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Le Brésil, ferme du monde ?

Le Brésil acteur et stratège dans les négociations agricoles internationales

Publié le 15/05/2009
Auteur(s) : Martine Guibert - université de Toulouse 2 Le Mirail

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1. Le Brésil, acteur incontournable du marché agricole mondial

2. Revendications brésiliennes et stratégies de négociations

3. Paradoxes et limites à la position brésilienne

L'arrivée au pouvoir de l'équipe de Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, a coïncidé avec le démarrage effectif, en 2001, du "round du Millénaire" (ou cycle de Doha) de l'Organisation mondiale du commerce (voir l'encadré "Autour de l'OMC, quelques repères, infra). L'OMC, qui est, depuis 1995, le lieu privilégié de discussions et de suivi des règles du commerce international, scande ses travaux par des cycles de négociations qui sont l'occasion d'avancer vers la libéralisation croissante des échanges commerciaux. Dans le cadre de ce cycle de Doha, commencé fin 2001 et qui n'a pas pu se conclure en 2006, comme prévu, mais également à l'occasion d'autres négociations, entre le Mercosur (voir l'encadré infra : quelles logiques d'intégration régionale ?) et l'Union européenne (UE) par exemple, les discussions portant sur le dossier agricole sont les plus ardues et les plus conflictuelles. Forte d'une puissance agro-exportatrice en expansion et de généreuses potentialités productives, la diplomatie commerciale brésilienne avance des positions offensives, pour son propre compte et au nom du G20 (voir l'encadré infra : "Jeux d'acteurs, alliances, concurrences et antagonismes"), groupe d'une vingtaine d'États, dont l'Inde, l'Afrique du Sud et la Chine, partisans au nom de l'ensemble des pays du Sud d'une libéralisation agricole poussée et de l'élimination totale et immédiate des subventions aux exportations, le "groupe de Cairns" poussant à l'extrême la demande de libéralisation agricole.

Toutefois, des facteurs limitants et des contradictions voilent l'action du Brésil, aussi bien sur le plan externe (divergences avec des pays du Sud) que sur le plan interne (questions récurrentes de la (re)distribution de terres et du soutien à l'agriculture familiale, problèmes environnementaux). Les rendez-vous internationaux et électoraux doivent prendre en compte le dossier agricole et rural déterminant pour le développement socio-économique et territorial du géant sud-américain.

Autour de l'OMC, quelques repères

Des premiers pas de l'OMC au cycle de Doha

L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), créé en 1947, ne devait avoir qu'un caractère provisoire et ne bénéficiait pas d'un statut d'organisation internationale. Il a néanmoins fallu attendre la rencontre finale de son huitième cycle de négociations (Uruguay round) à Marrakech (Maroc) en avril 1994, pour que soit décidé la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui entrera en vigueur le 1er janvier 1995 à Genève.

L'OMC élargit le champ de négociations aux secteurs des services, de la propriété intellectuelle. L'Acte final de la conférence de Marrakech intègre une foule d'accords sectoriels (textile, etc.), dont le fameux Accord sur l'agriculture (accord dit de Marrakech).

Après l'échec de la conférence de Seattle, en novembre 1999, où les pays membres de l'OMC n'avaient même pas pu s'accorder sur l'ordre du jour, la quatrième conférence de l'OMC à Doha (Qatar, novembre 2001), a permis de lancer un nouveau cycle de négociation, dit "cycle de Doha" ou "round du Millénaire", particulièrement centré sur les négociations agricoles.

De la conférence de Doha (2001) à l'accord-cadre de juillet 2004

Cette conférence ministérielle de Doha avait l'objectif de parvenir à un accord sur des formules et autres "modalités" favorisant la libéralisation des échanges entre les pays membre, au plus tard pour le 31 mars 2003. En fait, cette échéance n'a pas été respectée et, après l'impasse constatée à l'issue de la cinquième Conférence à Cancún (Mexique, septembre 2003), les membres de l'organisation se sont entendus sur un accord-cadre dans les principaux domaines (marchés agricoles par exemple), finalement approuvé le 1er août 2004. Ce cadre devait servir de base pour négocier ultérieurement des "modalités" plus détaillées. L'annexe de sept pages contenant le cadre sur l'agriculture présente des ébauches de solutions pour réduire les obstacles à l'importation, les subventions à l'exportation et le soutien interne (voir le glossaire).

L'accord-cadre comprenait également des décisions prises au titre de certains piliers (voir le glossaire), telles que l'abolition de toutes les formes de subventions aux exportations agricoles à une date fixée, ainsi qu'une réduction substantielle du soutien interne à l'agriculture, source de distorsion au commerce et à la concurrence. En outre, le texte de cet accord définissait ainsi le "parallélisme" : l'élimination des subventions directes à l'exportation doit s'accompagner de l'élimination des éléments de subvention que sont le crédit à l'exportation, l'aide alimentaire et les exportations des organismes de commerce d'État.

L'accord-cadre s'accompagnait aussi de progrès enregistrés sur la question des graves déséquilibres dont se plaignaient de nombreux pays en développement entre les dispositions qui leur sont applicables et celles qui sont applicables aux pays développés. D'où l'identification de "produits sensibles", décrits de façon assez détaillée dans les textes examinés à l'époque, et de "produits spéciaux" évoqués, mais sans description aussi détaillée, dans les dispositions concernant les pays en développement.

- États-membres de l'OMC : en 2009 l'OMC regroupe 153 pays membres. La Chine y a adhéré en 2001, le Brésil et l'Inde en 1995. Mais des pays importants restent à sa porte, telle que la Russie.

