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Quand notre environnement nous rend obèses : comment l’environnement influence-t-il nos pratiques alimentaires ?

Publié le 17/05/2021
Auteur(s) : Alexandra Pech, doctorante en géographie - ENS de Lyon

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S'appuyant principalement sur le cas des États-Unis et de la France, l’article montre comment notre environnement influence nos pratiques alimentaires et notre santé avec des répercussions majeures sur la prévalence d’obésité, laquelle n'est pas attribuable à la seule responsabilité individuelle. Il s’agit, pour les politiques publiques, d’en tenir compte dans leurs actions visant à réduire la prévalence de surpoids et d’obésité.

Bibliographie | mots-clés | citer cet article

Dès la fin des années 1990, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie d’« épidémie » l’augmentation fulgurante du taux de surpoids et d’obésité (encadré 1) qui a lieu depuis les années 1980 à l’échelle planétaire et en particulier aux États-Unis.

Document 1. Prévalence de l’obésité dans le monde et aux États-Unis

Carte de l'obésité dans le monde par pays

Pour voir cette carte en haute définition, cliquez ici.

Carte de l'obésité aux états-unis par état

Notez que les échelles de valeurs sont différentes d'une carte à l'autre. De nombreuses cartes existent à l'échelle des États-Unis, voir par exemple cette carte interactive.

Si les chercheuses et chercheurs s’interrogent encore sur les raisons exactes de l’accroissement massif de l’obésité à l’échelle de la planète, il est désormais acquis dans le champ scientifique que les récentes évolutions des environnements alimentaires (encadré 2) ont un rôle déterminant. En effet, le développement de l’industrie agroalimentaire, les nouvelles stratégies marketing ainsi que les politiques agricoles et alimentaires ont encouragé l’apparition d’environnements dans lesquels les personnes sont exposées à une disponibilité énergétique excessive. Or, des études révèlent qu’au sein d’un même pays, d’une même région et souvent d’une même ville, le surpoids et l’obésité concernent en particulier les individus des milieux dits défavorisés, sans pour autant réussir à en déterminer les causes exactes. 

 
Encadré 1. Qu’est-ce que l’obésité ? 

Est considéré obèse tout individu dont l’indice de masse corporelle (IMC), calculé à partir de son poids et de sa taille, est supérieur à 30. Dans le monde, le taux d’obésité a presque triplé depuis 1975 (OMS, 2020), au point qu’actuellement, 39 % des adultes sont en surpoids (IMC comprise entre 25 et 30) et 13 % sont en obésité (ibid.). Toutefois, d’importantes variations dans la prévalence d’obésité sont à noter en fonction des régions du monde (cf. carte 1) : à titre d’exemple, alors que 40 % des Étatsuniens et Étatsuniennes sont obèses, seuls 4,2 % de la population japonaise est concernée (OCDE, 2018). Malgré ces fortes disparités, il n’en reste pas moins qu’à l’échelle mondiale, l’obésité constitue un facteur de risque majeur dans les causes de décès prématurés les plus courantes : les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension et certains cancers (cf. graphique 1). La récente épidémie du Covid-19, particulièrement létale chez les patients obèses, n’a fait que renforcer ce constat (Demetrios et al., 2020 ; Kang, Luo & Gui, 2020).

Sources

 

Au moyen d’un état des lieux non exhaustif des grandes tendances de recherche autour des environnements obésogènes, cet article illustre la complexité des facteurs qui expliquent le lien entre inégalités sociales et surpoids. Si de nombreuses études considèrent l’offre alimentaire présente dans le cadre de vie des individus comme l’élément le plus déterminant d’un environnement obésogène, il est également nécessaire de prendre en compte le marketing, les politiques agricoles et alimentaires ainsi que les représentations socioculturelles autour de l’alimentation afin de définir avec plus de finesse les contours d’un environnement dit obésogène.

