Maîtriser la fusion nucléaire ? Le dossier scientifique et technique, aperçus
avec la collaboration de :
Catherine Simand Vernin, Responsable du service DUNES - ENS de Lyon
La fusion nucléaire – processus par lequel deux noyaux atomiques légers se combinent pour en former un plus lourd et dégager de l'énergie – est le processus à l'œuvre au cœur du soleil. Dans quelles conditions pourrait-on l'exploiter pour aider à satisfaire les besoins énergétiques futurs de l'humanité ? À l'intérieur du Soleil, les noyaux d'hydrogène s'entrechoquent et fusionnent à des températures extrêmement élevées (autour de 15 millions °C) et sous d'énormes pressions gravitationnelles : 600 millions de tonnes d'hydrogène sont fusionnées en hélium chaque seconde. Sur Terre, les forces de gravitation sont trop faibles pour maintenir à elles seules un confinement suffisant des noyaux. Les températures doivent être encore plus élevées (environ dix fois supérieures !) et le confinement créé par d'autres moyens pour que les réactions de fusion puissent avoir lieu.
La maîtrise par l'Homme de la fusion représente un défi considérable qui va impliquer des scientifiques et des ingénieurs du monde entier. La recherche sur la fusion a énormément progressé ces dernières décennies pour aboutir à l'expérience internationale ITER qui a pour principaux objectifs de : montrer qu'on peut utiliser la fusion pour produire de l'énergie ; fournir les données nécessaires pour concevoir et exploiter la première usine de production d'électricité fondée sur le principe de la fusion. Le but à long terme est de créer des prototypes de réacteurs capables de fonctionner en toute sûreté, respectueux de l'environnement et économiquement viables. Le projet ITER permettra aux scientifiques d'étudier, pour la première fois, la physique d'un plasma* en combustion, chauffé par des réactions de fusion internes et entretenu pendant des temps "longs" (supérieurs à 300 secondes) grâce à un confinement magnétique (tokamak).
*Plasma : état de la matière (tout comme les états solide, liquide et gazeux) constitué d'un mélange de particules chargées : ions de charge positive et électrons de charge négative. Un gaz isolant aux températures usuelles peut être ionisé à très haute température, la "soupe" d'électrons libres et de noyaux d'atomes obtenue est un plasma, fluide conducteur de l'électricité.
Une brève histoire des recherches sur la fusion nucléaireDès 1919, Jean Perrin avait émis l'idée que la synthèse de l'hélium (He) à partir de l'hydrogène (H) permettrait de capter une fabuleuse énergie. C'est à partir de 1951 que se développèrent les recherches systématiques sur le contrôle des réactions thermonucléaires, d'abord aux États-Unis puis dans l'ex-URSS, en Grande-Bretagne et en France aux centres CEA de Fontenay aux Roses, Saclay et Grenoble, regroupés en 1984 à Cadarache. Le projet Tore Supra, lancé dès 1978, a été conçu pour étudier les plasmas en régime quasi permanent. Entré en service opérationnel en 1988 au Centre CEA de Cadarache, les résultats obtenus en ont fait un modèle pour le développement du projet ITER. Au niveau européen, le programme "fusion" parvint à combiner tous les efforts des États membres (plus la Suisse) pour faire le plus grand pas en avant possible : "Joint European Torus" (JET), tokamak (voir infra) le plus grand et le plus puissant au monde à l'époque, est entré en opération en 1983 à Abingdon près d'Oxford au Royaume-Uni, propulsant ainsi l'Europe à l'avant-poste des recherches internationales sur la fusion. L'ensemble des programmes européens est coordonné, depuis 1959, par une association Euratom - CEA. Les records se sont ainsi succédé à travers le monde : en 1993, le "Tokamak Fusion Test Reactor" (TFTR) américain fournit 6 MW de puissance ; en 1997, le JET, avec le mélange deutérium - tritium, fournit 16 MW de puissance de fusion ; plus récemment, en 2003, Tore Supra a obtenu une décharge de plus de six minutes d'une énergie d'environ 300 kWh (2,8 MW de puissance). À la suite de ses prédécesseurs, le principal objectif scientifique d'ITER sera de réaliser et d'étudier des plasmas produisant 500 MW de puissance de fusion sur des durées de 400 secondes, soit des plasmas produisant 10 fois plus d'énergie que l'énergie injectée. Au cours de la première décennie du XXIe siècle, deux voies de recherches sont poursuivies pour produire un plasma suffisamment chaud, le garder confiné suffisamment longtemps et récupérer l'énergie libérée par les réactions de fusion : 1) La voie du tokamak, selon le principe de fusion par confinement magnétique, conçu autour d'une chambre torique dans laquelle on injecte du plasma, entourée de bobines produisant un champ magnétique intense. 