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Notion à la une : écosystème

Publié le 14/04/2016
Auteur(s) : Yanni Gunnell, Professeur de Géographie - Université de Lyon Lumière

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L’écosystème est un assemblage fonctionnel d’organismes qui détient les propriétés requises pour assurer la continuité du vivant, c’est-à-dire pour assurer les conditions nécessaires à l’évolution biologique (au sens darwinien) sur le long terme.

Complément bibliographique | citer cet article

Même si l’on tend intuitivement à associer la vie à des organismes individuels - puisque ce sont les individus qui sont vivants - la continuité du vivant sur Terre exige davantage. En effet, la vie se maintient grâce à l’interaction de nombreux organismes qui fonctionnent collectivement et qui se partagent les ressources physiques et chimiques de leur environnement. En tant que support à la continuité du vivant, tout écosystème se caractérise 1) par une structure (définie par le biotope, ou milieu physique, et la biocénose, ou assemblage d’espèces présentes en un lieu défini) ; 2) par un ensemble de processus dont la fonction est de promouvoir des flux d’énergie et de matière dans le système. Ces flux entretiennent les cycles biogéochimiques essentiels à la vie. Dans sa plus simple expression, un écosystème se compose d’au moins deux espèces : l’une qui produit sa propre nourriture à partir de composés inorganiques présents dans le biotope (typiquement : par photosynthèse), et l’autre qui assure la décomposition des déchets produits par la première. Le troisième ingrédient est toujours la présence d’un milieu fluide (eau, air, ou les deux à la fois). L’homme exprime une préférence pour les écosystèmes dont la composition comporte beaucoup plus que deux espèces. Ceci conduit à de nombreux débats de société sur la biodiversité et sur le patrimoine naturel.
Un écosystème n'a pas de dimension aisément définissable, et ne peut être en cela confondu avec le biome, ou domaine bioclimatique. Le climat, en effet, reste le facteur le plus influent dans la répartition des formes du vivant, et la règle de similitude climatique permet de classer les biomes de la planète suivant un double gradient de température (de l’équateur vers les pôles) et de pluviométrie (du sec vers l’humide). La notion de biome repose ainsi sur le principe selon lequel des espèces sans parenté génétique exercent la même fonction écosystémique (pollinisation, prédation, etc.) dans des espaces géographiques différents, sur des continents différents. Cette matrice température / pluviométrie permet de découper la Terre en 17 biomes (forêt tempérée, toundra, etc.). Le biome est donc approximativement cartographiable ; l’écosystème beaucoup moins. L’écosystème met l’accent sur une unité d’action plus qu’une unité de lieu. Ce qui assemble ou apparente les espèces d’une biocénose, ce sont les chaînes trophiques : la dynamique de l’écosystème repose sur les interactions que sont la prédation, la symbiose, la reproduction, avec des conséquences, par exemple, en matière d’épidémiologie.

La maladie de Lyme dans les forêts du plateau des Allegheny (Pennsylvanie) :
éclairages écosystémiques d’un enjeu épidémiologique

Sources : Wikimedia Commons

  La tique [Ixodes ricinus] (4), vectrice de la maladie de Lyme, a pour proie la souris à pattes blanches [Peromyscus leucopus] (2) et le cerf de Virginie [Odocoileus virginianus] (5). Les feuilles de chêne [Quercus sp.] (1) sont la proie du cerf (5) et de la chenille du bombyx [Bombyx sp.] (3), et les glands (1) sont une base alimentaire importante pour la souris (2). Les années à forte production de glands correspondent à des pics démographiques parmi les souris, tandis que les années de poussée démographique du bombyx (une espèce introduite en 1868 par un naturaliste français) correspondent en général aux années de surmortalité des souris qui trouvent moins de glands. Dans ces conditions, la défoliation des chênes par les bombyx est massive (6 ; noter les arbres transformés en cure-dents jusqu’à mi-pente, avec des amorces de refoliation sur le plateau). Cependant, les souris mangent aussi les larves du bombyx. Donc plus il y a de souris, moins il y a de papillons, mais plus on trouvera de tiques. En termes de gestion de cet écosystème par l’homme, quel état du système, et donc quels paysages, faut-il préférer ? Ces liens systémiques comportant des rétroactions démontrent les cinq caractéristiques de base de tout écosystème : (i) tous les organismes vivants de la chênaie dépendent des constituants inorganiques en présence (eau, sol, air, lumière qui permet la photosynthèse) ; (ii) en retour, les espèces vivantes exercent une influence sur les composants inorganiques : par exemple, en années de forte défoliation des arbres, davantage de lumière atteint le sous-bois ; (iii) les organismes vivants interagissent dans un état d’interdépendance où il est impossible de changer une variable sans en modifier plusieurs autres ; (iv) le système est dynamique, soumis en permanence au changement, et la plupart des espèces tirent profit des changements qui s’opèrent (souvent à tour de rôle, suivant des cycles) - ici à partir de la variabilité interannuelle de productivité des chênes ; (v) la gestion d’un écosystème implique nécessairement des compromis, des choix : ici, gérer la forêt en vue de limiter la maladie de Lyme pour les promeneurs, chasseurs, naturalistes, etc. implique d’accepter d’exposer la forêt à un plus fort risque de défoliation massive… par une espèce qui est au départ invasive.  

