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La Chine entre espaces domestiques et espace mondial

Visages médiatiques du barrage des Trois-Gorges : l’analyse statistique des données textuelles en géographie

Publié le 22/01/2010
Auteur(s) : Émeline Comby, maîtresse de conférences en géographie - Université Lyon 2
Yves-François Le Lay, professeur des universités en géographie - École normale supérieure de Lyon
Luc Merchez, maître de conférences en géographie - Université de Lyon, ENS de Lyon
Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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1. Dam nation : un reflet de la littérature scientifique anglophone

2. L'analyse de données textuelles au service du géographe

3. Le barrage des Trois-Gorges : controverses autour du plus grand barrage du monde

Prenant sa source au glacier tibétain Gelandandong, à plus de 6 000 mètres d'altitude, le Yangzi (ou Changjiang, c'est-à-dire le "long fleuve") s'écoule d'abord vers le sud, puis vers le nord et le nord-est, et enfin vers l'est pour se jeter dans la mer de Chine Orientale (encadré ci-dessous). Jusqu'à Yichang, le fleuve est généralement profondément encaissé. Au-delà, il méandre sur une pente très affaiblie et remplit des lacs qui occupent les grandes dépressions voisines. Près de l'embouchure, sa charge solide a construit un grand système deltaïque qui s'étend sur plus de 50 000 km² (Chen et al., 2001b). Le Yangzi s'est mis en place à la faveur de l'orogenèse himalayenne à la fin du Tertiaire et au début du Quaternaire. Les trois fameuses gorges de Qutang, Wu et Xiling sont apparues au début du Quaternaire moyen.

La fascination portée au Yangzi repose sur les dimensions exceptionnelles du fleuve, mais aussi sur le rôle majeur que joue cet axe dans l'organisation spatiale de la Chine (tableau ci-dessous). Son bassin versant occupe 20% du territoire chinois, regroupe plus de 400 millions d'habitants et représente 40% de la production industrielle et agricole du pays.

Localisation et caractéristiques du Yangzi et du barrage des Trois-Gorges

Localisation de la région du barrage-réservoir des Trois-Gorges

Un fleuve hors norme

Merchez et Puzin, 1999 ; Chen et al., 2001b

Le plus grand barrage au monde

Sanjuan, 2001

Davantage que le projet de transfert d'eau depuis le bassin du Yangzi et en direction des plaines de la Chine du Nord, le barrage des Trois-Gorges (ou de Sanxia) a capté l'attention des communautés scientifiques et des opinions publiques pour devenir une référence incontournable en matière d'aménagement hydraulique et de gestion des ressources naturelles (Zhang et al., 1999). Aussi l'immense production écrite qui rend compte du projet apparaît-t-elle comme un matériel particulièrement propice à l'analyse des données textuelles. Les mouvements écologistes d'Amérique du Nord initièrent la polémique au début des années 1990 et les médias occidentaux l'attisèrent en s'inquiétant de la durabilité socio-économique et environnementale du projet. "Selon leur sensibilité, les journalistes de la presse ou de l'image relayent les arguments écologiques ou les arguments humanitaires et sociaux" (Bravard, 2001). Malgré la forte critique chinoise et internationale (violations des droits de l'homme, désastre écologique, atteintes patrimoniales et culturelles, risques économique et financier), le gouvernement s'est montré déterminé à achever les travaux pour accroître sa capacité de production énergétique, améliorer la navigabilité du fleuve et mieux contrôler les inondations. Ainsi, le plus grand barrage du monde (tableau ci-dessus) s'est aussi accompagné de la plus vive controverse mondiale à l'égard d'un programme de développement (Salazar, 2000).

Le Yangzi en amont du barrage en 1987 et en 2006 : les vallées ennoyées

Des images satellites pour observer les évolutions : à gauche, du programme Landsat 5, Thematic Mapper le 17 avril 1987, à droite, du programme Landsat 7 ETM, le 7 novembre 2006. Source : Earth Observatory (Nasa) > Three Gorges Dam, China http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=7769

En mai 2006, le barrage avait été déclaré achevé par les autorités chinoises. Il était alors rempli à mi-hauteur, 14 de ses 26 turbines étaient en production. En 2009, le réservoir n'atteignait pas encore tout à fait son niveau-cible prévu à 175 mètres.

Voir aussi :

 

Après avoir synthétisé l'abondante littérature scientifique anglo-saxonne pour rappeler les principaux enjeux liés à la construction de l'édifice, cet article rend compte d'une étude au cours de laquelle un corpus constitué d'une dizaine de textes, en français et facilement accessibles, a fait l'objet d'une analyse statistique des données textuelles au moyen de trois logiciels couramment utilisés, à savoir ALCESTE®, LEXICO 2® et TROPES ZOOM v7®. Quelques résultats sont présentés pour souligner la complémentarité des fonctions proposées par ces logiciels. Enfin, ces résultats sont discutés et interprétés à la lumière de la littérature géographique française.

Dam nation : un reflet de la littérature scientifique anglophone

Depuis les années 1990, plusieurs centaines d'articles ont été publiés dans les revues scientifiques périodiques d'envergure internationale. Ils permettent de faire émerger les thèmes sur lesquels les études se sont focalisées et d'identifier les tenants et aboutissants du programme de développement.

Un ouvrage hydraulique au service du développement

Entre 1950 et 2000, près de la moitié des plus grands barrages du monde ont été construits en Chine (Xu et al., 2006). Avec 1,9 millions de km², le Yangzi dispose du plus vaste bassin en Asie du Sud et il rassemble 50 000 barrages, parmi lesquels celui dit des Trois-Gorges.

Outre Sun Yat-Sen, l'idée de construire un immense ouvrage dans les gorges du Yangzi (cliché ci-contre) a enflammé l'imagination d'ingénieurs, d'aventuriers et d'entrepreneurs étrangers à partir des années 1920 (Boxer, 1988). En 1992, le Parlement chinois, malgré l'abstention d'un tiers des participants, vote le principe du barrage, ce qui, implicitement, a arrêté tout débat dans le pays. Les travaux ont commencé l'année suivante.

Après avoir vérifié la stabilité géologique, les autorités ont décidé de construire le barrage à Sandouping, près de Yichang (figure supra), pour profiter des qualités du substrat granitique (Chengxuan et al., 1997). Des bénéfices sociaux et économiques étaient attendus à la faveur de la production hydroélectrique, de l'amélioration de la navigation, du contrôle des inondations et de l'alimentation en eau, mais aussi du développement des activités touristiques et aquacoles (Luk et Whitney, 1993 ; Jackson et Sleigh, 2000).

