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Les paysages thérapeutiques de deux maternités à Paris et en petite couronne

Publié le 06/04/2021
Auteur(s) : Clélia Gasquet-Blanchard, maîtresse de conférences en géographie - département SHS, EHESP, UMR CNRS ESO, Laboratoire Rennes 2
Alain Vaguet, maître de conférences en géographie - université de Rouen
Véronique Lucas-Gabrielli, directrice de recherche - Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES)
Bruno Renevier - service de gynécologie obstétrique, CHI André Grégoire, Montreuil
Élie Azria, professeur agrégé - université de Paris

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L'article mobilise le concept de paysages thérapeutiques, pour étudier l’agencement des lieux dans deux maternités et leur appropriation par les professionnels de santé et les patientes. Si l’engagement des soignants se retrouve sur les deux sites, le bassin de population, le management et la mission de ces établissements diffèrent. Le soin ne peut être identique voire équitable selon les locaux, leur agencement et les symboles qu’ils portent.

Bibliographie | citer cet article

Introduction. Positionnement théorique en géographie : appréhender les lieux comme espace de situation et d’interaction

Beaucoup de disciplines de sciences humaines et sociales, comme la sociologie, l’anthropologie, l’histoire et la géographie, ont proposé des lectures des lieux des soins. L’histoire et la géographie des hôpitaux (Labasse, 1980) traitent de l’évolution de l’architecture hospitalière au fil du temps et des conséquences des diverses options choisies sur les usagers et les professionnels de santé. Si l’étude des lieux s’est longtemps focalisée à une autre échelle sur la distribution spatiale de l’offre de soins, les perspectives de la géographie humaniste contemporaine s’intéressent au sens subjectif des lieux (« Quel sens j’attribue à cet hôpital ? Un sentiment de crainte, de confiance ? »). On peut considérer dans cette perspective qu’il n’est de lieux que lorsqu’il se produit une relation sociale, une rencontre entre des personnes. C’est la raison pour laquelle certains chercheurs ont défini les non-lieux (Augé, 1992) comme suscitant plus de croisements (aéroports, hypermarchés…) que de rencontres. Dans ce contexte, l’hôpital est-il un non-lieu ?

Les observations des sciences sociales à une échelle fine semblent plus rares (Granier, 2002, Vaguet et al., 2012). Elles sont pourtant nécessaires : elles permettent de prendre en considération des enjeux de perception, d’utilisation et de qualité des soins, de repérer la structuration du lieu et par là, de renseigner les espaces de pratiques des professionnels et patients.

Les recherches sur l’« humanisation » des soins à l’hôpital témoignent ainsi d’expériences d’amélioration, dont les plus répandues se traduisent souvent par une dimension matérielle du bâti (Briand, Pary, 2011). Pourtant la dimension relationnelle avec les soignants, ainsi que l’usage des lieux est primordiale dans le processus de guérison du patient. Pour Gesler et al. (2004) « la valeur thérapeutique d’un lieu de soins serait liée à la combinaison de ses dimensions physique, sociale et symbolique » . C’est dans cette optique que l’on envisage de traiter la comparaison des deux maternités visitées. Pour ce faire, nous utilisons le concept de paysage thérapeutique (document 1) en déclinant ses trois composantes. 

Document 1. Le paysage thérapeutique (ou environnement thérapeutique) hospitalier
vaguet et al. environnement thérapeutique

« Les trois composantes des paysages thérapeutiques s'ajoutent pour contribuer à caractériser ce qui constitue le bien-être dans un environnement thérapeutique : les éléments physiques, sociaux et symboliques. Ensemble qui participe à l’efficacité des soins, au bien-être du patient et à son intégration ». Cet environnement prend au sein d’un triptyque environnemental, différents sens tantôt symbolique (selon une signalétique plus ou moins travaillée et faisant référence à différents imaginaires), tantôt social (dans la relation de soin, d’équipe), tantôt physique (et en capacité de proposer des usages autres que le soin ou le travail)…

Source : Gesler (2002), Vaguet, Petit, Lefebvre (2012).

La géographie anglophone a produit de nombreux travaux sur la santé en prenant comme entrée les lieux de santé (Gesler & Kearns, 2002) et en leur donnant une portée générale qui interroge la place de l’identité, de l’expérience humaine, du corps, de l’environnement, de la culture. C’est ainsi que des lieux qui ont la réputation de soigner, d’agir sur la santé, de guérir (Lourdes, Bath, Épidaure…) ont été documentés par des chercheurs qui ont mis en avant le concept de « paysage thérapeutique », (Hoyez, Gasquet-Blanchard, 2019). Au-delà de cette première étape, beaucoup de travaux interrogent désormais les lieux de soins, en se demandant s’ils sont également lieux de santé : l’architecture d’un espace de soins peut-elle prétendre avoir une dimension thérapeutique, voire améliorer la qualité des soins, la qualité de vie des personnes malades fréquentant ces lieux ? Des éléments de paysages ont été pris en considération (vue sur la nature, ouverture sur la ville, amélioration de l’éclairage, des couleurs, du repérage) au fil des programmes de construction ou de rénovation récents. Malgré leur intérêt, ces améliorations se focalisent surtout sur les aspects physiques des bâtiments et ne règlent pas les difficultés rencontrées par les personnes soignantes dans leur exercice professionnel et les patients et patientes dans leur recours aux soins. Or, les lieux de soins fonctionnent mieux si une congruence harmonieuse s’établit entre le bâti et ses habitants et visiteurs (personnel lié aux soins, administratif, personnes malades, accompagnants).

En mettant en regard et en replaçant dans leurs contextes sociohistoriques deux maternités visitées en 2018, la maternité du Groupe Hospitalier Saint-Joseph et celle du Centre hospitalier intercommunal de Montreuil, nous identifions certaines spécificités d’interactions qui y existent en précisant sur quels symboles reposent les pratiques des patientes, de leurs accompagnants et des soignants et en quoi ces derniers participent à la différenciation sociale dans les rapports aux lieux.

