Les nouvelles forêts françaises. L'exemple ardéchois

Publié le 04/10/2010
Auteur(s) : Clément Dodane - université de Lyon, université Jean Monnet Saint-Etienne

Mode zen

Citer cet article | partie 1 | partie 2

Cet article est subdivisé en deux parties

Sommaire de la partie 1
1. Des dynamiques forestières originales
2. De la friche à la forêt : des processus multiples
3. Les facteurs institutionnels de la transformation des forêts ardéchoises : le FFN, l'État et l'Europe
4. Des résistances à la marée forestière ? La réglementation des boisements


Introduction générale : de la reconquête forestière aux nouvelles forêts françaises

Le processus de reforestation que connaît la France depuis 150 ans est original à plus d'un titre. D'abord, il rompt une longue tendance à l'érosion des surfaces forestières françaises depuis la révolution néolithique (début de l'agriculture et premiers défrichements). À la différence d'autres événements qui avaient permis une reconquête forestière temporaire notamment au XIVe siècle (crise démographique de la fin du Moyen Âge, épidémies de peste, guerre de Cents Ans), cette reforestation contemporaine est marquée par trois actes législatifs importants qui ont très largement contribué à couvrir la France d'un nouveau manteau forestier (notés 1er, 2e et 3e sur le doc. ci-dessous) (De Monza, 1991 ; Arnould et al., 1995). Malgré tout, l'on doit à la dynamique naturelle de reconquête forestière plus de la moitié de l'accroissement des surfaces des nouvelles forêts françaises au cours de cette même période (Dérioz, 1999). Mais, qu'elle soit anthropique ou naturelle, la reforestation que connaît la France depuis 150 ans (Cinotti, 1996 ; Kœrner et al., 2000) s'explique par un ensemble de conditions socio-économiques, démographiques, politiques, culturelles particulières à chaque époque. Sans ces contextes favorables, ni les actes législatifs, ni les dynamiques naturelles, aussi importants et fortes soient-ils, n'auraient pu engendrer un processus de reconquête forestière en France si intense dans le temps et dans l'espace.

150 ans de reforestation dans 15 000 ans d'histoire forestière

Frise chronologique Histoire de la forêt française colbert graphique néolithique code forestier 1669 1827 superficie actuelle

NB. Ce document a été reproduit en meilleure définition à partir de l'original qui était tiré de l'Altas de France dirigé par Brunet et Auriac [2], et complété pour les années 1995-2020. Voir en très haute résolution : cliquez ici.

Encadré déroulant I. Le Fonds forestier national (FFN), une politique forestière ambitieuse : des milliards investis pour des millions d'hectares plantés

Si les reboisements en pin maritime [3] du Second Empire (1er acte législatif), les pins noirs de la Restauration des terrains de montagne (2e acte législatif) et les épicéas / douglas du Fonds forestier national (FFN) (3e acte législatif, document ci-dessus) ont permis aux sylves françaises de s'étendre, ils ont avant tout profondément transformé le visage forestier de la France en faisant croître la proportion des conifères au sein de la forêt française encore très majoritairement feuillue. Dans les Landes de Gascogne, le pin maritime domine très largement dans le million d'hectares (ha) du plus grand massif forestier de France, créé de toute pièce sous le règne de Napoléon III. Dans certains territoires du Massif Central (encadré ci-dessous), comme dans les Boutières ardéchoises, les nouvelles forêts résineuses mises en place après la Seconde guerre mondiale grâce aux aides du FFN, par des milliers de petits propriétaires terriens subissant l'exode rural et la déprise agricole, impriment leurs marques dans le paysage actuel.

 
Encadré 1. Le Massif Central et la loi Montagne

Ce vaste territoire est en fait une création récente écartelée entre de multiples régions et départements (6 régions et 22 départements) (Poujol, 1994 ; Tarrago, 1996). Sur le plan administratif, le Massif Central a été créé par la loi Montagne du 9 janvier 1985  puis modifié en 2005 par la Convention interrégionale du Massif Central afin d'intégrer le Morvan. Les communes situées en "zone de montagne" sont celles qui comportent une "zone de montagne" au sens de la réglementation agricole. La loi Montagne de 1985 (République Française, 1985) et ses textes d'application n'ont fait que confirmer un classement issu notamment de la directive communautaire du 28 avril 1975 : "La zone de montagne comprend des communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dûs selon les cas :

  • À l'existence, en raison de l'altitude [minimum 700 mètres partout, sauf massif vosgien : 600 mètres, et montagnes méditerranéennes : 800 mètres], de conditions climatiques très difficiles, se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie ;
  • À la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire [au moins 80%], de fortes pentes [supérieures à 20%], telles que la mécanisation ne soit pas possible ou bien nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux ;
  • À la combinaison de ces deux facteurs […]"

Cette définition de la montagne n'a jamais été remise en cause. Le Massif Central (84 000 km²)  représente à lui seul la moitié de la superficie des massifs français. La loi Montagne de 1985 a introduit la notion de "massif", définie comme "chaque zone de montagne et les zones qui lui sont immédiatement contiguës et [qui] forment avec elle une même entité géographique, économique et sociale […]". Ainsi, les massifs montagneux au sens de la loi englobent aussi certaines zones de piémont  et certains bassins d'emplois situés en bordure de zone de montagne.


 

Entre 1945 et 2000, toutes essences et toutes origines (naturelle ou artificielle) confondues, l'extension nette des bois et des forêts a été de 4,5 millions d'ha environ. En termes d'équivalence, cet accroissement correspond pratiquement à 7,5 fois la superficie du département français moyen, soit 6 000 km² environ. Ainsi, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les 7 à 8 ans, c'est un département entier qui se boise [4]. Ce qui porte à 15,2 millions d'ha la superficie des forêts françaises en 2000 (IFN, 2006).

Le rythme annuel moyen de l'expansion forestière (graphique ci-dessous) a été de 86 000 ha entre 1945 et 1980 [5]. Entre 1980 et 2000, la cadence a légèrement diminué pour atteindre 70 000 ha par an (graphique ci-dessous) [6]. Le ralentissement du rythme d'extension des forêts tient à deux causes principales. Tout d'abord, l'infléchissement de la politique forestière du FFN conditionnant l'attribution des aides en termes de surface minimale requise et de conditions d'obtention et élargissant les domaines aidés à l'équipement (modernisation des scieries, desserte forestière, défense contre les incendies) et à l'exploitation forestière. Par ailleurs, les surfaces en landes et en friches s'étaient déjà considérablement réduites, amenuisant d'autant le grand réservoir d'extension forestière qu'elles avaient représenté pour la reforestation.