 

1. Le lieu de vie, responsable de l’obésité ? 

L'étude des cas étatsunien et britannique éclaire le cas français sur la façon dont les espaces de vie peuvent influencer les pratiques alimentaires.

1.1. La théorie des déserts alimentaires aux États-Unis et au Royaume-Uni : quand l’offre alimentaire commerciale est soupçonnée de favoriser l’obésité

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, où l’accroissement de l’obésité parmi la population fut particulièrement précoce et rapide, les premières études en santé publique menées à ce sujet dans les années 1990 supposent que certains environnements urbains favorisent davantage le surpoids que d’autres. Cette réflexion s’inscrit dans un intérêt croissant de la part des universitaires et du monde de la santé publique pour les environnements alimentaires, c’est-à-dire pour l’ensemble des facteurs qui influencent nos pratiques alimentaires (encadré 2). 

 
Encadré 2. Qu’est-ce qu’un environnement alimentaire ?

Un environnement alimentaire (en anglais food environment) désigne l’ensemble des éléments extérieurs qui influence un individu dans ses habitudes alimentaires. Comme l’indique le schéma ci-dessous, il est constitué d’un environnement social (cercle amical, famille, collègues etc.), d’un environnement physique (quartier, école, commerces alimentaires, restaurants etc.) et d’un ensemble de facteurs à l’échelle macro (normes sociales, culture alimentaire, marketing, politique économique, agricole et alimentaire etc.), ces dernières ayant un effet moins direct sur les pratiques alimentaires. Ces différentes « couches » entrent en relation avec des facteurs individuels (préférences, connaissances, savoir-faire, gènes, mode de vie etc.).

L’étude des environnements alimentaires s’inscrit dans une vision dite « écologique » de la santé, proposée par l’OMS en 1986 avec la Charte d’Ottawa. Au lieu de mettre les comportements individuels au centre de ses stratégies sanitaires, cette dernière met en avant l’importance de l’environnement de vie des individus et de l’ensemble des structures sociales, économiques et physiques dans lesquels ils vivent (OMS, 1986, source).

Document 2. L'individu et les environnements alimentaires

Schéma environnements alimentaires

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Sources

 

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, face au constat de l’inégale répartition du surpoids et de l’obésité en fonction des territoires, de nombreux universitaires soupçonnent l’offre alimentaire commerciale d’être à l’origine de l’augmentation des tours de taille. Pour tester cette hypothèse, des études en épidémiologie et en nutrition évaluent le type d’offre alimentaire à laquelle les habitants et habitantes d’un quartier ont accès au moyen de plusieurs indicateurs : la densité et le type de commerces disponibles, la distance et l’accessibilité de ces commerces par rapport au lieu de résidence et enfin l’accessibilité monétaire de ces commerces au regard des moyens financiers des habitants. Aux États-Unis en particulier, ces études révèlent l’ampleur des inégalités sociales en matière d’accès à l’alimentation. En effet, il existe des « déserts alimentaires » (de l’anglais food desert), définis par le ministère en charge de l’agriculture et de l’alimentation aux États-Unis (United States Department of Agriculture, USDA) comme « un secteur de recensement défavorisé (au moins 20 % de la population sous le seuil de pauvreté ou un revenu médian par foyer de 80 % ou moins du revenu médian par foyer du secteur) où une part significative (au moins 33 % de la population ou 500 personnes) des résidents habitent à plus de 1,6 km (1 mile) en milieu urbain, et 16 km (10 miles) en milieu rural, du supermarché le plus proche ». L’USDA propose un atlas interactif des déserts alimentaires aux États-Unis, réalisé dans le cadre de la campagne de lutte contre l’obésité infantile « Let’s Move! » lancée aux États-Unis par Michelle Obama, alors première dame du pays.

Sur les déserts alimentaires aux États-Unis, lire aussi → Stéphanie Baffico, « De "Charm City" à "Farm City" : la reconquête des espaces en déshérence par l’agriculture urbaine à Baltimore », Géoconfluences, 2016.

