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Élections présidentielles, 1er tour 2007 : nouveaux candidats, nouvelle géographie des votes ? Une analyse de l'évolution 2002-2007 par canton

Publié le 02/05/2007
Auteur(s) : Michel Bussi - université de Rouen
Céline Colange - Université de Rouen
Jean-Paul Gosset - Université de Rouen

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Les principaux candidats à l'élection présidentielle de 2007 ont vu leur électorat évoluer considérablement depuis 2002, qu'il s'agisse des candidats nouveaux (Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal) ou déjà présents en 2002 (François Bayrou, Jean-Marie Le Pen). Ces évolutions font apparaître une géographie électorale relativement neuve, le plus souvent basée sur l'assemblage de territoires jusqu'à présent rarement associés.

La montée de la participation l'explique en partie (cartes ci-dessous). Le recul de l'abstention est particulièrement net en Corse, dans toute l'Île de France, et plus généralement dans tous les espaces urbains. Le recul de l'abstention est toutefois plus limité, à la fois dans les espaces déjà très civiques du centre de la France et de l'Alsace, mais également dans le Nord-Est industriel.

L'abstention

L'évolution de l'abstention

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Conception, réalisation : Céline Colange et Jean-Paul Gosset, Laboratoire MTG, Université de Rouen.

Source : Ministère de l'Intérieur.

Discrétisation par quantiles en 5 classes modifiées manuellement afin de prendre en compte la borne 0 pour l'étude des évolutions.

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Nicolas Sarkozy, la conquête des terres frontistes de l'Est ?

Nicolas Sarkozy ne recule vis-à-vis de la droite en 2002 que dans les fiefs de ses principaux adversaires, actuels ou anciens : le Béarn de François Bayrou, la "Chiraquie" limousine, le Poitou de Ségolène Royal, la Bretagne centrale : au total une diagonale Brest-Millau qu'il n'a pas conquis (cartes ci-dessous).

À l'inverse, les progrès de Nicolas Sarkozy vers la France de l'Est sont particulièrement spectaculaires. Visuellement, la progression du score de Nicolas Sarkozy semble correspondre à la diminution du nombre d'électeurs de Jean-Marie Le Pen (cartes infra). Néanmoins, on peut noter que la carte de la baisse du score de l'extrême droite entre 2002 et 2007 est très proche du score de l'extrême droite en  2002 : mécaniquement, il perd surtout là où il était le mieux implanté. Dans le détail, on peut cependant noter qu'en cinq ans, l'extrême droite progresse tout de même en Corse, et sur quelques terres en Baie de Somme où elle bénéficie de l'effondrement du parti de la ruralité (et des chasseurs…).

Le vote Nicolas Sarkozy

L'évolution du vote Sarkozy comparé au score de la droite [2] en 2002

Le vote Jean-Marie Le Pen

L'évolution du vote Le Pen [3]

Conceptions, réalisations : Céline Colange et Jean-Paul Gosset, Laboratoire MTG, Université de Rouen.

Source : Ministère de l'Intérieur.

Discrétisation par quantiles en 5 classes modifiées manuellement afin de prendre en compte la borne 0 pour l'étude des évolutions.

Il semble néanmoins plus intéressant de calculer l'évolution relative 2007-2002 du score de l'extrême droite, c'est-à-dire en divisant l'évolution brute par le score de 2002 (carte ci-dessous). La carte met alors en évidence les zones les plus nettes de recul  de Jean-Marie Le Pen : outre la Vendée, liée à la présence de Philippe De Villiers en 2007 (et pas en 2002),  et le très net recul dans toutes les agglomérations, le Front national chute massivement dans quatre autres espaces géographiquement très marqués : l'Île de France, l'Alsace, le Dauphiné, le Midi méditerranéen. Ces quatre zones correspondent aux espaces des principaux progrès de Nicolas Sarkozy. À l'inverse, les espaces où le Front national (FN) perd moins de voix, dans le Nord-Est, des côtes de la Manche au sillon mosellan, sont également les espaces de l'Est où Nicolas Sarkozy progresse le moins. Les statistiques confirment cette impression visuelle : le coefficient de corrélation [5], calculé pour les 4 000 cantons français, entre l'évolution 2007-2002 des scores Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen, est de - 0.7.

Évolution relative du score de l'extrême droite[3] entre 2002 et 2007

Conception, réalisation : Céline Colange et Jean-Paul Gosset, Laboratoire MTG, Université de Rouen. Source : Ministère de l'Intérieur.