Pour bien comprendre le processus de reforestation, il importe d'identifier comme un objet à part entière les nouvelles forêts de moins de 60 ans d'âge, qui s'opposent aux vielles forêts :

«

« Les "vieilles forêts" sont les forêts domaniales. Descendantes des forêts royales, seigneuriales ou ecclésiastiques, elles sont "soumises" de longue date au régime forestier [7], aménagées par des générations de forestiers, mises en cartes depuis Colbert et parfois bien avant, rigoureusement bornées, systématiquement parcellisées. À travers leurs paysages, leurs méthodes d'aménagement, les conduites sylvicoles qui leur sont appliquées, elles expriment le modèle forestier de référence, elles sont les temples de la tradition, les garantes de l'orthodoxie, mais aussi les lieux de mémoire et de continuité de la gestion forestière. »

(Arnould, 1991)

»
Évolution de la superficie des forêts françaises depuis les années 1950

La carte ci-contre montre justement l'importance de l'œuvre de boisement et de reboisement du FFN dans l'ensemble des départements du Massif Central. Le FFN a été aussi très actif dans les Landes de Gascogne à la suite des grands incendies du milieu du XXe siècle durant lesquels près de 500 000 ha de pinèdes disparurent en fumée [8], mais aussi dans le quart nord-est de la France, dans le Centre et en Bretagne. Toutefois, le FFN n'est pas le seul responsable de l'augmentation des surfaces forestières dans les proportions qui sont celles de la reforestation que la France connaît depuis 60 ans. En même temps, de nombreuses parcelles ont évolué au fils des années vers des formes de boisements spontanés.

Le FFN serait responsable, entre 1947 et 1999, de la création de 25% des extensions forestières propres (1,2 millions d'ha sur 4,5) et des trois quarts des nouvelles surfaces résineuses apparues dans la forêt française au cours de la seconde moitié du XXe siècle (1,5 millions d'ha sur 2). Voir le graphique ci-contre et encadré déroulant ci-dessous.

Encadré déroulant II. Quelle est la part du FFN dans la transformation du visage des forêts françaises au cours de la seconde moitié du XXe siècle ?

La nouvelle géographie forestière en France, résultat de 150 ans de reforestation continue, montre des départements très boisés, dans des régions souvent peu peuplées (Béteille, 1981) à la société rurale en recomposition, avec une économie à la recherche de nouvelles ressources. Dans les départements métropolitains qui se sont récemment boisés, les millions de nouveaux propriétaires forestiers n'ont peu ou pas d'expérience, de connaissance et de proximité avec leurs forêts. Ce bouleversement est récent, il rompt avec l'image d'une vieille tradition forestière en France et ses conséquences en termes de gestion sont nombreuses, notamment dans les moyennes montagnes. Le processus de reforestation acte donc des transformations importantes qui ont affecté les hommes, l'économie locale, les paysages et plus généralement le territoire dans son ensemble. C'est l'objet de ces deux articles que d'analyser les dynamiques des nouvelles forêts françaises et ardéchoises afin d'envisager leur devenir jusqu'à l'accession au stade de ressource territoriale. Pour ce faire l'exemple ardéchois servira principalement la démonstration, en ayant souvent recours à des documents commentés. En Ardèche, dans la Montagne [9], là où les hommes partent encore, on continue de boiser (documents ci-dessous).

Les hommes partent, la forêt arrive ? Des corrélations spatiales

NB. Le département de l'Ardèche est partagé en 11 pays (carte ci-dessus à droite) sur la base d'entités naturelles et historiques, dont la Montagne ardéchoise qui correspond aux hauts plateaux (altitude supérieure à 1 000 mètres) situés à l'ouest du département et qui se rattachent aux Hautes Terres du Massif Central. Depuis la première publication de cet article, les pays, en tant que territoires de projet, ont disparu et ont été absorbé dans la généralisation des dispositifs intercommunaux.

Le département de l'Ardèche, dont une grande partie des communes a été classée en zone de montagne au titre de la loi de 1985 (voir l'encadré supra), occupe la bordure orientale du Massif Central, du Haut-Vivarais au nord aux Cévennes au sud, en passant par les Boutières au centre. Au début du XXe siècle, ce département industriel et agricole comptait 100 000 ha de forêt, soit un taux de boisement de 18%. À la fin du XXe siècle, en 1995, il en comptait 250 000 ha, soit une augmentation de 150% et un taux de boisement de 45%. En Ardèche, la forêt paysanne [10] est passée de 57 000 ha au recensement agricole [11] de 1979, à 43 000 en 1988, pour ne représenter plus que 25 000 ha en 2000 (11% des formations boisées privées de production), soit une perte annuelle de 1 500 ha entre 1988 et 2000. Cette diminution de la forêt paysanne en Ardèche n'est que la confirmation d'une tendance généralisable à l'ensemble du territoire national et elle montre la dissociation de plus en plus nette entre activité agricole et forestière (Cinotti & Normandin, 2002). Lors de la reprise d'une exploitation agricole, les parcelles boisées ne sont pas systématiquement transmises au repreneur mais plutôt conservées par leur ancien propriétaire pour leur valeur patrimoniale. De paysanne, la propriété forestière privée s'affiche de plus en plus comme étant celle de retraités.

Première partie. De la déprise au boisement, les nouvelles forêts ardéchoises

Déprise agricole et boisement [12] des terres ne sont pas strictement corrélés. Il faut les replacer dans un système dont les ressorts sont à la fois économiques, sociaux, culturels, psychologiques, législatifs, etc. ainsi que les exemples ardéchois développés ci-dessous le montrent.

1. Des dynamiques forestières originales

Dans un contexte économique et démographique favorable, les campagnes se développent en Ardèche durant la première moitié du XIXe siècle. La population rurale y atteindra un maximum démographique au tournant de ce même siècle. À cette époque, presque partout, l'agriculture conquiert de nouveaux espaces, les aménagements des pentes en terrasses s'élèvent même au-delà de 1 000 m d'altitude dans la Cévenne ardéchoise (Blanc, 2001). Aujourd'hui, la plupart des terrasses ne sont plus entretenues et la forêt reconquière progressivement les espaces qui n'ont plus d'usage agricole.

Les plantations forestières à la conquête des terrasses

Le document ci-contre montre d'anciens aménagements en terrasses, entre 1 000 et 1 300 m d'altitude, sur la route des crêtes au centre de l'Ardèche (ligne de séparation biogéographique entre l'Ardèche du sud aux influences cévenoles et méditerranéennes et l'Ardèche du nord plus continentale). À l'ouest de cette ligne c'est le commencement de la Cévenne ardéchoise, dont la plupart des têtes de bassin versant ont été reboisées dans le cadre de la Restauration des terrains en montagne (RTM) [13]. Elles sont devenues des forêts domaniales comme celle du Pradou dont une partie du périmètre est visible dans le coin supérieur nord-ouest de la carte au 25 000e ci-contre. À l'est de la route des crêtes, débutent les Boutières. La carte montre que de nombreux mas ou d'anciennes fermes sont actuellement en ruines. Seules restent occupées les habitations accessibles par la route. La photographie exprime relativement bien la manière dont ont été construites les terrasses.

L'aménagement de l'espace agraire s'est fait à partir de l'habitat, installé non loin d'un point d'eau (à proximité de la source de l'Auzène). Les terrasses partaient à l'assaut du Serre de Lichessol et leur qualité architecturale, comme on le voit encore, décroît avec l'éloignement de l'habitation. Sous la maison, une prairie permettait de nourrir quelques moutons, chèvres ou vaches, un mulet ou un âne. À cette altitude, le châtaignier n'est plus présent, sa limite altitudinale supérieure est à environ 900 mètres.

