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Archive. Michel Phlipponneau (1921-2008) : La région et l’État , parcours d’un géographe régionaliste

Publié le 13/02/2003
Auteur(s) : Michel Phlipponneau, professeur de géographie - Université de Rennes.
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2003.

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Compte-rendu d'une intervention du 13 février 2003, dans laquelle le spécialiste de l'aménagement régional revient sur son parcours de géographe.

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13 février 2003

Introduction d’Emmanuelle Bonerandi (Géophile, ENS-LSH)

Emmanuelle Bonerandi remercie le public de s’être déplacé ainsi que M. Michel Phlipponneau d’avoir accepté l’invitation de l’ENS. Son parcours de géographe régionaliste est lié à la Bretagne pour laquelle il s’est battu. Dès sa thèse principale sur La vie rurale en banlieue parisienne, et sa thèse secondaire qui analysait la morphologie littorale de la Baie du Mont-Saint-Michel, il considère la géographie comme une discipline à la fois scientifique et utilitaire : il défend la géographie appliquée ; il dirige d’ailleurs la Commission de géographie appliquée de l’UGI. En 1960, il publie Géographie et action. Introduction à la géographie appliquée, auquel répond en 1999 La géographie appliquée. Du géographe universitaire au géographe professionnel. Cet engagement en faveur de la géographie, il le met en faveur de la cité : il est élu local, départemental et régional, donnant ainsi à la géographie une utilité, voire une obligation citoyenne.

Intervention de Michel Phlipponneau

Michel Phlipponneau remercie l’ENS de son invitation. Selon lui, il est possible de tirer un bilan de la longue expérience, ce qui permettra de justifier le qualificatif de «géographe régionaliste» qu’on accole souvent à son nom, ainsi que de traiter les rapports entre région et État . Certes, pour ce dernier aspect, il vaut mieux s’adresser à un politologue, plus qu’à un géographe, qui, même s’il a pris la région comme champ d’étude, est difficilement exhaustif. Etre géographe régionaliste est différent : cette vocation repose sur un ordre collectif fondé sur l’histoire, la culture ainsi que sur une volonté d’action pour améliorer l’équipement, le cadre de vie. La géographie, même politique, ne suffit plus : il faut aussi s’engager dans la vie civique.

Ses premiers travaux portent sur la vie rurale dans la banlieue parisienne qui est l’objet de sa thèse principale. Il pensait, et c’est ce qu’on lui reproche lors de sa soutenance, qu’il pouvait y avoir des applications. En 1947, il prépare l’agrégation à l’Ecole Normale de Rennes. C’est alors qu’il rencontre sa femme bigoudène et qu’il commence à s’intéresser à la Bretagne. Intéressé par les méthodes qui sont développées en Grande-Bretagne, il fonde un comité d’étude pour un canton d’Ille-et-Vilaine. La question qu’il se pose est d’expliquer la présence de jeunes dans cette région, les motivations de ces derniers, leurs attentes… mais surtout d’envisager l’avenir : est-ce que ces jeunes pourront rester au pays ou devront-ils gagner Rennes ou Paris quinze ou vingt ans plus tard ? Dans cette perspective d’étude, la Bretagne constitue un terrain favorable pour la prospective en raison de sa culture spécifique, de son histoire, de la langue. 

C’est à cette occasion qu’est créé le CELIB (Comité d’Etude et de Liaison des Intérêts Bretons) ; son rôle est d’étudier le problème breton et de proposer des méthodes pour le résoudre. Il cherche à améliorer l’équipement et la production de la région afin de réduire l’émigration. Parallèlement, il cherche à promouvoir les investissements et les implantations industrielles en Bretagne. Le CELIB est constitué d’élus, de parlementaires issus de toute la Bretagne (sauf de Loire-Atlantique) : quelle que soit la couleur politique des membres, il a pour but de défendre les intérêts bretons, comme par exemple la défense de la production agricole. Au moment de l’élaboration du deuxième plan français, ils ont l’idée de mettre en place un plan breton. L’idée est d’étudier ce que les plans nationaux peuvent apporter à une région comme la Bretagne. Cette idée repose sur une critique du premier plan (le plan Monnet) qui, en dépit de son incontestable succès, aboutit à un renforcement des déséquilibres interrégionaux aggravant ainsi le « désert français » dont parlait Jean-François Gravier en 1947. Le plan Monnet, dans le contexte d’urgence de l’après guerre, a permis le développement des zones déjà développées (comme l’Ile-de-France ou la vallée du Rhône) au détriment des régions agricoles sous-développées comme la Bretagne. 

