Bases de données sur les usages agricoles des terres à l’échelle mondiale : questions méthodologiques
Il existe trois grands types de bases de données sur les usages agricoles, réels ou potentiels, des terres à l'échelle mondiale : des bases statistiques, des bases d'images relatives à la couverture et/ou à l'usage des terres issues de données satellitaires, et des bases qui combinent à la fois des données statistiques et des données d'origine satellitaire. La distinction entre couverture et usage des terres est importante : la couverture fait référence aux éléments biotiques ou abiotiques présents à la surface de la terre, avec trois catégories principales : végétation, infrastructures humaines, surfaces nues (roche, sol, eau…) ; l'usage fait référence aux activités que les humains entreprennent afin d'en tirer des avantages matériels ou immatériels. Les trois bases de données les plus importantes et accessibles sont :
- la base de données statistiques de la FAO, FAOSTAT, http://faostat.fao.org/site/377/default.aspx#ancor ) ;
- deux bases qui combinent des informations d'origines statistique et satellitaire : la base de l'étude Global Agro-Ecological Zones (GAEZ) de l'International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) et de la FAO,www.iiasa.ac.at/Research/LUC/GAEZ/home.htm ;
- la base du Center for Sustainability And the Global Environment (SAGE) de l'Université du Wisconsin, qui est reprise dans certains travaux du Global Trade Analysis Project (GTAP), www.sage.wisc.edu/iamdata/units.php.
Ces bases, outre les marges d'erreur habituelles sur les données statistiques mêmes, comportent des incertitudes qui proviennent de l'imprécision des définitions, ou de leur marge d'utilisation et d'interprétation.
Ainsi, par exemple, les "prairies et pâturages permanents" sont définis comme étant les "terres recouvertes de façon permanente (cinq ans ou plus) de plantes fourragères herbacées, soit cultivées soit à l'état naturel (herbages naturels ou pâturages)" par la base FAOSTAT. Il s'agit là d'une définition de couverture, et non d'usage, des terres. Or, des terres ainsi recouvertes peuvent ne jamais servir de pâturages, ou n'en servir que de manière très épisodique (une fois en plusieurs années), ou très extensive comme dans le cas de certains parcours (un type d'usage qui n'apparaît pas dans les données de la FAO, non plus que dans les autres bases sur l'usage des terres à l'échelle mondiale). À l'inverse, des terres pâturées de temps en temps peuvent être versées dans la catégorie "superficie forestière" dès lors qu'elles ont "une superficie de plus de 0,5 ha portant des arbres de plus de 5 mètres de haut avec un couvert forestier supérieur à 10%, ou des arbres capables d'atteindre ces critères in situ." De vastes zones de savanes arborées peuvent ainsi être classées soit comme superficie forestière, soit comme pâturage permanent. L'ambiguïté de la définition des pâturages, qui n'est pas propre à la base FAOSTAT, est source de grandes divergences entre les bases de données.
Contrairement à FAOSTAT, l'étude GAEZ ne fournit pas d'informations sur les usages agricoles actuels ou passés des terres du monde mais elle procure des données sur leurs potentialités agricoles. Plus précisément, elle évalue l'aptitude des terres du monde à la culture de 154 variétés végétales ainsi que les rendements accessibles selon trois grands modes de gestion des cultures – "avancé", "amélioré", "traditionnel" (document ci-dessous) – et selon que la culture est pluviale ou irriguée. Elle indique les superficies correspondantes, celles qui sont sous couvert forestier et signale aussi l'étendue des infrastructures. Les données sont relatives à la décennie 1990, sans plus de précision et, comme dans toute étude, elles sont conditionnées par la méthode utilisée. Or, la méthode GAEZ d'estimation des terres cultivables et des rendements accessibles relève d'une analyse essentiellement agro-écologique, qui ne prend pas, ou très peu, en considération les paramètres socio-économiques qui influencent l'offre ou la demande de produits agricoles sur un territoire donné, et qui influent donc sur la mise en culture des terres ainsi que sur ses modalités. Par exemple, la densité de population n'est pas prise en compte. L'une des limites de l'étude GAEZ est qu'elle est essentiellement statique : mise à part l'irrigation des terres pas trop pentues, elle n'envisage pas d'autre évolution à terme des aptitudes des terres à la culture, qu'il s'agisse de dégradation – salinisation, lessivage, pollutions, baisse des nappes souterraines, désertification… – ou de bonification par divers types d'aménagement – terrassement, drainage, amendements organiques ou minéraux permettant de corriger les propriétés physiques et chimiques des sols…
La base du SAGE fournit des données : sur les superficies cultivées, les superficies en pâturages et les autres usages ou couvertures des terres ; sur les superficies cultivables ; sur la répartition des superficies cultivées en 19 types de cultures. Depuis plusieurs années, les travaux du SAGE sont repris et développés dans le cadre de GTAP, un consortium d'institutions et un réseau mondial de chercheurs travaillant dans le domaine de l'analyse des politiques et du commerce international, dont le siège est situé à l'Université de Purdue.
Le SAGE, qui adopte les définitions des "terres arables" et des "prairies et pâturages permanents" de la FAO, estime les superficies des unes et des autres en collationnant des données statistiques issues de FAOSTAT ou des pays ou des sous-régions, et en les combinant avec des données d'origine satellitaire sur la couverture des terres. En cas d'incohérence entre FAOSTAT et les sources nationales, ce sont ces dernières qui sont retenues.
La validité des résultats est nécessairement restreinte par les limites des bases de données elles-mêmes : marges d'erreur inhérentes à toute base statistique et à toute base de données satellitaires ; imprécision ou utilisation souple de certaines définitions ; lacunes ; analyses essentiellement agro-écologiques qui ne prennent pas, ou très peu, en compte les facteurs socio-économiques influençant la mise en culture des terres ainsi que les modalités de la culture le cas échéant ; analyses essentiellement statiques, qui n'envisagent pas de nombreux facteurs d'évolution des aptitudes des terres à la culture, qu'il s'agisse de dégradation ou de bonification ; les données accessibles ne permettent pas de recouper les superficies des différentes catégories de terres cultivables avec leurs couvertures ou leurs usages actuels, sauf pour les forêts.
Source : Laurence Roudart - "Terres cultivables et terres cultivées : apports de l'analyse croisée de trois bases de données à l'échelle mondiale", Agreste, Notes et études socio-économiques n° 34 - décembre 2010
Pour citer cet article :
« Bases de données sur les usages agricoles des terres à l’échelle mondiale : questions méthodologiques », Géoconfluences, décembre 2011.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/breves/2011-2/popup/Terres1.htm