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Mettre en scène l’appartenance à l’UE : la Semaine européenne des régions et des villes

Publié le 24/09/2020
Auteur(s) : Ninon Briot, agrégée et docteure en géographie, professeure d'histoire et géographie - académie de Lyon

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La Semaine européenne des régions et des villes, à Bruxelles, est un événement annuel auquel participent des milliers d'élus des échelons locaux de l'Union européenne. Permettant les échanges d'expérience entre élus locaux, elle est aussi un moment d'auto-célébration du sentiment d'appartenance européenne. Une observation attentive du déroulement de cet événement est l'occasion de mettre en lumière à la fois la réalité concrète du fonctionnement européen et le discours qui l'entoure.

Bibliographie | citer cet article

La Semaine européenne des régions et des villes a lieu annuellement à Bruxelles, en octobre. Ce texte porte spécifiquement sur l’édition 2019. Étudier cet événement permet de mettre en lumière le fonctionnement des institutions européennes et le rapport que ces institutions entretiennent avec les échelles infranationales. En effet, le but de cet évènement est de mettre en valeur les échelons infranationaux, et notamment le développement de ces espaces, portés par les financements de l’Union européenne. Ces financements, issus de la politique de cohésion, ont pour objectif de faire coopérer les territoires européens afin de promouvoir un développement homogène de l’espace communautaire. La Semaine européenne des régions et des villes est un évènement organisé par l’Union européenne à Bruxelles une fois par an depuis 2003. Le Comité européen des régions avait initialement invité les représentations locales et régionales à Bruxelles pour visiter les institutions européennes. L’initiative s’est développée au fil des ans avec l’arrivée de nouveaux organisateurs, comme la Commission européenne, jusqu’à devenir une manifestation majeure. À cette occasion sont mises en exergue les externalités positives des financements européens et des coopérations entre territoires d’État-membres différents.

1. Un évènement pour narrer la construction européenne

« Les régions et les villes participent à l'élaboration de la plupart des politiques de l'Union européenne. Les pouvoirs publics infranationaux de l'UE sont responsables d'un tiers des dépenses publiques (2 100 milliards d'EUR chaque année) » (source : Europa.eu). Les institutions européennes organisent cet évènement à destination de ces échelons infranationaux, afin de proposer un moment d’échange et de retour sur ces dépenses publiques, mais également pour mettre en valeur le poids de l’UE dans le développement de ces territoires. Cette semaine est donc un moment de mise en valeur de la construction européenne et des effets bénéfiques de cette construction sur les territoires concernés. 

1.1. The « European Week of region and cities » : subsidiarité et réseautage

La session de 2019 a regroupé, du 7 au 10 octobre 2019, environ 9 000 participants de 70 pays différents, 1 000 intervenants, et 200 journalistes. Les collectivités locales des États-membres sont majoritaires, mais d’autres acteurs non européens assistent à cette conférence, tant pour échanger lors de sessions en matière d’expertise que pour nouer de nouvelles relations. C’est le cas de Mary Angelica Perez Lopez, élue à Mexico, qui participe à la session « EU-Latin America cooperation on regional innovation policies » (coopération UE-Amérique latine sur les politiques d’innovation régionale). Il y a plus de 300 sessions différentes lors de la session 2019 (source). Ces sessions sont très diverses. Elles vont de l’échange entre élus sur un point particulier, telle que la session intitulée « Quartier, ville ou aire urbaine fonctionnelle ? Définir l’emprise territoriale des futures stratégies urbaines » ((« Neighbourhood, town, city or functional urban area? Defining the territorial focus of future urban strategies », traduit par l’autrice.)) où étaient invités les élus des mairies de Brno, de Göteborg et de Berlin, à de grands rassemblements tels que l’« Opening Session » ou le « Citizen Dialogue » où tous les participants sont invités.

À l’échelle de la ville de Bruxelles, l’évènement est un moment particulier. La partie centrale de la ville, déjà très empreinte par la présence d’institutions européennes, vit au rythme de la politique européenne pendant ces quatre jours. Les organisateurs de la Semaine européenne des régions et des villes se plaisent à expliquer que cette semaine est désormais connue des élus bruxellois comme « The Week », et qu'ils n’organisent donc plus d’autres évènements en parallèle. Les milliers de participants se logent et se divertissent dans le centre de Bruxelles et dans le quartier européen, contribuant à la délimitation d’un temps particulier au sein de la ville.