Les landes sommitales servaient de parcours pour les animaux. Actuellement, l'on peut observer les différentes phases d'installation d'un couvert boisé au dessus de l'habitation. Une première plantation (douglas ou pin noir) d'une dizaine d'années forme un carré juste au dessus de l'habitation entre l'espace aménagé en terrasses et la route plus haut. À côté, une autre plantation, plus récente, occupe un espace bien circonscrit avec pour limite à gauche l'autre plantation, en bas un chemin qui traverse la propriété et qui grimpe en direction du Rocher d'Ecorche Chèvres, à droite un mur d'épierrement qui matérialise une limite de propriété et en haut la route. Enfin, très récemment, de jeunes douglas viennent d'être plantés sur les terrasses les plus éloignées de l'habitation (entre 50 et 150 mètres). Par contre, tout l'espace en dessus de l'habitation est maintenu ouvert, certainement pour conserver de la luminosité.

En Ardèche, le châtaignier était, depuis le XVIIIe siècle, l'"arbre à pain" qui a sauvé de la famine nombre de gens du pays. L'âge d'or de la châtaigneraie en Ardèche est le XIXe siècle et son développement est lié à celui des terrasses et à l'augmentation conséquente de la population rurale en Ardèche au cours de ce siècle (Pitte, 1986 ; Bancel, 2002). Il en sera finalement de même pour son déclin dont les raisons tiennent aussi à la démographie. En Ardèche, en un siècle la chute de la châtaigneraie [14] a été spectaculaire : elle occupait 58 000 ha en 1865 contre 17 000 ha en 1960 et seulement 5 000 actuellement.

Aujourd'hui, même si la culture du châtaignier n'a pas complètement disparu en Ardèche, la majorité des anciennes châtaigneraies ont été abandonnées, livrées à elles-mêmes, ou exploitées pour le tanin que contient l'écorce du châtaignier. Consécutivement à l'exode rural, les bras ont manqué pour entretenir les arbres qui nécessitent régulièrement des tailles de formation destinées à favoriser la production de châtaignes. Il faut aussi chaque année supprimer les rejets de pieds qui concurrencent leur support et nettoyer le sol sous les arbres, en supprimant toute végétation, pour faciliter le ramassage des châtaignes. À cause des maladies, les arbres séculaires ont dépéri et, à partir des années 1950, une nouvelle maladie, le chancre de l'écorce (Endothia), porta un dernier coup fatal à la culture du châtaignier en Ardèche, comme ailleurs...

C'est ainsi que le châtaignier, l'arbre forestier, a fait son grand retour. En effet, avec le temps, de nombreuses châtaigneraies sont devenues soit des taillis de châtaignier, soit des formes forestières mixtes et mélangées [15]. Le peuplement conserve les vieux et imposants châtaigniers debout, morts ou vivants. Dans les interstices on trouve de jeunes sujets de châtaigniers de franc-pied, ainsi que d'autres espèces de futaie en accompagnement comme le pin sylvestre par exemple. Certaines espèces d'ombre comme le hêtre commencent aussi à s'installer sous le peuplement.

La photographie, ci-dessous à gauche, a été prise depuis le hameau de Curins dans la commune de Saint-Genest-Lachamp dans les Boutières ardéchoises. Elle montre une ancienne châtaigneraie, aujourd'hui abandonnée, sur le versant ouest du Serre de Taillac. Les vieux châtaigniers sont reconnaissables à leurs branches mortes de couleur grisâtre, ainsi qu'à leur implantation spatiale : les arbres sont individualisés parce que plantés à égale distance les uns des autres, de telle sorte qu'ils puissent déployer leur branchaison dans l'espace imparti. En effet, la culture du châtaignier s'apparente à une culture d'arbre à la différence de l'espèce forestière qui s'éduque en peuplement. La zone de contact entre l'ancienne châtaigneraie et le nouveau peuplement de pin sylvestre (qui occupe la partie sommitale du Serre de Taillac) est propice au développement de nouvelles formes forestières telles que nous avons pu les observer.

Le châtaignier : du verger à la forêt

- à gauche, ancienne châtaigneraie abandonnée, commune de Saint-Genest-Lachamp (cliché C. Dodane, mai 2005, coord. WGS 84 : 44°49'59"N / 04°24'18"E, alt. : 860 m., orient. : est),

- à droite, ancienne châtaigneraie colonisée par la broussaille et de nouveaux sujets, commune d'Ajoux (cliché C. Dodane, mars 2008, coord. WGS 84 : 44°45'20"N / 04°28'50"E, alt. : 640 m., orient. : sud-est).

La photographie ci-dessus à droite a été prise en contrebas du hameau de Blaizac dans la commune d'Ajoux dans les Boutières ardéchoises. En bas, dans la vallée coule l'Auzenat. L'on peut observer le sous-bois caractéristique d'une ancienne châtaigneraie sans entretien depuis plusieurs décennies. La végétation adventice a gagné le sol (fougère, ronce, broussaille). Mais ce sont surtout les conséquences de l'absence de taille qui frappent ; les vieux troncs s'effacent sous les rejets adventifs (sur la souche) dont la grosseur témoigne de l'âge. Des bouquets de jeunes châtaigniers apparaissent ici et là à l'écart des vieux arbres, dans les interstices lumineux, peut-être des arbres à recruter pour envisager une reconversion forestière à cette ancienne châtaigneraie. Non loin, on retrouve de vieilles souches de châtaigniers, exploités et vendus par leur propriétaire dans les années 1960 au "tanin gaulois", une entreprise locale spécialisée dans l'extraction du tanin, qui a eu raison de nombres de châtaigniers en Ardèche au plus fort de la crise castanéicole.

La photographie ci-dessous à gauche a été prise juste après le hameau du Bois Soubeyrand dans la commune d'Albon-d'Ardèche dans les Boutières ardéchoises. L'on y voit les deux éléments si caractéristiques des anciens aménagements agricoles en Ardèche : les terrasses et les châtaigneraies. À cela, ajoutons aussi la présence, en contrebas du plan de l'image, d'un ancien moulinage sur le ruisseau de Crouset (témoin du passé industriel de l'Ardèche). Comme on le devine, l'herbe est verte en ce mois de mai sous les châtaigniers. C'est un signe flagrant que cette châtaigneraie est entretenue et encore exploitée pour la production de châtaignes. La base des troncs est nette, les arbres ne portent pas de branches mortes, les houppiers sont bien proportionnés et les branches vigoureuses. Le tout forme une jolie "boule" qui portera certainement beaucoup de fruits (il s'agit en réalité d'un akène [16]). La proximité d'une habitation, certainement celle du propriétaire de la châtaigneraie, est sans doute pour beaucoup dans l'entretien de celle-ci et de l'espace agricole en terrasses encore maintenu ouvert à proximité.

