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Catastrophe et rationalité

Publié le 28/02/2013
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La liste des menaces et des catastrophes livrée par l'actualité médiatique est longue : inondations, séismes, incendies, accidents technologiques, industriels et sanitaires alimentent des approches catastrophistes de l'information du public. Inversement, les pouvoirs publics peuvent, à l'occasion et pour ne pas effrayer l'opinion publique, être tentés par l'attitude, tout aussi discutable, du secret ou du "tout va très bien". Ces deux principes conjugués aboutissent à de la désinformation citoyenne, s'opposent à une culture du risque maîtrisé et peuvent compliquer l'adoption de politiques de prévention rationnelles.

L'apparition de la modernité avait coïncidé avec l'atténuation d'une conception religieuse de la catastrophe et la question, au XVIIIe siècle, était de savoir comment concevoir le mal une fois privé de références divines. Les idéologies du progrès des XIXe et XXe siècles y avaient répondu. Mais, après l'irruption de formes nouvelles et impensables du mal, elles paraissent ébranlées en ce début du XXIe siècle. L'imaginaire catastrophique, en pleine résurgence dans nos sociétés contemporaines, ne redevient-il pas, comme au XVIIIe, un moyen d'adaptation à une nouvelle condition humaine ?

Certains (Jeudy, 1990) voient dans la fascination dont témoignent nos contemporains pour le risque un projet de maîtrise de la catastrophe. L'égrenage des menaces et des catastrophes parvient à saturer l'espace social d'incertitudes toujours plus fortes, entretenant ainsi une inquiétude généralisée, elle-même génératrice d'une demande de sécurité et de protection. Ce qui finit par constituer, tout à la fois, un cercle vicieux et un paradoxe, les sentiments d'inquiétude alimentant le besoin de sécurité. L'incertitude, vécue négativement, remplace alors "l'indétermination" positive des trajectoires et des choix collectifs et/ou individuels. (Dobré in Y. Dupont, 2003).

Gaëlle Clavandier (2004) repère dans le discours politique autour de la catastrophe un autre passage obligé qui vise à surmonter la perte de maîtrise occasionnée par la crise. L’accent mis sur la recherche des causes et des responsabilités montre ainsi une reprise en main. Le consensus politique est de mise pour signifier un resserrement de la communauté nationale face à la catastrophe, tandis que la solidarité autour des victimes est soulignée par des déplacements sur les lieux. On s’attache aussi à mettre en évidence tous les comportements emblématiques de cette solidarité, les dons, les secours portés aux victimes par la population : il s'agit d’affirmer la pérennité d’une cohésion sociale menacée par la catastrophe. Par son ampleur, par sa violence, la catastrophe suscite des difficultés particulières liées à l’état des cadavres, aux problèmes d’identification de ces morts qui ne peuvent pas recevoir le traitement prescrit et ouvrent le champ à un imaginaire social du cadavre errant. Les rites funéraires de substitution dans ces cas de mort collective ont un caractère extrêmement codifié (chapelle ardente, cérémonie collective) et sont placés sous la responsabilité des pouvoirs publics. À l’issue de ces rituels se construit une mémoire collective, à la croisée de deux mémoires distinctes. D'abord une mémoire officielle, commémorative, qui a la particularité de permettre de circonscrire le souvenir de la catastrophe dans le temps et dans l’espace, en construisant une délimitation entre le lieu du drame et le reste du territoire. Cette mémoire évacue rituellement le souvenir et permet l’oubli. Ensuite une mémoire qualifiée d’événementielle, qui s’appuie autant sur des faits avérés que sur une représentation imaginaire collective de la catastrophe.

(ST) mai 2005.


Références
  • Patrick Baudry et Henri-Pierre Jeudy - Le deuil impossible : fenêtre sur la mort - Éditions Eshel - 2001
  • Gaëlle Clavandier - La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, (CNRS Éditions, 2004). Autour du tsunami, sur le site partenaire SES-ENS : http://ses.ens-lyon.fr/articles/une-invitee-sur-le-site-ses-ens-gaelle-clavandier-25824
  • Yves Dupont (dir.) - Dictionnaire des risques - A. Colin - 2003
  • Henri-Pierre Jeudy - Le Désir de catastrophe - Aubier - 1990
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