 
Encadré 1. Méthodologie de l’article

Cet article fait suite à deux visites commentées et collectives organisées, l’une fin 2018, l’autre début 2019, par une chercheuse sollicitée par la commission santé du Comité National Français de Géographie (CNFG), en vue d’ouvrir ses « terrains » de recherche parisiens à la réflexion collective. Ces ateliers ont été conduits essentiellement par un groupe de géographes travaillant sur les thématiques sanitaires. L’objectif de la commission santé du CNFG était de structurer une dynamique collective de réflexion scientifique articulant vécu collectif empirique et théorisation autour de notions usitées en géographie de la santé. Les visites se sont déroulées sur une demi-journée. Elles ont commencé avec l’accueil des universitaires par l’équipe de la maternité et la présentation de celle-ci, et se sont poursuivies par une visite des locaux commentée par un ou une professionnel de santé (le chef de service à la maternité de Montreuil, la cadre de pôle à la maternité de Saint-Joseph) ainsi que la rencontre avec les professionnels de santé des différents services. En raison des temporalités de ce terrain particulier (collectif et très court), nous avons pris le parti de nous situer uniquement du point de vue des professionnels de santé et de ne pas axer notre propos sur les patientes et usagères de ces services. L’analyse et le propos se centrent volontairement et subjectivement sur le ressenti des chercheurs durant la visite, les verbatims des visites commentées par les équipes soignantes et leur analyse, puis des échanges entre chercheurs et professionnels ayant eu lieu durant les discussions issues des restitutions. Cette méthodologie peu orthodoxe, se rapproche de « focus group in situ » et a nécessité des échanges de points de vue et ajustements nombreux pour l’écriture de l’article.

Bien que l’objectif poursuivi n’ait pas été de lancer une recherche systématique, ces visites ont été enregistrées, retranscrites intégralement et analysées individuellement par les géographes puis ces éléments ont été croisés et discutés entre les scientifiques pour produire une trame d’analyse. Dans un but de diffusion et échange des connaissances, les éléments d’observations ont été retravaillés et mis en lien avec la littérature scientifique sur le sujet et recontextualisées pour chacune de ces structures.

Ce travail a été délivré lors de deux réunions de restitutions de ces visites en avril et juin 2019 (comportant un temps de présentation puis un temps d’échange collectif avec les professionnels des services concernés) en vue de mettre en discussion les éléments présentés. Ces restitutions ont pris notamment la forme d'un séminaire ouvert à l’ensemble du service dans la maternité du CHIM (Centre hospitalier intercommunal de Montreuil).

Nous avions la même présentation pour les deux services. Les débats issus de ces présentations ont participé à alimenter la réflexion développée dans cet article, ainsi que les allers-retours entre les universitaires et professionnels de santé, durant l’écriture de cet article. De façon symptomatique, on a remarqué qu’ils ont assez systématiquement porté sur les paysages thérapeutiques différenciés entre structures du secteur public ou privé ((La distinction entre public et privé peut être présentée dans le texte en raison des statuts différenciés de ces maternités (ESPIC – établissement de santé privé d’intérêt collectif – pour la maternité de Saint-Joseph et maternité d’un centre hospitalier intercommunal public à Montreuil) et la manière dont cet élément de distinction peut faire sens pour les équipes, particulièrement celles de la maternité publique ou ceux ayant travaillé préalablement au sein du service public.)), une des particularités du système de santé français, que nous discuterons au fil de l’article.


 

Notre objectif consistait à nous interroger plus particulièrement sur l’agencement des lieux de soins et leur appropriation par les professionnels dans le contexte spécifique de la prise en charge de la grossesse en maternité. Mais ces maternités se situant et s’inscrivant dans des territoires, quelles relations à l’espace pouvait-on observer dans la pratique des lieux ?

1. La maternité comme paysage thérapeutique

Cette partie reprend les trois dimensions du paysage thérapeutique : environnement physique, engagement des équipes soignantes et environnement symbolique, pour comparer les deux maternités étudiées.

1.1. L’environnement physique entre sobriété et fonctionnalité à Montreuil et chaleur d’un accueil architecturalement travaillé à Saint-Joseph.

La première composante du paysage thérapeutique qui peut être évoquée est l’environnement physique. « Il concerne ce qui semble le plus simple à mesurer et à caractériser par les cinq sens du chercheur, particulièrement son sens visuel : surfaces, luminosité, propreté, vue sur la nature... mais aussi de tous les autres éléments permettant la caractérisation du site ou du service (accessibilité, relégation, centralité...) » (Vaguet, Petit, Lefebvre 2012). De ce point de vue, si les deux bâtiments visités sont récents, clairs, la signalétique est plus classique et sobre à Montreuil. Dans l’ensemble, la dimension physique, sur le versant hôtelier, donne un avantage certain à des établissements comme Saint-Joseph, comparativement à la plus stricte frugalité du site de Montreuil, orienté vers la seule fonction socio-médicale. On le remarque dès l’entrée à Montreuil, par le versant administratif (prise de ticket immédiat photographie 7) quand on entre par l’entrée principale de l’hôpital, le positionnement face à l’entrée du secrétariat (photographie 9), grande largeur des couloirs (photographie 10), participent à une entrée fonctionnelle dans les lieux. L’entrée propre de la maternité (photographie 11) à l’arrière de l’hôpital, s’orne de sculptures qui illustrent la diversité des femmes y accouchant.

Photographies 1 à 3. Fonctionnalités des lieux de soins de l’hôpital public

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Photographie 4. L’entrée de la maternité de Montreuil : symbole de diversité

photographies d'une maternité

Source : compte twitter « EDH Promotion Louis Lareng (2020-2021) », consulté le 7 juillet 2020.