Cependant, cet indéniable effet de "vases communiquants" entre les progrès UMP et les pertes FN, ne doit pas faire oublier deux éléments. Tout d'abord, quantitativement, les gains de Nicolas Sarkozy sont moins élevés que les pertes du FN. Si, à partir des 4 000 cantons français, on effectue des tris selon les gains de Nicolas Sarkozy, les pertes pour les mêmes cantons de Jean-Marie Le Pen sont liées de façon linéaires, mais en amplifiant la perte (tableau ci-dessous). Le Pen perd 12 points là où Sarkozy en gagne 10, cinq points là où Nicolas Sarkozy n'en gagne qu'un, perd même 4 points là où Sarkozy en perd aussi.

Évolution des votes droite / Nicolas Sarkozy (N S)[2] et Jean-Marie Le Pen (JM LP)[3] entre 2002 et 2007
(Tris sur les 4 000 cantons)
Évolution de N S 2002-2007
Évolution de JM LP 2002-2007
+ 10 points
- 12 points
Entre +5 et +10
- 8,51
Entre +3 et +5
- 6,22
Entre +1 et +3
- 5,63
Entre 0 et +1
- 5,27
Recul de N S
- 4,45

L'évolution des deux électorats est donc plus complexe qu'un simple transfert mécanique de voix. Second élément, Nicolas Sarkozy ne s'impose pas avec la même efficacité dans toutes les terres frontistes : il semble davantage s'imposer dans les terres frontistes les moins ouvrières (Alsace, Alpes, côte d'Azur, Île de France).

Ainsi, les communes où Nicolas Sarkozy totalise un score record sont à la fois des communes où le Front national a très largement chuté, mais également des communes "bourgeoises", de banlieues chics ou de hauts lieux touristiques : Sarkozy réalise ainsi ses plus forts scores en France dans les cantons de Neuilly, Cannes, Boulogne-Billancourt, Levallois-Perret, Saint-Cloud, Saint-Tropez, Saint-Raphaël, Villefranche-sur-Mer, Arcachon, Le Canet, Cagnes-sur-Mer, Le Vésinet, Sallanches, Ars-en-Ré, Grimaud, etc.

Au total, si la structure de la carte du Front national reste stable, malgré l'érosion importante des voix, la carte de l'UMP de Nicolas Sarkozy est celle qui a le plus largement évolué parmi les grands candidats (tableau ci-dessus), à l'inverse de celle du PS de Ségolène Royal.

Corrélation, par canton, entre les implantations électorales en 2007 et en 2002

 

Sarkozy 2007/Droite 2002
0,63
Bayrou 2007/Bayrou 2002
0,76
Le Pen 2007/Extrême droite 2002
0,81
Royal 2007 / gauche 2002
0,86

La "Sarkosie" diffère donc sensiblement de la "Chiraquie", ou même de la France gaulliste. Contrairement à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy diffuse peu son influence dans le Centre-Ouest de la France et, contrairement à Charles De Gaulle, il pénètre peu dans le Nord-Ouest. Il progresse à l'inverse de façon spectaculaire dans des "marges" de la France, telles l'Alsace ou la Corse.

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L'évolution du PS de Ségolène Royal, entre tradition et modernisme

La carte d'évolution du vote pour le PS de Ségolène Royal révèle une surprenante et relativement nouvelle géographie du vote socialiste (cartes ci-dessous). La candidate socialiste fait globalement moins bien que le total des voix de gauche en 2002 au sein d'un vaste triangle Nice-Caen-Strasbourg. On peut y lire en creux les zones de progression de Nicolas Sarkozy, en particulier en Alsace, en Savoie, dans le Grand Lyon, sur la côte d'Azur. Les très lourdes pertes du FN dans ces zones ne profitent donc aucunement à la candidate socialiste. Plus finement, on peut également noter le net recul socialiste en Corse (suite aux propos "malheureux" de la candidate lors d'un canular téléphonique ?) et en Franche-Comté, où Jean-Pierre Chevènement avait fait le plein des voix en 2002. Enfin, les scores de Ségolène Royal apparaissent également faibles dans les espaces périurbains des grandes agglomérations, notamment au sein des périphéries parisiennes ou lyonnaises. Ici encore, le recul frontiste profite exclusivement à Nicolas Sarkozy.

Le vote pour Ségolène Royal

L'évolution du vote Royal comparé au score de la gauche [4] en 2002

Conceptions, réalisations : Céline Colange et Jean-Paul Gosset, Laboratoire MTG, Université de Rouen.

Source : Ministère de l'Intérieur.