À l’échelle européenne, la semaine des villes et des régions est aussi importante car elle incarne tout à fait l’esprit européen et la façon particulière de construire le territoire communautaire. En effet, les institutions européennes promeuvent une construction basée sur le concept de subsidiarité. Le principe de subsidiarité affirme que la responsabilité d'une action publique revient à l'entité compétente la plus proche des citoyens. Lorsque des situations excèdent les compétences d'une entité donnée, cette compétence est transmise à l'entité d'un échelon hiérarchique supérieur. Le but est de ne pas déconnecter la prise de décision politique des citoyens qui sont concernés par cette action. La semaine des régions et des villes entre dans cette conception de la politique européenne, où sont mis en exergue tous les échelons infranationaux : communes, intercommunalités, Nuts 2 et 3 (équivalent des régions et des départements en France). L’idée est donc de montrer le rôle crucial de ces échelons pendant ces quatre jours, avec de nombreuses sessions à leur propos, et l’invitation d’intervenants élus d’entités infranationales. La session d’ouverture s’intitulait ainsi « Villes et régions : les piliers de l’UE » et était composée de nombreux élus de villes et de régions (au sens administratif du terme).

La session d’ouverture de la Semaine européenne des régions et des villes

Semaine européenne des régions et des villes

De gauche à droite : Radosław Swół (conseiller municipal à Mielec, Pologne), Kirsteen Currie (conseillère au Highland Council, Royaume-Uni), Karl-Heinz Lambertz (président du comité européen des régions), Klára Dobrev (vice-présidente du parlement européen), Elżbieta Bieńkowska (commissaire européen en charge du marché commun), Laura Sparavigna (conseillère Municipale à Florence, Italie) Vincent Chauvet (maire d’Autun, France) et Miia Eskelinen-Fingerroos (conseillère municipale à Kuopio, Finlande).

Cliché : Union européenne / Fred Guerdin, octobre 2019, CC BY-NC-SA 2.0 (source).

 

Tous ces acteurs locaux, venant de tout le territoire communautaire, se rejoignent pendant quelques jours. L’un des autres objectifs de cet évènement est de permettre la construction de réseaux de sociabilité entre élus de toute l’Union afin de lier plus étroitement les espaces et d’édifier un sentiment d’appartenance européenne. La notion de « réseautage », entendue ici comme l’action de créer un réseau de contacts sociaux et professionnels, est donc centrale dans cet évènement, où tout est mis en place pour permettre des moments d’informalité propices à la construction de liens interpersonnels. Le moment de l’évènement est donc un moyen de consolider le projet européen.

Salle à café du bâtiment Square, renommée « networking area » pour l’occasion

Semaine européenne des régions et des villes

Cliché : Union européenne, octobre 2019, CC BY-NC-SA 2.0 (source).

 

1.2. Mise en scène théâtrale de la construction européenne

Cette construction européenne mise en scène lors de l’évènement est très théâtralisée. En effet, toute la semaine est ponctuée par des sessions de grande ampleur, qui visent à représenter l’UE en train de se construire, ainsi qu’à illustrer la puissance des institutions européennes. Par exemple, la session d’ouverture a lieu dans le parlement européen, dans une salle pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes. La solennité du moment est renforcée par le lieu dont l’architecture et le poids politique sont impressionnants. C’est le moment, pour tous les participants, de venir une première fois dans le quartier européen, et de voir la présence très importante des bâtiments alloués au fonctionnement de l’UE. 

L’une des salles du parlement européen, lieu de la session d’ouverture de la semaine

Semaine européenne des régions et des villes

Cliché : Union européenne / Fred Guerdin, octobre 2019, CC BY-NC-SA 2.0 (source).