La gorge centrale de Wu

Cliché : L. Merchez, 1998
Entre la gorge de Qutang, en amont et celle
de Xiling, en aval, ici la gorge centrale de Wu

En premier lieu, la production d'électricité est rendue cruciale par le développement chinois (Qing et Sullivan, 1999). L'hydroélectricité doit satisfaire 10% de la consommation électrique nationale destinée, avant tout, au secteur industriel (Jackson et Sleigh, 2001). À terme, elle doit permettre de réduire le recours au charbon dans les centrales thermiques.

Par ailleurs, la régularisation de son débit doit améliorer la navigabilité du fleuve en aval du barrage (clichés ci-dessous). Des bateaux de 10 000 tonnes doivent pouvoir remonter le Yangzi jusqu'à Chongqing, alors que seuls des navires de 3 000 tonnes y accédaient jusqu'alors.

Le barrage des Trois-Gorges en construction, entre la deuxième gorge (Wu) et la troisième gorge (Xiling)

Clichés : Adrien Mortini, Structurae, 1998. Chantier de l'ascenseur à bateau.

Vue aval, les premiers plots du barrage s'élèvent sur l'île de Zhongbao, le canal de dérivation provisoire du fleuve est visible sur la gauche

Les travaux ont nécessité l'emploi de technologies très innovantes. Source des clichés : Adrien Mortini, Structurae http://fr.structurae.de/structures/data/photos.cfm?ID=s0001073

Concernant les crues, le confinement du fleuve entre des digues, à l'aval de Yichang, l'a contraint à s'élever d'une douzaine de mètres, ce qui favorise les débordements. Les inondations de l'automne 1998 avaient engendré des dommages évalués à 166 milliards de yens, soit environ 20 milliards de dollars (Chen et al., 2001b). Or, le réservoir a une capacité totale de stockage de 39,3 milliards de m³ pour le niveau à 145 mètres qui est le niveau d'eau du réservoir au mois de juin à la veille de la mousson. Il peut s'élever à 175 mètres et le réservoir peut retenir jusqu'à 22,15 milliards de m³ supplémentaires pour contrôler les inondations. Ainsi, à l'aval, les crues centennales devraient être contenues alors que seules les crues décennales étaient maîtrisées jusqu'alors (Rushu, 1998 et 2004). Au retour de la saison sèche, l'excédent est évacué pour faire tourner les turbo-alternateurs et pour alimenter le fleuve en aval.

Enfin, il était prévu que l'ouvrage engendre des bienfaits environnementaux en améliorant la qualité de l'air et en atténuant l'impact de la production énergétique chinoise sur la couche d'ozone grâce à une énergie plus propre, l'hydroélectricité se substituant aux centrales thermiques (Topping, 1995).

De graves implications sociales

En Chine, les déplacements des populations qu'exige la mise en eau des barrages-réservoirs ont une longue histoire, souvent douloureuse (Jing, 1997 ; Heming et al., 2001). Le remplissage du barrage des Trois-Gorges a nécessité de reloger plus d'un million de personnes (Shi et al., 2004). Les opérations de relocalisation se sont avérées complexes du fait, entre autre, des relations étroites qui unissent les hommes à leurs terres, des difficultés pour reconstruire des systèmes productifs et pour s'adapter à un nouveau contexte social hors de la zone de la retenue, causant notamment l'augmentation du chômage dans ces villes chinoises par un gonflement soudain de la population active (Heming et Rees, 2000).

Malgré leur soutien au projet, la majorité des migrants ruraux ont eu un sentiment mitigé à l'égard de leur réinstallation (Heming et Rees, 2000) qui s'est faite dans une Chine marquée par la transition vers l'économie de marché. Leur migration involontaire, leur appauvrissement et l'absence de maîtrise de leur situation ont rendu les personnes déplacées plus facilement dépressives (Hwang et al., 2007). Avant tout soucieuses de leur subsistance, les autorités chinoises ont largement négligé le traumatisme inhérent à la rupture des réseaux de sociabilité de ces populations (Heggelund, 2004 et 2006) et elles se sont peu préoccupées des processus de prise de décision, des droits de propriété et des incitations à la mobilité (Jackson et Sleigh, 2000).

Opérations de déplacement et de relocalisation des populations

La ville de Kaixian

Source : "Wetlands expert. China should think outside the flooding box with Three Gorges Dam", Research Communication, Ohio State University, 23 octobre 2008

La ville de Kaixian, en amont du barrage, a été rasée et "déplacée".
http://researchnews.osu.edu/archive/ecodam.htm

ScienceDaily : www.sciencedaily.com­ /releases/2008/10/081023175131.htm

La ville de Badong

Cliché : L. Merchez, 1997

Après l'évacuation de l'ancienne ville, les habitants ont été relogés en hauteur. Les nouvelles constructions apparaissent en haut à droite de la photographie. Malgré les terrassements, l'érosion des sols et les glissements de terrain y sont redoutés. Au premier plan, les bateaux rappellent l'importance du transport fluvial sur le Yangzi qui reste le premier axe de circulation dans la région.

De plus, les relocalisations en ville soulèvent la question de la croissance urbaine, par exemple à Fengjie, Wushan et Badong (cliché ci-dessus). Parallèlement à l'accueil des nouveaux migrants, Chongqing doit désormais gérer des problèmes aussi ardus que la reconversion d'anciens sites industriels et la préservation de l'environnement, dégradé notamment par la déforestation et l'érosion des sols (Chen et al., 2000).

Les impacts environnementaux sont nombreux (Qing, 1998) et les modifications écologiques pourraient exacerber des problèmes de santé publique en changeant les conditions de la transmission de maladies parasitaires, au droit de la retenue et à l'aval (Ross et al., 1997 ; Li et al., 2007). Par exemple, la prévalence de la schistosomose (Schistosomiasis japonica) est corrélée non seulement à la densité d'escargots hôtes intermédiaires (Oncomelania hupensis), aux précipitations annuelles, à l'évaporation, à l'altitude, mais aussi au niveau de la ligne d'eau (Xu et al., 2000). Certes la régulation du débit doit réduire les occurrences des inondations, la dispersion du mollusque gastéropode et la probabilité d'infection des hommes et des animaux, mais le réservoir devient une aire de transmission potentielle de la schistosomose et l'élévation du niveau de l'eau peut fournir de nouveaux habitats à l'escargot (Zheng et al., 2002 ; Zhu et al., 2008).