2) Par le bombardement du combustible à l'aide de faisceaux laser selon le principe de la fusion dite inertielle. Cette voie est ébauchée, en France, en arrière-plan des applications militaires du CEA, au Centre de Valduc (en Bourgogne près de Dijon) et en attente des résultats qui seront obtenus par le laser méga-joules en cours de réalisation au Centre d'étude scientifique et technique d'Aquitaine (CESTA) du CEA*. Ces deux axes de recherche présentent des défis communs concernant :
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L'ITER se fonde sur le concept "tokamak" (acronyme russe de Toroidalnaya / toroïdale Kamera / chambre c Magnitymi / magnétique Katushkami / bobine), conçu autour d'une chambre en forme de tore (dispositif en forme d'anneau creux) entourée de bobines supraconductrices (ne présentant aucune résistance électrique) qui produisent un champ magnétique intense dans lequel on crée et l'on maintient les conditions d'une fusion. Un mélange combustible de deux isotopes d'hydrogène, le tritium (T) et le deutérium (D) est porté, à l'intérieur de la chambre, à une température supérieure à 150 millions °C formant le plasma. À cette température, certaines particules du combustible fusionnent, produisant un atome d'hélium et un neutron à chaque réaction et une grande énergie (voir schéma ci-dessous). Pour que le plasma confiné produise plus d'énergie qu'il n'en faut pour le chauffer, il faut qu'il soit assez chaud, assez dense et confiné suffisamment longtemps.
Les principes d'ITER
Au sein du plasma, la réaction de fusion consiste à réunir un noyau de deutérium D (un neutron et un proton) et un noyau de tritium T (deux neutrons et un proton) qui conduit à la production d'un noyau d'hélium 4 (4He : deux neutrons et deux protons) chargé d'une énergie de 3,5 MeV (Megaélecton-volt) et d'un neutron avec une énergie de 14,1 MeV, soit une énergie totale produite de 17,6 MeV. Pour vaincre la répulsion électrostatique qui s'exerce entre les noyaux de charge positive, leur fusion par collision doit se faire à une vitesse d'environ 1 000 km/s ce qui nécessite un très long parcours d'accélération dans le plasma. |
Le deutérium, isotope 2H de l'hydrogène, est relativement abondant dans l'eau de mer (0,0153%) dont il est extrait par électrolyse, il est donc inépuisable. Beaucoup moins abondant, le tritium, isotope 3H de l'hydrogène, est radioactif mais avec une période courte de 12,56 ans. Il peut être obtenu sur place à partir d'une réaction de fission du lithium qui a lieu dans une des parois qui entourent le plasma. Voir, dans la page principale, l'encart consacré aux défis des ressources, des risques et de l'environnement |
Le mélange combustible deutérium-tritium est injecté (1) dans une chambre où, grâce à un système de confinement magnétique il passe à l'état de plasma (2) en produisant des cendres (atomes d'hélium) et de l'énergie sous forme de particules rapides ou de rayonnement (3). Cette énergie s'absorbe dans une première paroi qui est le premier élément matériel rencontré par les particules au-delà du plasma. L'énergie cinétique des neutrons est, quant à elle, convertie en chaleur dans la couverture tritigène (4) située au-delà de la première paroi, mais néanmoins à l'intérieur de la chambre à vide. La chambre à vide elle-même clôt l'espace où a lieu la réaction de fusion. Première paroi, couverture et chambre à vide sont refroidies par un système d'extraction de la chaleur utilisée pour produire de la vapeur et pour alimenter un ensemble classique de production d'électricité : turbine et alternateur (5). |
L'énergie fournie par la fusion nucléaire présente, en théorie, de nombreux avantages. Sur Terre, le combustible pour les réacteurs de fusion sera fourni par deux formes (isotopes) de gaz hydrogène : le deutérium et le tritium. Il y a environ 30 milligrammes de deutérium dans chaque litre d'eau. Si tout le deutérium contenu dans un litre d'eau fusionnait avec du tritium, il fournirait une énergie équivalente à 340 litres de pétrole. Par contre, le tritium est extrêmement peu abondant sur Terre : c'est pourquoi il est produit à l'intérieur même du réacteur de fusion à partir du lithium, métal léger et relativement abondant (voir l'encadré "Les défis des ressources, des risques et de l'environnement" de la page principale).