En milieu urbain, à la difficulté d’accéder à une alimentation saine et abordable s’ajoute parfois dans un même quartier l’omniprésence d’une offre alimentaire peu variée, de faible valeur nutritionnelle et dense en calories : enseignes de restauration rapide, épiceries de proximité, grocery stores et liquor stores etc. On parle alors de « marécages alimentaires » (de l’anglais food swamp) pour désigner les quartiers où il est plus facile de se procurer des aliments ultra-transformés que des produits frais. Les études démontrent que les déserts alimentaires, et plus particulièrement les marécages alimentaires, concentrent les plus hauts indices de masse corporelle du pays (Cooksey-Stowers et al., 2017 ; Gailey & Bruckner, 2019).

Comme indiqué plus haut, déserts (ou marécages) alimentaires, pauvreté et forte prévalence d’obésité vont souvent de pair aux États-Unis. De plus, toujours dans le contexte étatsunien, il est courant que les inégalités sociales recoupent les inégalités raciales. Ces déserts et marécages alimentaires se situent généralement dans les quartiers pauvres en périphérie des grandes villes, où la majorité des habitants sont afro-américains (Hilmers et al., 2012). Une étude (Block et al., 2004) menée à la Nouvelle-Orléans montre par exemple que les quartiers majoritairement afro-américains disposent en moyenne de 2,4 restaurants fast-food par mile carré pour seulement 1,5 fast-food dans les quartiers majoritairement blancs.

Toutefois, des études invitent à considérer le lien entre obésité, pauvreté et offre alimentaire avec prudence, faute d’avoir établi un lien de causalité net entre ces différents phénomènes. Un nombre croissant de travaux de recherche dénonce le caractère réducteur d’une vision qui voudrait faire des déserts alimentaires la principale cause de l’inégale répartition du surpoids et de l’obésité dans le pays. L’offre alimentaire commerciale ne serait qu’un facteur explicatif parmi d’autres dans le cadre de vie des individus : les formes d’habitat, les moyens de transport disponibles, la marchabilité du quartier… mais aussi des éléments plus difficilement mesurables tels que les préférences alimentaires, les normes socio-culturelles ou encore l’attrait ou non pour les tâches culinaires.

 
Encadré 3. L’école, un environnement obésogène ?

Dans le champ des études sur les environnements alimentaires, des travaux s’intéressent particulièrement à l’offre alimentaire présente dans l'enceinte et autour des établissements scolaires, desquels les élèves sont relativement captifs durant la semaine. Aux États-Unis, des études attestent de la concentration de fast-food autour des écoles, particulièrement dans les quartiers les plus modestes (Austin et al., 2005 ; Kwate & Loh, 2010 ; Simon et al., 2008 cités par Chaix, 2014). Souvent, des distributeurs automatiques de boissons et d’aliments sont disponibles à l’intérieur même des écoles. Si les études ne sont pas unanimes à ce sujet, certains travaux attestent néanmoins d’une consommation de snacks et de sodas plus élevée que la moyenne chez les élèves qui fréquentent une école concernée par une offre alimentaire de type fast-food et distributeurs automatiques (ibid.). Récemment, plusieurs États fédérés ont mis en place des politiques de lutte contre la « junk food » dans les établissements scolaires, par exemple New York ou le Texas.

Document 3. Les distributeurs automatiques à l’école
pub coca distributeurs dans les écoles
europe carte des pays autorisant les distributeurs dans les écoles
Certains pays autorisent la présence de distributeurs automatiques de boissons et d’aliments au sein des établissements scolaires. Aux États-Unis, la publicité pour les produits alimentaires est omniprésente dans les établissements scolaires (photographies ci-dessus). En France, les distributeurs automatiques sont interdits depuis 2005, sauf dans l’enseignement supérieur. Cliquez ici pour télécharger la carte avec un fond blanc.
Clichés : Zac Zellers, CC BY et Wolf Law Library, CC BY-NC-ND. Les clichés proviennent de cet article.