Le barrage comme structure de rétention

Une partie des personnes déplacées notamment du fait de la montée des eaux (dont 40% sont des agriculteurs) ont été réimplantées dans des zones plus accidentées et isolées, ce qui risque de développer l'érosion des sols (Shi et al., 2004), déjà accélérée par la destruction de la végétation (Yin et Li, 2001). Les taux d'érosion varient fortement dans l'espace, notamment en fonction de la pente. Néanmoins, Lu et Higgitt (2000) ont estimé la perte annuelle moyenne en sol à 4 500 tonnes/km²/an au cours des quatre dernières décennies. La charge sédimentaire moyenne apportée par le Yangzi en amont de Chongqing est d'environ 318 millions de tonnes par an qui s'accumulent dans le réservoir (Higgitt et Lu, 2001). Le comblement concerne également les grands lacs du bassin versant, comme ceux de Dongting et Poyang et, conjugué avec le gain de terres agricoles aux dépens des systèmes lacustres, il réduit la capacité d'absorption des crues, comme en 1998 (Zong et Chen, 2000).

Le barrage entrave aussi le transit des éléments nutritifs et accroît leur rétention dans le réservoir où les proliférations d'algues par eutrophisation deviennent plus fréquentes (Zeng et al., 2006). Cette évolution est d'autant plus inquiétante que les apports en azote augmentent du fait de l'emploi plus fréquents des fertilisants dans les agrosystèmes à l'amont du barrage (Liu et al., 2006). Mais, à Chongqing, c'est le secteur industriel en plein développement qui représente la moitié de la demande en eau et qui s'affirme aussi comme le premier pollueur de la ressource, avec la moitié des émissions par exemple en carbone, en azote et en phosphore (Okadera et al., 2006). Les témoignages photographiques de la pollution et des déchets flottants à la surface de la retenue abondent (Liu et Diamond, 2005).

En aval, le remplissage du barrage des Trois-Gorges (première phase en juin 2003) a provoqué la modification du débit, de la température et de la chimie des eaux, ce qui affecte par exemple les populations des quatre espèces de carpes pêchées dans le cours d'eau (Xie et al., 2007). Retenant une partie de la charge sédimentaire, il réduit le débit solide en aval et y favorise l'érosion du plancher alluvial (Yang et al., 2002 ; Yang et al., 2006 ; Xu, 2006 ; Yang et al., 2007). À plus petite échelle, les environnements côtiers se trouvent privés d'une partie de leur alimentation en eau, en sédiments et en éléments nutritifs (Gong et al., 2006 ; Yang et al., 2007).

Dans l'estuaire, en saison sèche, la forte diminution du débit est propice à d'importantes intrusions d'eau salée dans l'estuaire (Chen et al., 2001a). Le transport sédimentaire du Yangzi à la mer avoisinait 472 millions de tonnes par an entre les années 1950 et le milieu des années 1980, puis s'abaissa à près de 124 millions de tonnes par an. Le barrage a provoqué un nouveau déclin soudain des apports sédimentaires réduits à environ 1,2 millions de tonnes par an (Chen et al., 2008). C'est pourquoi le delta du Yangzi connaîtra une érosion pendant les cinquante prochaines années (Yang et al., 2006). La région de Shanghai devra faire face au problème de la défense des terres contre la mer (Chen et zong, 1998). Jiao et al. (2007) soupçonnent que le premier remplissage du réservoir a provoqué des anomalies écologiques dans l'estuaire, dès 2003 : les changements concernant la composition de la communauté microbienne y seraient imputables à la réduction soudaine du débit liquide du fleuve.

D'autres répercussions environnementales

La construction du barrage-réservoir est à l'origine d'autres problèmes environnementaux. Elle est susceptible de favoriser les glissements de terrain, l'aléa naturel le plus répandu dans les principales zones habitées le long du fleuve (Liu et al., 2004). Le glissement de terrain de Qianjiangping intervint dès juillet 2003, suite à la première phase de mise en eau, alors que le réservoir atteignait 135 mètres. Mais la stabilité du versant avait déjà été affectée par une activité minière et par d'abondantes précipitations (Wang et al., 2004).

L'aléa glissement de terrain : Qianjiangping, 2003

Source : Xian-Qi Luo, Ailan Che - A Study of Landslide Mechanism in the Three Gorges Reservoir Area, département des sciences de la Terre, université de Florence
http://150.217.73.85/wlfpdf/19_Luo.pdf  Landslide Disaster Mitigation in Three Gorges Reservoir, Springer, Berlin, 200
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Les changements de l'occupation du sol associés au réservoir ont également des effets climatiques à l'échelle régionale : ils déterminent la diminution des précipitations au voisinage du barrage, mais leur augmentation une centaine de kilomètres au Nord (Wu et al., 2006). La masse d'eau humidifie l'air et l'inertie thermique le rafraîchit, de telle sorte que les mouvements de subsidence et de divergence semblent plus fréquents : l'air relativement plus froid et plus humide s'éloigne du barrage, notamment en direction de l'aval (Miller et al., 2005).

La biodiversité du bassin du Yangzi est conséquente, il recèlerait 36% des espèces de poissons d'eau douce chinoises : 361 espèces de poissons appartenant à 29 familles et à 131 genres dans cet espace de la zone paléarctique (une des huit régions biogéographiques terrestre qui s'étend sur une partie de l'Asie, sur l'Europe et sur l'Afrique au nord du Sahara) (Park et al., 2003). De plus, parmi les 177 espèces endémiques, 27 ont reçu le statut d'"espèce en danger". Elles sont particulièrement vulnérables et certaines s'avèrent directement menacées par le barrage qui a réduit drastiquement les zones de frai (Xie, 2003). De même, une plante rivulaire endémique, Myricaria laxiflora, ne se trouve que dans la vallée du Yangzi et "sera complètement perdue en raison de la construction du barrage des Trois-Gorges" (Liu et al., 2006).

Néanmoins, les îles formées à la faveur de cet immense ouvrage hydraulique fournissent aussi une opportunité incomparable pour étudier comment la fragmentation de l'habitat est susceptible de modifier la biodiversité terrestre et aquatique, et comment les communautés biotiques réagissent à de telles perturbations. Il sera alors possible d'en mieux comprendre les conséquences sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes, d'améliorer les pratiques de protection, d'accroître les collaborations internationales et de promouvoir l'éducation environnementale du public (Wu et al., 2003 et 2004).