Le fonctionnement quotidien d'une centrale à fusion nucléaire ne nécessitera aucun transport de matériaux radioactifs et les accidents d'emballement ou de surchauffe du réacteur sont impossibles. Le processus de fusion ne générera pas de gaz à effet de serre ni de déchets radioactifs persistants (vie courte des éléments par ailleurs faiblement radioactifs). Les risques accidentels ou provoqués seraient limités aux seuls sites des réacteurs, d'où leur grande facilité d'implantation à proximité des lieux de consommation.
Pour y parvenir il faudra, en particulier, progresser dans la qualification nucléaire de matériaux de structure résistant à de hautes températures et à faible activation. Pour atteindre ses objectifs, l'ITER sera deux fois plus grand que le plus grand tokamak existant – JET, le tore européen installé au Royaume-Uni – et il est prévu que ses capacités de fusion soient plusieurs fois supérieures. L'ITER sera capable de générer 500 millions de Watts (500 MW) de puissance de fusion, en continu pendant 10 minutes. Il sera trente fois plus puissant que JET et très proche de la taille des futurs réacteurs commerciaux.
Il devrait par conséquent devenir le premier réacteur de fusion à produire de l'énergie nette puisqu'il est dimensionné pour générer dix fois plus d'énergie que celle nécessaire pour produire et chauffer le plasma d'hydrogène. Il permettra le test de plusieurs techniques essentielles – chauffage, commande, diagnostic et télémaintenance – qui seront nécessaires dans un réacteur de fusion réel. L'ITER testera et mettra également au point des moyens de produire du tritium à partir de lithium injecté dans l'enveloppe qui entoure le plasma.
Dans le futur, le réacteur DEMO devrait démontrer qu'il peut produire de l'électricité à grande échelle et assurer son autonomie en tritium. Il devrait entrer en service 30 à 35 ans après le début de la construction de l'ITER. Il conduirait la fusion dans l'ère industrielle en ouvrant la voie aux premiers réacteurs commerciaux à fusion.
En conclusion, la collaboration internationale a permis de démontrer la faisabilité des hypothèses théoriques sur la fusion thermonucléaire contrôlée magnétiquement. Mais il reste à accomplir de très importantes avancées scientifiques et techniques pour atteindre la mise en exploitation industrielle d'un premier réacteur et en démontrer l'intérêt économique. Avant de le réaliser, les recherches tant fondamentales que technologiques qui devront être développées nécessiteront des moyens humains et financiers considérables. Ceci ne peut se concevoir que dans le cadre d'une coopération internationale de longue haleine capable de faire de la fusion atomique une source d'énergie de base, durable et à grande échelle.
Synthèse proposée par Sylviane Tabarly,
réalisée en collaboration avec Catherine Simand Vernin, responsable du site CultureSciences Physique à l'ENS de Lyon,
pour Géoconfluences le 26 janvier 2009
Pour citer cet article :
Sylviane Tabarly, avec la collaboration de : et Catherine Simand Vernin, « Maîtriser la fusion nucléaire ? Le dossier scientifique et technique, aperçus », Géoconfluences, février 2013.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/popup/Iter1.htm