La question de l’offre alimentaire disponible dans les écoles et autour concerne la régulation du commerce par la loi. En France, malgré une interdiction des distributeurs de boissons et d’aliments dans les écoles en 2005, l’amendement de 2010 proposant d’interdire l’installation de fast-food à proximité des établissements scolaires a été rejeté (source), alors même qu’une réglementation impose une distance minimale de 50 mètres aux débits de boisson autour des établissements scolaires.

Document 4. Vente alimentaire à emporter à proximité du lycée Monge à Chambéry (Savoie)

vente à emporter autour du lycée monge savoie


 

1.2. En France, des « territoires de l’obésité » entre pauvreté et déprise économique

En France, il existe encore peu de recherches autour de la notion d’environnement obésogène, notamment en raison d'une réglementation plus stricte du commerce par rapport aux États-Unis. Par ailleurs, les méthodes et les questions de recherche autour de l’offre alimentaire aux États-Unis ne sont pas transposables telles quelles au cas français et même européen en raison d’importantes disparités en matière d’organisation de l’espace.

Néanmoins, comme aux États-Unis et dans l’ensemble des pays du monde, la prévalence de surpoids en France concerne davantage les individus des milieux modestes. Selon l’enquête ObEpi de 2012, l’obésité est près de deux fois plus importante dans les catégories sociales les plus défavorisées que chez les cadres supérieurs. Dupuy et al. (2011), dans l’une des rares études consacrées au lien entre environnement urbain et obésité en France, proposent de transposer les études de l’environnement alimentaire nord-américaines à trois terrains de recherche européens situés en France, au Luxembourg et en Allemagne. Les résultats de cette étude remettent en question la transposabilité de certains indicateurs retenus par les études nord-américaines, à savoir l’étalement urbain, la motorisation des habitants et la marchabilité. N’observant pas de relation de causalité entre l’environnement urbain et l’obésité dans les cas européens, Dupuy et al. préfèrent parler de « territoires de l’obésité » plutôt que d’environnements obésogènes. Ces « territoires de l’obésité » font référence à l’inscription historique dans l’espace de facteurs socio-économiques favorable à l’obésité, en l’occurrence la pauvreté, la déprise économique et le déclin urbain. En combinant ces facteurs, ces espaces créeraient un milieu propice à une augmentation de la sédentarité et des pratiques alimentaires obésogènes. Le rôle de l’environnement dans le développement de l’obésité serait donc indirect. Au vu de la rareté des études sur les environnements alimentaires en France, il est néanmoins nécessaire de se garder de généraliser les résultats de cette recherche à l’ensemble du territoire français. En particulier, de récentes études attestent de l’inégale répartition et qualité de l’offre alimentaire en fonction des espaces géographiques. Frouin (2018) et Nikolli (2014) par exemple, démontrent que dans les quartiers politique de la ville, l’offre alimentaire est en général moins variée que dans les quartiers plus aisés. Or la prévalence de surpoids et d’obésité y est souvent plus élevée que la moyenne nationale (Gasparini et Knobe, 2017) De plus, l’offre de restaurants de type fast-food y représente également une part plus importante de l’offre alimentaire (Frouin, 2018). En l'occurrence, le projet de recherche Surfood Foodscape mené dans la région montpelliéraine suggère qu’une forte densité de la restauration rapide dans les 15 minutes de marche autour du foyer serait associée à un risque élevé de surpoids et obésité. Des recherches plus poussées sont nécessaires pour valider l’hypothèse d’une influence de l’environnement alimentaire commercial sur l’indice de masse corporel des habitants et habitantes. Par ailleurs, le récent essor de la commande alimentaire en ligne entraîne une reconfiguration de l’environnement alimentaire, avec des conséquences potentiellement nouvelles sur les pratiques alimentaires des individus.

Pour évaluer le caractère potentiellement obésogène d’un environnement, s’intéresser à la seule question de l’offre alimentaire disponible ne suffit pas. Des influences sociales plus larges ont également un impact sur nos pratiques alimentaires, en particulier le marketing, l’environnement médiatique et les politiques alimentaires et agricoles.