 
Photographies 5 et 6. Sobriété de l’affichage à l’hôpital public

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité
Photographies 7 et 8. Un affichage coloré, floral permettant l’appropriation par les soignants des postes de soins 

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Cette fonctionnalité sobre s’oppose à l’affichage, plus chaleureux et travaillé, observé à Saint-Joseph. On peut y remarquer des éléments reliés à la nature (photographie 7) ou se référant à l’idée de bien-être à destination des patientes et, de fait, des soignants. Cette initiative, amorcée par la direction de la communication du poste de soins, peut être réappropriée, comme l’illustre la décoration par les professionnels de santé (photographie 8). Cela participe à la création d’un environnement offrant la possibilité pour les soignants d’investir collectivement et personnellement cet espace.

Photographie 9 à 12. L’aménagement des chambres

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Fauteuil d’allaitement/d’accompagnant à Saint-Joseph.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Chambre avec vue sur la tour Eiffel à Saint-Joseph.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Boiseries dans l’espace nurserie à Saint-Joseph. 

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Chambre hospitalière standard à Montreuil.

Les chambres de Saint-Joseph sont emblématiques d’un bâtiment et d’un mobilier pensés en vue du bien-être des patientes et de leur conjoint (avec par exemple une chauffeuse dépliante pour un repos, utile après la nuit de l’accouchement…). Les clichés 9 à 12 montrent une chambre, à la vue agréable, au fauteuil dans lesquels les accompagnants peuvent être confortablement installés, et au cadre de décoration soigné. Ce type de chambre s’oppose une fois encore à la frugalité de la chambre de la maternité de Montreuil (photographie 12), qui révèle une fonctionnalité brute, dépourvue de toute personnalisation, au fauteuil d’appoint partiellement inclinable, et à la blancheur d’une chambre toute hospitalière.

Photographies 13 et 14. Salles (et modalités) d’attente à Montreuil (13) et à Saint-Joseph (14)

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Dans la continuité du confort des chambres ou de l’accueil, et de la clarté de l’affichage, les espaces dédiés à l’attente renseignent également sur la facilité de l’appropriation des lieux. À Montreuil, la salle d’attente permet plus difficilement une attente confortable et détendue en raison de son austérité et de son aspect basique. Le mobilier sobre en bois est moins accueillant qu’à Saint-Joseph. Lors de notre visite, les femmes qui attendent sur ces chaises ne retirent pas leur manteau. De plus, l’affichage multiple, bien que signe de la mission assumée de cet hôpital de contribuer aux campagnes de prévention, ne reste que peu visible selon la place où l’on se trouve, en même temps qu’il s’impose à la vue des patientes.

À l’inverse, à Saint-Joseph, l’espace d’attente est pensé pour que l’on puisse s’y projeter, s’y installer : l’espace est ouvert sur l’extérieur, les banquettes confortables invitent à poser ses affaires, un mobilier adapté aux petits est présent pour faciliter l’attente, l’accès à l’information peut être choisi par la femme si elle souhaite accéder aux prospectus disposés le long de la fenêtre.

S’opposent ici deux tendances qui révèlent des types d’approches de prise en charge différenciées des patientes, l’une (Montreuil) propose une pluralité d’information en amont de la consultation, quand l’autre (Saint-Joseph) démédicalise l’espace d’attente. La mise en comparaison de ces aspects de l’environnement physique de ces maternités renseigne sur une prise en considération en amont, par les services de communication, de direction, d’aménagement des lieux et des espaces, d’une politique différenciée à l’égard du public accueilli, mais également peut-être des types de modèles financiers et d’arbitrages de ces deux établissements.

L’existence d’une fondation du groupe hospitalier Saint-Joseph permet la collecte de dons en parallèle des recettes générées par l’activité hospitalière (recette de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie) et des subventions de l’Agence Régionale de Santé. À Montreuil, le Centre hospitalier intercommunal a reçu des aides de l’Agence régionale de Santé Île-de-France, notamment durant une période de difficulté entre 2012 et 2014 à la suite d’un placement sous administration provisoire en raison d’un déclin important d’activité. Cette situation est aujourd’hui résolue.

Il semble important d’évoquer dans un second temps l’environnement social comme espace de négociation.

1.2. L’environnement social, enjeu de négociation autour de bâtiments neufs

Concernant la dimension de l'environnement social, comme élément de l’espace thérapeutique, on entend celui-ci comme se rattachant pour « beaucoup au biopouvoir ((Le biopouvoir est utilisé ici, comme concept défini et entendu au sens où l’emploie Michel Foucault, et issu du concept de biopolitique participant à définir comment les individus, leur état de santé et de manière plus générale leur santé, peuvent être au centre d’enjeux de luttes politiques et de stratégies économiques et alors utilisés à des fins capitalistiques et néolibérales.)) mis en avant par Michel Foucault (1975) dans ses travaux. Ceci demande une approche plus qualitative, comme par exemple des sessions de discussion engageant des soignants, des soignés ou leur entourage, pour qualifier les nuances entre ce qui relève de la sécurité pour les uns et de la surveillance pour les autres » (Vaguet, Petit, Lefebvre 2012). Plusieurs questions ont dû nécessairement être résolues lors des constructions de ces deux maternités : Faut-il pouvoir observer les patients en permanence ou leur laisser un espace d’intimité ? Ouvrir les espaces collectifs, pour faciliter les rencontres ou élargir les espaces privés pour faciliter le sentiment d’intimité ? La somme de ces options construit un paysage social, déjà appréhendé dans les éléments énoncés concernant l’environnement physique et qui peuvent être discutés en profondeur dans cette section, notamment au regard des échanges lors des restitutions que nous avons eues avec les équipes.