En 1953, le CELIB se réunit à Vannes pour définir un plan breton : tous les acteurs politiques et économiques de la région sont présents. Il faut agir vite afin que les conclusions soient incluses dans le deuxième plan de 1954. Jean-François Gravier est présent, mais pour montrer le peu de considération de Paris pour cette initiative, son voyage n’est pas pris en charge par le Commissariat général au Plan ! Des dizaines de rapports sont publiés pour réfléchir. Ils sont parfois contradictoires. Ainsi, les agriculteurs traditionnels défendent l’amélioration du confort des fermes, alors que les jeunes pensent que la clé du développement réside dans le remembrement ! C’est Michel Phlipponneau qui est précisément chargé de faire la synthèse de ces travaux : c’est ainsi qu’il est devenu un expert régionaliste, politiquement neutre ! Six mois après la réunion de Vannes se tient l’Assemblée Générale du CELIB. Hirsch, Commissaire général au Plan, y assiste, preuve que l’on prend désormais au sérieux cette forme de planification. C’est à ce moment que l’on commence à réfléchir sur la création de l’usine marémotrice de la Rance. Le CELIB fait aussi l’analyse de ce qui manque à la Bretagne. Un inventaire est alors dressé pour permettre d’attirer des industries dans la région. Des petites communes sont incluses dans cet inventaire, comme Pluvigner ou Loudéac, deux réussites en matière de développement industriel (surtout dans le secteur agro-alimentaire).

Ces initiatives bretonnes ont joué à l’échelle régionale et nationale : elles ont directement influencé les mesures de 1955 sur la localisation des implantations industrielles. En janvier 19955, Pierre Mendès-France prend un décret pour développer l’industrialisation de la grande couronne au détriment de Paris et de la petite couronne, déjà saturés. En juin 1955, le décret de Pierre Pfimlin favorise l’implantation d’industries en province. Des primes spécifiques sont versées aux entreprises qui s’établissent dans les zones critiques qui sont, pour la Bretagne : Brest, Lorient, Saint-Malo, Fougères, Rennes et Dinan. Le CELIB réclame le classement de toute la région en zone critique, ce qu’il finira par obtenir. Pour mener à bien les opérations de modernisation, des sociétés de développement régional sont créées : elles ont pour but de rassembler des capitaux et d’apporter des garanties aux investisseurs. Des sociétés d’économie mixtes voient le jour, comme la SEMAB. Dans toute la France, on reconnaît ces comités d’expansion économique qui se partage la France en zone d’action. Le découpage régional de 1955 repose sur cette division : ce qui explique pourquoi la Loire-Atlantique, dont les dirigeants n’ont pas voulu faire partie de l’aventure du CELIB, ne fait pas partie de la région de programme Bretagne. Dans chaque région, les comités d’expansion doivent élaborer des plans qui peuvent s’insérer dans les plans nationaux : le CELIB a fait école…

Ce dernier reste puissant jusqu’en 1962, alors que la France règle la question algérienne : il joue alors un rôle important, comme pour la loi d’orientation agricole ou la bataille du rail. Cette dernière a suivi la modification des tarifs ferroviaires : la baisse des tarifs sur les lignes électrifiées et rentables devait être compensée par la hausse des coûts sur les lignes moins rentables. Cette modification aurait aussi eu pour conséquence de favoriser la production maraîchère du Comtat Venaissin au détriment de la Bretagne. Cet épisode a déclenché la révolte des Bretons. Finalement, l’État cède et rétablit les anciens tarifs ferroviaires. Les deux atouts du CELIB pour négocier ont été la force de la mobilisation des élus et des habitants de la Bretagne, mais aussi l’abondance de leur documentation précise, de première main, due aux étudiants en maîtrise de géographie de M. Phlipponneau…