 

2. Le marketing alimentaire : une responsabilité de plus en plus reconnue dans l’augmentation du surpoids

L’ensemble des stratégies marketing destinées à influencer le choix des consommateurs et consommatrices fait partie intégrante de notre environnement alimentaire : publicité, emballages, image de la marque, prix, lieu de vente du produit, etc. Selon de nombreuses études, le marketing serait un des facteurs majeurs de l’augmentation du surpoids à l’échelle planétaire. En effet, la promotion de produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle et bon marché contribue au développement d’un environnement obésogène face auquel les populations les plus modestes sont aussi les plus vulnérables en raison d’un moindre capital culturel et économique. Dès lors, un nombre croissant d’instances de santé publique enjoignent les gouvernements à prendre des mesures contraignantes pour réguler le marketing alimentaire : taxation des produits les moins sains, limitation de la publicité, amélioration de l’étiquetage nutritionnel etc. C’est notamment le cas de l’OMS qui incite dès 2010 ses États membres à encadrer le marketing alimentaire à destination des jeunes et qui renouvelle cet appel dans son Projet de plan d’action pour la lutte contre les maladies non transmissibles 2013-2020 (source).

Toutefois, bien que de nombreux gouvernements prennent des mesures croissantes dans ce sens, la tendance générale reste à la faible régulation du marketing et à la prédominance des intérêts commerciaux des industries agro-alimentaires. 

2.1. Des mesures de régulation encore limitées en France et aux États-Unis. L’exemple de la publicité

L’influence du marketing est si forte qu’il est désormais reconnu que le marketing alimentaire a plus d’influence sur les comportements alimentaires des individus que les campagnes sanitaires des politiques de santé publique, tout du moins en France (INSERM, 2014). C'est d'autant plus problématique que les aliments qui font le plus l’objet de promotion marketing sont des produits ultra-transformés à faible valeur nutritionnelle et hautement caloriques (Nestle, 2006). À l’inverse, il n’existe pas ou presque de marketing pour les fruits et légumes (ibid.).

Document 5. Investissements publicitaires dans les produits alimentaires (2018)

Graphique part de la publicité dépensée pour les produits trop gras, sucrés salés

Lecture : La restauration rapide est le premier secteur en matière d’investissement publicitaire avec 473 millions d’euros investis en 2018, soit 13 % du total de l’argent investi dans les publicités alimentaires. Par comparaison, les fruits et légumes frais ne représentent que 64 millions d’euros soit 2 % du total. Source : Santé Publique France, 2020 (données 2018).

 

Les enfants et les adolescents sont particulièrement visés par ce type de marketing, devenu omniprésent avec la multiplication des outils médiatiques : télévision, écrans de publicité dans les lieux publics, placement de produit et de marque dans les films, jeux vidéo (notamment les « advergames », les jeux publicitaires) et sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Snapchat, TikTok, etc.) (Friand-Perrot, 2018). De nombreuses études attestent du fait que plus les jeunes sont exposés à des publicités pour des fast-food, des snacks sucrés et des sodas, plus ils sont susceptibles d’en consommer et d’être concernés par le surpoids et l’obésité (Andreyeva et al., 2011 ; Lesser et al., 2013 ; Scully et al., 2012). L’exposition aux écrans et donc à la publicité varie selon le milieu social, les adolescents des milieux modestes regardant en moyenne davantage la télévision que les adolescents de milieu aisé (Ngantcha et al., 2016), et ce avec une moindre surveillance parentale. Des études menées aux États-Unis (Andreyeva et al., 2011 ; Mchiza, 2017) montrent que de nombreuses publicités pour des aliments ultra-transformés, riches en gras, sucre et sel ainsi que pour les chaînes de fast-food s’adressent directement aux populations les plus pauvres et les moins éduquées, en particulier les minorités afro-américaines et hispaniques.