Au sein de la maternité Saint-Joseph, les discours corroborent les observations que nous avons pu faire lors de la visite. Les équipes décrivent une ambiance agréable de travail, associée à une appropriation possible de l’environnement professionnel par les équipes, en raison de la prise en considération d’éléments d’organisation du travail soignant (existence d’un système de pneumatiques ((Le système de pneumatiques permet grâce à un réseau de tuyaux dans l’ensemble du bâtiment d’envoyer et de recevoir dans des cartouches sécurisées et répondant aux normes d’hygiène, des messages, prélèvements, etc.)) par exemple), mais aussi d’un aménagement au fil du temps du bâtiment, ouvert en 2009. Celui-ci est clair (les baies vitrées sont très appréciées, même si les volets électriques, extrêmement bruyants, sont très critiqués), ouvert avec de nombreux espaces d’attentes. Les discours dénotent un sentiment d’optimisation du potentiel technique d’un bâtiment à taille humaine. Les conditions de travail sont décrites comme bonnes, les unités de soins comme bien conçues. Ces aménagements et ajustements au fil de l’eau du bâtiment montrent un investissement institutionnel, de la direction et des services administratifs qui permettent un dialogue avec les équipes soignantes et participent à un bon investissement des lieux par l’ensemble des professionnels.

Dans la maternité de Montreuil, dont le nouveau bâtiment émerge en 2012, l’un des premiers éléments qui nous est présenté est la création, dans les anciens locaux de la maternité, d’une crèche d’entreprise avec 40 places pour le personnel de la structure et 10 places municipales. Cet élément participe à la satisfaction de l’équipe et rappelle les enjeux initiaux de la création de cet hôpital intercommunal et sa vocation également municipale inscrite dans un bassin de population et avec un objectif d’ouverture de l’hôpital vers la ville. En revanche, l’espace prévu pour les chambres de garde dans le projet initial a été affecté à un autre service, sans que des solutions alternatives satisfaisantes soient proposées dans le nouveau bâtiment. Cette situation interroge la prise en considération du travail soignant qui implique une organisation complexe des équipes autour des espaces dédiés au repos durant la garde (replis vers des espaces tiers, des chambres dédiées aux patientes, ou des lits d’appoints dans les bureaux…). Elle témoigne vraisemblablement d’une absence de soutien de la direction administrative, illustrant peut-être des techniques de management moins soucieuses des conditions de travail des employés.

Que ce soit dans l’une ou l’autre des maternités visitées, l’organisation de l’espace nous renseigne sur la manière dont peut être conceptualisé l’hôpital comme lieu de bien-être et de soins pour les patients mais également pour les professionnels de santé.

La communication, notamment en vue de la promotion des deux maternités (quasi inexistante pour Montreuil et plutôt bien développée pour Saint-Joseph, sur son site internet notamment : plans, photographies, visite de la maternité en vidéo), nous renseigne également sur les stratégies différenciées pour attirer et entretenir une patientèle différente. 

Photographies 15 à 17. L’affichage (clinique Saint-Joseph)

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Les posters affichés dans l’espace des différentes salles de naissance montrent un lien qui se veut rassurant entre science et intimité des patientes, en vue d’un décloisonnement du pouvoir médical et des hiérarchies au sein du service de la maternité de Saint-Joseph. Cette vulgarisation scientifique indique une réflexion de l’équipe de la maternité sur des sujets « connexes » qui importent aux femmes, et sont liés à leurs représentations, et à certaines idées reçues autour de l’accouchement : naît-on plus le jour, la nuit ? Une nuit de pleine lune ? Sous quelle étoile ? Cet affichage, scientifiquement décalé, présentant de manière détournée l’équipe soignante, participe à structurer un travail d’équipe et l’interaction avec la patiente.

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Comme l’illustrent les posters affichés à l’entrée de la salle de naissance de Saint-Joseph, « les projections identitaires conduisent à des attentes spécifiques sur l’organisation des lieux et interrogent également sur l’image renvoyée par ces lieux » (Larceneux, 2011). Ces affichages renseignent sur l’exercice de décloisonnement des relations entre l’équipe soignante et les personnes soignées et sur les relations hiérarchiques au sein du service. 

Si nous ne retrouvons pas d’affichage de ce type à Montreuil, cela ne signifie pas nécessairement une persistance des hiérarchies médicales au sein de l’équipe car l’ambiance de travail qui règne est décrite comme conviviale, bienveillante et non descendante. Cette ambiance renseigne davantage sur la nécessité ressentie de structurer le service autour d’un projet collectif, vraisemblablement implicite pour les professionnels qui travaillent dans le service public ou sur la mise en place d’actions envers un public en situation de précarité ? En ce sens il relèverait du troisième versant de l’espace thérapeutique : l’environnement symbolique.

1.3. Environnement symbolique et engagement soignant

L’environnement symbolique constitue, lui aussi, un point central de l’environnement thérapeutique. Il nécessite de passer du design à l'écoute de l'expérience du design, en allant vers les usagers des espaces (Vaguet, Petit, Lefebvre 2012). En géographie de la santé, ce domaine a surtout été renseigné dans les hôpitaux psychiatriques (Curtis 2007, 2011). Les attributs symboliques sont toujours décrits comme importants dans la littérature : la présence d’un mobilier personnel (personnalisé, personnalisable) pour se sentir chez soi, la possibilité de rencontrer le sexe opposé, ou au contraire la volonté de rester entre femmes ou entre hommes, sont autant d’éléments qui participent à cet environnement, comme la mise à disposition d'espaces de culte, la manière de s'exprimer du personnel, la possibilité de le comprendre aisément etc., L’ensemble de ces éléments concernent cette dimension symbolique.