L’identité de l’écosystème repose parfois sur le rôle déterminant d’une espèce-parapluie (au territoire très étendu : souvent un grand prédateur), dont on sait ou suppose qu’elle joue un rôle déterminant dans le fonctionnement et dans la pérennité de l’écosystème (fonction d’espèce clé-de-voûte). On suppose donc que la protection de cette espèce clé-de-voûte (loutre de mer, lion, etc.) bénéficiera à l’ensemble des autres espèces vivant sur le même territoire.

L'homme cohabite avec environ 2 à 3 kg de bactéries dans son système digestif, et donc même l'individu n'est pas le sujet élémentaire que l'on croit : l'individu est déjà un écosystème, et les chercheurs en sciences médicales s'accordent pour dire que notre ventre est notre deuxième cerveau (Papillon et Rambert, 2014) - sans pouvoir déterminer en termes univoques lequel des deux commande le comportement de l’être humain. Les progrès de la biologie et de l'écologie font donc bouger les lignes conventionnelles des sciences humaines et sociales. La composition en espèces et les contours géographiques des écosystèmes sont ainsi extrêmement variables, allant de l’estomac à l’océan mondial, de la petite mare temporaire à la forêt (Savill et al., 2010). Plus nettes dans le cas d’un lac ou d’un geyser, les limites des écosystèmes sont le plus souvent graduelles, avec des écotones, ou zones de transition, qui marquent le passage progressif entre, par exemple, la toundra et la forêt boréale, la forêt et la savane, ou entre l’étage subalpin et l’étage alpin en montagne. Dans les écotones, la richesse en espèces est souvent importante car on y rencontre des constituants des biocénoses situées de part et d’autre. Il est parfois justifié d’utiliser le bassin versant comme frontière naturelle d’un écosystème, mais dans le cas du saumon du Pacifique, par exemple, les frontières géographiques de l’écosystème sont bien plus complexes : le saumon, en effet, structure des chaînes alimentaires qui s’étendent de l’océan profond aux têtes des réseaux hydrographiques et aux lacs de montagne, avec jusqu’à 40 espèces terrestres de mammifères et d’oiseaux qui dépendent de ce poisson pour leur alimentation, et dont les excréments et déchets azotés fertilisent à la fois les eaux continentales et les sols terrestres de la haute montagne.

Un écosystème simple : Morning Glory, une mare d’eau chaude hydrothermale à Yellowstone

Source : J. Sullivan, 2003, Creative Commons

 

La température élevée de l’eau et le pH sont des contraintes de biotope qui limitent le nombre d’espèces adaptables à ce milieu. Les espèces présentes sont fortement colorées, ce qui ajoute une valeur patrimoniale à ces écosystèmes. L’eau plus chaude (70 à 80 °C) au centre d’une mare alcaline est colonisée par des cyanobactéries de couleur jaune-vert, alors que l’eau plus froide sur les bordures (50 à 60 °C), surtout en hiver, est colonisée par d’autres assemblages d’algues et de bactéries. Ces espèces sont autotrophes, et donc constituent le premier niveau trophique du système. Le second niveau est constitué de mouches éphydrides, qui pondent des œufs orange-rose sur les algues de la couronne externe (les larves se nourrissent in situ des bactéries et des algues). Le troisième niveau trophique est constitué de mouches carnivores, les dolichopodides à longues pattes, qui se nourrissent des œufs et larves d’ephydrides. Des libellules, guêpes, araignées, cicindèles, et une espèce d’oiseau (pluvier kildeer), se nourrissent également des mouches herbivores. Ces dernières cohabitent également avec quelques parasites (un acarien, et une guêpe qui pond dans les larves). Le quatrième et dernier niveau trophique est représenté par une population de décomposeurs, essentiellement des bactéries. L’ensemble de cet écosystème n’est entretenu que par deux sources d’énergie : le rayonnement solaire (essentiel à la photosynthèse), et le flux permanent d’eau chaude chargée en éléments chimiques. C’est ce genre de site spectaculaire qui a été déterminant dans la création du Parc National de Yellowstone en 1872, conçu comme service culturel pour le bénéfice des populations.

