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La fermeture du tunnel du Chambon : un exemple de risque en montagne

Publié le 24/02/2016

A l'heure des mobilités saisonnières vers les stations de montagne, il est intéressant d'observer comment la fermeture du tunnel du Chambon, en raison de l'affaissement de sa voûte, le 10 avril 2015, se combine à la vulnérabilité économique pour déstabiliser économiquement un territoire montagnard dont l’activité repose sur une fréquentation touristique et récréative saisonnière, donc sur la fluidité des circulations.
 

1. L’aléa : le glissement de terrain à l’origine de la fermeture du tunnel du Chambon

L’affaissement de la voûte

« En raison de l'affaissement de sa voûte, le tunnel du Chambon est fermé à la circulation depuis le 10 avril dernier. La circulation sur la RD 1091, reliant Grenoble à Briançon via le col du Lautaret, est donc interrompue dans les deux sens au niveau du tunnel. Des itinéraires de déviation et des navettes nautiques ont été mis en place par le département de l'Isère. »  Communiqué de presse du Conseil départemental de l’Isère, 12 mai  2015 https://www.isere.fr/actualite?itemid=467

Le glissement de la falaise de la Berche

Il a d’abord été question de réparer la voûte du tunnel avant de prendre conscience que le problème était lié à un mouvement de faille qui rendait cette réparation inutile. Toute décision ultérieure a été suspendue au glissement de terrain intervenue en juillet 2015.
« Les mouvements géologiques du versant de montagne surplombant le lac du Chambon observés ces dernières heures indiquent qu’environ 150 000 à 200 000 m³ des parties instables superficielles ont chuté dans la retenue depuis le 26 juillet dernier ». Communiqué de presse de la Préfecture de l’Isère du 27 juillet 2015. http://www.isere.gouv.fr/Publications/Salle-de-presse/Archives-presse/Communiques-de-presse-Archives-2011-2015/Communiques-2015/Tunnel-du-Chambon-RD-1091-Glissement-de-la-falaise-de-la-Berche-Point-de-situation
« En Isère, le glissement de terrain s’accélère au-dessus du lac du Chambon », Le Monde, 26 juillet 2015  http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/07/26/en-isere-le-glissement-de-terrain-s-accelere-au-dessus-du-lac-du-chambon_4699853_3244.html
Vues du versant tombé, Le Dauphiné, 27 juillet 2015 http://www.ledauphine.com/hautes-alpes/2015/07/27/tunnel-du-chambon-une-grande-fracture-verticale-dans-le-pan-du-montagne

Source : Géoportail
En rose, le tunnel fermé du Chambon, situé sur la RD 1091, reliant Grenoble à Briançon via le col du Lautaret

 

2. La vulnérabilité du territoire impacté

Une vallée qui vit aujourd’hui essentiellement du tourisme

Entre 1968 à 2012, le nombre de logements a été multiplié par 2,7, celui des résidences principales par 1,45 et celui des résidences secondaires par 8,5. INSEE, commune de La Grave, tableaux démographiques de 1968 à 2012. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=TER&nivgeo=COM&codgeo=05063&millesime=2012

La Haute Romanche a un besoin vital d’accessibilité pour conserver sa fréquentation touristique estivale et hivernale qui a justifié de gros investissements comme la téléphérique de la Meije qui fonctionne été et hiver.
La page du téléphérique des glaciers de la Meije http://www.lagrave-lameije.com/fr/fiche/equipement/telepheriques_des_glaciers_de_la_meije-290088-423

Un territoire à cheval sur deux départements de deux régions différentes
Le tunnel du Chambon se situe à l’extrémité sud du département de l’Isère après que les dernières zones habitées soient desservies : la station des Deux-Alpes au-dessus de la rive gauche du Chambon et le village de Mizoën au-dessus de la rive droite. Le département des Hautes-Alpes commence un peu au sud du tunnel du Chambon, en amont du lac de barrage. Deux communes de la haute vallée de la Romanche sont desservies par cette route : La Grave et Villar d’Arène. La haute vallée de la Guisane est également concernée avec la commune de Monêtier-les-Bains, partie amont de Serre-Chevalier. Ces communes se retrouvent isolées, surtout celles de la Haute Romanche qui ne sont plus accessibles que par la route qui remonte de Briançon vers le Lautaret. Elles étaient placées sur un axe majeur de circulation, elles deviennent un cul-de-sac au pied du massif de la Meije.
L’enjeu n’est pas le même pour les deux départements : vital pour les Hautes-Alpes dont cette partie du territoire est essentiellement desservie et tournée vers l’Isère, important pour l’Isère sans remettre en cause l’activité économique des communes.