Des châtaigneraies encore entretenues

- à gauche, châtaigneraie productive, commune d'Albon-d'Ardèche (cliché C. Dodane, mai 2005, coord. WGS 84 : 44°49'38"N / 04°25'19"E, alt. : 740 m., orient. : sud-est)

- à droite, travaux d'entretien d'une châtaigneraie, commune de Valgorge (cliché C. Dodane, mai 2005, coord. WGS 84 : 44°35'42"N / 04°05'46"E, alt. : 740 m., orient. : sud-ouest)

La photographie ci-dessus à droite a été prise depuis la route départementale qui traverse le hameau de Couderc dans la commune de Valgorge dans la Cévenne ardéchoise. Ces châtaigniers viennent de subir une taille très sévère qui ne leur laisse que des branches bien vivantes. Elles se couvriront bientôt de jeunes pousses bien vertes. Ici et là, des petits tas de bois laissent présager de l'usage qui sera fait des bois de taille : ils seront probablement brûlés en chauffage. Le sol est bien net et il devrait être aisé de ramasser les châtaignes, qui se bloqueront derrière les murs d'épierrement, sans dévaler dans la pente sous les coups de boutoirs des sangliers qui abondent dans le secteur. En arrière plan, on distingue un jeune peuplement de douglas qui surplombe une route forestière desservant un vaste massif forestier privé, ainsi que la forêt domaniale de Prataubérat, faisant face au massif du Tanargue, massif emblématique de la RTM en Ardèche.

Selon la Chambre d'agriculture de l'Ardèche, la châtaigne est encore une source de revenus pour un millier d'agriculteurs. Mais, ceux-ci ne plantent pour ainsi dire plus de châtaigniers. La récolte se concentre sur quelques vergers préservés à proximité des hameaux. Au mieux les enfants du pays reviennent-ils pour s'installer dans une résidence secondaire, mais ils ne participent plus aux travaux agricoles ancestraux. Ils constatent les mutations à l'œuvre, les transformations du paysage et leur impuissance face à la forêt et à la friche conquérantes. C'est tout un pays qui s'est progressivement transformé, tant sur le plan démographique, qu'économique.

2. De la friche à la forêt : des processus multiples

La France en friche [17], c'est aussi la mort des paysans (Mendras, 1967 ; Hervieu & Viard, 1998) et des paysages. Les arbres qui progressent enserrent les villages, ferment les vallées. La fermeture du paysage apparaît progressivement dans les années 1990 comme une nouvelle forme de dégradation, une catastrophe pour ceux qui défendent l'idée d'une nature maîtrisée et protégée par l'homme (Le Floch et al., 2005) . Dans le processus de reforestation, au détriment du territoire agricole non cultivé, la part de l'homme est moindre que celle de la "nature" et, depuis au moins trois décennies, les accrues (boisements spontanés) constituent la principale modalité d'extension des forêts en France (Cavailhes & Normandin, 1993 ; Dérioz, 1999). La majorité des nouveaux espaces boisés correspond donc à des extensions naturelles, à partir de friches ou de landes qui ont évolué vers des formes de boisements spontanés (Dérioz, 1991). Nous avons eu l'occasion en Ardèche de mesurer l'ambiguïté, sur une même parcelle, entre une terre agricole en friche et, son envers, une friche qui possède encore un usage agricole. La définition de la friche (Dérioz, 1994) voudrait d'ailleurs qu'elle ne soit plus nommée ainsi dès lors qu'elle fait partie intégrante des surfaces utilisées au sein d'une exploitation agricole.

La réussite du FFN (cf. supra) au cours la seconde moitié du XXe siècle s'explique, entre autre, par la "symbolique de l'arbre" qui a poussé les planteurs à préférer l'arbre à la friche. En effet, en Ardèche ces propriétaires terriens allaient donc planter, non plus des châtaigniers dont ils savaient pertinemment le travail qu'ils nécessitaient, mais des conifères dont l'Administration forestière d'État leur disait tant de bien.

 
Encadré 2. « La forêt est une Caisse d'épargne »

La promotion d'un groupement forestier par la Direction départementale de l'agriculture de l'Ardèche se faisait en ces termes en 1967 (extraits) :

- "But [du groupement forestier] : Le GF permet la mise en valeur par voie de reboisement des terres abandonnées ou incultes, lorsqu'elles sont formées de parcelles morcelées voisines appartenant à des propriétaires différents mais qui peuvent, par leur réunion, constituer une unité de gestion forestière acceptable. (...)

- Caractères juridiques : Le GF est établi pour une durée limitée, généralement de l'ordre de 45 ans (durée moyenne estimée nécessaire pour amener un boisement à maturité). (...)

À l'expiration des 45 ans, les membres décideront s'ils restent en groupement forestier ou si chacun reprend sa ou ses parcelles de terrain. À ce moment là, on aura une forêt normalement constituée et chaque parcelle de terrain boisée représentera un capital qui se sera constitué sans frais pour le propriétaire. (...) Les parcelles de terrain incluses dans le GF sont exonérées d'impôts pendant trente ans.

- Conclusions : le GF est une solution d'avenir qui donne toutes les garanties désirables aux propriétaires en leur offrant des conditions très avantageuses. En permettant le regroupement et la mise en valeur des terres incultes, il donne également aux propriétaires la possibilité de créer un capital sans engager aucune dépense et d'assurer ainsi leur avenir et celui de leurs successeurs. La forêt est une Caisse d'Épargne."


 
De la friche à la forêt, un processus spatial

Il y a d'autres causes au rejet collectif de la friche, dont le risque d'incendies, mais d'autres préoccupations transparaissent aussi. La friche est synonyme de défaite pour le paysan. Elle représente la terre qui ne produit plus et l'abandon. Les paysans ou leurs descendants, en plantant des arbres sur des terres en friche, pensaient leur redonner un caractère productif. Au bout de quelques années, l'arbre qui a bien poussé, surtout quand il est planté serré, étouffe toute la végétation concurrente. La friche disparaît, il en est fini du genêt à balais, de la broussaille, de la ronce et de la fougère. Le sol redevient rapidement propre puisque plus rien ne pousse sous le couvert dense des résineux. C'est aussi un capital que l'on pourra léguer à ses descendants avec d'autant plus d'intérêt que sa valeur marchande les incitera peut-être à revenir de temps en temps au pays. L'arbre (Corvol, 2009) que l'on plante comble le vide, il renaît de la terre morte, improductive, il représente l'ordre par rapport au désordre de la friche. La symbolique de l'arbre qui rassure, qui dure et qui rapporte a joué un rôle important dans l'œuvre de reforestation.

La photographie ci-contre a été prise à la sortie de Saint-Martin-de-Valamas sur la route de Saint-Julien-en-Boutières. Les habitations que l'on distingue en bas à droite de la photographie appartiennent au hameau du Bourget. En cette fin du mois de mai, les genêts à balais sont en fleur (1). Le tapis jaune qui se dégage au milieu de la photographie montre l'étendue de la surface qu'ils couvrent. Ils témoignent de l'abandon plus ou moins récent de ces terres qui sont passées à l'état de friche. Tout laisse à penser que ces terres étaient encore pâturées il y a peu, certainement de façon extensive. Si non, elles auraient déjà été envahies par l'arbre.