Au total, la gestion du barrage-réservoir le plus grand au monde trouve sa complexité dans les interrelations qui unissent les systèmes sociétal, environnemental et technologique. L'étude d'Alberts et al. (2004) se veut rassurante dans la mesure où leurs entretiens avec les ingénieurs et les gestionnaires révèlent que ces derniers en sont conscients et qu'ils ont anticipé les problèmes.

Des publications scientifiques anglo-saxonnes

Ainsi, les enjeux de cet aménagement hydraulique apparaissent dans toute leur complexité au sein de la littérature anglophone. Ce tableau peut être mis en regard d'un échantillon médiatique français pour en dégager les axes principaux, les points communs et les divergences.

L'analyse de données textuelles au service du géographe

La statistique textuelle est une discipline récente. Elle a connu un réel essor depuis les années 1990. La rencontre entre la linguistique et la statistique a été facilitée par le développement de l'informatique, les logiciels offrant de plus en plus de possibilités. En première approche, statistiques textuelles et analyses de données textuelles (parfois nommées ADT) sont des synonymes qui désignent une méthode quantitative (et épistémologiquement objective) pour traiter le discours, une donnée qualitative (et ontologiquement subjective).

Du discours à la statistique textuelle : un gain d'objectivité ?

À la croisée de différentes disciplines, le discours est omniprésent dans le champ des Sciences humaines et sociales où les enquêtes reposent bien souvent sur des questionnaires (avec questions ouvertes), des entretiens semi-directifs retranscrits ou encore des sources de documentation, comme la presse (Grawitz, 2001). Issu de l'analyse des communications, l'analyse de contenu a pris son essor aux États-Unis, pendant les quatre premières décennies du XXe siècle, en étayant l'attitude interprétative (herméneutique) à l'égard du matériel journalistique par des procédures techniques de validation, notamment par un effort de comptage et de mesure (Bardin, 1980).

Berelson (1952) a défini l'analyse de contenu (content analysis) comme "une technique de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication". Le codage du texte consiste à créer des thèmes, puis à les dénombrer dans le texte (nombre d'occurrences, proximité des occurrences…). La dimension statistique de la démarche apparaît alors. À partir des années 1960, le recours à l'ordinateur se développe. S'il permet d'appréhender des corpus de plus grande taille et s'il dégage l'horizon des analyses statistiques, la préparation des textes à traiter renouvelle l'intérêt porté aux acquis linguistiques. Aujourd'hui, l'informatique permet de simplifier le codage et le décompte, mais chaque logiciel a ses normes et ses procédures de toilettage des textes, concernant la ponctuation, le traitement des majuscules et des minuscules par exemple.

Quels sont les principaux intérêts de cette démarche ? L'analyse de données textuelles peut s'intéresser a priori à toute parole, qu'elle soit orale ou écrite. Elle aide à prendre du recul, une distance critique face au discours et d'en faire apparaître les points de vue, voire les partis pris, d'une manière plus objective.

Voir, en savoir faire : L'analyse de données textuelles : des démarches heuristiques

Elle autorise le traitement, avec la même rigueur et le même protocole, des textes de natures diverses. La mise en place de corpus permet de regrouper des textes avec des caractéristiques particulières et donc de synthétiser de grandes quantités d'information. Elle contribue alors à la compréhension des différents ressorts du discours, comme les mots les plus employés ou les plus proches en termes de sens. Elle permet donc de dépasser la simple dénotation du mot pour l'insérer dans un réseau de sens au sein du corpus, révélant alors ses connotations.

La question des limites des traitements se pose alors. Largement automatisés, ils ne prennent pas en compte toutes les subtilités de la langue française. Si les homonymes nécessitent une retranscription correcte des entretiens ou une correction orthographique des réponses fournies lors des enquêtes à questions ouvertes – l'orthographe est déterminante lors des analyses –, il faut également prêter attention aux termes polysémiques. Il peut ainsi être utile de créer un codage spécifique pour le même mot qui contient plusieurs sens en ajoutant, par exemple, une étoile quand ce mot est un substantif. De même, il faut faire attention aux synonymes employés pour éviter les répétitions qui peuvent fausser les résultats. Mais le choix de tel ou tel synonyme est aussi révélateur d'un réseau de sens et d'un point de vue de l'auteur. Il peut également être utile de créer des mots par regroupements. Par exemple, le terme "barrage des Trois-Gorges" comprend quatre mots mais ne correspond qu'à une réalité. De même, il faut développer ou réduire tous les acronymes pour en percevoir les répétitions.

Trois logiciels d'analyse textuelle au banc d'essai

L'offre en logiciels d'analyse textuelle est désormais abondante. Le coût s'impose comme l'une des premières discriminations : certains logiciels sont libres et gratuits, d'autres payants. L'inventaire proposé ici ne se veut pas exhaustif et se limite à une partie de l'offre française dans la mesure où ces logiciels contiennent généralement des dictionnaires multilingues pour étudier des textes dans une langue étrangère.

Dans la catégorie des logiciels libres et gratuits, citons TROPES ZOOM V7® (une version d'essai gratuite) ou LEXICO® (des versions gratuites pour un usage privé ou des chercheurs isolés, une version LEXICO 2® de 1998 libre de droit). Dans la catégorie des logiciels payants, ALCESTE®, Sphinx ® grâce au module Lexica ®, SPAD-T®, NeuroText® (Amalric, 2005) ou HYPERBASE® font partie des plus utilisés en Sciences humaines et sociales.

Ces logiciels présentent toutefois des fonctions différentes. Il faut donc au préalable établir des hypothèses et définir des objectifs pour choisir celui qui sera le mieux adapté. En effet, certains logiciels comptent le nombre d'occurrences, mais n'ont pas recours à des analyses statistiques multivariées. Celles-ci consistent à résumer un tableau de données comprenant plusieurs variables en dégageant un petit nombre de facteurs (ou dimensions) auxquels l'interprète doit ensuite donner du sens. En particulier, l'analyse factorielle des correspondances (AFC) est bien adaptée pour décrire les associations entre deux variables qualitatives. Des représentations graphiques visualisent les rapports de proximité et d'éloignement entre des mots ou des textes. Par ailleurs, dans la perspective d'une activité en classe avec les élèves et selon le niveau, on pourra sélectionner les logiciels en fonction de leur ergonomie générale et de leur facilité d'usage. Bien sûr, il reste possible d'utiliser ces logiciels sans maîtriser l'ensemble des techniques statistiques qu'ils développent.