Un glossaire pour comprendre les négociations agricoles du cycle de Doha,, principaux mots-clefs : Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) / Codex alimentarius / Mesures globales de soutien (MGS) / multifonctionnalité / Organe de règlement des différends (ORD) / Trois "piliers" / Traitement spécial et différencié (TSD) / Traitement préférentiel / Système de préférences généralisées (SPG) / consensus de Washington

Voir :

 

Synthèse documentaire : S. Tabarly

Le Brésil, acteur incontournable du marché agricole mondial

A la conquête de nouveaux marchés

Le Brésil est devenu le troisième exportateur agricole mondial, aux côtés des États-Unis et de l'UE. Avec un taux de croissance annuel moyen de 6,4% (en valeur) entre 1990 et 2003, contre 5,3% pour l'Argentine ou 3,2% pour l'UE (étude d'Icone, 2005), les ventes de produits agricoles et agroalimentaires s'inscrivent désormais parmi les postes les plus dynamiques des exportations brésiliennes (Icone, 2005). Selon l'OMC et les organismes de statistiques brésiliens comme la Funcex, elles totalisent en valeur environ un tiers de l'ensemble des exportations brésiliennes (le ministère de l'Agriculture estime cette part entre 40 et 45% des exportations totales) et figurent devant celle des biens industriels, secteur également en forte progression (Markwald et Ribeiro, 2005). Ces performances permettent une balance agricole positive, l'excédent commercial (différence entre la valeur totale des importations et celle des exportations) ayant été en 2006 d'environ 45 milliards de dollars FOB (données Association du commerce extérieur du Brésil)

La diversification des destinations des productions brésiliennes est également remarquable : ainsi, entre 1996 et 2004, les marchés russe, chinois, indien ou, encore, sud-africain ont crû en valeur de plus de 17% en moyenne annuelle, ceux des pays moyen-orientaux de plus de 13,5%, le Japon et la Corée de plus de 3,8%. Parmi les clients traditionnels, seule l'UE affiche une progression encore importante (+3,5%) alors que les achats des États-Unis ont tendance à stagner (-0,1%). Au final, les achats de la Chine, de l'Europe orientale et de certains pays africains et centro-américains sont passés, entre 1998 et 2004, de 18% à 28% du total des exportations agricoles du Brésil, tandis que la part des achats des partenaires traditionnels (Mercosur, UE, Communauté andine des nations, États-Unis, Canada, Japon, Mexique, Chili) sont passés de 80% à 70% (Markwald et Ribeiro, 2005).

Parmi les biens agricoles proposés par le Brésil se détachent en tout premier lieu les trois produits dérivés du soja : les graines non transformées (premier fournisseur mondial avec 40% du marché), les tourteaux et farines (deuxième exportateur avec environ un tiers des ventes) et l'huile brute, ont rapporté en 2006 un peu moins de 10 milliards de dollars, soit un quart de l'excédent agricole du pays. Les viandes ont connu une forte progression, hissant le Brésil à la première place (environ 25% du marché mondial) pour la viande bovine (30% du marché) et pour la viande de poulet (environ 40%). Il en est de même pour le sucre dont les exportations se sont envolées (30% du marché mondial) et s'accompagnent de la vente croissante d'éthanol (voir en corpus documentaire Biocarburants, agrocarburants, des filières en forte croissance). Le coton entre, avec le maïs, la viande porcine, les produits laitiers, certains fruits, dans la catégorie des biens à forte croissance d'exportation à côté des ventes classiques de café, jus d'orange et tabac.

Si le début des années 2000 présente une croissance soutenue des exportations agricoles et agroalimentaires brésiliennes, en revanche, depuis mi-2008, une tendance à la baisse s'est installée, directement liée au marasme économique mondial et à de nouvelles dispositions commerciales (moindre achats de viandes, par exemple de la part de la Russie ou de l'Europe) (Nassar, 2009). La Chine, désormais premier partenaire du Brésil pour l'ensemble de ses échanges commerciaux, s'impose pour ses achats de produits dérivés du soja (Le Monde, 08/05/2009).

Le marché mondial de viandes bovine et de volaille : stocks aux exportations et aux importations

Cartes : © Géoclip. réalisation H. Parmentier. En rubrique "savoir faire" :  Réaliser des cartes thématiques, le Brésil dans le système agroalimentaire mondial

Les facteurs nationaux de progression de la production agricole

Le Brésil bénéficie, au début du XXIe siècle, d'une période de développement agricole qui repose sur la mise en valeur de ressources nouvelles et un appui soutenu de l'État fédéral. Alors que l'agriculture et l'élevage restent l'activité de base des grandes régions du Sud (terres froides gauchas) et des bassins productifs du Centre-Est et du Nord-Est (productions de café et de citron, plantations de canne et de coton), l'avancée des fronts pionniers amazoniens, toujours plus avant au cœur du bassin forestier, et la mise en valeur des terres de savane du Centre-Ouest (États du Mato Grosso, Rondonia, Acre, etc.) portent l'accroissement de la production des grandes cultures. Le vecteur de cette expansion spatiale est, en règle générale, le soja et, de plus en plus, la canne à sucre pour l'obtention d'éthanol. Dans le cas des grandes unités productives des cerrados, les terres sont mises en culture par des entrepreneurs agricoles qui opèrent sur de grandes surfaces et travaillent pour les marchés national et mondial. Parfois, ils se chargent eux-mêmes, en accord avec les gouvernements locaux, de l'implantation de la logistique nécessaire à l'exportation de leur récolte (installations portuaires, route, silos, etc.).

Les évolutions de l'élevage bovin et de la culture du soja

Voir :

 

Les estimations officielles de l'Embrapa (Empresa brasileira de pesquisa agropecuaria, centre national de recherche agronomique, équivalent de l'INRA au Brésil) avancent la disponibilitépour l'agriculture stricto sensu (en récupérant des terres d'élevage dégradées ou en mettant en culture les terres défrichées) d'une cinquantaine de millions d'hectares (voire davantage). L'incorporation des terres du Centre-Ouest repose sur l'adoption de méthodes de production et de technologies intensives, mises au point par l'Embrapa, centre national de recherche agronomique, et par les sociétés privées de l'agro-fourniture (entreprises brésiliennes et filiales de firmes multinationales). Ce paquet technologique de dernière génération associe, assez souvent, la pratique du semis direct, considérée comme moins coûteuse et plus propice à la protection de sols, et l'utilisation, par des producteurs technicisés et productivistes, disposant du capital financier nécessaire, grâce, souvent, au soutien des banques, de produits phyto-sanitaires et de semences adaptées au climat tropical, éventuellement transgéniques (voir l'entrée OGM du glossaire).  C'est une agriculture de type intensif et de type entrepreneurial qui est en cours de développement au cœur du territoire brésilien, sur la base de la disponibilité d'immenses superficies et de techniques sans cesse modernisées.