Cliché : C. Dodane, mai 2006

En effet, à gauche et à droite de l'espace en friche, deux peuplements spontanés, l'un composé de pins sylvestres (2) et l'autre de feuillus divers (3) (probablement des saules et alisiers blancs) soulignent l'existence d'une dynamique de colonisation forestière à l'œuvre. Le peuplement de pins sylvestres est déjà installé depuis plusieurs décennies, alors que les feuillus paraissent plus jeunes.

Ils se sont développés dans un micro vallon frais où coule une petite source. Ces deux boisements spontanés ont essaimé quelques spécimens au milieu de la friche. Au premier plan et en position sommitale, deux plantations de douglas de 30 à 40 (4) ans rappellent que le FFN a permis de financer de nombreux petits boisements dans les décennies de l'après Seconde Guerre mondiale. La plantation sur le sommet révèle la géométrie de la parcelle cadastrale sur laquelle elle a été implantée. Elle n'a pas encore été éclaircie depuis son installation. Les lignes de plantation apparaissent intactes sur la photographie aérienne. Sous les douglas au premier plan, les anciennes terrasses ont servi de banquettes pour la plantation. Elles existent encore dans le sous-bois, comme figées depuis leur abandon. La géométrie initiale de la plantation est cassée. Des arbres ont déjà été abattus dans cette parcelle pour libérer de l'espace aux autres. En bas à droite de la photographie, plusieurs habitations du hameau du Bourget commencent à être cernées par la forêt (5). Il ne reste que quelques prés encore entretenus aux abords du hameau. Ailleurs, de part et d'autre, la friche et la forêt sont aux portes des maisons. Dans cette partie des Boutières la dynamique de colonisation forestière est encore très vive.

3. Les facteurs institutionnels de la transformation des forêts ardéchoises : le FFN, l'État et l'Europe

En Ardèche, 40 000 ha environ de plantations résineuses (boisements, reboisements et améliorations avec introduction de plants forestiers) ont été aidés grâce aux FFN, au budget de l'État et à l'Europe, de 1947 à 1999. Ce chiffre place l'Ardèche parmi les départements de France qui ont le plus utilisé ces aides à l'investissement forestier, sans toutefois atteindre les très hauts niveaux connus par ailleurs [18].

Du timbre poste pour boiser au boisement en timbre poste

Depuis les débuts du FFN en 1947, l'administration des PTT avait été mise à contribution pour faire passer des messages de "propagande" (c'est le terme utilisé à l'époque) auprès des Français sur la nécessité de reconstituer les forêts françaises. En 1955 à Paris, l'oblitération du courrier comportait une flamme postale censée réveiller l'intérêt des Français pour le reboisement : "Reboiser, devoir national, placement familial". Le timbre rappelle les méthodes "dures" employées à l'époque en foresterie. La "sylviculture au bulldozer" [19] était la norme.

Boisement d'épicéas en "timbre poste", commune de Mazan-l'abbaye

La photographie prise en 2006 (cliché ci-dessus à gauche), dans la commune de Mazan-l'abbaye dans la Montagne ardéchoise, met en scène un boisement d'épicéas dit en "timbre poste", à cause de sa petite surface et de son implantation au milieu de terres agricoles. À gauche du boisement, on distingue clairement des prés de fauche, alors que devant celui-ci la faible couche de neige n'est plus homogène, elle laisse transparaître une végétation basse : une lande basse à genêts.

Le FFN était un outil financier appliqué à l'ensemble du territoire, mais en fonction des conditions historiques, géographiques, sociologiques et économiques, sa mise en œuvre a été différente selon les départements. Le modèle national a été appliqué en Ardèche avec quelques variantes. Le seuil en dessous duquel il n'était pas possible de financer un contrat, à savoir 30 ha, n'y était pas systématiquement en vigueur. La politique du FFN a conduit à certains travers dont celui des plantations dites en "timbre poste" est un exemple. Selon la définition retenue, il peut s'agir uniquement de boisement au milieu des terres agricoles et on en trouve des exemples en Ardèche, particulièrement dans la Montagne. Ces boisements de petites surfaces qui résultent bien souvent des subventions du FFN, forment un îlot isolé, souvent très difficile à gérer. Ailleurs, la reconquête forestière spontanée particulièrement vive a inclus ces petits boisements dans d'autres boisements spontanés.

Durant onze années, de 1949 à 1959, un peu moins de 400 commandes (suventions [20]) pour 570 ha en moyenne par an donnèrent le signal du départ pour des milliers d'autres propriétaires terriens qui eux aussi boiseront par la suite. Puis, durant la décennie suivante (1960-1969), l'Administration forestière fut sollicitée pour délivrer environ 350 subventions pour 710 ha en moyenne par an. La superficie moyenne des subventions passant de 1,4 à 2 ha, témoigne de l'engouement pour ces aides et des réserves qui étaient disponibles à la plantation. Cette période correspond à l'apogée des petits boisements en Ardèche avec une année record, en 1966, où les demandes cumulées atteignent 1 050 ha. Des années 1970 aux dix dernières années d'existence du FFN (1990-1999), le "gisement" des "boiseurs" s'est progressivement tari.

Mises en carte à l'échelle de l'Ardèche, les surfaces aidées par le FFN grâce aux contrats, aux prêts et aux primes donnent à voir l'Ardèche des nouvelles forêts résineuses (document supra). Il faut dire qu'en un demi-siècle la forêt a gagné partout en Ardèche et que le boisement n'a plus véritablement la même signification ou fonction que par le passé. Les premières plantations de ce genre ont déjà produit leurs effets. Installées sans véritable intention de produire du bois à destination des industries de première transformation, leur entretien fait défaut et cela se voit et se dit. La réalité a rattrapé le rêve et de nombreux propriétaires sont désarmés quand il s'agit de passer à l'acte de gestion.

Évolution des superficies forestières aidées par le FFN de 1949 à 1999

Les boisements et reboisements aidés par le FFN se concentrent dans la partie du département appartenant au Massif Central (communes classées en zone de montagne, cf. encadré supra). En revanche, les propriétaires fonciers du plateau du Coiron n'ont presque pas sollicité les aides du FFN. L'agriculture tient encore l'espace et le plateau a été peu boisé même si les communes qui le composent sont classées en zone de montagne. La raison en est la même dans les autres communes du département où l'on a peu planté. Le Bas-Vivarais calcaire et méditerranéen qui porte de vastes surfaces de taillis de chêne pubescent et de chêne vert a finalement été très peu transformé au regard des surfaces qui auraient pu être améliorées, en raison principalement des difficultés du milieu.