Le logiciel ALCESTE®

Issu du CNRS et aujourd'hui commercialisé par la société IMAGE, le logiciel ALCESTE® permet de traiter des corpus volumineux. Selon M. Reinert (1998, 2000, 2001), son concepteur, il prend ses racines dans les travaux de Benzécri (1973 et 1980) et il vise à quantifier un texte pour en extraire les significations les plus fortes. Entièrement informatisée, sa méthode "repose sur un concept simple : le corpus à analyser est découpé en fragments de texte d'à peu près même taille relativement réduite, appelés les unités de contexte" (Reinert, 2006). Ces Unités de contexte élémentaire (UCE) sont ensuite organisées selon une méthode de classification, c'est-à-dire une technique statistique qui permet de former des groupes homogènes d'individus. Plus précisément, il s'agit ici d'une classification descendante hiérarchique : un algorithme considère les UCE, les partage en deux classes aussi différenciées que possible au regard de leur vocabulaire spécifique et répète la procédure sur la classe la plus grande jusqu'à l'obtention du nombre de classes désiré. Les classes obtenues présentent finalement entre elles une proximité plus ou moins élevée. Le logiciel met en évidence les termes qui sont caractérisés par une appartenance forte à une classe. Il offre aussi la possibilité d'effectuer des analyses dites de "tris croisés" entre différentes variables de chaque texte. Concernant le toilettage du corpus, ALCESTE® nécessite l'élimination du tiret (sauf dans les locutions) et des mots entièrement en majuscules (les écrire en minuscules, sinon ils sont exclus de l'analyse). Chaque article doit être précédé par une ligne donnant ses caractéristiques : elle est utilisée pour différencier les articles mais aussi lors des analyses de tris croisés.
ALCESTE® se prête volontiers au traitement d'entretiens et à l'analyse temporelle de recueils d'articles de presse. Plusieurs sociologues y ont trouvé un outil commode pour mettre en valeur leur corpus. Ainsi, C. Labeur (2008) a rassemblé une quinzaine d'entretiens auprès de personnes sinistrées lors d'une crue du Rhône en Arles et a noté que la solidarité pendant et après la catastrophe alimente une partie significative de leur discours. De même, dans son étude géographique des déchets ménagers, E. Kah (2001) a exposé quelques intérêts et conditions d'utilisation du logiciel.

Le logiciel LEXICO 2®

Initialement développé par A. Salem (Lebart et Salem, 1994), ce logiciel est désormais entretenu par l'équipe universitaire SYLED-CLAD2T (Systèmes Linguistiques Enonciation et Discours, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle). À l'origine, LEXICO® est un logiciel de traitement lexicométrique qui a été mis au point pour traiter plus particulièrement les textes issus des domaines socio-politiques et socio-économiques. Aujourd'hui, s'il existe une version libre LEXICO 2®, la version LEXICO 3® fait l'objet d'une diffusion commerciale. Parmi les normes à respecter pour la création du corpus, il faut introduire chacun des textes par une ou plusieurs clés <variable=a>. Chaque paragraphe doit commencer par le symbole §. De plus, il faut transformer les majuscules en minuscules après les points pour ne pas fausser le décompte d'occurrences. Le fichier est enregistré dans le format ".txt" et ouvert grâce au module Segmentation du logiciel. Ce dernier permet alors de corriger les erreurs commises dans le corpus grâce à la création d'un fichier nommé "atrace" qui les répertorie. Parmi les premiers traitements possibles, ceux des fréquences des mots ou des lignes de contexte peuvent être relevés. Les outils lexicométriques de ce logiciel, ainsi que les productions graphiques qui sont proposées pour visualiser les résultats des analyses, ont séduit plusieurs sociologues (Leimdorfer F. et Salem, 1995) et historiens (Bonin et Dallo, 2003).

Le logiciel TROPES ZOOM v7®

Édité par la société Acetic, le logiciel TROPES ZOOM v7® présente une version gratuite qui n'a ni toutes les fonctionnalités ni toute la puissance de la version payante. Grâce à de nombreux outils d'analyse sémantique, ses usages les plus fréquents se retrouvent en Sciences humaines et sociales, notamment en psychologie sociale (Ghiglione et al., 1998). Il comporte trois modules : Tropes pour l'analyse de textes et de discours, Zoom pour la recherche documentaire et l'analyse sémantique et enfin Index pour l'indexation  sémantique et la structuration automatique de l'information. Le corpus nettoyé pour LEXICO 2® peut être utilisé tel quel sous TROPES ZOOM v7®. Parmi les ressorts de ce logiciel, le principe "rafale" identifie les mots dont la concentration est remarquable dans des fragments de taille identique au sein du corpus initial ; il procède en découpant le texte chronologiquement. Ce logiciel propose de nombreux types de représentations graphiques. Parmi ses principales fonctions, il relève le style du texte, son rythme, sa syntaxe, les champs lexicaux les plus employés ou les catégories de mots les plus fréquentes.

Le barrage des Trois-Gorges : controverses autour du plus grand barrage du monde

L'application suivante a pour objectif de présenter quelques possibilités offertes par trois logiciels afin d'en faire comprendre l'intérêt, certaines de leurs particularités et différences, mais sans viser une présentation exhaustive de leur capacité. Pour ce qui est de l'étude de cas, il s'agit surtout ici de dégager des lignes de force dans l'ensemble du corpus sélectionné.

Un corpus de textes aisés à rassembler : le cas du barrage-réservoir des Trois-Gorges

Un corpus désigne un ensemble de documents qui ont été recueillis en vue d'une analyse. Leur sélection répond à certaines règles. Ainsi, le corpus doit présenter un volume suffisant (plus de 49 000 caractères ici), dont les limites dépendent des logiciels, afin d'éviter des biais statistiques. En outre, l'ensemble gagne à présenter une certaine homogénéité dans les questions et les thématiques abordées. Le corpus de textes proposé ici (tableau ci-dessous) est composé de dix articles parus dans des médias en France, représentatifs de divers points de vue : vulgarisation scientifique (Sciences actualités, Univers Nature), presse quotidienne (Le Monde, Libération), hebdomadaire (Le Point, Marianne, Le Courrier international) ou mensuelle (Le Monde diplomatique), reportage télévisé retranscrit (France 2). Au moment de leur diffusion, entre 1996 et 2009, le barrage est en construction, puis il est mis en eau. Journalistes et scientifiques prennent la plume pour rendre compte de l'avancée et des enjeux des travaux auprès du grand public. Qu'il s'agisse de productions destinées à la presse écrite, à la télévision ou au web, le corpus est intégralement accessible depuis les sites Internet de ces différents médias.