D'autres facteurs expliquent l'avancée agricole pionnière vers le Nord du territoire national. Dans un contexte macro-économique stabilisé, l'État fédéral poursuit une politique de financement des campagnes productives à travers des outils comme la garantie des prix des cultures vivrières, une politique de stockage par l'intermédiaire de la Conab (organisme d'Etat de régulation des volumes mis en marché à l'échelle nationale), des crédits bonifiés ou, encore, la renégociation des dettes des producteurs. Regroupées dans le Plano agrícola e pecuário, ces mesures ont bénéficié, pour 2005-2006, d'un budget de 15 milliards de dollars. En outre, l'État fédéral participe au montage financier pour la construction d'infrastructures de communication (exemple de la voie ferrée Ferronorte) et il poursuit le programme de soutien à l'agriculture familiale (Pronaf), dont le budget s'élevait, en 2005-2006, à 3 milliards de dollars (Agroanálysis, juillet 2005).

Pour la campagne agricole 2008-2009, le gouvernement fédéral avait prévu de consacrer, si l'on considère dans son ensemble, la politique agricole brésilienne (plan agro-pastoral, programmes en faveur de l'agriculture familiale, etc.) 48 milliards de dollars, dont 8 pour le Pronaf. En forte hausse, ce budget devait aussi servir à subventionner l'achat de machinerie, la production nationale d'intrants et leur affrètement jusqu'au Centre-Ouest. De plus, une partie devait être consacrée à l'achat par l'Etat de riz et de maïs, de manière à constituer des stocks à écouler sur le marché national (lutte contre l'inflation en période de fortes hausses des prix internationaux) (Agrodiaria, 03/07/2008).

Dans ce contexte national manifestement favorable aux filières tournées vers le marché, le secteur agricole et agroalimentaire brésilien, allant de la production primaire à celles de biens alimentaires finis, dégage près de 30% du PIB, soit environ 200 milliards de dollars en 2006. Il valorise une aire agricole cultivée de plus de soixante millions d'hectares et une superficie d'une centaine de millions d'hectares consacrés à l'élevage extensif (bovin et autres).

Les exportations de productions animales et végétales brésiliennes

Environ plus de 120 millions de tonnes de céréales et oléo-protéagineux ont été récoltées en moyenne ces dernières années au Brésil. Avec 55 millions de tonnes récoltés en 2006-2007, le soja impulse incontestablement le boum agricole du pays, tandis que le maïs a dépassé les 40 millions de tonnes, et le coton les 2  millions. Le riz se maintient environ à 11 millions de tonnes et le blé s'approche des 5 millions. Les productions de viande bovine (8,8 millions de tonnes en 2006-07) et de viande de poulet (9,3) connaissent également un essor remarquable.. Au final, le Brésil occupe la première place mondiale pour la production de sucre, de café, de jus d'orange et de tabac, la deuxième pour le soja et la quatrième pour le maïs, le coton. Les coûts de production y sont faibles en regard de ceux des pays du Nord et la productivité peut encore s'y accroître fortement.

En synthèse, le Brésil s'impose bien actuellement comme un acteur puissant de la scène agricole mondiale (voir les documents ci-dessus). Son potentiel productif indéniable et le dynamisme des producteurs et des entreprises agro-exportatrices profitent d'évidence d'une politique agricole spécifique. Ils se conjuguent pour participer au dynamisme économique du pays. Le gouvernement de Lula, depuis son accession au pouvoir fin 2002, a fait du secteur agroalimentaire l'un des outils principaux d'assainissement de la dette externe et des comptes du pays [2]. Les filières agro-exportatrices jouissent donc d'une position favorable que relaie la diplomatie commerciale brésilienne dans les négociations multi- ou bi-latérales en cours. Les prises de position du Brésil pèsent sur le cycle de Doha et sur les discussions commerciales, notamment, entre le Mercosur et l'UE.


Revendications brésiliennes et stratégies de négociations

Le cycle de négociations en cours à l'OMC, dit de Doha ou du Millénaire, est original car clairement multisectoriel et multilatéral. Non seulement les discussions portent sur l'agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les marchés publics, etc., mais elles se déroulent parallèlement à des négociations régionales ou bi-latérales. L'engagement du Brésil est donc multiple car, si l'on ne se réfère qu'à trois cadres essentiels de discussions, il participe en même temps aux négociations UE / Mercosur, à celles entre le Mercosur et la Communauté andine des nations (CAN), et à celles sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Or, le rôle plus incisif joué par les pays des Sud et par les pays émergents ainsi que l'amélioration de leur information et de leur concertation, leur permettent de défendre avec fermeté positions et revendications, en particulier en faveur de la libéralisation des marchés agricoles sur laquelle le Brésil a acquis une position de leader.

Échelle régionale, échelle mondiale : quelles logiques d'intégration ?

Organisation dont le Brésil est membre

- Le Mercosur (Marché commun du Cône Sud) a été fondé par le traité d'Asunción signé le 26 mars 1991. Le protocole d'Ouro Preto, conclu le 14 décembre 1994, lui attribue une personnalité juridique internationale et ses caractéristiques actuelles : un modèle intergouvernemental où les positions communes demeurent dépendantes de la volonté des États membres. Un tarif extérieur commun, est entré en vigueur le 1er janvier 1995 et la mise en œuvre intégrale de l'union douanière par tous les membres dans tous les secteurs doit se faire progressivement.