En 1962, le CELIB veut substituer au plan breton une loi cadre qui fournirait une garantie d’exécution du plan. Là encore, ses étudiants vont jouer un rôle de premier plan en réalisant des études. Ce processus est interrompu en 1962 par le referendum et par les législatives. La majorité qui se dégage à l’Assemblée, et donc au CELIB, est largement gaulliste. Il y a donc reprise en main du conseil régional et du CELIB. EN effet, De Gaulle n’a pas admis d’avoir cédé sur la bataille du rail et sur la loi cadre. Cette reprise en main passe par la création de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale. Elle est créée pour diminuer le poids de Paris : en plus des métropoles d’équilibre, des fonds d’action (souvent utilisés à des fins électorales) sont mis en œuvre. Un nouveau dispositif, placé entre les mains des préfets, est alors créé : il s’agit de la Commission du Développement Economique Régional (CODER). Elle regroupe des élus, des professionnels et des personnes qualifiés. En 1964, une assemblée générale du CELIB se tient à Brest : le principe de la CODER est accepté. En 1967, il s’engage aux côtés de Gaston Defferre. Il quitte le CELIB. La rupture est consommée.

Pour expliquer la reprise en main du CELIB, on parle de « trahison des notables » conduite par les députés gaullistes. Des réactions locales voient le jour : M. Lombard, maire de Brest, dénonce la CODER et crée le Comité d’Action pour la Bretagne Occidentale (CABRO). Tous les syndicalistes démissionnent de la CODER. Les mouvements bretons se développent. Selon Michel Phlipponneau, les événements de mai 1968 seraient partis de Redon ! C’est à ce moment que des mouvements armés revendiquent l’indépendance de la Bretagne, comme le Front de Libération de la Bretagne ou l’Armée Révolutionnaire Bretonne (ARB). Ces mouvements font tâche d’huile et intéressent les Corses et les Basques. Georges Pompidou (qui a besoin de CRS pour Paris) négocie avec le CELIB et promet de mettre en œuvre le plan routier breton (construction de routes à 2x2 voies gratuites), la création d’un port en eau profonde à Roscoff, et la modernisation des infrastructures téléphoniques. De Gaulle respectera ces engagements, en dépit de la démission de Georges Pompidou. En 1972, c’est la fin du CELIB qui a joué un rôle tant que l’organisation régionale de la Bretagne n’était pas faite.

Pendant tout ce temps, que se passe-t-il à gauche ? Il s’engage avec Gaston Defferre et travaille avec lui au sein du Comité horizon 80. Après sa défaite à l’élection présidentielle, il est remplacé à gauche par François Mitterrand. Michel Phlipponneau continue de militer en faveur du régionalisme breton. Il participe à la création d’un journal Le fédéré Bretagne et démocratie et anime un club de débats Bretagne et démocratie. Il publie en 1967 La gauche et les régions, ouvrage dans lequel il critique le jacobinisme de la gauche ; en 1970, Debout Bretagne. Il se présente aux élections locales et législatives. Il est conseiller général d’Ille-et-Vilaine de 1973 à 1985 et premier adjoint au maire de Rennes, Edmond Hervé.

En 1981, l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République marque aussi le retour à une politique de décentralisation et de régionalisation mise en place par Gaston Defferre, Ministre de l’Intérieur. Le Préfet, qui devient Commissaire de la République, perd tout contrôle tatillon. Le maire quant à lui dispose d’un pouvoir exécutif et de moyens financiers. Les responsabilités sont partagées. Ainsi, en matière d’éducation, les communes gèrent les écoles primaires, les conseils généraux les collèges et les conseils régionaux les lycées. Dès 1983, on observe une poussée de jacobinisme à gauche. La réforme entreprise par Gaston Defferre privilégie les départements au détriment de la région. Ainsi, le budget de la seule Ille-et-Vilaine est supérieur à celui de toute la Bretagne ! Il critique aussi le système électoral : les conseillers régionaux sont élus par départements. En 1983, Laurent Fabius, alors Premier ministre abandonne la politique précédente et augmente au contraire le poids de Paris. Enfin, Michel Phlipponneau dénonce le faible rôle des Conseils économiques et sociaux. Enfin, les départements et les régions perdent de leur autonomie financière : en effet, la vignette automobile a été supprimée et remplacée par une compensation de l’État ; de même pour la taxe d’habitation. Selon Michel Phlipponneau, les réformes de décentralisation menées par Jean-Pierre Raffarin sont mal parties : il dénonce le nouveau système électoral des conseils régionaux adopté avec le 49.3.