Un panel d'articles sur le barrage des Trois-Gorges en Chine
 
Date (nombre de caractères)
Auteur
(fonction ou statut)  
Média
Article 1
juin 1996 (10 755)
J.-P. Beja (directeur de recherche au CNRS) 
Le Monde diplomatique
Article 2
22/05/06 (2 714)
P. Farcy (rédacteur en chef) 
Univers Nature
Article 3
11/09/06 (9 350) 
P. Lima (journaliste scientifique pigiste)
Sciences Actualités
Article 4
18/11/07 (5 624)                    
B. Philip (correspondant permanent à Pékin)
Le Monde 
Non consultable sans abonnement
Article 5
15/05/08 (4 173) 
M. Vignaud (journaliste)
Le Point
Article 6
06/08/08 (5 966) 
L. Richard (journaliste)
Marianne
Article 7
08/08/08 (729) 
A. Schwartzbrod (journaliste)
Libération
Article 8
10/11/08  (882)
P. Golomer, S. Giaume
et C. Jing (journalistes)
  JT 20h France 2
Article 9
08/01/09 (3 530) 
C. Jiang (journaliste de Nanfang Zhoumo)
Le Courrier international 
Article 10
07/05/09 (5 528)
D. Hai (journaliste de Caijing Wang)
Le Courrier international

Le corpus de ces textes préparés pour être analysés par les logiciels d'ADT (document)

Des fonctions différentes, des résultats complémentaires ?

Les logiciels mobilisés proposent des outils d'analyse complémentaires. Étant donné le volume réduit du corpus, le logiciel ALCESTE® a opté pour une simple classification descendante, d'où l'absence d'analyse dite de "tris croisés". L'écran de synthèse (document ci-dessous à gauche) est divisé en trois parties. Les carrés des parties gauche et droite résument les principaux résultats. 96% des UCE ont été classés ; seuls 4% ont été rejetés après l'analyse. Les quatre classes ont recueilli respectivement 17%, 19%, 24% et 39% des UCE. Les classes 2 et 3 sont les plus proches, les classes 1 et 4 les plus éloignées. Voici les formes réduites les plus représentées dans le texte : "barrage", "eau", "ville et village", "grand" et ses dérivés, "Chine", "fleuve" et "projet". Quant aux notions (catégories préétablies dans le logiciel), la plus présente correspond à l'avenir, suivie de la scolarité, du professionnel, des difficultés, de la famille et de l'imaginaire. Toutefois, ces notions correspondent davantage à des typologies d'enquêtes sociologiques, ce qui s'explique par le public initial visé par le logiciel. En bas et à droite, trois graphiques montrent les représentations en coordonnées, en corrélations et en contributions sur les axes 1 et 2 de l'AFC.

ALCESTE®, documents

L'écran de synthèse du logiciel ALCESTE® (capture d'écran)

Une interprétation de la classification descendante hiérarchique

Au centre, le dendrogramme (ou arbre de classification) représente graphiquement les résultats de la classification descendante hiérarchique. Surtout, sous chaque classe, les présences et les absences les plus significatives sont répertoriées dans l'ordre du chi deux décroissant (le chi deux appelé parfois khi carré mettant en évidence les termes les plus spécifiques pour une classe donnée). Elles permettent de donner du sens aux classes (document ci-dessus à droite). Avec la classe 4, le regard se porte sur l'aménagement hydraulique et sur son empreinte spatiale et visuelle, en mettant en lumière les conséquences paysagères et écologiques de l'ouvrage. La classe 1 souligne les jeux d'échelles et d'acteurs ; elle passe en revue non seulement les riverains déplacés, la population et les autorités chinoises, mais aussi les observateurs et les acteurs étrangers. La classe 2 procède d'une vision centralisée et officielle du barrage, de sa dimension politique et de la planification du projet. Enfin, la classe 3 est celle des implications positives (comme la production hydro-électrique) et négatives, notamment en termes d'impacts sur l'environnement, de contraintes et de risques (tremblement de terre).

Le logiciel LEXICO 2® permet d'extraire du corpus les lignes où se trouve un terme choisi, ce qui facilite l'appréhension de son contexte. Par exemple, l'"environnement" peut être sélectionné dans la mesure où il sert le plus souvent d'angle d'attaque aux détracteurs du barrage. Ses différentes occurrences sont repérées : "sacrifier notre environnement", "conséquences du barrage sur l'environnement : érosion rapide des berges", "face à un bouleversement majeur de leur environnement".

Clairement, l'enjeu environnemental apparaît comme crucial aux yeux des médias français. Il est évoqué pour stigmatiser son absence de prise en considération. L'environnement est sacrifié sur l'autel du développement chinois. Pour nuancer, il est possible de dégager un des objectifs principaux du projet hydraulique, à savoir la production d'électricité : "10% de la consommation chinoise en électricité", "posséder une maison neuve avec l'électricité, l'eau courante et les sanitaires", "une indépendance vis-à-vis du charbon pour la production d'électricité", "destiné à alimenter le centre du pays en électricité". Ainsi, la production d'électricité semble un motif encore essentiel d'intérêt pour le barrage, en ce qu'il permet de répondre à la demande énergétique croissante, d'améliorer les conditions de vie des populations locales, et de développer des énergies plus propres.
L'extraction des lignes de contexte au moyen de LEXICO 2® (capture d'écran)

Toute forme peut faire l'objet d'une telle analyse dite de concordance. Ainsi du terme "déchets" (figure ci-dessus) : sept occurrences ont été décomptées, ce qui le place au 120e rang lexicométrique. Le problème des corps flottants apparaît avec la mise en eau du barrage, alors qu'il était assez peu envisagé dans les médias jusqu'alors. Quelques centaines de milliers de tonnes de déchets flottent à la surface, si bien qu'une quête des responsabilités est ébauchée (les "villes") et que des solutions sont envisagées pour améliorer la qualité des eaux. Il est question de "nettoyage" et de "station de retraitement" et avec un coupable, les "villes". Ainsi, en facilitant la lecture de ce qui précède et suit des termes choisis, les lignes de contexte permettent de créer des réseaux de sens et complètent les simples analyses de fréquences d'occurrence.  

Avec TROPES®, il est possible, dans un premier temps de l'analyse, de connaître le style du texte, ici argumentatif (figure ci-dessous à gauche). Le type d'énonciation peut être justifié au moyen d'extraits où certains termes sont mis en couleur, comme la conjonction de coordination "mais", des adverbes "extrêmement" et des déterminants "tout". De plus, une analyse dite de la "mise en scène" renseigne sur le rythme du texte : actif et dynamique, il est représentatif des productions médiatiques et de la controverse qui entoure le barrage des Trois-Gorges.