Le Mercosur comporte quatre pays membres, l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. Depuis 1996, le Chili et la Bolivie sont des membres associés du Mercosur ainsi que, depuis 2004, l'Équateur, la Colombie et le Pérou. Le Venezuela a obtenu, depuis 2006, d'être membre à part entière. La mise en adéquation de sa législation commerciale est donc en cours et prendra des années.  www.mercosur.int/msweb

Organisation dont le Brésil est frontalier

- La Communauté andine des nations (CAN), anciennement connue sous le nom de Groupe andin et de Marché commun andin (Pacte andin), la CAN s'est, depuis le 1er juillet 1997, appuyée sur de nouvelles institutions (Système andin d'intégration / SAI) et sur un mandat élargi : aux objectifs initiaux se sont ajoutés des objectifs politiques et sociaux et des actions en matière de développement durable et d'intégration frontalière. Enfin, la Communauté est passée d'un régionalisme "fermé" à un régionalisme "ouvert" aux partenariats commerciaux avec le reste du monde. La CAN comporte cinq membres : Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela qui regroupent, en 2000, près de 115 millions d'habitants, 22% de l'Amérique latine, et environ 14% de son PIB. www.comunidadandina.org

- La Communauté des Caraïbes (Caricom) issu de la signature du traité de Chaguaramas en 1973, modifié depuis par différents protocoles et révisé en 2001 pour élever le marché commun au niveau d'une union économique, le Marché économique unique des Caraïbes (CSME) qui envisage la libre circulation des biens, des services, des capitaux et de la main-d'œuvre, la coordination de la politique macroéconomique et l'harmonisation des lois et institutions. Le Caricom est composée de 15 membres : Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Dominique, Grenade, Guyana, Jamaïque, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Suriname, Trinité-et-Tobago et Haïti. www.caricom.org

Marchés régionaux du continent américain

Autres organisations et forums interaméricains

- L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est un accord intégral de libre­échange entre le Canada, le Mexique et les États-Unis, amorcé le 1er janvier 1994 dans l'objectif d'éliminer les obstacles au commerce, de faciliter les mouvements transfrontiers des biens et services, etc. www.nafta-sec-alena.org

- Le Marché commun centre-américain (MCCA) a été créé le 13 décembre 1960 lorsque le Guatemala, l'El Salvador, le Honduras, et le Nicaragua ont signé le Traité général d'intégration de l'Amérique centrale. Le Costa Rica a adhéré le 23 juillet 1962. En octobre 1993, les cinq pays du MCCA ont signé le Protocole de Guatemala visant à établir une union douanière et à une meilleure intégration économique. www.sieca.org.gt

Pour compléter, voir la pagede corpus documentaire : Échelle régionale, échelle mondiale : quelles logiques d'intégration ?

Complexité de négociations multilatérales et multisectorielles

Les enjeux complexes du cycle de Doha, qui aurait dû être bouclé fin 2006, s'inscrivent dans l'esprit du cycle précédent de l'Uruguay round (1986 à 1994) qui avait innové en matière de négociations commerciales internationales. Au lieu de traiter exclusivement de l'abaissement des droits de douane, les discussions ont porté aussi sur les législations nationales en matière d'obstacles commerciaux non tarifaires, sur les subventions aux exportations, sur les droits de propriété intellectuelle, etc. Par ailleurs, elles ont abordé pour la première fois le thème de la libéralisation des échanges agricoles (voir encadré supra). Et, bien qu'elles aient largement consisté en un affrontement États-Unis / UE, elles ont davantage intégré les positions des autres partenaires commerciaux, dont celles des pays agro-exportateurs réunis dans le groupe de Cairns. Ces derniers, conjointement à l'action des pays du Sud appuyés par certains courants représentatifs de l'alter-mondialisme, ont, dans un premier temps, fait capoter l'ouverture du cycle de Doha initialement prévue à Seattle en décembre 1999. Les négociations ont donc débuté avec deux années de retard, lorsque s'est tenue la rencontre de Doha, au Qatar.

L'agenda du cycle de Doha croise ses échéances avec celles des autres négociations. Ainsi, les réunions cruciales de l'OMC, comme celle de Hong Kong du 13 décembre 2005, s'entremêlent avec les rencontres régulières entre Mercosur et UE européenne ou avec les étapes des pourparlers en matière d'intégration sud-américaine. Rejetant les accords bi-latéraux, le Brésil est partisan de négociations dans le cadre de l'OMC qui conditionnent les autres discussions commerciales en cours, l'organisation étant pour lui le théâtre primordial de sa politique commerciale extérieure (Veiga, 2005). Ce calendrier multiple lui convient, tout comme aux États-Unis qui refusent de diminuer leurs aides internes à l'agriculture tant que l'UE et le Japon, dans le cadre du cycle de Doha, n'auront pas accepté de diminuer les leurs. La stratégie de l'UE est quelque peu différente puisqu'elle dit négocier à la fois pour le cycle du Millénaire et pour le rapprochement avec le Mercosur.

Les négociations agricoles au cœur des divergences

Durant une cinquantaine d'années, dans le cadre du GATT, les produits agricoles ont bénéficié de mesures protectionnistes qui les ont maintenus à l'écart des discussions régulières d'élimination des barrières tarifaires et non tarifaires. Avec la signature de l'accord de Marrakech (dit aussi Accord sur l'agriculture) en 1994 , le dossier agricole est devenu le principal enjeu de tractations âpres et compliquées. Tout d'abord, il est à remarquer que les discussions démarrent : presque quinze années, c'est finalement assez peu au regard de l'ampleur de la tâche. Ensuite, les négociations sont conditionnées à l'avancée de celles qui concernent les autres secteurs et elles orientent les discussions en cours sur un plan régional (négociations Mercosur – UE entre autres) ou bi-latéral, par exemple, entre l'UE et le Mexique, ou entre les États-Unis et les pays latino-américains. Enfin, elles sont centrées sur des objectifs ambitieux et inédits.

