Ingérence, droit d'ingérence
L’ingérence désigne, en droit international, le fait pour un État ou une organisation internationale d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays tiers, sans son consentement. Une telle intervention va à l’encontre de la notion de « pleine et entière souveraineté des États ». Pour cette raison, la charte des Nations-Unies du 26 juin 1945 a posé le strict principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de tout État indépendant (article 27).
Depuis lors, ce principe a évolué à l’occasion de graves crises humanitaires. La guerre du Biafra (1967-1970) a été un événement déclencheur : la catastrophe humanitaire qu’elle a engendrée, notamment la famine qui toucha entre 600 000 et un million de personnes, fut fortement médiatisée. De nombreux États, mais aussi l’opinion publique mondiale, ont alors réclamé une intervention humanitaire internationale, ce que refusa le Nigeria au nom de sa souveraineté sur la région sécessionniste du Biafra.
Dans les années 1970, la notion de droit d’ingérence a été théorisée principalement par des intellectuels français comme le philosophe Jean-François Revel, le juriste Mario Bettati et le médecin Bernard Kouchner, fondateur de l’ONG Médecins sans frontières. S’appuyant sur la défense des droits de l’Homme légalement reconnue par l’ONU, ils considèrent que la communauté internationale a non seulement le droit, mais aussi le devoir d’intervenir dans un pays indépendant même sans son accord : c’est la notion de devoir d’ingérence humanitaire, qui s’opposerait à un « droit d’indifférence » devant les catastrophes humanitaires. Grâce à leur action, un début de reconnaissance internationale a eu lieu ; les résolutions de l’ONU de 1988 puis de 1990 facilitent l’intervention humanitaire dans un pays, à condition qu’elle se déroule « sans violer les lois du pays concerné, et à seule fin d'aider les victimes de catastrophes naturelles ou de situations d'urgence ». Ce fut le cas par exemple, en 1992, de l’intervention de la Forpronu dans l’ex-Yougoslavie suite aux massacres en Bosnie.
La notion de droit d’ingérence est récusée par de nombreux pays. Le Groupe des 77 qui représente officiellement à l’ONU les « 77 pays en développement » a notamment pris position en 2000 dans une déclaration de principe proclamant « le rejet du soi-disant “droit” d’intervention humanitaire, qui n’a aucun fondement juridique dans la Charte des Nations unies et dans les principes généraux du droit international ».
De nombreux détracteurs de ce « droit » y voient notamment une forme de domination néocoloniale de la part des pays dits « du Nord », d’autant plus que le « droit d’ingérence » a pu être utilisé comme un prétexte fallacieux pour justifier une invasion unilatérale sans motif fondé en droit, par exemple par les États-Unis pour envahir l’Irak en 2003 ou par la Russie pour l’invasion de l’Ukraine en 2022.
(ST) 2011. Entièrement réécrit (SB et CB) en mai 2023.
Pour aller plus loin
- Vie publique : Qu’appelle-t-on « droit d’ingérence » ? 16 octobre 2019