On retrouve dans le discours de l’équipe de Montreuil un vocabulaire guerrier (bataille, lutte), reprit également par le personnel de Saint-Joseph ayant par le passé travaillé dans le service public hospitalier. Comme l’évoque une sage-femme parlant de son passage à l’APHP ((L'APHP (ou Assistance publique – Hôpitaux de Paris) est l'établissement public de santé qui exerce le rôle de centre hospitalier régional pour Paris et une partie de l'Île-de-France, notamment la petite couronne, il regroupe plus de 39 établissements et accueille plus de 8 millions de patients par an.)) : « C’est une lutte pour qu’on vous répare un volet, une lutte pendant 6 mois, (…) on lutte avec les patients, mais aussi avec des situations administratives, qui vous épuisent ». La symbolique transcende l’espace matériel (le volet) et social (l’administration) de l’exercice professionnel, révélant une posture morale de sa profession : mener la bataille de l’équité face à l’injustice sociale. Même si celle-ci tourne autour d’un volet, elle reflète la nécessité pour les soignants de revendiquer un espace de soins serein et non bruyant pour les femmes, les nourrissons et eux-mêmes. Ce discours apparaît de manière récurrente dans les échanges avec le personnel de la maternité de Montreuil. Cette lutte quotidienne révèle également l’engagement des équipes du service public. Énoncé lors de l’exposé de restitution, cet élément a été discuté par certains professionnels de Saint-Joseph qui indiquent d’ailleurs se « sentir public », faisant référence à leur mission de soins. Ce sentiment d’appartenir, de faire fonctionner le bien public même dans un établissement privé existe au sein de l’équipe de Saint-Joseph chez l’équipe soignante. Cette autojustification questionne la valorisation actuelle du métier de soignant, et les valeurs morales et symboliques du soin, et la difficulté pour certains soignants à assumer un exercice de soins dans un établissement privé, bien qu’il soit d’utilité publique. Durant les discussions, d’autres membres de l’équipe soulignent que leur exercice relève néanmoins dans leur représentation d’un management privé.

Ces éléments donnent des indications sur la qualité du travail en équipe et les postures professionnelles dans l’institution. Ces pistes sont corroborées par l’ambiance qui émane de Saint-Joseph. Pour autant, comme l’évoque une sage-femme (travaillant dans une maternité publique) et avec qui nous déambulons dans le groupe hospitalier Saint-Joseph : « Ici, les patients et les soignants ont l’air épanouis (…) ce ne sont pas les mêmes patients (sous entendant, ceux auxquels elle est habituée), c’est sûr ! (…) mais je ne travaillerais pas là » signifiant, par cette affirmation, son attachement au service public, représentant pour elle la nécessité d’exercer auprès d’un public plus mixte voire en situation de précarité en invoquant le choix du lieu de son exercice (une maternité publique d’une ville populaire) comme élément de son engagement.

Photographies 18 et 19. L’hôpital de Saint-Joseph et ses symboles historiques
photographies d'une maternité  photographies d'une maternité

Avec ses coursives extérieures, cette vue sur la chapelle représente l’articulation entre modernité et mémoire des lieux. Photographies extraites du site internet du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph.

Ce sentiment d’appartenance à un établissement participe à l’idée d’exercer dans un établissement ancien, chargé d’histoire. Cela se lit dans le paysage hospitalier, ponctué de signes, de constructions à la charge symbolique forte qui participent à l’effet thérapeutique des aménagements sur les patients et les soignants, dans un jeu de frontières/barrières et d’ouverture.

Ces différents éléments participent à développer ou entraver la création d’un lien affectif avec le lieu, qui dans le cas présent est particulièrement sensible puisque c’est celui de la mise au monde d’un enfant. Dans son historicité, la chapelle, construite au centre de l’hôpital pavillonnaire, favorise la reconnaissance du lieu et une intimité pour la communauté catholique, mais peut également participer à un aspect communautaire, n’autorisant pas/peu cette appropriation de l’espace du soin par une population appartenant à une autre communauté religieuse ou à aucune.

Ces éléments contribuent à une « bonne qualité de travail » comme l’évoque lors de la visite une sage-femme cadre de Saint-Joseph et comme en témoignent les discussions autour du management des équipes qui décrivent peu de conflictualité entre les personnels administratifs et les soignants de la maternité de Saint-Joseph, en regard de ce qu’ils ont pu connaître dans le public pour ceux qui y ont travaillé. Il semble exister un dialogue entre la direction et l’univers des soignants et soignantes. On constate également dans le discours, l’importance de voir l’établissement à l’équilibre financier, avec en toile de fond le souvenir de la fusion des différents hôpitaux et des plans sociaux associés, éprouvants pour les équipes, des contraintes que ne connaissent pas sous cette forme les équipes du service public, soumises à des difficultés autres, notamment d’accueil inconditionnel, postes non pourvus et avec, si ce ne sont des moyens moindres, des tutelles différentes et des arbitrages et justifications budgétaires différenciés. À l’inverse, à l’issue de la présentation de la synthèse de nos observations lors des visites, les discussions issues des restitutions par l’équipe à la maternité de Montreuil ont surtout porté sur les différences de moyens entre les deux maternités – la leur étant présentée dans le discours des soignants de Montreuil comme moins bien dotée, du fait du financement (uniquement public) et du public accueilli (le bassin de population étant d’origine beaucoup plus populaire et le public plus vulnérable qu’à Saint-Joseph).

Photographies 20 à 23. Affichage à Saint-Joseph d’une prise en charge individuelle
Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

Vers une « médecine personnalisée » (Charte de l’accompagnement en maternité et prestation pour les patients (payantes), Gestion de la douleur, atelier bébé)

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

Photographie 24 à 26. À Montreuil, l’accueil est à visée collective et opérationnelle
Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité Clélia Gasquet-Blanchard — photographies d'une maternité

L’affichage montre une prise en considération des questions de médecine préventive et une orientation vers des parcours pour les femmes correspondant aux recommandations de la Haute Autorité de Santé.

Clichés : Clélia Gasquet-Blanchard.