 

Les autres cérémonies ont lieu au « Square » et sont également fortement mis en scène. La session intitulée « Citizens dialogue » fait interagir deux lycées bruxellois et deux commissaires européens, autour de grands thèmes tels que la place du parlement dans les institutions européennes ou encore l’urgence écologique. Ce débat se fait devant une salle de plusieurs centaines de personnes. Les lycéens ont été choisis de sorte à ce qu’ils parlent les trois langues nationales belges et l’anglais. Le plurilinguisme des échanges ainsi que la jeunesse des participants renforcent l’idée d’un dialogue ouvert à tous les citoyens européens, et d’une construction communautaire inclusive. La deuxième session importante est celle de la « Regiostar ceremony ». Cette fois, le moment vise à récompenser les meilleurs projets financés par la politique de cohésion. Par exemple, l’un des projets gagnants est le projet « Good support », initié en Pologne, qui consiste à créer un site web permettant de demander de l’aide à l’une personne de son voisinage : matérielle, sanitaire… (source). La remise des prix est calquée sur le modèle d’une remise des prix dans le monde artistique, et la salle a l’impression de participer à une cérémonie des Oscars, comme on peut donc le voir sur la vidéo de la cérémonie des Regiostars (ci-dessous).

Vidéo 1. Cérémonie de remise des prix Regiostars

Source : EUinmyRegion sur YouTube.

Enfin, l’Union européenne est incarnée durant cette semaine. Elle se manifeste par des personnages récurrents, en charge d’institutions importantes, qui se rendent ici accessibles à tous. C’est le cas notamment du commissaire européen en charge de la politique urbaine et régionale (DG Regio), Marc Lemaître. Ce commissaire est l’un des deux discutants lors du citizen dialogue, et il est également présent lors de la Regiostar ceremony. À cette occasion, un des intervenants va même lui fêter son anniversaire. Ici, la figure inaccessible du commissaire européen, proche des lobbyistes et éloigné des citoyens est déconstruite, au profit d’une figure amicale, accessible et présente de nombreuses fois pendant toute la semaine.

Marc Lemaître, commissaire européen, lors de la session « Citizen’s dialogue »

Semaine européenne des régions et des villes

Cliché : Union européenne, octobre 2019, CC BY-NC-SA 2.0 (source).

 

Cette semaine est largement relayée sur les réseaux sociaux. Les temps forts peuvent être suivis en ligne, grâce à des lives. Lors de chaque session, les organisateurs insistent pour que les participants se servent de leurs réseaux pour mettre en avant l’évènement, notamment grâce au mot-dièse #EURegionsWeek. Ce moment européen est donc aussi un moment particulier sur les réseaux sociaux, où le réseautage est aussi numérique, avec la formation d’une sphère de participants interagissant numériquement qui conduit à la création d’une communauté d’acteurs autour de cet évènement.

2. Un moment particulier dans la politique européenne

Si cet évènement est annuel, l’évènement de 2019 se déroule à un moment charnière dans la vie politique européenne. Cette temporalité se ressent fortement lors des différentes sessions de la semaine.

2.1. La nouvelle période de programmation 2021-2027

Cette semaine est principalement marquée par la fin de la période actuelle de programmation et par les négociations autour de la nouvelle période de programmation. En effet, les budgets européens, et notamment ceux de la politique de cohésion, sont planifiés pour une période de 6 ans, et sont renégociés au terme de ces six années. La période actuelle de programmation est celle de 2014-2020.

→ Pour compléter, Géoconfluences a publié deux articles sur cette planification budgétaire, et un troisième est à paraître en octobre 2020.

En 2019, l’heure était donc au bilan de la politique de cohésion des 5 dernières années et aux prospectives sur les projets pour la prochaine période (2021-2027). Les budgets européens sont divisés entre différentes politiques (voir Touteleurope.eu) et redistribués ensuite pour chaque État en fonction de plusieurs critères. L’une des enveloppes budgétaires les plus importantes est la politique de cohésion, et elle a pour vocation de répartir les fonds européens en fonction des différences de niveau de développement. C’est un « cadre politique de solidarité au niveau européen se traduisant par des centaines de milliers de projets qui bénéficient partout en Europe de l'aide du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds social européen (FSE) et du Fonds de cohésion (l'aide du Fonds de cohésion est réservée aux États membres de l'UE dont le PIB est inférieur à 90 % de la moyenne des 27 États membres) » (source Commission européenne).