Source : Géoportail

3. La catastrophe pour la vallée de la Haute Romanche

L’isolement des populations sinistrées

« Ce mercredi 1er juillet au matin, en Commission des Affaires Économiques, le député socialiste de l'Isère François Brottes a fait part du "caractère inadmissible" de la situation des sinistrés du Chambon (…)."La France s'en fout", a lancé Joël Giraud, député PRG des Hautes-Alpes, "on fait comme dans les Andes, on apprend à passer des montagnes avec un sac à dos pour aller travailler." Et d'ajouter : "la modernité fait qu'on ne s'occupe pas des territoires aux frontières du Royaume." Faisant référence à l'obligation de passer désormais par l'Italie pour rallier rapidement l'Isère quand on vit côté haut-alpin de la vallée de la Romanche, le député Joël Giraud a déclaré, toujours en souriant, attendre "l'adhésion au Piémont". "La sécurité civile par les militaires en Italie étant mieux assurée qu'en France."
Commission des Affaires Économiques, Assemblée nationale,  séance du 1er juillet 2015, texte et vidéo http://france3-regions.francetvinfo.fr/alpes/isere/video-echanges-surrealistes-l-assemblee-nationale-au-sujet-du-tunnel-du-chambon-762014.html

Le mécontentement

Le Collectif citoyen du Chambon est né le 13 mai 2015, date où la décision fut prise d’adresser au Gouvernement français une lettre ouverte pour dénoncer l’immobilisme de l’État face à la fermeture totale de la  RD1091, depuis le 10 avril 2015. Le 21 mai 2015, eut lieu la première manifestation dans les rues de Grenoble. http://www.collectif-du-chambon.org/
Il a réalisé une étude d'impact sur les conséquences économiques par enquête auprès des populations concernées. Les résultats de l'étude ont été publiés en mars 2016 et montrent que le modèle économique des vallées impactées vacille et l’emploi aussi.
FR3, reportage "Le collectif du Chambon publie une étude sur l'impact de la fermeture de la route", 15 mars 2016, 2'05 http://france3-regions.francetvinfo.fr/alpes/isere/le-collectif-du-chambon-publie-une-etude-sur-l-impact-de-la-fermeture-de-la-route-952141.html
L'étude d'impact du collectif du Chambon, 13 mars 2016, 12 p. http://www.collectif-du-chambon.org/download/chambon-emploi-resultat_final.pdf
 

4. Les solutions adoptées

L’arrêté de catastrophe naturelle a été pris pour trois communes des Hautes-Alpes le 1er août 2015 : la Grave, Villar d’Arêne, le Monêtier-les-Bains permettant aux commerçants de faire jouer cette clause si elle fait partie de leur contrat d’assurance.

Les acteurs : Départements, Régions, État

La RD 1091 relève depuis la décentralisation d’une gestion départementale. Le tunnel est situé sur le département de l’Isère qui est donc en première ligne tant pour les décisions que le financement. Or les coûts de remise en état dépassent les moyens d’un et même de deux départements, d’où l’appel à l’État pour soutenir l’activité économique et participer aux réparations.

« L’État devait être au rendez-vous pour cet itinéraire de liaison inter-régionale à fort enjeu économique et touristique. J’ai entendu le Premier Ministre affirmer son soutien au projet de piste en rive gauche mis en œuvre par le Département, reconnaissant son caractère indispensable dans cette situation de crise. Je remercie le Premier Ministre pour l’engagement financier annoncé concernant l’aménagement de la piste en rive gauche (5 M €), les navettes lacustres et les études et les travaux nécessaires au re-percement du tunnel (12 M €), solution pérenne », Jean-Pierre Barbier, président du Conseil départemental de l'Isère, lors de la visite du Premier Ministre, Manuel Valls, sur le site du Chambon, le 24 juillet 2015. Communiqué de presse du Conseil départemental de l’Isère, https://www.isere.fr/departement/espace-presse/communiques-presse/Pages/Jean-Pierre-Barbier-se-dit-satisfait-des-mesures-annoncees.aspx

Les solutions à court terme

Pour permettre aux habitants d’aller travailler, aux collégiens de rentrer chez eux, ont été mis en place une navette lacustre, des rotations d’hélicoptère pendant la période d’attente de la chute du versant (début juillet/fin août).