TROPES ZOOM v7®, documents (captures d'écran)

Le diagnostic du style du texte

L'identification des champs lexicaux


Quant à la rubrique "scénario", elle discerne les champs lexicaux les plus utilisés dans le corpus (figure ci-dessus à droite). En voici les principaux : le temps, la politique et la société, et la géographie. Suivent les caractéristiques, ainsi que l'agriculture et l'environnement. L'application fournit aussi les mots qui relèvent des champs lexicaux. Pour ce qui est du champ lexical de la nature et de l'écologie – au douzième rang –, les termes concernent la faune et la flore ("disparition", "poissons", "bétail", "biotope", "biodiversité"), la qualité de l'eau ("usées", "vallée") ou encore la "pollution" de manière plus générale ("phosphore"). Les modules graphiques sont très nombreux ; systématiquement, un onglet "expliquer" donne quelques éléments pour mieux comprendre leur construction et accompagner leur lecture. Tropes permet d'appréhender le corpus dans son ensemble puis, plus finement, en étudiant tous les points de vue sur un enjeu géographique.

Élaborés selon des philosophies bien différentes, ces trois logiciels proposent des outils distincts et débouchent sur des résultats qui s'avèrent complémentaires. Pour l'analyse d'un corpus de textes d'intérêt géographique en situation d'enseignement, le logiciel TROPES ZOOM v7® est le plus facilement abordable du fait de sa gratuité, de son interface et de ses modules graphiques. Il permet d'appréhender les aspects du texte globalement et singulièrement, tout en permettant de mieux comprendre les notions de français (application sur le style, la mise en scène ou la syntaxe). LEXICO 2® a une interface plus austère et des fonctionnalités graphiques moindres, tout en présentant l'avantage d'une prise en main rapide. Quant à ALCESTE®, un de ses principaux défauts reste encore son coût et la nécessité d'avoir un corpus plus volumineux que celui traité ici pour bénéficier de toutes ses fonctions.

Une évaluation partiale et partielle du barrage des Trois-Gorges

Pour avoir une idée du positionnement de cette production journalistique française, les résultats de ces analyses peuvent être mis en regard avec la littérature géographique francophone autour du barrage des Trois-Gorges. Il faut alors se demander si entreprise scientifique et entreprise de vulgarisation mettent en évidence les mêmes tenants et aboutissants.

Les géographes francophones ont rappelé les trois objectifs officiels majeurs : prévenir les crues meurtrières dans le cours moyen et inférieur du Yangzi, produire de l'hydroélectricité (10% de la consommation du pays) et favoriser la navigation. (Sanjuan et Béreau, 2001). Ils ont également fait part de quelques motivations secondaires, telles que le développement des infrastructures, de l'industrie, des services avec des aspects touristiques (Savoie, 2003), ou encore celui de l'irrigation et de la pêche (Merchez et Puzin, 1999). L'ouvrage peut aussi permettre le transfert d'eau vers la Chine du Nord, soumise dans les années 1980 aux pénuries d'eau (Bethemont et Bravard, 2000 ; Bravard, 2001).

De leur côté, les médias analysés, témoignent de la composante polémogène du barrage. Parmi les arguments favorables à cet aménagement, ils relèvent surtout la production d'électricité dont l'intérêt, dans un contexte où les questions énergétiques sont devenues une préoccupation majeure du développement durable, n'est pas remis en cause. En revanche, ils négligent le rôle du barrage dans la prévention des crues qui s'avère sensiblement moins médiatique que les images du risque et de la catastrophe. Même si ce barrage pourrait s'avérer effectivement insuffisant pour écrêter les crues comme celle qu'a connue la région en 1931 (Bethemont, 2002), l'attention semble se porter plus facilement sur le drame que sur ce qui le prévient. Cependant, lors des crues séculaires de 1998, le barrage semble avoir joué un rôle positif, en comparant avec les catastrophes de 1931 et de 1951, puisqu'une seule digue a cédé à Jiujiang et que 1 562 personnes sont décédées (Sanjuan et Béreau, 2001). De même, les questions de navigabilité ou de transferts d'eau vers le Nord ne semblent pas essentielles aux yeux des médias en France.

La production géographique ne néglige pas les problèmes inhérents aux impacts de la construction de l'édifice, stigmatisé pour des raisons écologiques (sédimentation du lac-réservoir, modification de la faune et de la flore endémiques et risques de remontées des nappes salées à l'aval), humaines (déplacements de plus d'un million de personnes) et patrimoniales (destructions d'environ 15 000 sites préhistoriques engloutis) (Bethemont, 2002 ; Padovani, 2004). Sur ce terrain, scientifiques et journalistes se retrouvent dans une optique de développement durable. Parmi les arguments disqualifiant le barrage, le corpus s'est prêté à l'identification d'impacts humains et environnementaux et, bien que les relocalisations soient désormais achevées, le sort des personnes déplacées reste une préoccupation essentielle.

En revanche, les destructions patrimoniales semblent secondaires aux yeux des médias, soit par méconnaissance de ces richesses, soit du fait de l'importance des autres centres d'intérêt. De nouveaux motifs d'inquiétude sont apparus plus récemment avec le séisme meurtrier (magnitude 7,9) du 12 mais 2008 dans le Sichuan, posant la question de la résistance du barrage face au risque sismique. En outre, davantage que le risque de sédimentation du lac-réservoir (Bethemont et Bravard, 2000), c'est le problème de la pollution des eaux par les déchets flottants qui stimule les journalistes.

Quelques experts n'hésitent pas à considérer que l'ouvrage a été instrumentalisé à des fins politiques, notamment pour témoigner de la grandeur de la Chine, encore capable de fonder un projet comparable à la Grande Muraille (Bethemont et Bravard, 2000 ; Sanjuan et Béreau, 2001). Dans les médias également, la contribution du barrage à l'affermissement de l'orgueil national chinois apparaît par le biais des acteurs politiques et de leur champ lexical. Par contre, les préoccupations économiques sont peu prises en compte par les médias, ce qui peut s'expliquer par un manque de données sur le sujet ou par un moindre intérêt pour les questions purement financières. Son coût n'apparaît qu'avec le logiciel TROPES ZOOM v7® (terme "yuan"), ce qui peut s'expliquer par une certaine méconnaissance du budget final consacré à ce projet. Mais aussi, de fait, le corpus retenu ne comporte pas de publications de nature plus économique, comme La Tribune ou Les Echos. Les préoccupations économiques sont davantage prises en compte par les géographes autour des questions de coût du projet (90 milliards de yuans annoncés et plus de 200 milliards selon plus de vraisemblance), mais il est difficile de quantifier les bénéfices issus de cet aménagement, même si des profits sont attendus dès 2012 (Sanjuan et Béreau, 2001). Néanmoins, il faut souligner que lors de la mise en place du projet et du vote au Parlement en 1992, ces interrogations autour des gagnants et des perdants potentiels du barrage ont été centrales (Sanjuan et Béreau, 2001).

