Les Amérindiens et la forêt
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
Les Amérindiens, premiers habitants de l'espace forestier, se répartissent en plusieurs groupes dont la culture est plus ou moins bien préservée. Les recherches archéologiques confirment la dispersion des vestiges (fragments de poteries, outils en pierre, roches gravées, ateliers de polissoirs...) sur une grande partie du territoire forestier et principalement le long des cours d'eau. Ils prouvent que la forêt est un territoire habité et exploité depuis longtemps.
Au contact des autres communautés, certains Amérindiens ont abandonné leurs coutumes, d'autres au contraire ont su les préserver. Selon les estimations, ils représentent actuellement 4% de la population totale du département, soit à peu près 6 000 individus. Leur vie traditionnelle témoigne d'une forte symbiose avec le milieu forestier. Ils fondent leur existence sur une économie de subsistance.
Les Palikour mènent une vie agropastorale, semi-nomade au nord-est du département à proximité des villages de Saint-Georges, Régina et Roura. Ils connaissent une vigueur démographique qui leur garantit un poids important dans la population amérindienne. Wayana, Emerillon et Wayampi vivent protégés des contacts extérieurs au sein de la forêt profonde du sud du département. Les Wayana du Haut-Maroni connaissent un important essor démographique : ils constituent aujourd'hui une population de près de 900 individus principalement installés sur les rives françaises du Maroni - Litani. Ils vivent surtout d'une agriculture sur brûlis (abattis), de la chasse et de la pêche en rivière, pratiquée à l'arc ou à la nivrée, c'est-à-dire en empoisonnant les eaux avec une substance tirée d'une liane de la forêt. Mais les ressources en poissons s'épuisent rapidement, en particulier dans les zones où les captures ont fortement augmenté, en parallèle avec les densités humaines. À l'est, Wayampi et Emerillon ont fui la colonisation portugaise au Brésil et se sont réfugiés dans la forêt guyanaise. Ils ont fondé les villages de Camopi et de Trois Sauts.
Les Amérindiens vivent traditionnellement au rythme de la nature. Ils s'adaptent à leur milieu et en tirent des ressources pour vivre. Celles-ci sont partagées entre les membres de la famille et de la communauté. Une bonne connaissance du milieu autorise une exploitation mesurée et rationalisée de la forêt. Par exemple, les arbres fruitiers sauvages font l'objet d'une domestication : prélevés en forêt, ils sont replantés près des villages. D'une façon générale, les Amérindiens connaissent une multitude de plantes qu'ils utilisent quotidiennement non seulement pour l'alimentation, mais également pour la construction ou pour se soigner. La forêt tropicale humide guyanaise dissimule une grande variété de ressources : elle fournit à ses habitants des aliments, des fibres, des matériaux et des matières premières. Les sèves des arbres et arbustes ont divers usages. Par exemple, l'hévéa, la plus connue, donne le caoutchouc. Il en existe bien d'autres comme la balata une espèce de pâte à modeler avec laquelle on peut construire de petits objets ou la sève de mapa qui est comestible : on en fait une sorte de pâte chewing-gum. Le manil permet de calfater les pirogues. Des plantes présentent des propriétés intéressantes pour les populations. Le bois encens, séché puis allumé, dégage une fumée insecticide. Les lianes fournissent aussi des boissons (liane-thé, liane à eau, etc.). L'écorce d'inguipipa, "la pipe de l'Indien", permet de faire du papier à cigarettes. Les fruits abondent dans la forêt : liane maracouja (fruits de la passion), ananas, noix de cajou, cerises à un ou deux noyaux, pomme cannelle, corossol, fruits des palmiers, etc. Mais il arrive que la surexploitation des espèces végétales autour des villages provoque la disparition de certaines espèces végétales, comme c'est le cas pour le "waï", un palmier utilisé pour le tressage du toit des carbets.
Activités domestiques dans un village d'Amérindiens au sud de Maripasoula.
Les hamacs sont étendus sous les carbets traditionnels.
La transformation actuelle des modes de vie se traduit parfois par la perte des connaissances traditionnelles au profit de pratiques modernes importées de la côte. Et cela d'autant plus que les savoirs et les savoir-faire, devenus caduques, ne sont plus enseignés aux jeunes générations. Désormais sédentaires, les Amérindiens vivent en communautés dans des petits villages de quelques centaines d'habitants, installés à proximité des axes fluviaux. Ils résident dans des carbets, sorte de huttes en bois avec un toit en feuilles de palmier et sans mur afin de permettre la circulation d'un air rafraîchissant. Dormir en hamac permet de se préserver des insectes et de la faune rampante. Quant à la cuisine, elle se pratique dans le carbet. Le manioc reste la base de l'alimentation non carnée. Une longue préparation ôte au manioc cultivé sa toxicité. Cuit sur de grandes plaques rondes, le manioc donne du "couac", une sorte de semoule qui se conserve plusieurs jours. Pour la viande (gibier chassé en forêt) ou le poisson, il faut boucaner la chair pour la conserver : il s'agit de la cuire très longtemps à l'étouffée, dans des feuilles de bananiers par exemple.
Devenus citoyens français dans les années 1970, les Amérindiens ont pu bénéficier d'allocations sociales, ce qui a favorisé leur sédentarisation. Ce changement a eu pour conséquence de modifier en profondeur leur rapport au territoire. La faculté d'acheter des produits venus de la côte (équipements pour le logement, congélateurs, nourriture, moteurs pour les pirogues, fusils pour la chasse) a provoqué une rupture dans les modes de vie, caractérisée par un nouveau rapport à l'environnement. Avec la sédentarisation, les territoires de parcours autour des villages amérindiens ont fait l'objet d'une exploitation plus intensive mettant en péril les ressources cynégétiques. En outre le fusil rend la chasse plus efficace que l'arc et les pirogues équipées de moteur permettent d'augmenter le rayon d'action des chasseurs. Les sociétés affrontent un choc, ballottées entre valeurs traditionnelles et valeurs de la société moderne. Cela dit, il ne parait pas concevable de priver les populations locales des évolutions de la société moderne. Mais les impacts négatifs doivent être pris en compte et corrigés.
La raréfaction des ressources de la chasse ou de la pêche peut désorganiser les équilibres sociaux. Les populations amérindiennes vivent des conflits ouverts et parfois violents avec les populations qui tirent leurs ressources des richesses minières, quand celles-ci se situent sur les zones de parcours. Des associations tentent de faire entendre la voix des communautés. Par exemple, la Fédération des Organisations Amérindiennes de Guyane (FOAG) naît en 1993 reprend les thèses des mouvements écologistes d'inspiration occidentale. Elle tente de sensibiliser au sentiment de dépossession foncière, principal problème soulevé par les Amérindiens. Il est intéressant de noter que ce sont les Amérindiens Kali'na (ou Galibi), installés sur la côte, qui prennent la tête de l'association et non pas ceux de la forêt profonde, ce qui s'explique par la plus forte intégration des Kali'na dans la société moderne avec une certaine imprégnation des postures métropolitaines. Les Amérindiens de la côte ont aussi un niveau d'instruction élevé et participent à la vie sociale et politique du territoire, mais ils peuvent se trouver en déphasage avec les autres communautés amérindiennes.
Patrick Blancodini, pour Géoconfluences le 21 mars 2005
Pour citer cet article :
« Les Amérindiens et la forêt », Géoconfluences, mars 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/breves/2005/popup/Guyane1.htm