North Pullu Camp, situés à environ une demi-heure de route de part et d’autre du col, sont les lieux de contrôle des permis d’accès à la vallée de la Nubra, considérée comme « restricted area ».

Si la route est asphaltée et bien entretenue sur plus de 100 km, les efforts de l’armée se heurtent ensuite aux contraintes de pente, et les derniers kilomètres avant le col sont très dangereux : l’étroite piste de terre sinue à flanc de pente, et les carcasses de camions en contrebas rappellent que l’on est sur une « route de l’extrême ». Les accidents, relativement fréquents, sont liés à l’étroitesse de la route, à la vétusté des camions, et à l’épuisement des chauffeurs, éprouvés par plusieurs jours de conduite exigeante dans un air raréfié, à des températures rarement positives, et sacrifiant le sommeil à la rapidité de la livraison (document 3). Enfin, les conditions climatiques représentent un réel facteur de risque : si, au cœur de l’hiver, la route est interdite aux véhicules civils (il peut faire - 40°C et tomber 3 mètres de neige), cette fermeture n’annule pas les risques le reste de l’année. En effet, l’automne peut être marqué par de violentes tempêtes, au printemps la débâcle rend les routes glissantes, et la mousson d’été, autrefois bloquée par les massifs plus au Sud, atteint désormais le Ladakh, générant inondations et glissements de terrain.

Ces impératifs géostratégiques ont facilité et accéléré les échanges commerciaux civils, et ont de ce fait intégré la vallée de la Nubra dans les réseaux de la mondialisation. Les pentes du col sont désormais parcourues par de vieux camions Tata, qui, malgré les dangers de la route, livrent leurs cargaisons dans des villages du « bout du monde ». Sur le document 3, un routier épuisé et trop pressé a renversé sa cargaison d’engrais (à destination des maigres champs d’orge de la vallée) et de vitres (destinées aux « guesthouses » pour les touristes). Dans les villages de la vallée de la Nubra, les commerces locaux sont régulièrement approvisionnés en bouteilles de soda, pompes agricoles, T-shirts « Angry Birds », chaussures « Converse » de contrefaçon, antennes paraboliques et écrans de télévision chinois, tandis que les jeunes ladakhis en faux blousons de cuir, lunettes de soleil sur le front, demandent leur adresse Facebook aux touristes fraîchement débarqués du bus.  

Les réseaux de la mondialisation se ramifient jusqu’aux voies de communication construites dans les milieux les plus contraignants pour atteindre les régions les plus marginales, aidés en cela par les nationalismes rivaux.
 

Documents complémentaires

Doc. 1 -  La route Leh - Vallée de la Nubra par le col du Khardung.
GEarth.gif Voir le fichier .kmz du col de Khardung,
latitude 34°16'42.78"N, longitude 77°36'16.50"E

Doc. 2 - Un espace frontalier disputé

Doc. 3 - Sur la route du col de Khardung

Ressources complémentaires

 

 

Martin MICHALON,
agrégé de géographie, ENS de Lyon

 

Pour citer cet article :

Martin Michalon, « Au Ladakh, "une route dans le ciel" », image à la une de Géoconfluences, janvier 2014.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/image-a-la-une-au-ladakh-une-route-dans-le-ciel

 

Pour citer cet article :  

Martin Michalon, « Image à la une : au Ladakh, « une route dans le ciel » », Géoconfluences, janvier 2014.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/image-a-la-une-au-ladakh-une-route-dans-le-ciel

Navigation