La différence de patientèle participe à une forme de prise en charge opposant les deux maternités. Nos observations renseignent sur un affichage pour des ateliers collectifs (photographie 24), en lien avec les recommandations des instances sanitaires, qui rappellent le contexte social environnant et la population accueillie mais qui renvoie aussi cette population à certaines de ses vulnérabilités (CEGIDD) (photographie 25) ou à des assignations identitaires (besoin de soutien, de groupe de parole : arbre à palabre – photographie 26). Elles s’opposent à la prise en charge affichée à Saint-Joseph plus personnalisée et individuelle (photographies 20 à 23).

Ces visions différenciées de la maternité comme paysage thérapeutique interviennent dans le cadre de contexte socio-historique très différents pour ces deux maternités et nous renseignent sur les processus à l’œuvre dans les constats observés.

 

2. Des maternités situées dans des contextes socio-historiques différenciés

Relativement à leur activité et leurs pratiques, ces deux maternités sont comparables : environ 4 000 accouchements à Montreuil dont 19,6 % de césariennes, et environ 3 500 à Saint-Joseph, dont 17 % de césariennes. Elles ont toutes deux emménagé dans un bâtiment neuf, ouvert en 2011 à Saint-Joseph et en 2017 à Montreuil. En revanche, l’histoire de ces deux institutions diffère.

 
Encadré 2. Présentation des deux établissements d’après leurs sites internet

Le Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph est une fondation privée issue de la fusion de différents hôpitaux. L’hôpital Saint-Joseph résulte de la construction de différents pavillons entre 1878 et 1910 dans Paris. À cette époque l’établissement est dirigé et géré par la congrégation des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, ce jusqu’en 1958. En 1976, l’hôpital est admis à participer au service public hospitalier, en lien avec l’hôpital Broussais. Il devient une fondation en 1977. Une politique de modernisation des bâtiments débute en 1995 et se poursuit aujourd’hui encore. Celle-ci va de pair avec la fusion avec les hôpitaux Saint-Michel et Notre-Dame-de-Bon-Secours (qui existe depuis 1887 et dont l’activité de gynécologie obstétrique remonte à 1910).

Source : https://www.hpsj.fr/qui-sommes-nous/historique/

Le Centre hospitalier intercommunal André Grégoire de Montreuil voit le jour grâce à une politique d’aménagement d’infrastructures de services publics pour un bassin de population d’une banlieue populaire. Cet hôpital public est un projet porté par la volonté de 9 communes de Seine-Saint-Denis et limitrophes (Bagnolet, Fontenay-sous-Bois, Les Lilas, Montreuil-sous-Bois, Noisy-le-Sec, Romainville, Rosny-sous-Bois, Villemomble, Vincennes). Proposant un établissement de santé à leur population (bassin de population d’environ 400 000 habitants) le Centre Hospitalier de Montreuil ouvre ses portes le 5 juillet 1965 avec son premier service : la maternité.

Source : http://www.chi-andre-gregoire.fr/lhopital-fete-ses-50-ans/


 
Photographie 27. La maternité Saint-Joseph

 photographies d'une maternité

Source : Site internet consulté le 7 juillet 2020 : https://www.kopines.com/etablissements/maternite-notre-dame-de-bon-secours-paris-saint-joseph/

Photographie 28. L’hôpital de Montreuil

photographies d'une maternité

Source : Site internet de l’hôpital, consulté le 7 juillet 2020

Deux prises de vues proposées par les services de communication des établissements soulignent en toile de fond une appropriation différenciée des espaces, plutôt dédiés à la promenade à Saint-Joseph et à la circulation des véhicules de service à Montreuil. Inscrits dans des contextes historiques et architecturaux très différents, les bâtiments de ces maternités sont pensés dans une optique d’ouverture sur l’extérieur, au cœur de leurs complexes hospitaliers respectifs (articulation du moderne et de l’ancien pour Saint -Joseph dont le passé d’hôpital pavillonnaire est utilisé pour un aménagement piéton des déplacements entre bâtiments à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital, les véhicules circulant autour. À Montreuil, le nouveau bâtiment de la maternité s’encastre dans des constructions s’échelonnant des années 1970 à 2000, privilégiant des accès aux véhicules de services aux différents bâtiments. Les usages piétons, se font par l’extérieur de l’enceinte de l’hôpital ou par des galeries reliant les bâtiments entre eux.

En comparant ces prises de vues qui sont les premières données à voir sur internet quand on effectue une recherche sur les maternités visitées, on constate au premier regard une unicité de forme, qui s’estompe toutefois lors de l’analyse des deux photographies. S’opposent sur la gauche des clichés, une barre d’immeubles à des pavillons réaménagés dont le style a été préservé ; de la même manière, les bâtiments centraux blancs s’opposent par leur ouverture : l’un en arrondi, sans beaucoup d’ouvertures, l’autre très ouvert. L’espace vert au premier plan des clichés est dans les deux cas visuellement appropriable, mais plus ou moins mis en valeur : l’un est bordé d’une allée piétonne, l’autre d’un accès véhicule sans réelle possibilité pour un piéton d’accéder à la pelouse.

2.1. Mise en regard des contextes sociaux des deux maternités

Les maternités visitées sont situées en Île-de-France. L’une est située dans la commune de Montreuil, une commune du département le plus pauvre d’Île-de-France et de métropole, la Seine-Saint-Denis (document 2). Bien que l’on note un phénomène de gentrification très avancé dans cette ville, ce front n’atteint pas (encore) le quartier enclavé où se situe l’hôpital. C’est une maternité publique de type 3 (le niveau de technicité le plus important, notamment en termes de prise en charge néonatale). L’autre maternité, Saint-Joseph, est de type 2b. Elle est située à Paris dans le 14e, un arrondissement favorisé, localisé dans la partie sud des espaces desservis par le RER B, et classé dans la typologie de l’IAU illustrée par la carte 1 comme un « espace aisé de l’Ouest ». Ces quartiers ont des espérances de vie parmi les plus élevées d’Île-de-France d’après les travaux d’Emmanuel Vigneron sur « la ville, la vie, la mort à Paris au long du RER B » (Vigneron, 2011). C’est une maternité privée à but non lucratif ((Il s’agit d’un ESPIC – un Établissement de santé privée d’intérêt collectif.)) qui participe à la mission de service public en proposant des consultations sans dépassement d’honoraires, mais pouvant proposer des formules d’hôtellerie « premium » occasionnant un surcoût à destination de patientes étrangères. Cette formule reste toutefois anecdotique dans l’activité de la maternité et ne concerne que quelques patientes par an. Même si ce n’est pas le cas à la maternité de Montreuil, ce type d’offre se développe de plus en plus dans certaines maternités publiques, montrant la progression de la privatisation de certains pans du service public.