De 1980 à 1999, un nouveau souffle a également profité aux boisements en Ardèche qui a bénéficié des fonds communautaires européens complétant la masse d'investissements forestiers déjà consentis par le FFN et par l'État. Le département est compris dans la zone méditerranéenne et bénéficie à ce titre de l'appui des fonds européens pour financer des opérations d'équipements, de boisements et de reboisements, aux côtés de l'État français dans la majorité des cas. De tous les départements méditerranéens, l'Ardèche est celui où l'on a le plus boisé grâce aux fonds européens. La courbe des surfaces totales boisées et reboisées en Ardèche fait apparaître plusieurs soubresauts qui traduisent en termes de plantations les programmes forestiers européens successifs en Ardèche (subventions du Feoga [21]) : l'Action commune forestière méditerranéenne (ACFM) de 1980 à 1985, le Programme intégré méditerranéen (PIM) de 1987 à 1990, le Programme de développement des zones rurales (PDZR) de 1991 à 1993 et le Programme de développement rural (PDR) de 1994 à 1999. Au total, ce sont près de 7 100 ha (hors taux de réussite [22]) qui ont été boisés et reboisés en Ardèche entre 1970 et 1999 grâce à ces aides.

La commune de Laviolle, vallée de la Volane : du passé au présent

Trois photographies retraçant un siècle d'histoire forestière dans la Cévenne ardéchoise (Cornu, 2003) permettent de témoigner des transformations humaines, économiques et paysagères de cette vallée, notamment à travers les plantations du Groupement forestier (GF) de la Volane et les difficultés pour rentabiliser et valoriser la ressource forestière.

Dans cette vallée cévenole, le XXe siècle qui commence est fondé sur un système agro-pastoral hérité des siècles passés (Bozon, 1961). La population rurale y a atteint un maximum démographique qui a conduit à une mise en valeur systématique de tout l'espace disponible. Plus de 1 500 personnes travaillent et vivent dans la haute vallée de la Volane [23]. À proximité des habitations, les terres sont aménagées en terrasses suivant les courbes de niveaux grâce aux matériaux d'épierrement. On retrouve ces constructions du fond de la vallée jusque sur les sommets à plus de 1 000 m d'altitude. Les habitants cultivent aussi bien des plantes annuelles que des châtaigniers à fruits. Le reste de l'espace est parcouru par des troupeaux de chèvres et de moutons. Les grands reboisements de la Restauration des terrains en montagne (RTM), débutés après 1880, sont en place depuis peu et encore très discrets (forêts domaniales du Pradou à l'est et des Volcans à l'ouest – 1 – sur les photographies).

En 1970, les montagnes conservent encore l'aspect des siècles passés, pour peu de temps cependant. La lande et la friche sont déjà là. La lande est héritée des anciennes pelouses pastorales et des landes d'altitude qui ne sont pratiquement plus pâturées. La friche s'est développée à proximité des habitations, sur d'anciennes terrasses qui ne sont plus cultivées, sur des prés qui ne sont plus fauchés et sous des châtaigneraies à l'abandon. Les "clos" de châtaigniers sont encore visibles et l'avancée de la forêt se limite aux parcelles de la forêt domaniale du Pradou, qui occupe une partie du plateau et les versants alentours du Suc de la Cuche. La fermeture des derniers moulinages de la vallée, les transformations du monde agricole, les maladies à répétition des châtaigniers, conduisent à un exode encore plus massif de la population. Certains préfèrent boiser leurs terres plutôt que de voir la friche faire son apparition. Mais, c'est la force de persuasion de l'Administration forestière d'État, en charge du FFN, qui fera le plus.

En 1967, un groupement forestier (GF) est créé par l'Administration forestière, reprenant à son compte l'initiative d'un grand propriétaire de la commune désireux de boiser ses terres devenues incultes. L'Administration forestière s'emploie donc à convaincre de l'intérêt de l'opération et 52 apporteurs de parts finiront par s'associer pour bénéficier d'un prêt du FFN sous la forme de travaux (contrat). Ils laissent ainsi à l'Administration forestière le soin de suivre ce boisement jusqu'à remboursement de l'intégralité des créances et des intérêts, celle-ci leur promettant de produire en 30 ans des arbres de valeur. Les plantations commencent en 1968 pour atteindre, au final, 170 ha. Sur la photographie, une piste de desserte se dessine à flanc de montagne pour connecter le GF au réseau de pistes de la forêt domaniale du Pradou. De part et d'autre, on commence à distinguer les lignes de plantation des jeunes douglas et des jeunes pins laricio de Corse, qui constitueront l'avenir – la "caisse d'épargne" du GF de la Volane.

En 2006, il n'y a pour ainsi dire plus d'agriculteurs ni d'éleveurs dans la haute vallée de la Volane, à quelques exceptions près. L'exploitation forestière et la vente de bois constituent, de fait, la principale source de revenus. Il n'y a guère que 130 personnes qui vivent à l'année dans la haute vallée de la Volane et une quinzaine qui y travaillent dans l'agriculture et le tourisme hôtelier. Depuis les hauteurs du chef-lieu de Laviolle, la marque des plantations résineuses, maintenant âgées de quarante ans, sur le flanc est de la vallée est imposante. La première éclaircie des peuplements du GF, sur 60 ha, est commencée depuis un an. Elle a nécessité l'intervention d'une équipe tchèque de débardage par câble mât, en raison de conditions de terrain difficiles et d'un savoir-faire (le débardage par câble) presque absent en France. Malgré certaines subventions, le bilan financier de l'opération, qui a permis de récolter environ 6 000 m³ de bois de qualité emballage (en moyenne 0,6 m³), est nul. Le GF n'a toujours pas enregistré de rentrées financières positives par la vente de ses bois. À cela s'ajoutent, les impôts fonciers, dont le GF doit s'acquitter depuis que l'exonération trentenaire des parcelles cadastrales plantées a pris fin.

De plus, la desserte du GF est un véritable problème. Alors que les bois pourraient rejoindre la route départementale 578 qui occupe le fond de vallée, au lieu-dit Le Grand Moulin distant seulement d'une centaine de mètres de la piste forestière qui dessert le GF, le propriétaire d'un pré refuse l'aménagement de la liaison qui passe nécessairement sur sa propriété. Ainsi, chaque m³ de bois chargé sur camion doit parcourir entre 11 et 13 km de pistes forestières, par le réseau de la forêt domaniale du Pradou, avant de rejoindre la route départementale 122 de Mézilhac. Cela revient à remonter sur 400 à 600 m de dénivelé positif des chargements de plusieurs dizaines de tonnes de bois, sur le plateau à plus de 1 300 m d'altitude. C'est une difficulté considérable pour la valorisation commerciale des bois du GF.

4. Des résistances à la marée forestière ? La réglementation des boisements

En Ardèche, l'adoption de la réglementation des boisements [24] est intervenue à l'échelle communale comme une réaction épidermique au développement incontrôlé, pour certains, des boisements de conifères sur des terres agricoles ayant des potentialités intéressantes. Révélatrice des tensions qui existaient ou qui existent encore, la réglementation a surtout servi à calmer le jeu entre agriculteurs et "boiseurs" plus qu'elle n'a réellement limité les plantations (document ci-dessous). Dans la plupart des cas, la réglementation des boisements a été principalement réclamée par des agriculteurs encore en activité. Souhaitant reprendre ces terres plutôt qu'elles ne leur échappent, ils voyaient d'un mauvais œil l'arrivée des boisements. Mais, la grande vague des plantations des années 1950 et 1960 était déjà passée lorsque l'outil est arrivé.