Globalement, trois items de base organisent les efforts de rapprochement des positions des partenaires commerciaux : la réduction, voire l'élimination, des subventions aux exportations et des distorsions à la concurrence internationale ((programmes de crédits à l'exportation, organismes publics de régulation commerciale, etc.), la diminution des aides internes à la production (soutiens des prix, mesures favorables à la production, aides directes et couplées à la production, etc.), et l'amélioration de l'accès aux marchés, en abaissant progressivement les barrières tarifaires (douanières) et les barrières non-tarifaires (mesures sanitaires, conditionnement, indications géographiques de provenance, etc.).

Finalement, le dossier agricole, nouveau et large, cristallise les points de désaccords et les tensions. Les pays du Sud sont pris entre l'obligation de s'ouvrir aux produits industriels et aux services de pays tiers et leur souhait d'imposer à leur tour des produits agricoles piliers de leur présence dans le concert mondial des économies. Le Brésil est, dans ce sens, un pays paradigmatique de ce double enjeu commercial.


Le Brésil leader de l'offensive des pays du Sud

Dès l'Uruguay round, dans le cadre du Groupe de Cairns, le Brésil revendiquait, aux cotés de l'Australie ou de l'Argentine, une libéralisation rapide des marchés agricoles internationaux. Cependant, c'est dans le cadre du cycle du Millénaire en cours qu'il s'est transformé en véritable animateur du G20, groupe constitué tactiquement, en août 2003, à l'occasion de la cinquième conférence ministérielle de l'OMC à Cancún. Le Brésil est porte-parole des six autres grands pays agricoles du Sud (Afrique du Sud, Argentine, Chine, Inde, Indonésie, Mexique) et de treize autres pays convaincus, à l'époque, du bien-fondé d'une libéralisation approfondie des marchés agricoles (Bolivie, Chili, Cuba, Egypte, Guatemala, Nigeria, Pakistan, Paraguay, Philippines, Tanzanie, Thaïlande, Venezuela, Zimbabwe). Le G20 réunit ainsi les deux tiers des producteurs agricoles du monde (dont les masses paysannes indiennes et chinoises). Pour ses leaders, il existe un lien direct entre développement et agriculture, et à l'OMC, ils se focalisent donc sur les négociations agricoles et la fin des distorsions du marché mondial.

Jeux d'acteurs, alliances, concurrences et antagonismes

L'agriculture touche à deux enjeux économiques majeurs et parfois contradictoires que sont la force exportatrice nationale, sur laquelle ont été bâties les politiques latino-américaines des années post 1990, mais aussi à la sécurité alimentaire interne, sans compter les nombreux enjeux sous-jacents tels l'emploi rural, l'occupation du territoire, etc.

À l'échelle internationale, des groupes de pression, des lobbys, qui pèsent dans les négociations qui se déroulent dans le cadre de l'OMS ou, plus généralement, de l'ONU et des instances de gouvernance mondiale, peuvent être regroupés au sein de grandes "familles", ce qui n'exclut pas des divergences et des recompositions d'alliances au gré des sujets abordés.

- Le groupe de Cairns, formé en 1986, regroupe 17 pays exportateurs de produits agricoles qui représentent près du tiers des exportations agricoles mondiales et il pèse très fortement dans les négociations agroalimentaires mondiales. Il regroupe des pays d'orientation libérale et prônant l'ouverture des marchés qu'ils jugent en général bénéfique y compris pour les pays en voie de développement. L'UE et les États-Unis sont en général montrés du doigt pour leurs soutiens à leurs agricultures exportatrices. Ce groupe comprend : trois pays dits développés (Australie, Canada, Nouvelle Zélande), des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) et d'autres pays latino-américains (Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala), des pays asiatiques (Indonésie, Malaisie, Thaïlande et Philippines) et un pays africain, l'Afrique du Sud. www.cairnsgroup.org

- Le G1O, les ex-"amis de la multifonctionnalité" regroupe des pays développés défensifs dirigés par la Suisse et le Japon et dont les positions sont similaires à celles de l'UE. Ils revendiquent une protection tarifaire élevée en matière agricole. Pour les pays du groupe de Cairns, la multifonctionnalité de l'agriculture est un moyen pour l'UE de défendre ses subventions et autres aides à une agriculture exportatrice.

- Le Groupe des 77 a été constitué dans le cadre des Nations unies à la fin de la première CNUCED en 1964 par les pays en développement, alors au nombre de soixante-dix-sept. La Charte d'Alger lui a donné une structure institutionnelle permanente en 1967. Le groupe des 77 comprend 130 pays en 2009 et fonctionne sous le nom d'origine du fait de sa signification historique. www.g77.org

- Le G3 est né, en juin 2003, d'une initiative conjointe du Brésil, de l'Inde et de l'Afrique du Sud unis pour défendre leurs intérêts et pour revendiquer une plus grande place dans les organisations multilatérales et, surtout, dans leurs organes de décision. À l'occasion de la réunion du G8 d'Evian cette même année, le G3 fait part de ses revendications par l'entremise du président Lula, porte étendard de ce nouvel axe Sud-Sud exigeant une plus grande justice sociale et économique à l'intérieur d'un système de gouvernance mondiale.

