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Yvette Veyret : Quelle place pour la géographie dans les enjeux environnementaux ?

Publié le 23/01/2003
Auteur(s) : Yvette Veyret, professeure de géographie - Université de Paris X-Nanterre

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Compte-rendu d'une intervention du 21 janvier 2003, dans laquelle la spécialiste des milieux et des risques revient sur son parcours de géographe.

Citer cet article

23 janvier 2003

Introduction de Paul Arnould

Paul Arnould présente la carrière d’Yvette Veyret qui n’est pas la fille de Paul et Germaine Veyret ! Géomorphologue de formation, elle a soutenu à 35 ans une thèse de doctorat d’État sur le glaciaire dans le Massif Central. Après s’être intéressée aux régions froides (comme l’Angleterre, l’Écosse ou le Canada), elle quitte le laboratoire de géomorphologie de Meudon et devient biogéographe : c’est l’époque où l’on travaille sur l’érosion des sols. De là, elle en est venue à l’environnement : la « dame des glaces » est devenue « madame Environnement » !

Tout au long de sa carrière, elle œuvre en faveur de la vulgarisation, de la pédagogie, sans pour autant négliger ses activités de recherche.

 


Intervention d'Yvette Veyret

Yvette Veyret retrace à grands traits sa carrière, constituée de trois époques distinctes. C’est sur chacune de ses trois époques qu’elle va revenir au cours de son exposé.

Première époque : la géomorphologie

Au cours du premier temps de sa carrière, elle s’intéresse à la géomorphologie. Elle revient sur le choix de ce champ de recherche. A l’époque, la géographie était largement dominée par la géographie physique. Par ailleurs, juste après son agrégation qu’elle a passée à Grenoble, Alain Godard lui propose de travailler sur le Massif Central. Elle accepte. Ses travaux étaient alors ceux d’un naturaliste : elle fait beaucoup de terrain, de prélèvements : son but était de reconstituer les paléoenvironnements de la région. Après sa thèse d’État soutenue en 1978, elle continue de travailler sur le glaciaire et plus particulièrement sur les limites de l’inlandsis. Ces travaux la conduisent en Angleterre, en Ecosse et au Canada. Même si elle a changé de thématiques de recherche, elle a dernièrement travaillé avec des archéologues dans l’Altaï à la reconstitution des paléoenvironnements de la région.

Deuxième époque : l’environnement

Le deuxième temps de sa carrière commence dans les années 1980, alors qu’elle enseigne à l’Université de Clermont-Ferrand. Dans la droite ligne de René Neboit, elle réfléchit à l’action des hommes sur le milieu. En effet, Yvette Veyret a vécu la crise de la géographie physique et a essayé de retrouver un fil à la géographie toute entière. Un peu à la manière de Philippe Pinchemel dans La face de la terre, elle a tenté de recentrer le discours géographique. Ses nouvelles préoccupations qui se situent à l’articulation nature/société l’amènent à réfléchir à l’environnement. Pour expliquer ce cheminement intellectuel, elle revient sur la crise de la géographie, jadis dominée par des plans à tiroir et par des développements sans aucun lien entre eux ! Dorénavant, la société est au cœur des préoccupations, même en géographie physique.

Articuler la société avec les différentes composantes du milieu naturel permet de poser de nouvelles problématiques. Ainsi, l’articulation de la société et de l’atmosphère (y compris le climat et le temps) se situent toutes les interrogations contemporaines sur la temporalité : du temps long aux variations quotidiennes en passant par les saisons. Envisager les liens entre la société et la lithosphère permet d’aborder les questions de mobilité des populations, mais aussi la mobilité des versants, c’est-à-dire les questions de stabilité et d’instabilité. La biosphère quant à elle permet d’aborder toutes les questions liées aux ressources, mais aussi les agrosystèmes, les sylvosystèmes, les paysages et la géopolitique. Enfin, l’hydrosphère pose les questions d’approvisionnement en eau, de qualité, de coût ainsi que les conflits motivés par l’eau. Ces interrogations sont une manière d’aborder les rapports nature/société ; cela n’empêche pas de connaître le fonctionnement de chaque sphère, ainsi que de mener des études à différentes échelles, allant du planétaire au local.