Durant la période d'existence du FFN, la réglementation des boisements pouvait être de trois types : libre, autorisée et interdite. En Ardèche, elle a seulement été libre (les extensions forestières étaient permises) et soumise à autorisation suivant les zonages établis à l'échelle communale (les extensions pouvaient se faire dans certains secteurs). C'est pourquoi, il y a finalement eu peu de refus de la part de la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF), dès lors que la demande de boisement s'inscrivait dans la zone autorisée. Pourtant, la réglementation a tout de même eu un effet positif dans les communes qui en disposait, les demandes de boisements et de reboisements du FFN devant être motivées, elles étaient censées être accordées à des propriétaires ayant une stratégie de gestion. La carte du document ci-contre fait état des lieux où les tensions entre agriculteurs et "boiseurs" ont été les plus vives. Le nord de l'Ardèche est plus agricole que le sud et c'est dans cet espace que les propriétaires fonciers ont été les premiers à solliciter l'aide du FFN au cours des décennies 1950 et 1960. C'est pourquoi, les premières réglementations sont apparues au nord et la très grande majorité d'entre-elles concerne d'ailleurs la moitié nord de l'Ardèche. Dans la partie sud de la Montagne ardéchoise, les réglementations des boisements sont plus récentes (années 1980 et 1990) et elles ne concernent pas toutes les communes. Cela témoigne d'une meilleure acceptation, dans cette partie de l'Ardèche (celle des grandes forêts domaniales), des boisements et reboisements qui étaient moins qu'ailleurs perçus comme des "envahisseurs".

Le technicien de secteur de la DDAF en poste dans ce secteur dans les années 1980, faisait part de ses impressions au sujet des habitants qui, semble-t-il, n'étaient pas hostiles aux résineux et même à l'idée de boiser, expliquant qu'ils étaient nés au milieu des sapins des vieilles forêts domaniales. Selon lui dans cette partie de la Montagne ardéchoise, lorsque l'on commençait de boiser à un endroit, cela essaimait de manière concentrique. Aujourd'hui, les communes de la Montagne ardéchoise sont parmi les dernières à perdre encore des habitants (voir document supra). Ce sont aussi les dernières en Ardèche à continuer de planter des arbres.

Les communes de Lanarce au sud et celle de Devesset au nord sont particulièrement représentatives de cette situation où la forêt vaut mieux que l'abandon, puis la friche, et où les arbres protègent du vent. Au début des années 2000, un ensemble de huit communes [25], de part et d'autre du massif du Tanargue dans la Cévenne ardéchoise, a pris un arrêté de réglementation des boisements. Cela peut sembler étrange de réglementer les boisements alors que les formations boisées couvrent plus de 50% de la surface communale. De plus, si on y inclut les landes et les friches, le taux de boisement et d'embroussaillement dépasse les 75% selon les données CORINE Land Cover [26] (carte ci-contre). En réalité, ces réglementations tardives sont un appel au secours, révélateur de communes désorientées, où l'agriculture disparaît et qui s'interrogent sur l'avenir tout forestier de l'occupation de leurs sols. Dans une perspective élargie, les réglementations des boisements ont été de toute façon inefficaces à contenir les boisements spontanés hyper-conquérants comme cela a été décrit précédemment.

Après 150 ans d'exode rural, de déprise agraire de longue date et un demi-siècle de plantations résineuses, l'organisation spatiale des territoires en Ardèche et dans l'ensemble du Massif Central a été profondément transformée. La "diagonale du vide" sud-ouest / nord-est qui incluait une grande partie du Massif Central s'est morcelée et effritée, mais elle accuse toujours ces "trous noirs" [27] (Brunet, 2001). Il reste des espaces ruraux qui continuent de perdre des habitants comme dans la Montagne ardéchoise. Ailleurs où la dynamique démographique redevient positive, où l'on assiste à une "renaissance" des campagnes (Kayser, ) certains acteurs du territoire refusent le fatalisme d'une forêt non gérée qui ne servirait pas les intérêts de la communauté. Mais pour ce faire, les paradigmes traditionnels devront être dépassés. Les origines des nouvelles forêts, que ce soit en Ardèche ou en France, et les motivations des nouveaux propriétaires forestiers doivent faire réfléchir à la gestion durable de ces nouvelles forêts. Pour cela, il importe d'interroger les blocages actuels à la gestion des nouvelles sylves et d'envisager la manière dont les territoires se saisissent des questions qui touchent à l'émergence d'une ressource forestière territoriale.

>>> Lire la partie 2 : La forêt ardéchoise : une ressource territoriale à révéler et à gérer, une nouvelle organisation de l'espace

 

Notes

[1] Clément Dodane, post-doctorant, université de Lyon, UMR 5600, EVS / université Jean Monnet Saint-Etienne. Ces deux pages reposent sur des documents et des extraits sélectionnés et aménagés (présélection et organisation générale : Sylviane Tabarly) à partir de la thèse de doctorat en géographie de l'auteur, soutenue le 4 décembre 2010 : Les nouvelles forêts du Massif Central, enjeux sociétaux et territoriaux. Ces hommes qui plantaient des résineux pour éviter la friche [en ligne]. Thèse . Lyon : École normale supérieure Lettres et sciences humaines, 517 p., 2009.
Disponible sur : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00466263/fr

[2] Dans le troisième chapitre : "La forêt" du sixième volume : "Milieux et ressources" de l'Atlas de France (Arnould et al., 1995), dont est issu ce document, trois géographes ont établi une quarantaine de cartes originales (cartes thématiques, analytiques et synthétiques) qui décrivent et analysent les diverses caractéristiques des forêts françaises, leur histoire, les produits et producteurs forestiers, le bilan de santé des forêts.

[3] Voici la correspondance nom français / nom latin des espèces citées dans ces deux articles : Sapin pectiné : Abies alba Miller ; Sapin de Nordmann : Abies nordmanniana Spach ; Sapin de Vancouver : Abies grandis Lindley ; Douglas vert : Pseudotsuga menziesii Franco ; Epicéa commun : Picea abies Karsten ; Pin sylvestre : Pinus sylvetris L. ; Pin noir d'Autriche : Pinus nigra Arn. ssp. nigricans Host. ; Pin laricio de Corse : Pinus nigra Arn. ssp. laricio Poir. ; Pin maritime : Pinus pinaster (Ait.) Sol. ; Pin d'Alep : Pinus halepensis Mill. ; Saule blanc : Salix alba L. ; Saule marsault : Salix caprea L. ; Alisier blanc : Sorbus aria Crantz ; Hêtre : Fagus silvatica L. ; Châtaignier : Castanea sativa Mill. ; Chêne vert : Quercus ilex L. ; Chêne pubescent : Quercus pubescens Willd. ; Chêne sessile : Quercus petraea Liebl. ; Bouleau verruqueux : Betula pendula Roth. ; Noyer commun : Juglans regia L. ; Erable sycomore : Acer pseudoplatanus L. ; Frêne commun : Fraxinus excelsior L.