Navettes lacustres : Mise en service d'un bateau maritime
Après la remise en service le 26 août 2015 d’un catamaran de 12 places, le Département de l’Isère renforce le service à disposition des habitants riverains du Chambon, par la mise en circulation d’un bateau de type maritime : plus rapide (25 km/h), disposant de 12 fauteuils en cabine chauffée pour le confort des habitants, notamment en cas d’intempéries.
Ce dispositif de navettes sera en fonctionnement jusqu’à l’ouverture de la route de secours.

Route de secours en rive gauche, ouverture 24 novembre 2015
La route de secours, réalisée en rive gauche du lac à la suite de la fermeture du grand tunnel du Chambon sur la RD 1091, est ouverte depuis le 24 novembre. Les travaux ont débuté le 20 juillet. Tous les moyens ont été mis en oeuvre pour ouvrir avant la saison hivernale 2015/2016. Cette route de secours aménagée sur 5,3 km devrait absorber 90 % du trafic local habituel de la RD 1091 (soit 1500 véhicules/jour) hors les week-ends touristiques et les vacances (30 000 véhicules/jour sont comptés lors des week-ends de départ en vacances). Durant ces périodes, les touristes et les vacanciers seront invités à prendre un itinéraire de contournement par Fréjus et Gap.
Conseil départemental de l’Isère, 19 octobre et 27 novembre. Avec des photos. https://www.isere.fr/deplacements/tunnel-chambon-actualites/ouverture-de-la-route-de-secours---conf%C3%A9rence-de-presse-du-15-octobre

  • Le bilan de la route de secours au bout de 2 semaines

« Voilà plus de sept mois que les alpinistes isérois ne s'arrêtaient plus dans les auberges de La Grave. Ils se réjouissent désormais de l'ouverture de cette route bis, après un chantier à 6,7 millions d'euros » ; « Mais cet axe reste une solution alternative : car très sinueuse, étroite et à forte pente. La préfecture de l'Isère a même publié un guide de bon usage de la nouvelle RS 1091. "C'est une vraie route de montagne, il faut rouler avec prudence", reconnaît le maire de La Grave, Jean-Pierre Sevrez ». France 3, 7 décembre 2015 http://france3-regions.francetvinfo.fr/alpes/isere/premier-bilan-deux-semaines-apres-l-ouverture-de-la-route-du-chambon-875705.html

  • La déception

« Réclamé à cor et à cri par la population locale, cet itinéraire de délestage a été construit par le conseil départemental de l’Isère moyennant un investissement de 6,5 millions d’euros… mais il a été partiellement fermé à la circulation samedi par "mesures de sécurité". Seules les voitures immatriculées dans les Hautes-Alpes ou dans l’Isère ont été autorisées à rallier la Haute Romanche».
« Couac sur la route du Chambon », Le Dauphiné, 28 décembre 2015 http://www.ledauphine.com/economie-et-finance/2015/12/27/couac-sur-la-route-du-chambon

  • L'ouverture en pointillés

Suite au glissement intervenu le  25 février, les travaux de sécurisation ont conduit à fermer la route jusqu'au 4 mars, et ensuite à l'ouvrir uniquement le jour. Conseil départemental de l’Isère, 4 mars 2016 https://www.isere.fr/Pages/Actualite.aspx?itemid=467


Les solutions à moyen terme

Les solutions abandonnées : pourquoi ?

La solution de réparation du tunnel a été définitivement abandonnée, car trop aléatoire dans la maîtrise des délais et des coûts et pour une réalisation qui imposerait de réduire le gabarit du tunnel, ne permettant plus le croisement des véhicules sous le tunnel. De plus, cette solution qui consisterait à injecter du béton dans la zone effondrée présentait un risque de pollution de la Romanche s’écoulant en contrebas.

La solution de construction d’un viaduc prenant appui dans le lac, a été écartée car trop longue à mettre en oeuvre (au moins 3 ans), trop coûteuse (près de 65 M € ) et présentant des contraintes d’exploitation.

