Panoptique
Le panoptique est un dispositif spatial qui permet d’embrasser du regard la totalité d’un espace, et donc une surveillance continue des individus.
Imaginé par Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle, le panoptique (ou « panopticon ») a été popularisé par les travaux de Michel Foucault et constitue depuis une référence courante pour les sciences sociales. Il faut en fait distinguer trois aspects du panoptique qui en assurent la célébrité. Il s’agit d’abord d’un objet architectural spécifique constitué d’une tour centrale de surveillance autour de laquelle se déploient des cellules. Les matériaux utilisés et la disposition de chacun des éléments doivent permettre d’assurer une surveillance totale et continue des détenus depuis la tour centrale sans que le surveillant ne soit lui-même visible depuis les cellules. Bien qu’il existe quelques établissements pénitentiaires qui empruntent à ce dispositif architectural (le Presidio Modelo à Cuba par exemple ou le Stateville Correctionnal Center à Joliet dans l’Illinois), le panoptique n’a que peu essaimé et le plan radial de nombreuses prisons ne suffit pas pour y voir la concrétisation du projet benthamien (Milhaud, 2009).
Le Presidio Modelo à Cuba, photographie de Friman, sous licence GNU et CC (source). |
Si le panoptique a connu une postérité aussi importante, c’est en fait surtout par « l’effet » qu’il est censé produire sur celui qui est surveillé. Pour reprendre les mots de Foucault commentant le projet de Bentham, « l'effet majeur du Panoptique [consiste à] induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir » (1993 [1975], p. 234). En effet, le panoptique doit amener le détenu à intérioriser la surveillance : se sachant potentiellement surveillé à tout moment, celui-ci est tenté de se conformer aux règles. Autrement dit, pour que la surveillance soit opérationnelle, il n’est pas nécessaire que le détenu soit effectivement surveillé en permanence, mais seulement qu’il soit conscient de cette éventualité. Dès lors, le panoptique est emblématique d’un mode d’exercice du pouvoir que Michel Foucault qualifie de « disciplinaire » au sens où il produit une relation asymétrique qui doit permettre la « correction » du sujet.
Néanmoins, cet effet panoptique n’est pas propre au modèle proposé par Bentham, ce qui conduit Michel Foucault à parler de « panoptisme » (Foucault, 1993 [1975]). Ainsi, le panoptique se conçoit comme une « technologie politique » qui permet de « perfectionner l’exercice du pouvoir » (ibid., p. 240) : puisque tout repose sur l’intériorisation de la surveillance, le panoptique produit à faible coût un effet constant, discret et dématérialisé sur le surveillé. Au-delà de l’objet architectural, le panoptique renvoie donc à tout dispositif, matériel ou non, qui rend possible « un type de pouvoir de l’esprit sur l’esprit » (Foucault, 2001, p. 1462). On a alors pu reconnaître du panoptique en-dehors des institutions carcérales, en particulier dans les technologies de l’information et de la communication (Lyon, 1993).
Franck Ollivon, octobre 2019.
Références
- Foucault Michel 1993[1975] Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, 360 p.
- Foucault Michel, 2001b, « A verdade e as formas juridicas » (« La vérité et les formes juridiques »). Conférences à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, du 21 au 25 mai 1973. », dans Dits et Ecrits, tome 1 : 1954-1975, Paris, Gallimard, p. 1406‑1514.
- Lyon David, 1993, “An electronic panopticon? A sociological critique of surveillance theory”, The Sociological Review, Vol. 41(4), pp. 653-678
- Milhaud Olivier, 2009, Séparer et punir. Les prisons françaises: mise à distance et punition par l’espace, Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.