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Quelle coopération pour les pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne ?

Publié le 15/01/2006
Auteur(s) : Benoît Boutefeu, ingénieur des travaux des eaux et forêts - Office National des Forêts (ONF)

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L'exemple de l’exploitation forestière en République centrafricaine

L'histoire récente et chaotique de la République Centrafricaine

Ancienne colonie française, rattachée à l'Afrique équatoriale française (AEF) sous le nom d'Oubangui, la République Centrafricaine (RCA) est devenue officiellement indépendante le 13 août 1959. La figure emblématique de l'indépendance, Barthélemy Boganda, est mort dans un accident d'avion quelques mois avant la proclamation de l'indépendance. L'histoire de la jeune république est chaotique et marquée par une succession de coups d'État depuis celui de la "Saint Sylvestre" de 1965 qui porta à la tête du pays Jean-Bédel Bokassa autoproclamé empereur en 1977, jusqu'au dernier en date, le 15 mars 2003, qui a vu l'arrivée au pouvoir du général François Bozizé. L'enclavement géographique et l'instabilité politique aidant, le pays se trouve aujourd'hui dans une situation économique très difficile. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) le positionne parmi les États les plus pauvres de la planète, à la 171e place sur 177 selon le classement de l'Indicateur de développement humain (IDH) en 2005. Territoire de 622 984 km², enclavé et entouré d'États voisins peu stabilisés comme le Tchad, le Soudan ou la République Démocratique du Congo (carte ci-dessous), la RCA est aujourd'hui peuplée de 3,9 millions d'habitants d'après le dernier recensement de 2003.

 

La République Centrafricaine - Carte physique

L'encadré rouge correspond au cadre approché des cartes du suivi de l'aménagement forestier (cf infra)

La République Centrafricaine - Carte administrative

Le découpage régional

Les récents troubles en 1996, 1999 et 2003 ont fait fuir les principaux bailleurs de fonds internationaux. L'élection présidentielle du général Bozizé (mai 2005) semble marquer un retour à la légalité institutionnelle, mais le processus est encore récent.

La France a toujours été intimement mêlée aux événements politiques du pays, appuyant par exemple le renversement de Jean-Bedel Bokassa en 1979 ou, plus récemment, abandonnant son soutien au président Ange Félix Patassé au profit de son rival François Bozizé lors du coup d'État de 2003. Aujourd'hui, même si les bases militaires françaises de Bangui et de Bouar ont été évacuées et fermées en 1998, des soldats de l'armée française participent à des opérations militaires dans le nord du pays.

Une coopération qui se réduit et change de forme

Dans ces conditions d'instabilité politique chronique, les programmes de coopération et d'aide au développement se sont peu développés en RCA. Les rares projets sont menés principalement sous l'égide de la France. Les Chinois, sont également présents comme dans toute l'Afrique Centrale. Ils sont par exemple à l'origine de la construction du nouveau stade de Bangui. Les coopérants français, nombreux, dans tout le pays, jusqu'à la fin des années 1990, ne sont présents désormais qu'à Bangui.

Cette diminution du nombre d'expatriés est à relier certes aux événements politiques survenus récemment dans le pays mais aussi à une stratégie française d'aide au développement en Afrique qui change de visage. Le ministère de la coopération a été absorbé par le ministère des affaires étrangères en 1998. La création, en 1992, d'un Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), appelé Agence française de développement (AFD) marque également un tournant. Cet organisme, placé sous la double tutelle du ministère des finances et de celui des affaires étrangères, est chargé de sélectionner et de financer les projets d'aide au développement. Nous nous proposons ici d'illustrer cette nouvelle stratégie de la coopération française en Afrique à travers l'exemple d'un programme d'aide au développement dans le domaine sylvicole : le Projet d'appui à la réalisation des Plans d'aménagement forestiers (PARPAF).

La forêt : les enjeux d'une ressource

La forêt centrafricaine couvre une superficie de 3,8 millions d'hectares, dont 3 sont exploitables. Elle forme la partie nord de la forêt équatoriale du bassin du Congo, second massif forestier au monde après celui de l'Amazonie. Elle représente également une ressource économique de première importance pour le pays. D'une richesse écologique exceptionnelle, elle est le refuge, par exemple, d'une des dernières populations d'éléphants forestiers et de grands primates tels que le gorille et le chimpanzé

Les essences précieuses comme le Sapelli (photo ci-contre), le Sipo ou le Kosipo sont très appréciées des consommateurs asiatiques et européens. Cette ressource forestière se trouve ainsi plongée au cœur de plusieurs enjeux : gérée durablement, elle peut dynamiser l'économie du pays mais aussi améliorer son image internationale. En revanche, une exploitation inconsidérée et non encadrée contribuerait à dégrader ce patrimoine, à favoriser la corruption et à compromettre l'intégration économique et politique de la RCA avec les autres États de l'Afrique Centrale.