Document 2. La géographie sociale des Franciliens selon le profil de revenus des ménages en 2011

carte ile de france

Source : IAU Île-de-France, 2015, Gentrification et paupérisation au cœur de l’Île-de-France. Évolutions 2001-2015, 163 p. Lire en particulier la notice accompagnant cette carte (p. 16-17).

Document 3. Plan régional des transports d’Île-de-France

carte plan transports

Licence Creative Commons CC-BY-SA, version 2.0. Fond : les contributeurs d’OpenStreetMap, cartographie CC Pierre Poschadel 2012. Cartouche : C. Gasquet-Blanchard. Habillage : J.-B. Bouron, Géoconfluences, 2021

 

Située dans le Sud de Paris, la maternité Saint-Joseph est facilement accessible en transport en commun (tram, métro, bus). Celle de Montreuil est accessible en bus, mais surtout en voiture, comme l’illustre la localisation de l’hôpital sur un plan de transport francilien (document 3). Il faut dire que l’hôpital Saint-Joseph est situé dans la première zone de densité et d’accessibilité car il est situé dans Paris intramuros alors que la maternité de Montreuil se situe au milieu d’une enclave du Réseau Express Régional (RER). Au moment de la visite, l’accès de cette dernière est difficile car son environnement immédiat est en travaux. En effet, l’hôpital se trouve au cœur de la dynamique d’aménagement du Grand Paris, avec l’arrivée prochaine du métro via le prolongement de la ligne 11 qui situera, à l’horizon 2022, l’hôpital à 10-12 minutes de Paris ((Les attentes et inquiétudes autour de cet aménagement sont d’ailleurs importantes pour les équipes de la maternité de Montreuil : cette accessibilité induira-t-elle une fuite des patientes de classe moyenne vers Paris ou parallèlement une recrudescence de patientes toujours plus en situation de précarité ?)), avec la station de métro « Montreuil hôpital ». À l’échelle des villes, de nombreux travaux montrent que l’hôpital est un pôle de référence, de formation universitaire, important pourvoyeur d’emplois (Fleuret, 2012). Mais la communication sur cet aspect positif n’est que peu développée. Dès lors, pour vaincre cette stigmatisation, les établissements comme l’hôpital de Montreuil cherchent à rétablir une vision plus globale de la situation, celle d’un établissement qui offre des services pointus et qui s’adapte aussi à la population de l’Est parisien. Pour l’hôpital de Montreuil, au cœur d’enjeux liés à l’aménagement du grand Paris, l’échelle urbaine est cruciale : beaucoup d’éléments non médicaux semblent interférer sur l’évolution et le type d’offre de soins. Pour la maternité intercommunale de Montreuil, au cœur d’un bassin de population en gentrification, se pose la question de l’évitement du CHIM par certaines patientes, notamment les plus aisées, au profit des maternités prisées de l’Est parisien ou de proche banlieue comme la Maternité des Lilas, la maternité des Bleuets ou encore les Diaconnesses (pour leur approches physiologiques de la grossesse) ou inversement les grandes maternités de haute technicité de l’AP-HP (comme Trousseau ou Robert Debré). C’est actuellement le cas d’une grande partie des femmes résidant dans le bas-Montreuil, un quartier situé au sud de la mairie de Montreuil et parmi les plus gentrifiés de la ville en raison de son accessibilité depuis Paris. Ce phénomène est lié notamment à des représentations négatives que peuvent avoir certaines populations d’un hôpital de service public non universitaire, particulièrement celles de classe moyenne habitant le centre-ville et souhaitant par exemple des accouchements moins médicalisés. Ce phénomène se couple aux représentations stigmatisantes liées à l’importante fréquentation de l’hôpital de Montreuil par des populations paupérisées, vulnérables, et migrantes.

Bien que le quartier de Saint-Joseph, aux portes de Paris, connaisse à l’inverse une dynamique de paupérisation de certains îlots, la localisation de la maternité la situe dans un bassin de recrutement d’une population plus aisée (les patientes de Saint-Joseph proviennent notamment des 14 et 15e arrondissements, et des communes alentour) et n’implique pas les mêmes enjeux face aux politiques d’urbanisme actuelles, puisque par sa localisation intramuros Saint-Joseph deviendra à terme une maternité centrale du Grand Paris, dans l’espace favorisé de la capitale comme l’illustre la document 2.

