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Crises, insécurité alimentaire et aides d'urgence

Publié le 19/01/2006
Auteur(s) : Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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L'exemple de la Côte d'Ivoire

L'instabilité régnant en Côte d'Ivoire depuis quelques années a pu bouleverser les conditions de production et de commercialisation des denrées agricoles. Des organisations internationales s'efforcent de venir en aide aux populations civiles, par exemple, le Programme alimentaire mondial (PAM / World Food Programme, WFP), agence de l'ONU.

En pop-up : La crise ivoirienne (Eric Bordessoule)

 

Les cultures vivrières et leur commercialisation

Les documents ci-dessous proviennent d'un aménagement du rapport de la mission d'évaluation des récoltes et des disponibilités alimentaires en Côte d'Ivoire réalisée par la FAO et le PAM le 24 mars 2004. On pourra noter tout particulièrement la façon dont une guerre civile déstabilise une société en désorganisant ses échanges, ses réseaux de distribution et de commercialisation, ses conditions de production. Et on aura aussi un aperçu sur la façon dont est menée une action humanitaire internationale sur le terrain.

La production des principales cultures vivrières en Côte d'Ivoire de 1998 à 2003 (en milliers de tonnes)
 
1998
1999
2000
2001
2002
2003
Moy.
1998-2002
2003/Moy (%)
Riz
938
976
1 036
1 055
976
847
996
- 14,96
Maïs
605
675
631
615
587
523
623
- 16,05
Mil
80
76
75
73
69
55
75
- 26,67
Sorgho
32
30
30
31
30
24
31
- 22,58
Igname
2 921
2 944
2 950
2 938
2 874
2 674
2 925
- 8,58
Manioc
1 692
1 681
1 691
1 688
1 658
1 576
1 682
- 6,30
Plantain
1 410
1 402
1 418
1 410
1 395
1 322
1 407
- 6,04

La période des récoltes a été fortement perturbée par les combats de septembre 2002. Les exploitations n'ont pu être entretenues convenablement en raison des déplacements massifs des populations, de l'enrôlement des jeunes dans les milices et de l'insécurité. Le manque de main d'œuvre et les conditions d'insécurité ont causé la pourriture des récoltes en plein champ.

Avant la crise, la Côte d'Ivoire bénéficiait d'un système de commercialisation relativement efficace et d'un réseau de transport permettant l'acheminement des denrées des zones de production aux centres de consommation à des coûts et dans un temps raisonnables. Une concurrence serrée parmi les commerçants garantissait des prix équitables tant aux producteurs qu'aux consommateurs. La rébellion militaire de septembre 2002 qui a entraîné l'insécurité, les déplacements de populations et la partition de facto du pays avec comme corollaire le contrôle excessif du système de transport, a durement affecté le système de commercialisation des produits agricoles. La segmentation des marchés qui en a résulté a touché tous les acteurs de la chaîne de production à la consommation, et ce à des degrés divers dépendant des localités.

Ainsi par exemple, la mission a observé que certaines zones de production éloignées des grands marchés d'Abidjan ne trouvaient guère d'acheteurs pour leurs récoltes, qu'elles bradaient à des prix minables aux quelques commerçants qui arrivaient de temps à autre. C'était le cas dans les localités occupées par les FN [Forces Nouvelles, "rebelles" antigouvernementaux du nord du pays] aux environs de Bouaké, Korhogo et Touba, de même que dans les villages de la zone de Daloa sous contrôle gouvernemental. De manière générale, les prix "bord champs" observés pendant la mission pour des produits tels que les bananes plantains étaient de l'ordre de 500 FCFA pour trois régimes contre 2 000 FCFA à la même période avant la crise. Depuis le début de la crise, beaucoup de producteurs ont déclaré qu'ils ne vendaient plus qu'à peine 10% de leur production vivrière contre 1/3 avant la crise.

À l'inverse des marchés provinciaux et des zones rurales, où les prix des denrées alimentaires sont très bas par rapport à la période avant le conflit, les prix à Abidjan ont connu de fortes hausses, reflétant ainsi la réduction de l'offre de la plupart des produits. À présent que les routes sont devenues dangereuses et le transport très cher, les coopératives de femmes commerçantes basées au marché d'Angre peuvent difficilement s'approvisionner à partir de toutes les grandes zones de production du pays, ainsi que du Burkina Faso et du Niger pour la tomate fraîche et les oignons. Elles doivent vendre à des prix élevés pour rentrer dans leurs frais. Les prix ont aussi augmenté au marché de bétail de Port-Bouët à Abidjan, essentiellement approvisionné à partir du Burkina Faso. Plutôt que de passer par Bouaké comme avant la crise, les cargaisons de moutons transitent par le Ghana au coût de 1 500 000 FCFA chacun, contre 800 000 FCFA un an auparavant.