C’est pourquoi de nombreux gouvernements ont d’ores et déjà mis en place des législations destinées à limiter la publicité d’aliments jugés peu sains adressées aux enfants et aux adolescents. En 2007, le Royaume-Uni est le premier pays au monde à limiter la présence sur les écrans télévisés des publicités pour les produits gras, sucrés et salés adressées au jeune public. La France, elle, interdit la publicité à la télévision après 20 heures et entre les programmes destinés prioritairement aux moins de 12 ans. En France toujours, l’unique mesure réglementaire limitant la publicité alimentaire consiste depuis 2007 à obliger les publicités de boissons sucrées et de produits alimentaires manufacturés à inclure une « information à caractère sanitaire » (par exemple : « Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés et sucrés »). Toutefois, les annonceurs peuvent déroger à cette obligation moyennant une contribution financière à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (source Légifrance). Il en va de même aux États-Unis où aucune mesure réglementaire ne contraint légalement les industries agro-alimentaires dans leurs pratiques publicitaires visant les jeunes.

2.2. L’exemple des emballages alimentaires

Cette réticence des gouvernements français et étatsunien à réguler la publicité se retrouve également au sujet des étiquetages alimentaires, autre élément clé du marketing alimentaire. L’étiquetage alimentaire a pour objectif d’informer les consommateurs et consommatrices sur plusieurs points du produit alimentaire concerné : l’origine, le nombre de calories, la liste des ingrédients, la déclaration nutritionnelle etc. Si des études montrent la relative influence de l’information nutritionnelle sur les choix alimentaires des individus à elle seule, elle n’en reste pas moins un outil intéressant de lutte contre les environnements obésogènes quand elle est complétée par d’autres mesures contraignantes telle que la taxation et l’interdiction de vente de certains aliments peu sains (Mayne et al., 2015). C’est la stratégie adoptée par plusieurs pays d’Amérique latine dont le Chili qui, depuis 2016, fait figure de pionnier en la matière (encadré 4).

En France et aux États-Unis en revanche, aucune loi ambitieuse ne contraint les industriels à inclure une information nutritionnelle claire sur les emballages. En France, malgré de nombreuses propositions d’amendement visant à modifier les lois, l’Assemblée nationale a refusé de rendre obligatoire le Nutri-score sur les emballages, un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux allant de A à E permettant d’évaluer la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire, ainsi que l’interdiction des messages publicitaires adressés aux enfants en faveur des produits peu sains (Le Monde, 2018).

En revanche, la France a mis en place un système de taxation des boissons sucrées qui a eu des effets positifs sur la consommation, bien que modestes. Dans le cadre du Plan Obésité de 2010, le gouvernement a adopté en 2012 la « taxe soda » visant à augmenter le prix des boissons sucrées dans le but de dissuader les consommateurs. On a observé début 2013 une baisse des ventes de sodas sucrés gazeux de 4 % (source).

 
Encadré 4. Le Chili, un exemple de réglementation volontariste contre les produits « riches en… »
Document 6. Un étiquetage alimentaire contraignant

avertissements sur les emballages alimentaires au Chili

La loi chilienne sur l’étiquetage et la publicité alimentaire oblige la mention des logos « riche en sucre », « riche en sel », « riche en graisses saturées » ou encore « riche en calories » sur les produits concernés. Source de l’image : ministère de la Santé du Chili, repris dans FAO (2017).

La loi sur l’étiquetage et la publicité alimentaire (Ley de Etiquetado y Publicidad de Alimentos) entrée en vigueur en 2016 au Chili est l’une des plus ambitieuses du monde en matière de régulation du marketing alimentaire. Elle se décline en trois principaux points :

  • obligation pour les industriels d’appliquer les logos « riche en sucre », « riche en sel », , « riche en graisses saturées » ou encore « riche en calories » sur les produits alimentaires concernés ;
  • restriction de la publicité pour les produits « riches en » aux enfants de moins de 14 ans ;
  • interdiction de la vente de produits « riches en » dans les établissements scolaires.