L'exploitation forestière contribue actuellement au PIB du pays à hauteur de 10% (l'agriculture représente encore 55% du PIB) et elle fournit 50% des exportations de la RCA.

Elle est le premier employeur privé. Propriété de l'État, la forêt est exploitée par des entreprises étrangères qui louent des Permis d'exploitation et d'aménagement (PEA). L'octroi de ces concessions est encadré par des textes réglementaires, notamment un Code Forestier remanié en 1990 et un Code de la Protection de Faune Sauvage en cours de révision.

Le Sapelli, l'essence actuellement la plus exploitée en RCA

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Le ministère centrafricain des Eaux, Forêts, Chasses et Pêches est chargé de contrôler et surveiller l'activité de ces entreprises forestières. Il doit également assurer l'aménagement des forêts ainsi exploitées. L'aménagement désigne, en foresterie, le processus de planification de la gestion durable des forêts. Des objectifs, déterminés en fonction d'un inventaire de la ressource, sont fixés pour une période allant généralement de 10 à 20 ans. Ils figurent dans un document appelé Plan d'aménagement.

L'aménagement du massif forestier du sud-ouest de la RCA

Ces trois cartes illustrent l'évolution de la politique d'aménagement impulsée par le projet PARPAF dans le massif forestier de l'Ouest de la RCA. Une partie non négligeable de ce territoire est préservée de toute exploitation forestière grâce à différents statuts de protection : parc national, réserve naturelle ou forêt classée. Le reste est divisé en Permis d'exploitation et d'aménagement (PEA), de surfaces allant de 84 252 ha à 616 491 ha. Ceux-ci sont attribués à une dizaine de sociétés forestières privées qui peuvent en acheter un ou plusieurs à l'État centrafricain. En 2005, une dizaine d'entreprises se partageaient le massif et il restait encore deux concessions disponibles, soit près de 500 000 hectares. En 2000, seule la société "Industrie forestière de Batalimo" (IFB) disposait d'un plan aménagement validé pour l'un de ses deux PEA. En 2005, toutes les sociétés se sont engagées à disposer de plans de gestion mais seulement deux sont agréés. Il est prévu qu'au terme du projet en 2010, toutes les concessions soient dotées de plans d'aménagement approuvés et opérationnels.

Suivi prévisionnel de l'aménagement forestier (juin 2010)

Cartes réalisées par le ministère centrafricain des Eaux, Forêts, Chasses et Pêches (MEFCP) et le Projet d'appui à la réalisation des Plans d'aménagement forestiers (PARPAF)

Suivi de l'aménagement forestier (juin 2000)

Voir supra : en encadré rouge, les limites de ces cartes (environ de 2° à 5° N et 15° à 19° E)

Suivi de l'aménagement forestier (juin 2005)

Dans les pays du bassin du Congo voisins de la RCA, cette activité incombe aux entreprises concessionnaires, l'État n'assurant qu'un rôle de validation et de contrôle. L'administration n'ayant souvent que peu de moyens de sanction et de répression vis-à-vis de ces sociétés étrangères, celles-ci ne sont souvent pas tenues d'exploiter la forêt durablement ou non. Au Cameroun voisin le laxisme, le manque de moyen et la corruption de l'administration forestière sont accusés de favoriser la déforestation. Il est encore prématuré d'établir un bilan de ces nouvelles mesures.

 

Le PARPAF : un projet pour une gouvernance maîtrisée des forêts centrafricaines

Pour éviter la dégradation de cette ressource, la RCA a décidé de mieux encadrer les exploitants. L'aménagement est ainsi placé sous la double responsabilité technique et financière de l'État et des sociétés forestières. Le PARPAF se propose d'aider l'État centrafricain dans cette mission.