Discrétisation par quantiles en 5 classes modifiées manuellement afin de prendre en compte la borne 0 pour l'étude des évolutions.

Mais la candidature de Ségolène Royal progresse dans des territoires moins attendus. À partir de son fief des Deux-Sèvres, elle reconquiert une large partie du Sud-Ouest radical : elle progresse logiquement dans un Limousin laissé en "friche" électorale par Jacques Chirac (et bien labouré par François Hollande), mais gagne également, de façon moins attendue, des voix dans le Béarn de François Bayrou. Bénéficiant d'un vote utile, elle fait progresser le score socialiste dans des espaces où les "petits candidats" avaient obtenu des scores élevés en 2002, qu'ils se revendiquent de l'écologie, de la ruralité ou de l'extrême gauche : c'est notamment le cas en Bretagne, dans les Alpes du Sud, les Ardennes, la Somme.

En résumé, globalement, l'effet "France de l'Ouest" (la France "soft", ou "apaisée") semble assez net sur la carte, et s'oppose à la conquête de "l'Est" sur les terres frontistes gagnées par Nicolas Sarkozy. Il convient toutefois de ne pas oublier deux éléments. Tout d'abord, l'électorat royaliste du premier tour reste, plus que celui des deux autres "grands" candidats, calé sur les terres ouvrières, à l'Est (sillon mosellan, bassins miniers…) mais aussi à l'Ouest. La corrélation entre le vote Ségolène Royal et le taux de chômage est ainsi de 0,31 [2], de loin la corrélation la plus élevée parmi les "grands" candidats.  C'est cependant une première pour la gauche que d'attirer massivement vers elle les "ouvriers" de l'Ouest, ceux qui votent traditionnellement "oui" à l'Europe et "non" à Jean-Marie Le Pen. En cela, Ségolène Royal est l'une des premières candidates socialistes à parvenir à percer à la fois dans les terres de centre gauche (la droite chrétienne des années 1960-1970) et dans les bastions traditionnels de "la gauche de la gauche". Cependant, n'oublions pas que cette percée relative dans ces "bastions rouges" s'est effectuée principalement sur les bases d'un vote utile, qui a très largement épuisé, dès le premier tour, les réserves traditionnelles à sa gauche de la candidate socialiste. Elle explique en partie pourquoi la corrélation entre le vote socialiste 2007 et 2002, de 0,86, est la plus élevée parmi les grands candidats (tableau supra).

La carte masque également la forte implantation urbaine dans les centres-villes de la candidate socialiste : elle y bénéficie notamment de sa bonne audience chez les jeunes, en particulier les nouveaux inscrits. Néanmoins son audience diminue dès la périphérie, dans le périurbain, ce qui est particulièrement net à Strasbourg, Lyon, Besançon, Lille, Tours, etc.. Dans cette France du Nord-Est, incluant le Bassin Parisien, le clivage socio-politique entre les espaces urbains et périurbains semble encore davantage se creuser.

Au total, comme pour son adversaire de droite au second tour, la carte souligne le grand écart idéologique imposé à Ségolène Royal : en progrès  à la fois sur des terres de gauche où les gisements de voix semblent assez largement entamés, et dans les terres centristes où elle a su conquérir les électeurs les plus à gauche ... mais qui sont également les terres de progression de François Bayrou, sur sa droite.

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L'évolution de François Bayrou, un candidat rural pour électorat urbain

La carte d'évolution du vote François Bayrou semble refléter trois zones de forces et deux zones de faiblesses (cartes ci-dessous).

Le vote pour François Bayrou

L'évolution du vote Bayrou

Conceptions, réalisations : Céline Colange et Jean-Paul Gosset, Laboratoire MTG, Université de Rouen.

Source : Ministère de l'Intérieur.

Discrétisation par quantiles en 5 classes modifiées manuellement afin de prendre en compte la borne 0 pour l'étude des évolutions.

La première zone de force s'apparente aux terres traditionnelles de la droite catholique, celles étudiées dès 1913 par André Siegfried : la plus vieille et la plus stable  carte électorale de France, qui avait même voté pour Edouard Balladur en 1995 (le grand Ouest, le Béarn, les Causses, la Savoie, l'Alsace…). Il s'agit là d'un "noyau dur" électoral, que  François Bayrou parvient toutefois à étendre vers le centre, dans la "Chiraquie", où il entre en concurrence rude avec Ségolène Royal.

Le seconde zone de force se retrouve dans les villes et les périphéries urbaines, notamment dans les quartiers de classes moyennes et aisées : l'effet est net dans les Yvelines, Angers, Caen, Grenoble, etc.