Depuis la mise en place de cette loi en 2016, la consommation de boissons sucrées a diminué de 25 %.

Sources

 

2.3. Le rôle des politiques alimentaires et agricoles

L’offre alimentaire commerciale qui nous entoure au quotidien est en partie structurée par les politiques alimentaires et agricoles (document 2) qui ont encouragé la production de produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle mais à forte valeur ajoutée pour les industries agro-alimentaires.

À l’échelle des marchés alimentaires mondiaux, les politiques alimentaires et agricoles influencent indirectement les habitudes alimentaires en guidant les types de productions agricoles et le prix des denrées alimentaires. Aux États-Unis par exemple, le prix des fruits et légumes a augmenté bien plus rapidement ces trente dernières années que n’importe quel autre type d’aliment (source). Dans le même temps, le sucre, les céréales et les huiles végétales sont devenues de moins en moins chères. Or, il s’agit des principaux aliments qui composent les produits ultra-transformés peu sains accusés de contribuer à l’épidémie d’obésité dans le monde (ibid.). C’est le paradoxe que met en évidence la chercheuse Marion Nestle (Stewart, 2006) : alors que les politiques de santé publique aux États-Unis encouragent la consommation de fruits et légumes, les productions agricoles les plus subventionnées concernent le soja (dont l’huile entre dans la composition de nombreux produits ultra-transformés) et le maïs (à partir duquel est produit un édulcorant puissant et bon marché).

Dans l’Union européenne, la Politique agricole commune (PAC) a longtemps été accusée de favoriser les plus grosses exploitations, qui sont aussi souvent les plus liées au secteur agro-industriel. Les récentes évolutions de la PAC ont orienté les aides de façon à favoriser une agriculture plus durable (par exemple en soutenant à l’agriculture biologique et l'installation des jeunes agriculteurs) mais sans distinguer les productions entre elles en fonction de leur intérêt nutritionnel.

À l’échelle internationale, les instances consultatives recommandent instamment aux gouvernements de prendre des mesures en faveur de politiques alimentaires et agricoles plus favorables à la santé. En 2011, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations Unis Olivier De Schutter (source) expose plusieurs recommandations pour améliorer les environnements alimentaires, au nombre desquelles la taxation des aliments et boissons peu saines, la restriction du marketing alimentaire et la subvention de productions agricoles en accord avec la santé humaine.

Ces mesures sont certes délicates à mettre en place car elles cristallisent de forts enjeux économiques, mais elles constituent les stratégies les plus efficaces pour lutter contre l’obésité à l’échelle mondiale.

 

3. Un environnement socio-culturel plus ou moins favorable au développement du surpoids et de l’obésité : une question de capital culturel ?

Pour autant, ni le lieu de vie, ni l’environnement marketing, ni les politiques alimentaires en vigueur ne constituent des déterminants absolus des pratiques alimentaires. Pour comprendre finement ce qui motive les individus dans leurs choix alimentaires, il est également nécessaire d’étudier l’environnement social (encadré 2) dans lequel ils évoluent. De celui-ci dépendent en partie nos représentations autour de l’alimentation, nos connaissances et savoir-faire, nos préférences et nos pratiques. Il constitue, en somme, une forme de capital culturel alimentaire. Des études menées en sciences sociales démontrent que face à une même offre alimentaire, tous les groupes sociaux n’ont pas les mêmes pratiques de consommation et ce pour plusieurs raisons. Selon la grille de lecture bourdieusienne de la distinction sociale, (Bourdieu, 1979), il existe des « goûts de classe » (Grignon & Grignon, 1980) qui structurent la manière dont différents groupes sociaux se représentent ce qu’est une « bonne alimentation ». Par exemple, Régnier (2011) examine la perception des recommandations nutritionnelles qu'ont des ménages modestes français. Elle observe qu'ils ont une plus grande distance face aux messages de santé que les ménages les plus aisés. En particulier, les personnes de milieu modeste interrogées dans cette enquête valorisent beaucoup moins les légumes que les ménages aisés, non seulement en raison de leur coût élevé mais également à cause de l’image d’aliment peu nourrissant qu’ils en ont. À cela s’ajoute la satisfaction de pouvoir participer à la société de consommation en accédant aux produits de l’industrie agro-alimentaire, revanche sur d’éventuels manques et frustrations antérieurs (ibid.). La perception de ce qu’est une corpulence jugée normale et conforme aux canons de beauté varie également selon les milieux sociaux, le souci de la minceur étant davantage le fait des milieux sociaux aisés (Régnier & Masullo, 2009). Pour Jessica et Allison Hayes-Conroy (2013), la question de la motivation à adopter telle ou telle habitude alimentaire, qui est socialement reproduite, doit être considérée comme aussi déterminante dans les choix alimentaires que l’accès financier et géographique à l’alimentation.