A l’époque, c’est Jean Tricart, grand géomorphologue, qui donne le déclic : il publie en 1978 "L’écogéographie" qui donne à la géographie toute son importance dans l’aménagement ou l’environnement. Alors que la géomorphologie relève de la science pure, Yvette Veyret a l’impression que la géographie, prise sous cet angle renouvelé, sert à quelque chose. Georges Bertrand, biogéographe de Toulouse, poursuit dans cette lancée. C’est lui qui est à l’origine du «géosystème», si mal reçu par les géomorphologues de l’époque… De ces débats, Yvette Veyret retient que la géographie est de plus en plus une science sociale, et que le recours à la géographie physique est pertinent pour aborder certaines problématiques, mais pas pour poser un cadre.

Suivant la mode des années 1980, elle aborde ces aspects par le biais de l’érosion des sols qui retient alors l’intérêt des chercheurs. En dépit du Que sais-je ? sur l’environnement écrit dans les années 1970 par Pierre George, passé totalement inaperçu à l’époque, ce concept n’émerge que dans les années 1990. L’environnement est alors défini comme le milieu aménagé, transformé, dégradé. Cette approche se situe dans la problématique générale des rapports entre nature et société.

Cette géographie environnementale surgit après la crise des années 1970. Après les premiers temps de la géographie, ceux des découvertes, où la géographie a pour but de cartographier les nouveaux territoires, de les inventorier, bref, comme l’a dit Dubois, d’aider à la colonisation, intervient une crise parallèle à la fin des Trente Glorieuses. Après ces années de croissance économique fondée sur l’essor de l’industrie et de la technologie, il apparaît que la technique permet de vaincre tous les obstacles. On s’oriente vers une nouvelle géographie, sans milieu, très féconde et fondée sur une approche dynamique. Le milieu n’a plus d’importance. Ces nouveaux courants s'expriment dans de nombreuses publications dont la plus célèbre est la Géographie Universelle. La fin des années 1970 est marquée par une rupture majeure dans la société à laquelle se rajoutent les cris d’alarme poussés par les experts du Club de Rome qui annoncent les risques courus par la planète. Ils développent une vision sombre de l’avenir, causée en grande partie par un essor sans précédent de l’urbanisation et de l’industrialisation. Ces inquiétudes font ressurgir la problématique des rapports nature/société ; en politique, cela se traduit par l’émergence de nouveaux courants comme l’écologisme. La géographie rate le train de l’écologie, le laissant entre les mains des seuls politiques.

Comment cette géographie environnementale se situe par rapport aux autres discours sur la société ou sur l’écologie. Rappelons qu’Yvette Veyret place la société au centre du système. Les biologistes, eux, considèrent l’homme comme un animal comme les autres dans la nature. L’écologie (la science, et non pas les mouvements politiques) est née en Allemagne en 1869 et a pour objet l’étude du vivant dans son milieu. Elle s’intéresse surtout aux chaînes trophiques (c’est-à-dire aux chaînes alimentaires), et aux bilans énergétiques. Les écologues ne sont pas positionnés par rapport à la question de l’homme et des sociétés : l’homme, le perturbateur des chaînes trophiques, a été exclu de l’étude ! En 1935 est inventé le concept d’écosystème, mais la question de l’homme n’est pas réglée : Drouin va jusqu’à dire que si on met l’homme dans un écosystème, celui-ci deviendrait un vrai fourre-tout ! Dans les années 1980, l’écologisme (c’est-à-dire l’écologie politique) prend le relais : l’homme est mauvais et il a des effets pervers sur les sociétés. La deep ecology va jusqu’à défendre la nature contre les effets néfastes de la société. On arrive alors à des extrémités, comme la carte de la détérioration des sols publiés par l’UNESCO dans les années 1970 : 70% des sols seraient menacés par la désertification ! Une telle carte traduit surtout les craintes des experts nationaux qui, en faisant des prévisions alarmistes, cherchent à obtenir des crédits pour leur pays. Autre extrémité, la désertification, dont tout le monde parle, ne connaît pas moins de 118 définitions, mais aucune ne pose le véritable problème pour l’environnement et la société, celui de la réversibilité ou non de la situation. Dans ce débat alarmiste, le géographe doit se placer pour évaluer les dégradations, et montrer aussi que tout aménagement n’est pas forcément négatif. En effet, il faut poser une autre question, ignorée par les tenants de la deep ecology : pour qui, sinon pour la société, protéger la nature ? Il faut aussi se garder des opinions tranchées, du genre : « c’était mieux avant ! » Les progrès de la qualité de l’eau ou de l’air (que l’on pense seulement à Londres au XIXème siècle) traduisent bien une amélioration générale de l’environnement. Cette idée de la nature en danger relève d’une conception rousseauiste de la mère nature ; c’est avant tout une vision romantique, véhiculée, paradoxalement, par des urbains aisés en mal de nature.