- Le G23 (ex-G20) (à ne pas confondre avec le G20, forum réunissant les ministres des Finances et les directeurs des banques centrales de 20 grandes puissances mondiales) est un groupe de pays en développement et émergents qui s'est constitué en août 2003, au cours des travaux de préparation de la cinquième conférence du cyle de Doha à Cancún (septembre 2003), sous l'impulsion des pays du G3, Brésil en tête. Ces pays du Sud, dotés d'un fort potentiel agro-exportateur, annoncent leur intention de négocier en bloc le retrait des subventions agricoles américaines et européennes, ainsi qu'un meilleur accès aux marchés agricoles des pays développés. Constatant la forte relation entre le développement et l'agriculture, les pays signataires de la Déclaration de Cancún manifestent leur volonté d'intégrer complètement l'agriculture aux règles du système de commerce multilatéral afin d'éliminer les distorsions prévalant dans le commerce et la production agricoles. Le G20 représente plus de la moitié de la population mondiale et les deux tiers de ses agriculteurs mais le groupe est assez hétérogène et à géométrie variable. Il a cependant pu engendrer des alliances suffisamment efficaces pour déstabiliser les grandes puissances et a permis au Brésil d'affirmer son leadership et de développer des alliances stratégiques aux tables de négociations de l'OMC. Le président Lula fonde de grands espoirs sur ces nouvelles alliances Sud-Sud, qui lui apparaissent indispensables pour créer un nouveau rapport de force face aux pays du Nord dans les négociations commerciales.

En 2009, le groupe s'est élargi et comporte 23 membres (G23) : cinq africains (Egypte, Nigeria, Afrique du Sud, Tanzanie et Zimbabwe), six asiatiques (Chine, Inde, Indonésie, Pakistan, Philippines et Thaïlande) et douze latino-américains (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Cuba, Equateur, Guatemala, Mexique, Paraguay, Pérou, Uruguay et Venezuela).
www.g-20.mre.gov.br/index.asp

- Le G90 est une autre coalition stratégique rassemblant d'autres pays du Sud qui, encouragés par le succès du G20, se sont regroupés pour faire valoir leurs revendications concernant l'agriculture aux tables de négociations de l'OMC. Il s'agit des pays de l'ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) et des PMA (Pays les moins avancés) qui réclament des conditions spéciales en matière d'accès aux marchés et le maintien des traitements spéciaux pour les PED. À Cancún, le G20 et le G90 avaient fait front commun pour exiger l'élimination des subventions aux producteurs de coton étatsuniens.

Pour le Brésil de Lula, l'OMC est "le forum idéal de fixation de règles universelles destinées à la libéralisation du commerce et à la discipline en matière de subventions internes et aux exportations" (Jank et Tachinardi, 2005), le géant sud-américain développe donc logiquement un argumentaire portant sur les conditions de la concurrence et les mesures de soutien. Avec les autres membres du G20, il dénonce tout d'abord, tout ce qui, à ses yeux, peut entraver la concurrence et créer des distorsions à l'exportation. Il plaide en faveur de la fin des subventions, en particulier celles de ses deux concurrents principaux, l'UE et les États-Unis. Il demande aussi la réforme des organismes d'État de soutien à la vente aux pays tiers, ce qui vise surtout le Canada et la Chine. En outre, il remet en cause l'aide alimentaire et les programmes de crédits aux exportations.

Enfin, le Brésil souhaite une plus grande égalité en matière de conditions productives. À cet effet, il voudrait que les aides nationales à la production soient revues à la baisse : classique soutien de certains prix, aides forfaitaires couplées, mesures agri-environnementales, etc. Il pense qu'une baisse des appuis internes des États-Unis à leur production de soja, maïs, blé, riz et coton, lui garantirait une meilleure présence sur le marché nord-américain. Il se dit, par ailleurs, contre l'incorporation de considérations environnementales dans certains soutiens nationaux à la production, et contre les mesures liées à la multifonctionnalité, ce que propose la Politique agricole commune européenne réformée en 2003 (second pilier du développement rural).

L'accès aux marchés internes constitue son autre approche : le Brésil propose de réduire les barrières tarifaires et d'abaisser les crêtes de taxation de certains produits sensibles [3]. Il voudrait obtenir, entre autres, un meilleur accès au bloc européen pour ses viandes, son sucre et l'éthanol, ses produits laitiers. Il souhaite une plus grande ouverture de marchés européens très protégés comme ceux de la Norvège ou de la Suisse ainsi que de ceux du Japon et de la Corée. Il tente aussi de mieux accéder aux marchés de ses grands partenaires du G20, en l'occurrence l'Inde et la Chine, à qui il propose, comme à tous les pays en développement, de bénéficier d'un traitement spécial et différencié.

En tant qu'instance d'arbitrage des conflits commerciaux (par le biais de l'ORD), l'OMC est de plus en plus systématiquement appelé à se prononcer sur les plaintes déposées par les pays du Sud vis-à-vis de leurs tiers du Nord. Une fois de plus, le Brésil a su s'allier de manière très pragmatique avec des pays du Sud : avec des pays africains producteurs de coton (Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad), il a obtenu à la mi-2004 la condamnation des aides états-uniennes internes ; de plus, presque au même moment, il a obtenu la fin, à partir de 2006, du système européen de subventions aux exportations de sucre de betterave (voir en rubrique "géographie vivante" : Autour du fonctionnement de l'Organe de règlement des différends (ORD).

Selon M. Jank (alors Président de l'Institut d'études brésilien du commerce international / ICONE), le G20, "… coalition hétérogène, pragmatique, flexible […] lutte pour la réduction du protectionnisme agricole pratiqué par les pays développés. Il s'agit du résultat le plus positif de la politique commerciale de Lula" (Jank, 05/04/05). D'évidence, la fermeté du Brésil sur les questions agricoles, sous-tendue par la pression des représentants de filières agro-exportatrices, anime une stratégie de négociations constante et ténue. Les tractations des dernières années ont été considérées comme peu fructueuses du fait de l'écart entre les positions des uns et des autres, et de jeux d'alliances fluctuants.


Paradoxes et limites à la position brésilienne

Si les ressources productives et commerciales du Brésil justifient ses revendications dans le cadre de ces négociations multi-latérales et multi-sectorielles, il n'en reste pas moins que sa stratégie commerciale suscite des interrogations : quelles en sont la portée concrète et les chances de réussite ? Quelles en sont les limites, externes et internes ?

Une diplomatie Sud-Sud fragile...