L'objectif du projet, aux yeux de l'AFD, est d'assurer "une production soutenue et durable de bois d'œuvre, tout en permettant le maintien sur le long terme des fonctions écologiques et la fourniture aux populations locales des biens et services produits par la forêt". Ce programme est financé conjointement par l'AFD et l'État centrafricain. Grâce aux revenus des taxes forestières imposées aux exploitants, ce dernier a contribué au financement à hauteur de 500 000 € du programme dont le coût total est de 3,5 millions d'€.

L'entrée du projet PARPAF à Berberati

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Le PARPAF est basé à Berberati, seconde ville du pays (voir carte supra) située aux portes du massif forestier centrafricain de l'Ouest (photo ci-contre). Le projet est placé sous la tutelle administrative du ministère des Eaux, Forêts, Chasse et Pêches qui en assure ainsi la maîtrise d'ouvrage. La maîtrise d'œuvre est confiée au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) associé au bureau d'étude privé Forêt ressources management (FRM).

Le montage complexe du projet répond à plusieurs exigences. Son pilotage par le ministère chargé des forêts qui y participe financièrement répond à une logique d'implication des institutions locales.

Il s'agit de ne surtout pas se substituer à la mission de l'administration forestière. L'adjoint au chef de projet est ainsi un cadre du gouvernement centrafricain. Les quatre ingénieurs forestiers français présents sur place ne sont pas des coopérants : ils sont employés avec des contrats de droit privé à durée déterminée.

La durée du projet est limitée dans le temps : démarrée en 2000, une première phase s'est achevée en 2004. L'AFD a reconduit son financement pour une seconde phase jusqu'en 2006. Un second projet, couvrant la période 2006-2010 est à l'étude.

L'ambition du PARPAF est d'amorcer un processus d'aménagement, mais aussi de former des cadres centrafricains qui pourront prendre le relais quand le bailleur de fond se sera retiré. L'avancement de la mission est contrôlé et évalué chaque mois par l'AFD qui applique une logique dite de "monitoring report"[1] selon le terme anglo-saxon consacré. Le programme est conçu pour favoriser le partenariat avec les exploitants forestiers. Ces entreprises ont tout intérêt à jouer le jeu de la coopération, car l'appui technique et financier du PARPAF leur permet d'obtenir des aménagements d'une qualité bien supérieure à ceux qu'elles auraient pu espérer réaliser en autofinancement et avec leurs propres compétences. L'inventaire précis de la ressource leur permet de prévoir des niveaux de production et d'optimiser leurs méthodes d'exploitation, ce qui leur évite par exemple de dégrader la forêt en ouvrant des pistes à l'aveugle.

Un grumier transportant le bois jusqu'au port de Douala au Cameroun

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Arbre mal "conformé" laissé comme semencier après une exploitation

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Les contraintes environnementales destinées à favoriser la régénération et le renouvellement des forêts, comme l'obligation de laisser des arbres semenciers de gros diamètre (photo ci-contre), sont perçues comme un handicap. Mais cette durabilité imposée peut se révéler un atout. Comme l'essentiel du bois part à l'export, notamment en Europe, certains exploitants réfléchissent à la mise en place d'un label d'écocertification de leur bois pour conquérir de nouvelles parts de marché. La prise en compte des besoins des populations locales au travers d'enquêtes sociales s'avère également d'une grande utilité pour ces entreprises qui doivent s'assurer d'une bonne acceptation locale afin d'éviter par exemple des actions de représailles ou de sabotage de chantier.

Six ingénieurs forestiers centrafricains ont été recrutés et sont formés pour pouvoir, à l'avenir, assumer et encadrer les activités d'aménagement. Le projet s'occupe également de la rédaction de nouvelles directives et normes nationales pour la gestion forestière qui viendront compléter l'arsenal juridique déjà en place.

Il dispose de tous les moyens de fonctionnements nécessaires (véhicules tout terrain, parc informatique avec Système d'information géographique) et il est autonome pour son fonctionnement quotidien (groupes électrogènes, captages d'eau). Trois équipes de prospecteurs sont chargées d'encadrer et de contrôler le travail d'inventaire conduit par les sociétés forestières (photo ci-dessous à droite).

Un chantier d'exploitation en forêt centrafricaine

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Prospecteurs lors d'un inventaire

Cliché : Benoît Boutefeu, novembre 2005

Le PARPAF est l'un des principaux pourvoyeurs d'emplois de la ville de Berberati et c'est pourquoi il est bien accepté localement. Aujourd'hui toutes les entreprises forestières du massif forestier de l'ouest de la RCA sont engagées dans un processus d'aménagement. Le renouvellement probable du projet pour la période 2006-2010 atteste de la confiance du bailleur de fond, prêt à débloquer 5 millions d'€ pour poursuivre le travail déjà effectué.