Les revenus provenant de cultures de rente servent généralement à faire face à la période de soudure, étant utilisés pour l'achat de nourriture quand les stocks propres des ménages sont épuisés. Les producteurs des cultures de rente souffrent du manque de mobilité à l'intérieur du pays et entre les zones contrôlées par le gouvernement. Des gens d'affaires peu scrupuleux, qui peuvent se permettre de payer les deux côtés, exploitent les agriculteurs qui ne peuvent guère voyager facilement. Les tensions entre les autochtones et les travailleurs itinérants (allochtones, allogènes, étrangers) sont vives à certains endroits, ce qui entrave l'accès aux exploitations et empêche la reprise des travaux agricoles.

Des groupes spécifiques sont plus particulièrement confrontés à un risque élevé d'insécurité alimentaire. Ce sont en particulier des personnes revenant à leur lieu d'origine le long de la frontière libérienne où de violents combats ont eu lieu au début de 2003.

Le PAM a approuvé trois opérations d'urgence en Côte d'Ivoire depuis le début de la crise, échelonnées entre novembre 2002 et décembre 2004

Le PAM a approuvé trois opérations d'urgence en Côte d'Ivoire depuis le début de la crise entre novembre 2002 et décembre 2004. La première a couvert les premiers mois de la crise, fourni une aide alimentaire de secours aux personnes déplacées qui fuyaient les zones de combat.

 

Moyens engagés dans le cadre des opérations d'urgence et bénéficiaires
Type d'intervention
Nombre de
bénéficiaires
Total des besoins alimentaires en t.
Distribution générale
Réfugiés
Personnes déplacées
Personnes de retour à leur lieu d'origine
94 000
16 000
8 000
70 000
9 429
3 146
1 621
4 662
Filets de sauvetage
Cantines scolaires d'urgence
Vivres contre travail (VCT)¹
Alimentation institutionnelle
580 000
345 000
225 000
10 000
24 407
8 746
13 635
2 026
Alimentation ciblée
Thérapeutique
Supplémentaire
Ration à emporter²
14 000
500
11 000
2 500
1 117
27
584
506
Total
688 000
34 953

Source : Mission FAO / PAM* d'évaluation des récoltes et des disponibilités alimentaires en Côte d'Ivoire (24 mars 2004)

1 - VCT : Dans l'Ouest, le programme VCT est destiné à la réhabilitation des infrastructures communautaires (écoles, points d'eau, installations sanitaires, services de santé). Les femmes des comités villageois ont le rôle crucial d'identifier les besoins d'infrastructures de leur communauté. Dans le Nord et dans l'Ouest, des travailleurs offrent des services sociaux essentiels dans les écoles et les institutions sociales antérieurement assistées par le gouvernement (centres de santé, hôpitaux, services d'hygiène, etc.).

2 - Ration familiale pour des familles de cinq personnes. Normalement, les enfants relevant d'un centre d'alimentation thérapeutique doivent bénéficier des programmes d'alimentation supplémentaire (PAS). Comme ces programmes n'existent pas à certains endroits de Côte d'Ivoire, ces enfants reçoivent une ration familiale par MSF.

 

Les personnes déplacées à l'intérieur (PDI) et les réfugiés dans les camps ont reçu des rations entières. D'autres PDI, des personnes récemment rentrées chez elles et d'autres populations touchées par la crise (par exemple les producteurs de cultures de rente) ont reçu des rations générales puis, de plus en plus, des rations de vivres contre travail (VCT) qui viennent en appui à la production agricole et la protection des semences (en collaboration avec les programmes de distribution des semences appuyés par la FAO).

Les groupes vulnérables tels que les enfants gravement amaigris et des malades hospitalisés reçoivent de l'assistance du PAM par le biais des ONG à vocation médicale. Le PAM fournit aussi de l'assistance de type VCT à des travailleurs qui dispensent des services sociaux essentiels dans le Nord et l'Ouest. Progressivement, l'assistance du PAM a vocation à s'orienter davantage vers un appui destiné à reconstituer les moyens d'existence (dans l'Ouest), par opposition à la fourniture de l'aide humanitaire par la distribution alimentaire.

En concertation avec le HCR, le PAM accueillait et alimentait au total 26 000 réfugiés dans des camps en 2004. Au début de l'année 2004, les deux agences ont dû faire face à un influx de réfugiés libériens à Bin Houyé et Danané. Cette zone a connu des combats intenses et des pillages pendant la crise, et des familles sont restées cachées dans la forêt pendant plusieurs mois.

 

Pour compléter, prolonger, des ressources

 

Sélection, adaptation, mise en page web : Sylviane Tabarly

 

Mise à jour :   19-01-2006

 

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Pour citer cet article :  

Sylviane Tabarly, « Crises, insécurité alimentaire et aides d'urgence », Géoconfluences, janvier 2006.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahDoc3.htm