 

Le mot ecosystem est apparu avec A. Tansley dans les années 1930 pour décrire le transfert de matière entre les organismes vivants et leur milieu de vie, ou environnement. Il proposa le terme d’ecotope pour définir l’étendue spatiale d’un écosystème (Willis, 1997). La définition fonctionnelle de l’écosystème, privilégiée ici, remonte aux travaux de systémique et de cybernétique des systèmes biologiques menés et conceptualisés durant les années 1960, notamment par Howard et Eugène Odum (Odum, 1971). Cette perspective fonctionnelle permet d’insister sur les processus plutôt que sur les espèces, et pose la question des interventions politiques et juridiques sur les aires protégées : faut-il protéger des espèces, ou protéger des processus ? En effet, dans leur fonctionnement normal, les écosystèmes subissent des perturbations naturelles (suite à des incendies, crues, tempêtes, etc.). Les cortèges d’espèces adaptées à chacun des milieux qui se succèdent les uns aux autres au cours du temps (phénomène de succession) suggèrent ainsi qu’un écosystème n’a rien de figé. La variabilité est aussi importante que les constantes, sinon plus.
Cette perspective fonctionnelle a également permis de faire émerger la notion de service écosystémique, avec l’idée que les processus qui opèrent au sein des écosystèmes (flux de matière et d’énergie, changements d’état) assurent gratuitement des services aux sociétés humaines qui en dépendent (services de support à la vie, services d’approvisionnement, et services de régulation) - services sans lesquels des substitutions technologiques engendreraient des coûts exorbitants et la vie spirituelle, intellectuelle et sensorielle des humains serait par ailleurs monotone. La notion d’écosystème au XXIe siècle renvoie donc au monde économique dans une perspective finaliste et anthropocentrique.

La rigueur scientifique et les perspectives de quantification des processus et des flux que promettait cette approche systémique ont séduit les géographes naturalistes d’une part (Chorley et Kennedy, 1971 : Physical geography, a systems approach, Prentice Hall, 340 p), et les géographes de la ville, des régions et des sociétés de l’autre (Haggett, 1972 : Geography, a modern synthesis, Harper & Row, 483 p). La notion de géosystème, essentiellement française mais qui fut inspirée d’auteurs russes, est survenue également dans le sillage de l’écosystémique des années 1960. Sans retentissement international, elle relève surtout d’une bataille de territoires disciplinaires dans laquelle le préfixe « géo » n’a pas engendré d’avancées scientifiques particulières hormis une certaine manière de structurer la lecture des paysages. La plasticité du terme d’écosystème explique en tout cas son succès au-delà du champ du vivant, dans des usages parfois flous. C’est aussi devenu un mot-valise que l’on emploie simplement comme une boîte noire pour communiquer sur la complexité du monde et sur l’interdépendance des phénomènes (écosystème politique, écosystème institutionnel, etc.).

Pour compléter :
  • Bailey, R.G., 2014. Ecoregions, the ecosystem geography of the oceans and continents. Springer, 180 p.
  • Gunnell, Y., 2009. Ecologie et société. Armand Colin, 432 p.
  • Odum E.P., 1971. Fundamentals of ecology. Saunders, 624 p.
  • Papillon F., Rambert H., 2014. Le ventre, notre deuxième cerveau. Tallandier, 224 p.
  • Savill, P., Perrins, C., Kirby K., Fisher, N., 2010. Wytham Woods, Oxford’s ecological laboratory. Oxford University Press, 288 p.
  • Willis, A.J., 1997. The ecosystem: an evolving concept viewed historically. Functional Ecology 11, 268-271.

 


Yanni GUNNELL
professeur de géographie, Université de Lyon Lumière,
UMR 5600 Environnement, Ville, Société (EVS)

Pour citer cet article :  

Yanni Gunnell, « Notion à la une : écosystème », Géoconfluences, avril 2016.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/notion-a-la-une-ecosysteme