La mise en place d’itinéraires de déviation par le col du Galibier (ouvert plus tôt que d’habitude à l’été 2015 par la mobilisation des équipes de déneigement des deux départements), par le col Bayard et Gap (4h30 entre Grenoble et Briançon), par le tunnel du Fréjus et l’Italie (un passage à 44 €, aller-retour sur 7 jours à 54 €, abonnement à + / - 12 € selon sa durée). La communauté de communes du Briançonnais a négocié au cours de l’été des tarifs réduits à 13 € avec la société du tunnel du Fréjus pour tous ceux qui en font la demande (résidents et visiteurs). En 2016, ce tarif est finalement de 16,50 €. La communication a été réduite sur cette possibilité et surtout la distribution des passages à l’office du tourisme et en ligne en limite l'accès pour les touristes. Les pass sont limités à 2 déplacements et réservés aux résidents du Grand Briançonnais et aux vacanciers disposant d’un contrat de location dans le Grand Briançonnais : la présentation de justificatifs (résidents ou vacanciers) en bonne et due forme est demandée lors de contrôles au tunnel du Fréjus.
Office de Tourisme de La Grave : Comment venir à La Grave Villar d'Arène et leurs hameaux http://www.lagrave-lameije.com/fr/venir-grave-villar-arene-leurs-hameaux
Pour le Grand Briançonnais http://www.serre-chevalier.com/hiver/divers/pass-frejus-tunnel/


La solution adoptée en 2016 : un tunnel de dérivation

[mise à jour octobre 2016] Le Département de l’Isère a retenu la solution du percement d’un tunnel de dérivation. D’une longueur totale de 990 mètres, le tunnel part du milieu du tunnel existant, côté Bourg d’Oisans, pour se raccorder après le petit tunnel du Chambon côté La Grave. Cette solution consiste à s’enfoncer dans le versant pour s’affranchir de la zone de glissement. Elle met en sécurité cette partie de la RD 1091 tout en permettant le croisement de deux poids lourds. Les travaux, au coût estimé initialement entre 20 et 25 millions d’euros, ont duré du printemps à l'automne 2016. Les derniers mètres ont été percés le 24 octobre 2016, ce qui doit permettre la réouverture de la route du Lautaret entre Grenoble et Briançon, avec la desserte de La Grave. 
Conseil départemental de l’Isère, actualités, avec photographies des travaux : https://www.isere.fr/actualites/le-grand-tunnel-du-chambon

 

Conclusion

Les espaces les plus touchés par la catastrophe du tunnel du Chambon sont la Haute Romanche et le Briançonnais puisque le bassin de clientèle grenobloise le plus proche est devenu le plus éloigné, quel que soit l’itinéraire de déviation envisagé. Les clientèles lyonnaise ou parisienne sont moins affectées par les déviations, car l’itinéraire de la Maurienne est certes plus coûteux (péage autoroute de Maurienne + tunnel) mais roulant.
La situation d’un lieu est toujours relative : La Grave située sur la route principale entre Grenoble et Briançon s’est développée grâce à cette accessibilité. Lors de cette crise, elle est reléguée dans une marge de l’espace français.
Le point de vue d’Alain Lipietz « Un des problèmes de La Grave, c’est que l’on s’y pense comme une banlieue de Bourg d’Oisans et une villégiature de Grenoble ou Lyon, et non comme une banlieue de Briançon et une villégiature de Turin, Milan et Marseille. Or elle est les deux. Et en plus un transit entre les deux ». « L’autre problème, c’est que La Grave se pense trop souvent comme un relais de transit et non comme une villégiature, une “station”  alors que Monêtier comme Vallouise ont su se doter d’une “profondeur” à l’écart de la route. Je comprends très bien les graves difficultés des villageois de La Grave qui travaillent à Bourg d’Oisans et ont leurs habitudes du côté de Grenoble. La Grave se croit “coupée du reste du monde” alors qu’elle se retrouve provisoirement dans la situation de Névache ou Vallouise. Qu’elle profite de cette opportunité pour diversifier son développement ! ». L’e-media O5, 1er août 2015 http://www.lemedia05.com/2015/25272/tunnel-du-chambon-lanalyse-iconoclaste-dalain-lipietz-sur-la-faute-de-communication/


Veille proposée par Muriel Sanchez et Marie-Christine Doceul.
Mise à jour : 2 novembre 2016