L’environnement peut être traité selon différentes approches. Sous l’angle des ressources, comme l’eau, le pétrole (problèmes liés à la qualité, la quantité, l’accessibilité…). Mais aussi sous l’angle de la géopolitique : par exemple, dans l’explication des famines, la nature est souvent désignée comme bouc émissaire, alors que la cause principale de la famine est la mauvaise répartition de la nourriture qui existe pourtant, à l’échelle du globe ! La ville permet aussi de traiter les questions d’environnement : le climat urbain, l’eau et la santé, mais aussi la nature en ville comme les espaces verts, les animaux en ville. Il ne faut pas non plus négliger la question des sols et des substrats pollués.

Troisième époque : les risques

Aujourd’hui, suivant une mode, mais surtout un cheminement intellectuel personnel, Yvette Veyret travaille sur les risques, domaine dans lequel la géographie à beaucoup à dire, ne serait-ce que parce que le risque est lié à la société qui en est la première victime. Là encore, de nombreuses approches existent. On peut définir l’aléa (modalité, fréquence, intensité, histoire), ce qui pose ainsi le problème de l’échelle. On peut aussi s’intéresser à la perception et à la réception du risque, en lien avec la sociologie. Enfin, la géographie sert aussi à la prévention, c’est-à-dire à l’aménagement ; dans ce domaine aussi, la question de l’échelle est déterminante. Le traitement de la crise est en effet révélateur des traditions du pays ; à un niveau inférieur, le problème se pose aussi de la circonscription d’intervention.

Toutes ces questions relatives à l’environnement ont une double pertinence. Dans les pays riches, la réflexion sur l’environnement a abouti à des réglementations, des lois… L’étude du droit de l’environnement est indispensable pour comprendre ce qui se joue. Dans les pays en voie de développement, le discours dominant est celui qui consiste à définir l’environnement comme un luxe de pays riche. Ce qui est faux, dans la mesure où le développement s’appuie sur des données du milieu. Il faut discuter les idées reçues, sans généraliser : il y a donc un travail systématique à mener. Le risque naturel est le révélateur des inégalités sociales, ainsi que le révélateur des ruptures socio-spatiales des villes.

En conclusion, Yvette Veyret insiste sur la nécessité de recentrer les problématiques de la géographie ; mais plus que jamais, la géographie se trouve au carrefour de plusieurs autres disciplines dont elle a besoin, comme la chimie, la physique, la sociologie… Il faut aussi recourir de manière plus systématique aux outils de la géographie, comme les cartes et les Systèmes d’Information Géographique. Yvette Veyret reste optimiste sur l’environnement et la géographie dans laquelle elle croit toujours et qui aide les populations à mieux vivre… 

 

Questions
  • Paul Arnould se demande si l’on peut résoudre le dilemme qui consiste à éviter le catastrophisme dès qu’on parle d’environnement, tout en continuant à intéresser des étudiants à travailler sur ces thèmes et à obtenir des crédits de recherche.

— Il s’agit effectivement d’un vrai problème. La réflexion sur les programmes scolaires est alors essentielle. Comment intégrer un savoir fondamental, nécessaire dans la compréhension globale du géosystème, dans l’enseignement ? Il faut envisager une rupture dans l’approche géographique traditionnelle.

  • Quelle place accorder au développement durable dans un discours sur l’environnement ?