Dans la foulée du Brésil, et malgré certaines divergences, les membres du G20 développent une nouvelle vision de la carte économique mondiale, qui combinerait la fin du clivage Nord-Sud et des rapprochements Sud-Sud inédits et incontournables. Le gouvernement Lula aime évoquer la "nouvelle géographie économique du monde", faite d'alliances commerciales et géopolitiques originales entre pays du Sud, de flux croisés de marchandises. Toutefois, la diplomatie brésilienne (et celle du G20) n'a pas rallié la majorité des pays en développement et sa force d'entraînement reste faible. La concurrence est vive avec d'autres offres diplomatiques provenant d'alliances de pays différentes. Ainsi en est-il du G90. Ce groupe, constitué des pays de l'ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) et des PMA (Pays les moins avancés), est en quête de conditions spéciales d'accès à leurs marchés et il est soucieux de la reconduction des traitements spéciaux comme les accords ACP. Très critique à l'égard des pays du Nord, il l'est également envers le G20 qu'il ne considère pas comme le porte-parole naturel du Sud. La légitimité du G20 et ses chances de succès sont donc affaiblies. Et les tentatives de relance des négociations courant 2008 n'a pas vraiment débouché sur des avancées satisfaisantes (Nassar, 07/2008).

Par ailleurs, des divergences peuvent apparaître entre les élites économiques de ces pays, y compris au Brésil, membre du G20 qui bénéficierait le plus d'une ouverture accrue des marchés agricoles. Ainsi, de nombreux patrons de l'industrie et des services brésiliens, surtout de la région industrielle de São Paulo, redoutent les contreparties qui leur feraient perdre des parts de marchés. La Chine connaît la situation exactement inverse : si ses industriels sont effectivement convaincus de l'intérêt d'une libéralisation des échanges, son secteur agricole est plus réticent. Quant à l'Inde, elle souhaiterait continuer à protéger son agriculture et ses entreprises manufacturées, mais elle est demandeuse d'ouverture pour les services.

... au service du Brésil agro-exportateur plutôt que des petites exploitations

La position offensive de Brasília dans les négociations de l'OMC sert avant tout un certain Brésil. De fait, les producteurs et exportateurs brésiliens, moyens ou grands, seront les premiers bénéficiaires d'un meilleur accès aux marchés étrangers (ceux du Nord comme du Sud) et de la fin des subventions aux exportations des pays riches. Ces acteurs économiques sont d'ailleurs soutenus et favorisés à travers des mesures qui leur accordent davantage de moyens financiers (politique ciblée de crédit) ou qui contribuent à améliorer les infrastructures du secteur (investissements directs de l'État ou aides financières étatiques aux opérateurs privés). L'autorisation, à compter de 2003, de l'emploi de semences génétiquement modifiées (soja RR) entre dans cette catégorie de mesures favorables à une agriculture intensive et dévoreuse d'espace (voir l'entrée OGM du glossaire). Tant et si bien que le discours récurrent des diplomates brésiliens sur le caractère compétitif et libéralisé du secteur agricole et agroalimentaire de leur pays, doit être relativisé. Le Brésil aide plus qu'il ne le dit ses agriculteurs soucieux d'exporter. En 2004, près de 3% du produit agricole brut brésilien a bénéficié de soutiens étatique. Bien évidemment, c'est peu comparé aux États-Unis (20%) ou à l'UE (34%) mais l'existence de ces soutiens discrédite quelque peu le discours libéral brésilien, d'autant que leur part dans le PIB agricole s'avère nettement supérieure à 3% dans certains États agro-exportateurs comme le Mato Grosso.

Les aides accordées par le gouvernement brésilien bénéficient donc essentiellement à un nombre réduit de producteurs et ne concernent le plus souvent que quelques productions. Malgré un discours plus favorable et plus engageant que celui des gouvernements précédents, le gouvernement Lula, appuie peu les productions vivrières et les producteurs familiaux en synergie avec la demande interne. Alors que les exploitations familiales ou paysannes représentent, en 2005, 85% du total des exploitations, et emploient les 3/4 de la main d'œuvre agricole, elles fournissent l'alimentation de base d'une population comptant plus de 185 millions de Brésiliens. Autrement dit, la production agricole du pays a pour principal débouché un marché interne conséquent, les exportations n'en absorbant que 25% environ. Sachant que la population brésilienne croît encore au rythme de 2% par an et, qu'approximativement, un septième d'entre elle est en état de sous-nutrition, le Brésil est donc confronté à un défi social et politique puissant que ne peuvent résoudre des gains de parts de marché mondial (Berthelot, 2005 ; Bourgeois, 2005) et qui ne se limite pas à la résolution sporadique et inefficace des revendications foncières récurrentes. Alors que 5 millions de familles sont demandeuses de terre, l'Institut national pour la colonisation et la réforme agraire (INCRA) a calculé qu'entre 1995 et 2002, sous les gouvernements de Henrique Cardoso, 500 000 familles ont reçu une parcelle de terre, et en 2003, sous le premier gouvernement de Lula, 80 000. Il s'agissait d'en installer environ 430 000 de plus d'ici 2007. Mais les familles établies ne bénéficient d'une assistance technique suffisante et d'accès aux services de base Mais les familles installées bénéficient trop peu d'assistance technique et d'accès aux services de base (voir l'article Questions foncières et politiques de réforme agraire au Brésil). Par ailleurs, il existe des programmes sociaux de lutte contre la pauvreté tels « Bolsa família » (aides sociales en contre-partie d'une présence assidue de l'enfant à l'école) qui concerne avec succès 11 millions de familles, ou le tout nouveau « Territórios da cidadania » qui doit impliquer les acteurs locaux ruraux (environ 8 millions de personnes) dont les petit agriculteurs familiaux, dans l'objectif d'identifier des projets de développement territorial avec une forte participation citoyenne (Sachs, 2008).