Financement de l’Union européenne pour l’année 2018

Budget de l'Union européenne

Source : Toute l’Europe.

 

La semaine des régions et des villes 2019 est donc un moment privilégié pour entamer un dialogue entre élus locaux et institutions européennes, afin de construire la prochaine politique de cohésion. Ainsi, un nombre très important de sessions ont pour but de parler de « l’après 2020 ». Des discussions plus informelles sont aussi centrées sur la nouvelle politique de cohésion, avec de nombreuses discussions autour des réticences des différents acteurs à négocier les nouveaux budgets. C’est un moment où les tensions entre les différentes institutions européennes sont ravivées.

Les relations entre les différentes institutions européennes

fonctionnement des institutions européennes

Source : Toute l’Europe.

 

Les tensions visibles entre les commissaires européens et les représentants nationaux sont souvent palpables. Les commissaires européens, lors de leur prise de fonction, ont pour impératif de ne plus devoir représenter leurs intérêts étatiques mais à l’inverse de défendre le projet européen dans sa globalité. Au contraire, les représentants nationaux doivent appuyer les intérêts de leur pays, qui ne sont pas toujours en accord avec les grandes décisions européennes. Ainsi, la période de renégociation de la politique de cohésion est un moment important pour les États, car c’est à ce moment que se décident les budgets et les grandes orientations des politiques européennes, qui peuvent avoir plus ou moins d’effets sur les États. Le film La négociation de Nicolas Frank, montre par exemple les négociations engagées par Stéphane Le Foll autour de la réforme de la PAC en 2012. Les états lésés peuvent se sentir perdants dans la négociation, ce qui est source de conflits. Ainsi l’appartenance institutionnelle et l’appartenance nationale peuvent-elles entrer en conflit. Le sentiment d’appartenance communautaire montre ici ses limites. On voit notamment que les sessions qui portent sur la réflexion post-2020 se divisent par État, ce qui donne à voir les agendas et les stratégies encore très conditionnées par les divisions étatiques.

2.2. Gérer la critique : Brexit et eurosceptiscisme

Le deuxième élément important de l’agenda européen en octobre 2019 est la mise en place du Brexit. Ce dernier a eu lieu le 1er février 2020. Ainsi, lors de la Semaine européenne des régions et des villes, les négociations et incertitudes quant au départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne étaient à leur paroxysme. Le discours sur le Brexit était très prégnant, dans un certain nombres de sessions de la semaine, comme le montre cette session où Frank van Oort présente l’un de ses articles sur les conséquences probables du Brexit sur les échanges économiques. Le Brexit n’étant toujours pas acté à cette époque, les ressortissants anglais présents à cet évènement, tous très impliqués dans le fonctionnement communautaire, font part de grandes inquiétudes vis-à-vis de cette sortie de l’UE. En effet, les citoyens du Royaume-Uni présents à la Semaine européenne des régions et des villes sont, pour la grande majorité, des européistes convaincus. Ainsi, ils abordent la probable sortie de l’Union avec un très fort ressentiment, espérant, à cette époque, un possible retournement de situation. C’est le cas de Kirsteen Currie, membre du Highland Council (conseil représentant la région du Highland en Écosse). Elle exprime, lors de l’ouverture de la Semaine européenne des régions et des villes au parlement européen (ci-dessous), son positionnement pro-européen, et dénonce fortement le Brexit, d’autant plus que les Écossais ont majoritairement voté pour rester dans l’Union. Kirsteen Currie revient également sur les raisons du Brexit et notamment sur ce qui aurait pu être fait en amont pour l’éviter : construire un sentiment européen plus fort en n’oubliant pas les populations marginalisées et en démocratisant la connaissance et l’accès à la politique de cohésion et au fond social européen.

Vidéo 2. Séance d'ouverture de la semaine

(source : Parlement européen). Un bouton permet d’obtenir la traduction dans n’importe quelle langue de l’UE.

Cette intervention permet de revenir plus globalement sur un aspect plus latent mais néanmoins très important de cette semaine : l’euroscepticisme grandissant voir majoritaire dans les différents territoires de l’espace communautaire. Lors de cette même session d’ouverture (ci-dessus), Laura Sparavigna, conseillère municipale à Florence (Italie), a tenu un discours passionné, afin de demander aux institutions européennes plus d’actions concrètes et moins de déclarations d’intention.