Au total, à l'heure du fait accompli, l'analyse statistique du corpus souligne que les médias français se focalisent avant tout sur les conséquences négatives du projet de développement et qu'ils en offrent un tableau incomplet. La critique est formulée au nom du développement durable et des préoccupations environnementales. Mais elle est tout aussi mutilante que le discours prométhéen des autorités chinoises.

 

Références, bibliographie, webographie

Autour du barrage des Trois-Gorges, publications scientifiques francophones

 

Autres ressources sur les grands barrages et sur les Trois-Gorges

 

Des publications scientifiques anglo-saxonnes : Annexe
Aspects méthodologiques et applications
  • Amalric M. - Les zones humides, appropriations et représentations. L'exemple du Nord-Pas de Calais, thèse de géographie, Université de Lille I, 468 p., 2008
  • Bardin L. – L'analyse de contenu, PUF, 233 p., 1980
  • Beaudouin V. "Statistique textuelle : une approche empirique du sens à base d'analyse distributionnelle", Texto ! [En ligne], 2000 : www.revue-texto.net/index.php?id=642
  • Benzécri J.-P. - L'analyse des données, Dunod, 2 vol. 615 et 619 p., 1973
  • Benzécri J.-P. - Pratique de l'analyse des données. 1. Analyse des correspondances, exposé élémentaire, Dunod, 424 p., 1980
  • Berelson B. - Content Analysis in Communication Research, The Free Press, 220 p., 1952
  • Bonin E. et Dallo A. - "Hyperbase et Lexico 3, outils lexicométriques pour l'historien", Histoire & mesure, Vol. 18/3-4, pp. 389-402, 2003 - http://histoiremesure.revues.org/index840.html
  • Demazière D. - "Des logiciels d'analyse textuelle au service de l'imagination sociologique", Bulletin de méthodologie sociologique, Vol. 85, pp.5-9, 2005 : http://bms.revues.org/index978.html
  • Ghiglione R., Landré A., Bromberg M. et Molette P. – L'analyse automatique des contenus, Dunod, 154 p., 1998
  • Godechot O. - un cours sous format ppt qui permet de mieux comprendre l'intérêt et les limites de la démarche, tout en présentant certains logiciels : http://olivier.godechot.free.fr/hopfichiers/StatistiqueText_2007.pdf
  • Grawitz M. – Méthodes des sciences sociales, Dalloz, 1019 p., 2001
  • Journées Internationales d'Analyse Statistique des Données Textuelles (JADT) - revue électronique rassemblant des articles, des retours sur expériences et les comptes-rendus des JADT : www.cavi.univ-paris3.fr/lexicometrica
  • Kah E. – "Une expérience d'analyse des données textuelles à propos des déchets ménagers : intérêts et conditions d'utilisation d'une méthode", Ve rencontre de Theo Quant, pp. 1-12, 2001 http://thema.univ-fcomte.fr/theoq/pdf/2001/kah.pdf
  • Labeur C.- "Les formes d'organisation spontanée et l'entraide au cours des catastrophes : le cas des inondations dans le delta du Rhône", dans Bruchet L. et Séguy I. (dir.), Vers une anthropologie des catastrophes. Actes des XIXèmes journées d'anthropologie de Valbonne, Editions APDCA, pp. 201-216, 2008
  • Lebart L. et Salem A. – Statistique textuelle, Dunod, 342 p., 1994. Téléchargeable gratuitement à l'adresse suivante : www.cavi.univ-paris3.fr/lexicometrica/livre/st94/st94-tdm.html ou consultable ici : http://issuu.com/sfleury/docs/st-1994-lebart_salem
  • Leimdorfer F. et Salem A. - "Usages de la lexicométrie en analyse de discours", Cahiers des sciences humaines, Vol.31/1, pp. 131-143, 1995 http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_4/sci_hum/41740.pdf
  • Louargant S. - L'approche de genre pour relire le territoire. Les trajectoires hommes-femmes dans les projets touristiques ruraux (Ardèche méridionale, Ligurie, Fes-Boulemane), thèse de géographie, Université Joseph Fourier Grenoble I, 507 p., 2002
  • Reinert M. - "La Méthode informatisée d'analyse de discours "Alceste"". Application aux Rêveries du promeneur solitaire", 2006 - www.uottawa.ca/academic/arts/astrolabe/articles/art0049/Alceste.htm
  • Reinert M. - "Alceste, une méthode statistique et sémiotique d'analyse de discours. Application aux Rêveries du promeneur solitaire", Revue française de psychiatrie et de psychologie médicale, Vol.5/49, p. 32-36, 2001.
  • Reinert M. – "La tresse du sens et la méthode “Alceste”. Application aux Rêveries du promeneur solitaire", Journées Internationales d'Analyse Statistique des Données Textuelles, 12 p., 2000. www.cavi.univ-paris3.fr/lexicometrica/jadt/jadt2000/pdf/31/31.pdf
  • Reinert M., 1998, "Quel objet pour une analyse statistique du discours ? Quelques réflexions à propos de la réponse Alceste", Journées Internationales d'Analyse Statistique des Données Textuelles, 12 p., 1998. www.cavi.univ-paris3.fr/lexicometrica/jadt/jadt1998/reinert.htm
  • Isabelle HAVET, "L'exploitation des données biographiques avec le logiciel Alceste" (un exemple d'analyse de parcours de vie), Ethno-Web, le portail de l'anthropologue : www.ethno-web.com/evenements.php?action=archive&id=5&numeve=5

 

Emeline Comby, Yves-François Le Lay, Luc Merchez,
Université de Lyon, ENS de Lyon, UMR 5600 (EVS)
et Sylviane Tabarly, Dgesco, ENS de Lyon


pour Géoconfluences le 22 janvier 2010

Pour citer cet article :  

Émeline Comby, Yves-François Le Lay, Luc Merchez et Sylviane Tabarly, « Visages médiatiques du barrage des Trois-Gorges : l’analyse statistique des données textuelles en géographie », Géoconfluences, janvier 2010.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Chine/ChineScient7.htm