Une démarche prometteuse mais un avenir toujours incertain

Le montage, original et complexe, du projet semble tenir compte des erreurs passées dans le domaine de la coopération et de l'aide au développement. Les résultats positifs du PARPAF prônent en faveur de ce type de démarche, limitée dans le temps, portée à la fois par un bailleur de fonds international et une administration locale, articulée autour d'un partenariat avec des entreprises privées, encadrée par une évaluation permanente ou "monitoring report".

Dans un pays qui n'a plus les moyens de payer ses fonctionnaires et dans lequel la corruption est endémique, ce projet fait figure d'exception et donne quelques bonnes raisons d'espérer. Pourtant, malgré ce tableau encourageant, il ne faudrait pas se laisser aller à un optimisme naïf. L'instabilité politique, avec la corruption et l'insécurité qui l'accompagnent [2], pourrait, à tout moment, compromettre ce programme. Par ailleurs, les besoins sont immenses en RCA, et certains pourraient s'interroger sur une stratégie qui vise à favoriser le développement d'une filière économique avant de s'occuper de la santé ou de l'éducation.

Les freins au développement sont énormes, pas seulement économiques ou politiques, mais aussi sociologiques. La culture d'assistanat, largement encouragée par la France dans le passé, et le manque d'initiatives locales ne favorisent pas un esprit de responsabilité. La question se pose de l'après projet : quelles sont les conditions nécessaires pour que les centrafricains aient les moyens et les compétences pour reprendre, poursuivre et adapter la démarche ?

 

Notes

[1] Le terme anglo-saxon de “monitoring report”, littéralement « rapport de suivi », désigne une démarche d'évaluation de projets appliquée dans différentes instances internationales, notamment la Banque Mondiale qui produit chaque année son fameux "Global Monitoring Report". Une politique de contrôle et de suivi permanent est mise en place grâce à des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs et des audits externes réguliers. Des objectifs précis sont fixés au préalable et des outils comme par exemple la comptabilité analytique permettent de vérifier périodiquement l'état d'avancement du projet.

[2]Wangari Maathaï, prix Nobel de la paix en 2004 et secrétaire kényane à l'environnement, a centré son action sur les conséquences de la déforestation en termes de biodiversité et sur ses relations aux problématiques de la gouvernance. Elle a créé une ONG, le Green Belt Movement (Organisation de ceinture verte) qui s'est consacrée à l'étude des montagnes Abadare, alimentation en eau de Nairobi.

Une sélection de ressources pour compléter

Sites d'institutions
  • L'Agence française de développement (AFD) : www.afd.fr
  • Le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) :www.cirad.fr
  • L'École Nationale du Génie Rurale des Eaux et des Forêts (ENGREF), dont le centre de Montpellier dispense des formations dans le domaine de la foresterie tropicale : www.engref.fr
  • Ministère des affaires étrangères : www.diplomatie.gouv.fr
  • Médiaterre, Système d'information mondiale francophone pour le développement durable (sous l'égide de l'agence intergouvernementale de la francophonie) : www.mediaterre.org
  • La filiale internationale de l'Office National des Forêts, dont la société Sylvafrica est implantée dans le bassin du Congo : www.onf-international.fr
  • Programme des Nations unies pour le développement : www.unpd.org
  • Le Réseau d'information pour le développement durable en Afrique centrale (RIDDAC), partenaire de Médiaterre : www.riddac.org
  • La Convention de Washington (sur le commerce international de la faune et de la flore sauvages menacées d'extinction - CITES)
  • La Convention sur le commerce international de la faune et de la flore sauvages menacées d'extinction (CITES) : www.cites.org/fra/index.shtml
Sites consacrés à la République Centrafricaine
Sites associatifs, ONG

 

D'après un voyage d'étude fait en novembre 2005,

Benoît Boutefeu, Ingénieur des travaux des eaux et forêts à l'ONF

Pour Géoconfluences, le 15 janvier 2006

 

Mise à jour :   15-01-2006


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Pour citer cet article :  

Benoît Boutefeu, « Quelle coopération pour les pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne ? », Géoconfluences, janvier 2006.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahViv.htm