Discours de Laura Sparavigna lors de la session d’ouverture

Semaine européenne des régions et des villes

Cliché : Union européenne / John Thys, octobre 2019, CC BY-NC-SA 2.0 (source).

 

Cette semaine est donc vue par les institutions européennes présentes lors de cet évènement comme un lieu de réponse à ces critiques. C’est le cas de la session Citizen dialogue dont nous avons déjà parlé, qui met en scène des enfants (censés représenter les citoyens européens) et des commissaires européens. La Commission européenne est largement critiquée et cristallise souvent les discours eurosceptiques car elle est l’incarnation de cette Union européenne technocrate et inaccessible. Cette session a pour but de retourner complètement ces représentations, en rendant accessibles les commissaires, soumis aux questions d’adolescents. Les questions des jeunes présents sur le plateau sont plutôt pointues et reflètent bien les critiques de fond adressées au fonctionnement européen. On peut prendre l’exemple d’une des questions, portant sur l’'initiative citoyenne européenne, modalité juridique introduite en 2011 dans les textes européens (encadré 1).

 
Encadré 1. Les Initiatives Citoyennes Européennes (ICE)

Ces initiatives doivent recueillir au moins un million de signatures en provenance d’au moins un quart des États européens (pour qu'un pays soit comptabilisé, il faut qu'un nombre minimum de ses ressortissants signent. Ce nombre est calculé en fonction de la population de l'État, de manière proportionnelle et dégressive. En France par exemple, il faut un minimum de 54 000 signatures Les initiatives doivent aussi concerner un domaine relevant de la Commission européenne. Si l’initiative citoyenne remplit ces conditions, la Commission a quatre mois pour se prononcer sur le fond, et expliquer ce qu'elle compte faire. Elle n'est pas obligée d'agir, auquel cas elle doit expliquer les raisons qui la poussent à ne pas donner suite. Ainsi, la portée d’une telle initiative citoyenne reste modeste, ce qui aboutit à un bilan décevant, car seules quatre initiatives ont réussi à remplir les conditions en huit ans, et la Commission n’a jamais pris en compte ces initiatives dans ses textes de lois. L’exemple de l’initiative "Stop TTIP" en 2014 est assez révélateur : Cette initiative demandait l'arrêt des négociations sur l'accord de libre-échange avec les États-Unis (TTIP) et la non-ratification de celui avec le Canada (CETA). L’initiative a été rejetée par la Commission européenne car, pour la cette dernière, l'Initiative Citoyenne Européenne ne peut concerner que des actes juridiques (et non des négociations), et ne peut demander que l'adoption d'un acte, pas le retrait de celui-ci. La Cour de justice de l'Union européenne a cassé la décision de la Commission en mai 2017, entraînant la validation de l'initiative. Trop tard néanmoins pour stopper la ratification du CETA, signé en octobre 2016, et ce malgré les nombreuses manifestations à Strasbourg.

Source : d’après Toutel’europe.


 

Les jeunes adolescents posent ainsi, lors du Citizen dialogue, la question d’une meilleure prise en compte de ces ICE, soit en diminuant le nombre de signataires pour permettre à plus d’initiatives d’être enregistrées, soit en augmentant le nombre de signataires mais en rendant l’initiative plus efficace, en forçant par exemple la Commission à reculer sur certains points. Bien entendu, les commissaires n’ont pas abondé dans le sens de ces propositions durant la session, en répondant notamment que le dispositif était efficace tel quel. Plusieurs analyses peuvent être faites sur ce point : tout d'abord, cet évènement permet de mettre en scène un débat public européen. Si de nombreux acteurs, notamment associatifs, se sont emparés de la question des ICE, et plus largement de la légitimité de certaines décisions européennes, ces critiques font très rarement l’objet d’une réponse de la Commission européenne. Cela est dû au fait que cette Commission n’est pas élue mais nommée par le Conseil européen et ensuite validée par le Parlement. Ainsi, le lien de la Commission avec le corps électoral européen n’est qu’indirect, et la nécessité de justification de décisions politiques auprès de ce corps électoral le devient donc également. De ce fait, le Citizen Dialogue est un moment rare où des commissaires européens se confrontent aux électeurs et à leurs revendications. Cependant, il est indéniable que l’évènement en question s’adresse à des europhiles déjà convaincus, et à des élus impliqués dans le fonctionnement et les financements européens. Par ailleurs, la portée médiatique n’est pas très importante, une fois que l’on dépasse ce cercle, comme en témoigne l’absence de relais dans les presses nationales. Ainsi, ce dialogue peut être perçu comme une mise en scène de la Commission, décidant de la façon et du public auprès duquel elle décide de répondre à ses principales critiques. Loin de remettre en question l’image technocratique du fonctionnement européen, cette session peut sembler souligner la limite démocratique du processus décisionnel communautaire.