Sa carrière de géographe régionaliste a dépassé les frontières de la Bretagne. Il s’est intéressé également au Canada, à la Thrace orientale (la partie européenne de la Turquie), à Haïti (dans le cadre d’une mission de l’ONU, il a défendu la thèse qu’il était possible de développer les petites villes et pas seulement Port-aux-Princes) et au Burundi.

En conclusion, il se pose la question de la finalité du géographe. A quoi ça sert ? A s’engager dans l’action ; mais est-ce du temps perdu pour la réflexion ? Non, il en reste des idées, des réalités. Son expérience du CELIB a également permis la formation des étudiants, mais aussi d’hommes politiques, comme lors d’un colloque récent organisé au Sénat.

 

Questions
  • Que penser du redécoupage administratif des régions que certains proposent aujourd’hui ? Pourquoi la Loire-Atlantique ne fait pas partie de la Bretagne administrative ?

— C’est la responsabilité des Nantais qui n’ont pas voulu inclure leur département dans le plan breton. Le découpage de 1955 s’est fait à partir du plan et donc sans la Loire-Atlantique. Créer de grandes régions n’est pas indispensable, sauf peut-être pour le Limousin et l’Auvergne. La principale difficulté est la susceptibilité des villes qui risquent de perdre leur statut de chef-lieu.

  • Pourquoi avoir démissionné de son poste de premier adjoint au maire de Rennes lors de la construction du VAL ?

— La politique du maire de Rennes avait été pendant longtemps de prévenir la formation d’un désert breton. A partir de 1986, Rennes doit devenir une métropole européenne. Il faut donc être original. Un tramway n’était pas une bonne solution (Nantes avait déjà le sien). Le métro est peu adapté au plan de la ville ; il est par ailleurs très coûteux. C’est une question de prestige : Rennes est la plus petite ville du monde à être dotée d’un métro !

  • Quels arguments présenter pour réunir la Loire-Atlantique à la Bretagne ?

— Des arguments historiques et culturels, mais aussi économiques.

  • Quel regard porte Michel Phlipponneau sur la modernisation de la Bretagne ? Et sur l’agriculture ?

— Le principal problème de l’agriculture bretonne est l’environnement. Il faut faire confiance aux Bretons pour trouver des solutions.

  • Emmanuelle Bonerandi se demande si des débats sur la régionalisation ont eu lieu à l’Université ou au sein de la Commission de géographie appliquée de l’UGI ?

— Il n’y a jamais eu de débats, sans que l’on puisse d’ailleurs expliquer ce silence.

  • Le CELIB ne sert-il pas uniquement à la défense des intérêts bretons ?

— Certes, l’action du CELIB a été centrée sur la Bretagne, mais les méthodes employées peuvent s’appliquer ailleurs.

  • Quels sont les débats chez les géographes au sujet de la géographie appliquée ?

— Il n’y a pas eu de débat pour différencier l’action de la géographie appliquée : ce dernier terme étant une traduction littérale de l’anglais. Plus fondamentalement, la géographie ne doit pas se contenter de fournir uniquement des études désincarnées. Mais il est vrai que cela pose des problèmes de déontologie.

  • Existe-t-il une géographie non appliquée ? Le géographe n’est-il pas fondamentalement un animal politique ?

— Il y a toujours action, qu’elle soit lancée par le géographe ou qu’on lui demande son avis d’expert.

  • Emmanuelle Bonerandi : quelle architecture se dessine au travers des nouvelles lois sur la régionalisation et la décentralisation ?

— En plus de l’autonomie financière se pose le problème de l’avenir des départements dont l’existence semble remise en cause.

  • Comment réagir face aux risques de dislocation du territoire national dans le cadre des euro-régions ? 

— Les euro-régions ne remettront pas en cause l’intégrité du territoire, et pour ce qui est de la mise en place d’une Europe des régions, Michel Phlipponneau n’y croit pas beaucoup. 

 

Compte-rendu proposé par Yann Calbérac, 13 février 2003.

 

Pour citer cet article :

« La région et l’État , parcours d’un géographe régionaliste », d'après une conférence de Michel Phlipponneau à l'École Normale Supérieure de Lyon, Géoconfluences, février 2003, republiée en avril 2018.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/remue-meninges/michel-phlipponneau

 

Pour citer cet article :  

Michel Phlipponneau, « Archive. Michel Phlipponneau (1921-2008) : La région et l’État , parcours d’un géographe régionaliste », Géoconfluences, février 2003.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/remue-meninges/michel-phlipponneau