2.2. Des écarts sociaux entre les patientèles accueillies

Les localisations différentielles influencent la prise en charge d’une catégorie sociale de femmes propre à chacune des deux maternités. La maternité de Montreuil, bâtiment inspiré par les constructions standardisées des années 1960, se présente comme recevant de longue date des femmes en situation de précarité voire de grande précarité : sur 17 000 consultations annuelles d’obstétrique, 700 femmes suivies sont bénéficiaires de l’AME - Aide Médicale d’État (l’information ne nous a pas été transmise concernant la maternité de Saint-Joseph). En raison d’un nombre conséquent de patientes victimes de violences, une consultation sage-femme est dédiée à cette question, et une gynécologue spécialisée dans la reconstruction vulvaire des femmes excisées a été recrutée. Plus récemment une unité d’accompagnement personnalisée à destination des femmes en situation de vulnérabilité a été mise en place également. En raison d’un nombre important de femmes allophones, parfois récemment arrivées sur le territoire, les professionnels de santé de la maternité de Montreuil font également régulièrement appel à une entreprise d’interprétariat. La maternité est adossée au Centre d’IVG (9 places de bloc par semaine) en lien avec le planning familial, permettant la réalisation de 1 100 IVG par an. Cet acte n’est pas réalisé à la maternité de Saint-Joseph, qui renvoie, pour cette pratique médicale, vers l’Institut Mutualiste Montsouris.

La maternité de Saint-Joseph s’inscrit dans le Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, relevant d’une fondation. Parmi ses 3 500 accouchements annuels, 609 séjours de grossesses à hauts risques (831 à Montreuil) et d’hospitalisation de médecine obstétricale sont pris en charge à Saint-Joseph. En unité de soins intensifs, 264 nouveau-nés sont pris en charge (377 à Montreuil) et 486 en médecine néonatale (210 à Montreuil).

Si ces établissements sont de taille et d’activités équivalentes, leurs spécificités participent à nous éclairer sur les bassins de populations qu’elles desservent et comment elles doivent s’adapter aux réalités de leur territoire.

 

Conclusion

« Pour une partie de la population, notamment les classes les plus populaires, l’hôpital apparaît comme un univers hostile et non rassurant pour tout usager dépourvu de connaissances et d’argent » (Ebang Ondo, 2012). Cet état de fait met en lumière la nécessité pour les structures qui accueillent ce public d’être alors encore plus attentives aux aspects relevant du paysage thérapeutique pour qu’en pratique tout soit fait pour un accueil bienveillant à destination de cette population. D’autant que, dans les contextes sociaux précaires, « l’absence de repères physiques, d’indications écrites peu explicites et incompréhensibles pour les non-alphabétisés, explique que les nouveaux arrivants soient souvent perdus » (Nikiema, 2014).

L’opposition théorique public/semi-privé n’est pas toujours opérationnelle. En fait, bien des aménagements du privé ne sont que de petits ajouts qui pourraient très facilement être faits dans le public mais ne le sont pas toujours pour des raisons tant budgétaires que de management. Malgré l’écart important dans les publics accueillis (en termes de capital économique et culturel), les deux équipes soignantes retirent de la satisfaction et de la fierté de leur travail, avec, à la maternité de Montreuil, en plus, le sentiment d’être encore plus utile socialement. Si on ne peut pas clairement objectiver des prises en charge différenciées sur la base d’échanges avec des équipes soignantes et l’observation de leurs lieux de travail, on pressent néanmoins une tendance à cette différenciation plurifactorielle que donne à voir l’environnement physique et social observé également émergeant en fonction du public qui y a recours et aux équipes qui habitent ces lieux en en montrant des investissements tantôt symboliques tantôt matérialisés.

La perception dichotomique qui semble résulter de ces travaux n’a pas été recherchée. Le choix des établissements a été établi précisément pour respecter la diversité de l’offre de soins, sans chercher à la caricaturer. Pour autant, la différenciation qui est perceptible in fine, dans les témoignages des professionnels de santé et dans les paysages thérapeutiques des établissements, constitue une piste à suivre dans de futurs travaux.

 


Bibliographie

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  • Vigneron, Emmanuel, Les inégalités de santé dans les territoires français - État des lieux et voies de progrès, 2011, Elsevier Masson.

 

Remerciements :

Au CNFG, pour cette initiative, aux différentes personnes présentes lors des visites (Isabelle Siffert, Josianne Tanchou, Pétronille Reme-Harnay), aux chefs de services des deux maternités de nous avoir ouvert les portes de leurs services et aux professionnel.le.s des services visités.

À Jean-Benoît Bouron de Géoconfluences et aux relecteurs anonymes de la revue pour leur relecture et conseils critiques et avisés sur le texte. Il a paru dans une forme plus longue à l’adresse suivante : https://rfst.hypotheses.org/gasquet-blanchard-clelia-vaguet-alain-lucas-gabrielli-veronique-renevier-bruno-azria-elie

 

 

Clélia GASQUET-BLANCHARD,
Maîtresse de conférences en géographie, Département des sciences humaines, sociales et du comportement de l’EHESP, UMR CNRS 6590, Laboratoire Espaces et Sociétés, Rennes 2

Alain VAGUET,
Maître de conférences en géographie, université de Rouen, laboratoire IDEES, CNRS, président de la commission géographie de la santé du Comité National Français de Géographie

Véronique LUCAS-GABRIELLI,
Directrice de recherche, Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la santé (IRDES)secrétaire de la commission géographie de la santé du Comité National Français de Géographie

Bruno RENEVIER,
Service de gynécologie obstétrique, CHI André Grégoire, Montreuil

Élie AZRIA,
Professeur agrégé, université de ParisINSERM UMR 1153 / Épidémiologie Obstétricale, Périnatale et Pédiatrique (EPOPé) CRESS

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Clélia Gasquet-Blanchard, Alain Vaguet, Véronique Lucas-Gabrielli, Bruno Renevier, Élie Azria, « Les paysages thérapeutiques de deux maternités à Paris et en petite couronne », Géoconfluences, avril 2021.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-de-la-sante-espaces-et-societes/articles-scientifiques/paysages-therapeutiques-maternites

Pour citer cet article :  

Clélia Gasquet-Blanchard, Alain Vaguet, Véronique Lucas-Gabrielli, Bruno Renevier et Élie Azria, « Les paysages thérapeutiques de deux maternités à Paris et en petite couronne », Géoconfluences, avril 2021.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-de-la-sante-espaces-et-societes/articles-scientifiques/paysages-therapeutiques-maternites