3. Coopération et compétition entre les villes et les régions européennes

L’Union européenne se forge sur l’idée d’effacement progressif des frontières nationales. Cet effacement a deux objectifs : construire un marché commun, ce qui renforce la compétitivité entre les espaces afin d’attirer des acteurs économiques, et construire un sentiment de citoyenneté européenne et un territoire communautaire unifié, par le biais de coopération entre échelons infranationaux. Cette double mise en compétition et mise en coopération, bien que contradictoire, nourrit les relations entre territoires européens dont la Semaine des villes et des régions. Celle-ci est le reflet de ces relations paradoxales.

3.1. Un évènement pour coopérer : la construction européenne par la coopération territoriale

Cet évènement est un moment de mise en valeur de la coopération, dimension importante au sein du territoire européen. En effet, la construction de l’Union européenne a pour objectif d’unifier un espace composé d’États-nations, et ainsi de cultures nationales très ancrées. Le but des institutions européennes est de réduire ces fractures nationales, afin de faciliter les échanges politiques, humains, et économiques. Un des outils les plus utilisés est la mise en place de coopérations internationales entre entités infranationales, comme par exemple la mise en place d’Eurorégions, qui résultent de l’association de régions transfrontalières : la « Grande Région » regroupe les Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat en Allemagne, la région Lorraine en France, la région Wallonie, les communautés française et allemande en Belgique et le grand-duché de Luxembourg. Ces coopérations sont en grande partie financées par la politique de cohésion européenne que l’on a présentée précédemment. 

 
Encadré 2. La coopération territoriale européenne

Les programmes de coopération ont aujourd’hui plus de trente ans car le premier Interreg a debuté en 1989. Le budget suit les enveloppes budgétaires européennes car la coopération territoriale européenne est une sous-enveloppe du FEDER : le Fonds européen de développement économique régional, qui est le fonds européen structurel d’investissement le plus important. Il a pour objectif de favoriser le développement harmonieux, équilibré et durable de l'Union européenne en réduisant les écarts de développement entre les régions. Pour la période 2014-2020, 8,9 milliards d’euros étaient attribués à la coopération territoriale européenne. Chaque projet de coopération fonctionne en cofinancement (le FEDER finance entre 50 % et 85 % du projet avec un autre financeur). Il existe trois types de coopération dans l’UE :

  • la coopération transfrontalière - Interreg A (74 % de l’enveloppe financière) : financement de projets de part et d'autre d'une frontière commune, terrestre ou maritime, afin de relever des défis communs et/ou d’exploiter un potentiel de développement conjoint. Exemple : Le projet « tourisme accessible » entre la Slovénie et l’Autriche, pour favoriser l’accessibilité des personnes à mobilité réduite aux infrastructures touristiques de Corinthie (région frontalière austro-slovène) : voir la page du projet sur le site de la Commission européenne.
  • la coopération transnationale - Interreg B (20 % de l’enveloppe) : financement de projets dans des zones géographiques plus vastes visant à renforcer la coopération entre les entités nationales, régionales et locales afin de favoriser un développement territorial intégré. Exemple : Le projet « Région de la mer du Nord » L'objectif principal du programme est de stimuler le développement et de garantir une croissance économique solide dans la région de la mer du Nord en permettant aux entreprises, aux institutions, aux administrations publiques, aux ONG et à d'autres acteurs de mettre en commun leur savoir-faire et de partager leur expérience. Elle fait coopérer les régions côtières de la mer du Nord des pays suivants : Royaume-Uni, Suède, Belgique, Danemark, Allemagne, Pays-Bas.
  • la coopération interrégionale : Interreg Europe, anciennement Interreg C - et les réseaux - Interact, Urbact, Espon – (6 % de l’enveloppe) : programmes visant à encourager la connaissance et le partage de bonnes pratiques et la mise en réseau en matière d'innovation, d'efficacité énergétique, de développement urbain etc. Exemple : le projet Urbact « BeePathNet » qui rassemble les villes de Ljubljana, Cesena, Amarante, Bydgoszcz, Nea Propontida et Budapest. Ce projet de coopération a pour objectif la multiplication de ruches dans les villes partenaires, garantes d’un écosystème urbain sain.