Des contraintes matérielles et monétaires

Le potentiel productif brésilien laisse penser qu'une expansion de grande ampleur est encore possible, du fait en particulier des terres arables en réserve. Mais, les goulots d'étranglement liés aux problèmes logistiques (moyens de stockage, infrastructures de communication insuffisants) et aux distances considérables entre bassins de production et terminaux portuaires laisse, en revanche, augurer de difficultés croissantes (délais, surcoûts) d'écoulement des productions. Aux risques environnementaux découlant de la surexploitation des ressources agro-pédologiques, s'ajoute la crainte d'une surexposition du réseau routier au trafic intense des camions, faiblement relayé par le train ou le transport fluvial. De plus, les aléas de la politique monétaire et fiscale déterminent les conditions de mise en marché et, bien souvent, expliquent les écarts entre gains attendus et gains dégagés. Depuis 2004, l'appréciation régulière du real, la monnaie brésilienne, renchérit les coûts de production agricole (importation de produits phytosanitaires en dollars) et grève les gains à l'exportation (moindre compétitivité). Étant passée de 2,97 reals pour un dollar à 2,15 en janvier 2007, 1,60 en juin 2008, cette moindre valeur du real a très lourdement pénalisé les producteurs dont en particulier, ceux situés dans le Centre-Ouest qui doivent également assumer le coût croissant du fret (transport en camion jusqu'aux ports de la côte atlantique.

En somme, le Brésil pourrait dans un proche avenir se féliciter de pouvoir juridiquement exporter davantage grâce aux résultats obtenus à l'OMC et dans d'autres enceintes de négociations, mais encore faudrait-il qu'il puisse exporter dans les meilleures conditions coût - bénéfice.

Réflexions conclusives

La participation dynamique des pays émergents au cycle du Millénaire et aux autres négociations est sans conteste, le fait marquant des activités de l'OMC en ce début de XXIe siècle. À l'instar de certains grands exportateurs comme le Brésil, leurs revendications portent sur une plus grande ouverture des marchés solvables des pays du Nord à leurs productions agricoles.

L'ambition d'exporter davantage, du fait d'une marge productive nationale évidente et d'un contexte international qui appelle à l'insertion marchande, explique bien évidemment que le Brésil soit aussi offensif dans toutes les négociations auxquels il participe. Cependant, si succès diplomatique il y a, il devra être confronté à une situation interne, sociale et territoriale, délicate. Manifestement, une minorité de producteurs et de territoires participent et bénéficient de l'ouverture ou de la consolidation des marchés tiers. En réclamant des échanges agricoles sans entraves, le Brésil n'a pas la même attitude que les pays qui veulent protéger des productions nationales vitales (Japon, Suisse ou pays agricoles importateurs du Sud), selon le principe de la souveraineté alimentaire, ou qui veulent avoir la possibilité de gérer nationalement des activités agricoles considérées dans leurs dimensions socio-culturelles et paysagères, comme l'UE ou la Norvège. Ce rapport différent à l'agriculture est de nature qualitative et son éviction des débats sur la libéralisation du commerce agricole mondial cache des questions sous-jacentes aux discussions actuelles.

Des freins importants gênent cependant le développement agricole et rural brésilien. La dégradation de certaines ressources naturelles (sols, eau) appellera à court terme une modification des modes de production, alliant davantage enjeux environnementaux et objectifs économiques. Le déficit logistique rend difficile l'écoulement rapide et régulier des récoltes. Les aléas monétaires et fiscaux sont, pour une part, imprévisibles, ajoutant aux vulnérabilités du modèle agricole brésilien. L'augmentation attendue de la demande alimentaire, à moyen terme, à l'échelle mondiale, surtout dans les pays asiatiques et africains, ne devrait-elle pas inciter à réfléchir à l'instauration de politiques agricoles favorables à l'agriculture familiale tournée vers les marchés locaux et à des filières organisées à une échelle sous-continentale (Mazoyer, 2003, rapport Banque mondiale, 2008) ? Dès lors, le Brésil dans son ensemble sera-t-il vraiment gagnant dans ce jeu commercial et diplomatique planétaire ?


Notes

[1] Martine Guibert, université de Toulouse, département de géographie, équipe de recherche "Dynamiques rurales", Institut pluridisciplinaire d'études sur l'Amérique latine à Toulouse www.univ-tlse2.fr   guibert@univ-tlse2.fr
Cette page s'inspire d'un texte paru pp 318-328 dans le livre coordonné par Daniel van Eeuwen, Le Brésil de Lula, Paris/ La Tour d'Aigues / Ed. de l'Aube, 2006, 350 p.

[2] Pour certains experts, les devises dégagées par l'agro ne concourent pas au paiement et à l'allègement du poids considérable de la dette externe du pays puisqu'en même temps augmente la dette publique interne, celle-ci étant libellée selon le taux de change (voir J. Berthelot, 2005).

[3] (O Estado do São Paulo, 23/11/05). Par exemple, en 2005, les exportations brésiliennes de viande bovine hors quotas vers l'Union européenne peuvent être taxées jusqu'à 176,7% de leur valeur, celles de sucre brut à hauteur de 160,8% et celles de maïs à hauteur de 84,9%. Dans le cas des États-Unis, ces taux sont respectivement de 26,4%, 167% et 2,3%. Pour le Japon, ils sont de 50%, 154,3% et 95,4% (Jank et Tachinardi, 2005).

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Des ressources en ligne

 

Martine Guibert, Université de Toulouse, Département de géographie, Equipe de recherche "Dynamiques rurales", Institut pluridisciplinaire d'études sur l'Amérique latine à Toulouse
guibert@univ-tlse2.fr et www.univ-tlse2.fr

compléments documentaires, édition de la page web : Sylviane Tabarly

pour Géoconfluences le 15 mai 2009

Mise à jour :   15-05-2009

 

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Pour citer cet article :  

Martine Guibert, « Le Brésil acteur et stratège dans les négociations agricoles internationales », Géoconfluences, mai 2009.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Bresil/BresilScient6.htm