Ainsi, il ne suffit pas d’agir sur l’offre alimentaire au sens large (disponibilité des aliments, marketing, politiques agricoles et alimentaires) pour favoriser des pratiques alimentaires plus favorables à la santé. Une politique de santé publique visant à améliorer l’alimentation de toutes et tous devrait prendre en compte les contraintes, les pratiques et les représentations de l’alimentation des catégories les plus modestes de la population (Régnier, 2011), qui sont les premières touchées par le surpoids.

 

Conclusion

Cet article illustre la complexité des facteurs environnementaux qui favorisent le surpoids et l’obésité, qu’ils agissent à l’échelle du milieu de vie, des relations sociales ou des politiques et stratégies économiques des gouvernements et des entreprises.

Les études sur les environnements obésogènes sont en constante évolution et mettent de plus en plus en avant le rôle de facteurs encore peu connus dans le surpoids et l’obésité tels que le stress, les gènes ou la pollution atmosphérique. Quoi qu’il en soit, lutter contre l’obésité en transformant les environnements alimentaires ne saurait se réduire à la mise en place d’outils « magiques ». Cela requiert au contraire des actions multisectorielles : évolution de l’urbanisme, régulation du marketing, subvention de productions agricoles cohérentes avec les recommandations de santé, sans oublier le rôle de l’éducation à l’alimentation. Cette dernière permet non seulement de diversifier les préférences, les connaissances et les savoir-faire des individus autour de l’alimentation, mais elle a également le pouvoir de les accompagner dans une meilleure compréhension de leur environnement alimentaire, afin de leur donner les capacités d’agir sur celui-ci.

Pour finir, il est important de souligner que les études autour des environnements obésogènes concernent pour le moment essentiellement les milieux urbains des pays dits développés car la prévalence de l’obésité y est historiquement plus élevée. Toutefois, au vu de la rapide croissance du surpoids dans les espaces ruraux ainsi que dans les pays en développement, il est nécessaire d’approfondir les recherches pour permettre de caractériser plus finement la diversité des environnements obésogènes.

 

 

Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : alimentationdéserts alimentaires | épidémie | environnement alimentaire | marchabilité | obésité | Organisation mondiale de la santé (OMS) | prévalence

 

Ce travail a bénéficié de l'aide de l'État gérée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d'Investissements d'avenir portant la référence ANR-17-CONV-0004.

 

Alexandra PECH
Doctorante en géographie, ENS de Lyon, UMR 5600 EVS Environnement Ville Société, École urbaine de Lyon.

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Alexandra Pech, « Quand notre environnement nous rend obèses : comment l’environnement influence-t-il nos pratiques alimentaires ? », Géoconfluences, mai 2021.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-de-la-sante-espaces-et-societes/articles-scientifiques/obesite

Pour citer cet article :  

Alexandra Pech, « Quand notre environnement nous rend obèses : comment l’environnement influence-t-il nos pratiques alimentaires ? », Géoconfluences, mai 2021.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-de-la-sante-espaces-et-societes/articles-scientifiques/obesite