→ Pour aller plus loin, une émission du Dessous des cartes de 2015.


 

La semaine des villes et des régions est donc le moment idéal pour rencontrer ses différents partenaires et collectivités territoriales :

  • Soit pour faire le bilan de leur projet de coopération. C’est le cas par exemple de la session suivante : « How can Regions and Cities use INTERREG to work together for the UN Global Goals? » où des partenaires de différents Interreg présentent leur résultats et leur expérience de coopération.
  • Soit pour trouver de nouveaux partenaires, grâce au réseautage possible sur place. Ce rassemblement offre en effet de nombreuses possibilités de rencontre, tant dans les sessions spécifiques que dans les grands rassemblements organisés.

La Semaine européenne des régions et des villes est donc un moment de mise en valeur des outils de coopération au sein du territoire européen. Cet évènement incarne les interactions possibles sur l’espace communautaire entre différents acteurs, et exacerbe ce qui est à la base de la construction européenne : la coopération.

3.2. Coopération et compétition : une spécificité européenne

Cependant, malgré une forte coopération entre les différents membres de l’UE, la construction européenne se fonde aussi largement sur la mise en compétition des espaces et des acteurs. En effet, le projet européen est, originellement, un projet de construction d’un espace de libre-échange économique. Ainsi, les notions de compétitivité et de compétition sont également au centre des échanges entre partenaires. La mise en place de projets de coopération découle, paradoxalement, d’une mise en compétition des acteurs car les financements des Interreg fonctionnent sur une logique d’appel à projets. Ainsi, l’UE finance les projets de coopération qu’elle estime être les meilleurs. Cette logique d’appel à projet et de mise en compétition des espaces n’est donc pas paradoxale avec une mise en coopération de ces mêmes espaces : la compétition visant à sélectionner les meilleurs projets de coopération à financer.

Cette logique se retrouve au cœur de la Semaine européenne des régions et des villes. Par exemple, l’un des évènements phares de cette semaine, dont il est la conclusion, est la cérémonie de remise des « Regiostars » (vidéo 1). Les Regiostars sont les prix européens qui récompensent depuis 2008 des projets financés par la politique de cohésion et qui « démontrent l'excellence et de nouvelles approches en matière de développement régional » (Commission européenne). Chaque année, plusieurs prix sont décernés (environ six prix) en fonction des thématiques du projet. En 2019, les catégories étaient : promouvoir la transformation numérique ; connecter le vert, le bleu et le gris ; lutter contre les inégalités et la pauvreté ; construire des villes résilientes au changement climatique ; moderniser les services de santé ; le prix du public.

 
Encadré 3. Le projet CobBauge

CobBauge a remporté le prix 2019 dans la catégorie « connecter le vert, le bleu et le gris ». Il réunit six partenaires : l’université de Plymouth (RU), l’école supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction de Caen, ESITC Caen (Fr), le Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin, PnrMCB (Fr) le « Earth Building United Kingdom and Ireland », EBUKI (RU), l’université de Caen Normandie, laboratoire LUSAC (Fr), le Hudson Architects (RU). Le projet CobBauge a été sélectionné dans le cadre du Programme européen de coopération transfrontalière INTERREG V A au travers de l’Objectif Spécifique 2.1 : Les technologies bas carbone.