— Le développement durable est une tarte à la crème non dépourvue d’idéologie. Mais peut-on imaginer une forme de développement qui ne serait pas durable ? Le développement devient aujourd’hui une sorte de pensée unique à l’échelle mondiale, ce qui fait froid dans le dos. Dans le fond, l’idée est généreuse : elle consiste à penser ensemble développement économique et environnement.

— Selon Vincent Clément, il existe un risque pour les géographes de rater le train du développement durable, tout comme celui de l’environnement dans le passé. Le développement durable projette dans l’avenir (les générations futures), alors que le chercheur en géographie est plutôt habitué à travaillé sur le passé ou le présent. Ce concept de développement durable nous renvoie à l’importance des discours médiatique et politique.

  • Combien de géographes travaillent aujourd’hui sur l’environnement ?

— L’estimation est difficile. Cependant, on observe une hausse très nette des effectifs.

  • En quoi consiste la culture du risque qu’a évoquée Yvette Veyret, et qui est prônée par les compagnies d’assurance ?

— D’une manière générale, les gens n’ont pas la pratique de la nature. C’est le cas par exemple des citadins qui s’installent à la campagne. Il faut donc créer une véritable culture du risque, c’est-à-dire susciter des comportements, et non pas seulement instaurer une mémoire du risque, particulièrement éphémère dans ce domaine. Cette culture du risque doit également intervenir au niveau réglementaire et dans l’enseignement.

  • Paul Arnould revient sur le problème de la réversibilité ou non des impacts des sociétés sur l’environnement : que penser des discours qui consistent à «réparer la nature», «restaurer la nature», «remédier à la nature», voire «recréer la nature» !

— Cette conception de l’action humaine sur l’environnement relève d’une vision technicienne. Cela pose aussi la question du point 0 : quand on parle de restaurer la forêt méditerranéenne, de quelle forêt méditerranéenne parle-t-on ? La forêt tropicale qui existait il y a encore quelques milliers d’années, ou la forêt tempérée ?

  • Myriam Houssay-Holzschuch évoque le paysage que certains veulent recréer : de quel paysage s’agit-il, et à quand remonte-t-il ?

— La notion de paysage est née en Chine et s’est développée à la Renaissance. La notion de paysage renvoie à l’idée que l’on se fait de la nature. Ainsi, pour la peinture anglaise, le beau paysage est l’espace agricole. En 1906 est votée en France la loi sur les monuments historiques et les monuments de la nature est votée : c’est la première fois qu’on parle de grands paysages. En 1993, la loi sur le paysage cherche à protéger les paysages en l’intégrant aux pratiques d’aménagement. Cela revient à muséifier la nature. Que faut-il alors protéger ? Certains petits espaces, sans doute, mais peut-on se permettre d’arrêter l’évolution, c’est-à-dire le développement de régions, de tous les paysages ?

— Vincent Clément revient sur la notion de beau paysage. En Espagne, des écologistes ont voulu préserver les garrigues qui sont pourtant l’ultime stade de dégradation forestière : ils vont jusqu’à freiner toutes les dynamiques de reconquête forestière ! Cela souligne les différentes facettes de l’environnement, qui est à la fois un donné, mais aussi un vécu et un perçu.

  • Un élève s'interroge sur les risques : classifier les risques ne cloisonne-t-il pas les risques et ne masque-t-il pas les interactions ? Pourquoi parler de risques et non pas d’aléa ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de vulnérabilité ?

— Effectivement, il vaudrait mieux parler de « risque dont l’origine est naturelle », mais il ne faut pas brouiller les cartes. L’expression est admise… Yvette Veyret n’a pas fait de long développement sur les risques, mais en effet, la vulnérabilité des sociétés est une donnée fondamentale.

Compte-rendu proposé par Yann Calbérac, 23 janvier 2003.

Pour citer cet article :

« Quelle place pour la géographie dans les enjeux environnementaux ? », d'après une conférence d'Yvette Veyret à l'École Normale Supérieure de Lyon, Géoconfluences, janvier 2003, republiée en avril 2018.

URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/remue-meninges/yvette-veyret

 

Pour citer cet article :  

Yvette Veyret, « Yvette Veyret : Quelle place pour la géographie dans les enjeux environnementaux ? », Géoconfluences, janvier 2003.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/remue-meninges/yvette-veyret