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Quelles cartes pour comprendre les élections de 2024 en France ?

Publié le 05/07/2024
À chaque élection, la carte, méthodologiquement critiquable, montrant le candidat ou la candidate arrivée en tête par circonscription, conduit à des erreurs d’interprétation visuelle. Sans nier la très forte augmentation du vote pour le Rassemblement national, plusieurs géographes rappellent les limites de ce type de représentation.

Un billet réalisé entre les élections européennes et le premier tour des législatives montre ainsi la différence entre une cartographie surfacique et une représentation où chaque circonscription représente un symbole.

Les hectares ne votent pas

Le principal défaut d’usage de la carte choroplèthe classique appliqué à la géographie électorale provient de la taille très inégale des unités spatiales comparées, en l’occurrence les circonscriptions électorales. Leur surface est inversement proportionnelle à la densité de population, laquelle est très inégalement répartie sur le territoire. Paris a 21 circonscriptions sur 105 km² ; l’Île-de-France compte 109 circonscriptions sur 12 000 km², soit 20 % des députés sur 2 % du territoire. Inversement, la Corse a 4 circonscriptions pour 8 680 km², la Creuse une seule pour 5 565 km².

Par conséquent, les très grandes circonscriptions sont visuellement saillantes sur les cartes choroplèthes, tandis que les très nombreuses circonscriptions de petite taille dans les départements urbains (en Île-de-France, dans le Rhône, les Bouches-du-Rhône, etc.) sont presque invisibles.

La solution est d’adopter une carte par anamorphose, qui donne des résultats visuellement bien différents, comme celle de Claude Grasland dans son article du 4 juillet.

Une autre solution est d’utiliser des cartouches, qui permettent d’agrandir une partie du territoire, notamment les plus grandes villes, comme on le fait habituellement pour l’outre-mer. C’est le cas de cette carte très complète (1er et 2e tour, désistement, triangulaires, sortants…) sur le site Contexte.

Tous les ruraux ne votent pas RN, tous les votes RN ne sont pas ruraux

Les habitants des espaces ruraux ont proportionnellement plus voté RN que les centres des grandes agglomérations. Parallèlement, le bloc de gauche est surreprésenté dans les zones denses. Une fois cela affirmé, il est possible d’apporter quelques nuances.

Par exemple, le graphique suivant publié par Jules Grandin dans Les Échos montre la distribution des circonscriptions en fonction de la densité de population et du vote NFP. On voit que les résultats de la gauche dans les circonscriptions les moins denses va de moins de 10 % dans des espaces ruraux du Grand Est à plus de 50 % dans une circonscription d’Occitanie (1re circonscription de l’Ariège). En haut du graphique, parmi les circonscriptions les plus denses, certaines ont voté pour le NFP à moins de 20 voire 15 % (en Île-de-France,  probablement en faveur de Renaissance plutôt que du RN), tandis que d’autres ont donné plus de 55 % des suffrages exprimés à la gauche.

 

Les résultats très élevés de l’extrême droite dans une grande partie des territoires ruraux sont à la fois la traduction de résultats très élevés dans l’ensemble de la population (dont les espaces ruraux ne représentent qu’un tiers du total), et le reflet de la composition sociologique des espaces ruraux. La population de ces derniers est plus âgée (le RN réussit le mieux chez les 50-59 ans, le NFP a des résultats décroissants avec l’âge (48 % chez les 18-24 ans, 18 % chez les plus de 70 ans) et sont moins diplômée (49 % d’électeurs RN chez les personnes non diplômées, 22 % chez les bac+3 et plus). Sur le plan strictement statistique, un jeune diplômé rural a finalement moins de chances de voter RN qu’un senior sans diplôme vivant dans une grande ville.

Essentialiser le vote rural pour l’assimiler à un vote RN est une erreur d’interprétation, de même que les agglomérations sont bien loin de voter uniformément pour la gauche ou le bloc des libéraux. Plusieurs chercheurs le rappellent, comme Olivier Bouba-Olga (en l’occurrence à propos des européennes) : « Oui, quand on compare vote urbain et vote rural, il y a un écart très important pour certains candidats ou candidates. Mais pour l’essentiel, c’est un effet de composition sociale : lorsqu’on compare le vote rural et le vote urbain à niveau de diplôme et tranche d’âge identique, on n’observe pratiquement plus de différence. » (« Le vote Bardella : un vote rural ? », 13 juin 2024). Cette analysée est prolongée  à propos des législatives dans Le Monde du 2 juillet 2024 : Camille Bordenet, « Législatives 2024 : vote des champs et vote des villes, une question de diplômes plus que de géographie ».

Les nuances locales doivent être rappelées, comme le fait l’article de Claude Grasland cité plus haut. Et ce même dans une terre où le Front National, puis le Rassemblement National, est implanté depuis longtemps : « Dans les marges rurales franciliennes où l’extrême droite est implantée depuis longtemps et s’achemine vers une très probable victoire, il n’est pas anodin de montrer à leurs opposants que leurs territoires sont plus contrastés qu’il n’y paraissait au vu de la carte du journal Le Monde. Ainsi, dans la circonscription de Provins en Seine-et-Marne, le bloc d’extrême droite est sans nul doute majoritaire dans la plupart des communes ou quartiers, mais son score peut varier de 40 à 80 %. ».

Le même auteur propose une application pour afficher les résultats des européennes par IRIS, l’échelle statistique la plus fine en France (fonctionne surtout en ville et uniquement en métropole). Elle permet d’affiner la connaissance électorale des territoires intra-urbains, à l’échelle du quartier. Dans la 3e circonscription du Rhône, où la députée sortante NFP a été réélue dès le premier tour avec 51 % des suffrages exprimés, certains quartiers ont voté pour elle à plus de 65 %, d’autre à mois de 35 %.

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