L’Union européenne a pour ambition de réduire la consommation d’énergie notamment pour la construction et l’exploitation des bâtiments. Les maisons en bauge (mélange de terre et de fibres agricoles) sont courantes dans les régions frontalières de la Manche mais ne satisfont pas aux réglementations thermiques actuelles. Ainsi, le projet CobBauge a pour objectif de tester et d’établir une nouvelle génération de matériaux en bauge à faible impact environnemental.

Source : http://www.cobbauge.eu/


 

Cette remise des prix se déroule telle une cérémonie des oscars, et les nominés de chaque catégorie sont présents dans la salle, en attendant de recevoir le prix. Ainsi, cette session de la semaine mêle, par essence, la compétition et la coopération entre les acteurs du territoire européen car le but est d’élire le meilleur projet de cohésion. Chaque projet est le résultat de la coopération entre différents acteurs européens. Il est cependant intéressant de proposer une analyse spatiale des vainqueurs de ces prix. La politique de cohésion a pour but de promouvoir le développement des espaces les moins favorisés du territoire européen, et donc, majoritairement, des pays de l’Europe de l’Est nouvellement entrés dans l’Union. Une plus grande majorité de ces projets se déroule donc dans ces espaces. Il est cependant intéressant de remarquer que la plupart des projets financés par la politique de cohésion qui sont récompensés lors de la cérémonie des Regiostars sont des projets dont les membres font partie des pays d’Europe occidentale. En effet, si l’on regarde la carte suivante, la Roumanie, la Lettonie et la Bulgarie et Malte n’ont jamais été récompensées lors de cette cérémonie. Au contraire, les pays les plus récompensés sont le Royaume-Uni (14 fois), l’Allemagne (7 fois), le Portugal (7 fois), la France (6 fois) et la Suède (5 fois). Ainsi, il est intéressant de noter que malgré une politique de cohésion tournée vers la coopération entre les territoires européens et dans une logique redistributive afin de favoriser le développement des espaces les moins dynamiques, les projets que l’on estime être les plus innovants et excellents sont majoritairement des projets portés par des états d’Europe occidentale. La mise en valeur de certains projets vient donc surtout s’appliquer à des acteurs déjà dynamiques au lieu de valoriser des projets qui permettent une meilleure redistribution des richesses et du développement au sein du territoire communautaire. On remarque tout de même certaines exceptions : la Pologne et la Lituanie ont respectivement 6 et 5 récompenses Régiostars, tandis que l’Italie n’a reçu qu’un prix, ce qui fait figure d’exception dans cette division entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est.

Ainsi, si le projet européen et sa construction se théâtralisent et s’auto-congratulent pendant cette semaine, c’est aussi un moment de reproduction d’inégalités très ancrées, entre États de l’Ouest, plus développés, et États de l’Est, moins développés, bien que dynamiques…

Disparités spatiales dans les récompenses des projets financés par la politique de cohésion

Disparités spatiales dans les récompenses des projets financés par la politique de cohésion


 

 

Cette session se termine par un chœur d’enfants reprenant l’Ode à la joie, l’hymne européen, en allemand, avec en fond les noms des gagnants de la cérémonie des Regiostars qui déroule, pendant que le public se lève (voir vidéo 1 ci-dessus, à 1:05:30). Cette semaine s’achève en rassemblant en même temps ce qui fait la force de la construction européenne : un dispositif efficace, qui met en relation des acteurs de tout le territoire communautaire en dépassant les barrières nationales, mais en nous rappelant aussi les nombreuses critiques que l’on peut adresser à ce projet politique, notamment en matière de cohésion territoriale.

Ressources complémentaires

 

 

Ninon BRIOT
Agrégée et doctorante en géographie, ENS de Lyon, EVS UMR 5600.

 

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Ninon Briot, « Mettre en scène l’appartenance à l’UE : la Semaine européenne des régions et des villes », Géoconfluences, septembre 2020.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/articles-scientifiques/semaine-europeenne-regions-villes

 

Pour citer cet article :  

Ninon Briot, « Mettre en scène l’appartenance à l’UE : la Semaine européenne des régions et des villes », Géoconfluences, septembre 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/articles-scientifiques/semaine-europeenne-regions-villes