La troisième zone de force correspond aux espaces où l'extrême droite a beaucoup chuté depuis 2002 : l'Alsace, la grande couronne parisienne et la Savoie. Dans ces espaces où Nicolas Sarkozy progresse également beaucoup, François Bayrou récupère vraisemblablement une partie de l'électorat frontiste, celui qui en Alsace avait déjà abandonné  Jean-Marie Le Pen entre les deux tours de 2002. La candidature François Bayrou a pu ici séduire un électorat motivé par une offre politique nouvelle.

François Bayrou ne parvient pas par contre à progresser dans deux espaces. Tout d'abord le grand Nord-Est, ou, au contraire, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal progressent : le candidat centriste ne semble pas ici avoir réussi à fédérer sur lui un vote utile de "la gauche de la gauche", ce qui permet à la candidate socialiste de creuser l'écart (dans la Somme, le  Pas de Calais, l'Aisne en particulier, qui sont, à vol d'oiseau, les espaces les plus éloignés géographiquement de son fief béarnais). François Bayrou ne perce pas non plus dans le Midi méditerranéen, y compris en Corse. Les pertes frontistes semblent avoir bénéficié à Nicolas Sarkozy sur la côte d'Azur, et à Ségolène Royal sur le littoral languedocien.

François Bayrou est donc parvenu à concilier un électorat rural modéré de l'Ouest et un large électorat urbain. S'il "déborde" plus que les candidats centristes précédents de la traditionnelle France de l'Ouest, il ne parvient cependant pas à conquérir les grands foyers de populations du Nord-Est ou de la Méditerranée : son attitude pro-européenne sans ambiguïté le handicape sans doute vis-à-vis de cet électorat protestataire.

La carte du vote Bayrou dessine donc la carte d'une France centriste étendue, à la fois rurale et urbaine, qui est aussi le plus souvent celle d'une France "dynamique", qui gagne de la population ou qui en attire.

 

En conclusion

Les cartes des principales forces politiques en France n'apparaissent donc pas bouleversées, mais le recul des extrêmes les amènent à étendre leurs terres d'élections traditionnelles. Les zones de forces d'un même candidat (François Bayrou, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy), peuvent donc apparaître assez hétérogènes : l'élargissement spatial de l'implantation électorale de leurs partis est une autre traduction du grand écart idéologique imposé aux candidats, notamment aux deux qualifiés pour le second tour.

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Notes

[1] Le Laboratoire de Modélisation, Traitements graphiques en Géographie (MTG) :www.univ-rouen.fr/MTG/index.htm

[2] On entendra par "droite" en 2002 les suffrages en faveur des candidats suivants : J. Chirac, C. Boutin et A. Madelin.

[3] On entendra par "extrême droite" en 2002 les suffrages en faveur des deux candidats suivants : J.M. Le Pen et B. Mégret.

[4] On entendra par "gauche" en 2002 les suffrages en faveur des candidats suivants : L. Jospin, C. Taubira et J.P. Chevènement.

[5] Le coefficient de corrélation linéaire entre les variables X et Y est une grandeur statistique qui mesure lla qualité de la relation entre X et Y. C.'est un nombre compris entre -1 et 1. Si ce coefficient est proche de 1 ou de -1 alors la corrélation entre X et Y est forte et de type linéaire ( soit de la forme Y=aX+b ). Proche de 1, alors X et Y varient dans le même sens. Proche de - 1, alors X et Y varient dans le sens contraire. Si le coefficient est proche de 0, il n'y a pas de corrélation.

Pour en savoir plus en statistiques descriptives :

Des ressources en ligne pour aller plus loin, une sélection

Diverses ressources d'information sur les élections et la géographie électorale
Des pages dédiées aux ressources cartographiques
Des analyses et des ressources du côté des médias et du monde éducatif
Du côté des sondages

 

Michel Bussi, Céline Colange, Jean-Paul Gosset,

Université de Rouen, UMR CNRS IDEES-MTG 6228

Sélection proposée par Sylviane Tabarly

pour Géoconfluences le 2 mai 2007

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Mise à jour :  2-05-2007

 

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Pour citer cet article :  

Michel Bussi, Céline Colange et Jean-Paul Gosset, « Élections présidentielles, 1er tour 2007 : nouveaux candidats, nouvelle géographie des votes ? Une analyse de l'évolution 2002-2007 par canton », Géoconfluences, mai 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/articles/elections-presidentielles-1er-tour-2007-nouveaux-candidats-nouvelle-geographie-des-votes-une-analyse-de-levolution-2002-2007-par-canton