« Le terme de triangle de croissance est utilisé pour la première fois le 21 décembre 1989 par Goh Chok Tong, alors Vice Premier Ministre de Singapour à la suite d'un accord bilatéral signé avec l'État Fédéré de Johore (Joint Committee on Business Cooperation) d'une part et avec le gouvernement indonésien pour le développement de l'île de Batam d'autre part. L'objectif théorique de cette coopération transfrontalière est de promouvoir le développement économique régional de trois territoires (Singapour-Johore et Riau, SIJORI) disposant d'atouts différents afin de former un bassin économique plus large et aux potentialités économiques plus grandes. Le jeu des complémentarités entre les trois acteurs doit permettre de créer une synergie globale susceptible de valoriser la région, de la rendre très attractive pour les investisseurs et d'augmenter l'efficacité économique de la région SIJORI. Depuis la formation de SIJORI, le terme de « triangle de croissance » sert à désigner les espaces transfrontaliers en Asie Orientale. De nombreux autres termes sont apparus dans les années 1990 pour désigner les zones de coopération économique transfrontalières en Asie : polygones de croissance, entité économique naturelle, régionalisme soft, zone d'extension métropolitaine, zone transfrontalière industrielle pour l'exportation. Prises isolément, toutes ces dénominations n'englobent à chaque fois qu'un type de zones économiques infrarégionales en train de se constituer en Asie Orientale sans rendre compte de la diversité de ces espaces dont les modèles demeurent les zones de coopération transfrontalière qui se sont formées autour de Hong Kong et de Singapour (Fau, 1999). Ces modèles ne sont certes pas caducs, mais ils ne parviennent plus désormais à rendre compte de la diversité inhérente à la prolifération actuelle de ces zones. Il faut tenir compte des différentes générations de « triangles de croissance ».
« On peut identifier deux types de zones de coopération économique en Asie Orientale. Les zones économiques transfrontalières de Singapour-Johore en Malaisie-Riau en Indonésie (SIJORI) et Hong Kong-Guangdong (HKG) forment un premier type. Elles sont actuellement les seules à être effectivement réalisées et fonctionnent comme des agglomérations transfrontalières dont la métropole (Singapour ou Hong Kong) intègre un arrière-pays situé de l'autre côté de la frontière (respectivement Batam dans l'archipel de Riau et Johore d'une part et la province du Guangdong d'autre part) Le mécanisme de ces ensembles, d'abord conçus dans une optique d'expérimentation, est essentiellement pragmatique et n'obéit à aucune institutionnalisation.
« Le deuxième type regroupe l'ensemble des projets en cours en Asie. S'appuyant sur les modèles de réussites économiques de SIJORI et de HKG, ces projets n'en sont pas moins une critique. Les accords informels, tels qu'ils étaient pratiqués dans le cadre du SIJORI ou HKG, sont perçus comme une base trop incertaine nuisant à la bonne répartition des retombées économiques de ces espaces et un certain nombre de rancœurs, de non-dits ont ainsi émergé. Toutes les dérives dénoncées sont considérées comme le résultat d'une absence d'institutionnalisation. Or, les espaces concernés par les nouveaux projets de coopération transfrontalière étant beaucoup plus vastes, la crainte de perdre la souveraineté nationale sur des espaces tournés vers l'extérieur est plus grande encore. Le risque d'apparition de forces centrifuges est en partie supprimé par la définition très précise des règlements, des buts, des formes et des domaines de coopération. L'autre différence majeure est l'absence d'écarts de niveaux de développement économique, de pôles de croissance qui seraient à l'origine d'un essor économique. Les possibilités offertes par les espaces situés de part et d'autre de la frontière sont souvent identiques et la coopération repose avant tout sur le développement conjoint des ressources et des infrastructures afin d'être attractives pour des investisseurs privés et non sur la multiplication des échanges à l'intérieur de chacune des zones.
« Dans le détroit de Malacca, la première génération est représentée par SIJORI, le triangle de croissance sud, créé en 1989 ; il regroupe dans un premier temps Singapour, l'état de Johore et l'île de Batam dans l'archipel de Riau. Le triangle de croissance nord ou IMT-GT, fondé institutionnellement en 1993, appartient au second type de coopération transfrontalière ; il couvre au départ la région nord de Sumatra en Indonésie (la province d'Aceh et de Sumatra Nord), les états fédérés du nord de la Malaisie (Perlis, Kedah et Penang) et les provinces sud de la Thaïlande. »
Extrait de : Nathalie Fau. Le nord de Sumatra : une périphérie indonésienne sur le détroit de Malacca : un espace partagé entre intégration nationale et recompositions transnationales. 2003. Thèse de doctorat, Université de Nanterre - Paris 10, p. 575–577.
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