[4] Des données en trompe-l'oeil ? À la suite de la publication des résultats de l'enquête TERUTI-LUCAS "L'occupation du territoire en 2008" (Agreste, 2009) à la fin de l'année 2009, plusieurs articles de presse ont largement relayé un fait marquant de la statistique annuelle de l'occupation du sol : pour la première fois depuis 150 ans, la forêt française ne progresse plus en surface (notamment l'article d'H. Kempf et C. Lacombe dans Le Monde en date du 9 février 2010 intitulé : "La forêt ne gagne plus de terrain en France".

Elle aurait même perdu près de 28 000 ha entre 2007 et 2008. Le rythme d'artificialisation des espaces agricoles et naturels au profit de l'urbanisation, des infrastructures de transport, etc. ne cesse d'augmenter, au détriment du principal réservoir de la reforestation qu'étaient traditionnellement les espaces agricoles sans usages (soit qu'ils étaient boisés, soit qu'ils évoluaient vers la friche puis vers la forêt).

Cette statistique annuelle sur l'évolution de l'occupation du territoire ne remet pas en cause la tendance lourde décrite précédemment. D'une part, elle mériterait d'être confirmée sur une plus longue période (après 150 ans de progression de la surface des sylves françaises) et d'autre part, il apparaît peu judicieux de présenter ce chiffre sans livrer la géographie des baisses de surfaces. La réalité statistique de cette "déforestation" annoncée cache en fait de nombreuses différences géographiques. Elle n'empêche pas les sols boisés de continuer de progresser dans certains secteurs, comme notamment dans la région Rhône-Alpes où ils progressent de plus de 9 800 ha ou en Aquitaine (+ 9 300 ha). À lui seul le département de la Corse du Sud aurait perdu près 21 350 ha de sols boisés entre 2007 et 2008. Hors, cette superficie considérable impacte fortement le résultat final qui n'est ni plus ni moins qu'une moyenne sur l'ensemble des départements français. Il semble impensable que ce chiffre corresponde à un développement spectaculaire de l'urbanisation en Corse du Sud. Cette remarque vaut pour de nombreux autres départements métropolitains pour lesquels seule une analyse fine du contexte départemental serait en mesure de préciser la réalité de ces statistiques (tant à la hausse qu'à la baisse), ainsi que les causes profondes. Pour de plus amples informations les statistiques de l'occupation du territoire de 2006 à 2008 sont consultables en ligne à l'adresse suivante : http://agreste.maapar.lbn.fr/ReportFolders/ReportFolders.aspx

Dans le dossier "Rapports publics", choisir le sous-dossier "Territoire, prix des terrres", puis le sous-sous-dossier "Teruti-lucas : utilisation du territoire 2006 à 2008".

[5] Sources : Rapport Leloup (1945) cité par le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation (1996) et l'IFN (2006).

[6] Voir les deux publications suivantes, émanant de l'IFN, sur l'évolution récente des forêts françaises en termes de surface, de volume sur pied et de productivité :
- Pignard Gérôme - Évolution récente des forêts françaises : surface, volume sur pied, productivité. Revue Forestière Française, Tome LII, n° spécial, pp. 27-36, 2000  ;
- Inventaire Forestier National - La forêt française en 2005 : résultats de la première campagne nationale annuelle [en ligne]. L'IF, n° spécial, 2006. Disponible sur : www.ifn.fr/spip/IMG/pdf/IFspecial.pdf (consulté le 09/03/2007).

[7] "Le régime forestier est l'ensemble des règles de gestion [durable] définies par le Code forestier [dont la première version date de 1827] et mises en œuvre par l'Office national des forêts (ONF) [héritier de l'ancienne Administration des Eaux et forêts]. Il est applicable aux forêts appartenant à l'État, aux collectivités territoriales ou à des établissements publics et d'utilité publique. Par ailleurs, il concerne un certain nombre de terrains non boisés tels que les périmètres de restauration de terrains en montagne ou les zones de dunes du littoral (Aquitaine, Charente-Maritime et Vendée, Nord-Pas-de-Calais)." (Source : Insee (2010). Insee - Définitions et méthodes - Régime forestier [en ligne]. Disponible sur : www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/regime-forestier.htm (consulté le 27/09/2010).)

[8] Mercier Charles - Le massif Landais. Revue Forestière Française, n° spécial "Les incendies de forêts", pp. 21-25, 1974

[9] Le département de l'Ardèche est partagé en 11 pays sur la base d'entités naturelles et historiques, dont la Montagne ardéchoise qui correspond aux hauts plateaux (altitude supérieure à 1 000 mètres) situés à l'ouest du département et qui se rattachent aux Hautes Terres du Massif Central.

[10] "Il s'agit de surfaces boisées dont les exploitants agricoles ont, quel que soit le régime juridique, la disposition (notion d'usage) et qu'ils estiment incluses dans leur exploitation (notion d'exercice effectif d'une activité forestière). Elles sont le plus souvent en propriété. C'est la définition retenue dans les enquêtes agricoles (RGA, enquêtes de structure)". (Cinotti & Normandin, 2002). Les deux auteurs apportent la précision suivante concernant la distinction entre forêt paysanne et forêt des ménages agricoles : "il s'agit de surfaces boisées, propriétés de personnes physiques ou communautés matrimoniales dont l'activité principale est l'agriculture. Elles peuvent ne pas être considérées comme rattachées à une exploitation agricole en raison, par exemple, de leur éloignement du siège de l'exploitation". (Ibid.) Cette deuxième définition, retenue dans les enquêtes sur la propriété forestière privée (ESSES 1976-1983, SFP 1999) est plus large que celle des enquêtes agricoles.

[11] Le Recensement général agricole (RA), ou Recensement général de l'agriculture (RGA) est la principale source d'information statistique sur l'agriculture française (hormis la pêche et la sylviculture). C'est un outil essentiel à la connaissance du monde agricole qui permet de situer l'agriculture française dans le contexte européen (dans la perspective de la renégociation de la Politique Agricole Commune en 2013) et international (dans un contexte d'augmentation des besoins alimentaires mondiaux et des négociations de l'OMC). Il s'inscrit dans le 9ème programme mondial de recensement de l'agriculture, recommandé par la FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Le RA est renouvelé tous les 10 ans environ.
Il concerne l'ensemble des exploitations agricoles du territoire national, grandes ou petites, que l'agriculture corresponde à l'activité principale ou secondaire de l'exploitant, soit plus de 500 000 exploitations. Il s'agit d'une obligation légale à laquelle l'agriculteur doit répondre. Pour de plus amples informations sur le Recensement agricole 2010, consulter le site Internet de la statistique agricole française : http://agriculture.gouv.fr/recensement-agricole-2010 et www.agreste.agriculture.gouv.fr/recensement-agricole-2010

[12]  Boisement : "Action de boiser, de planter (une région) en bois, en forêts ; résultat de cette action".Source : Le Trésor Informatisé de la Langue Française. Les forestiers s'accordent à dire qu'un boisement correspond à une extension forestière. L'extension forestière consiste à boiser une parcelle dont l'usage antérieur était différent de l'usage forestier (lande, friche, terre agricole...). Un boisement spontané évoque le passage d'une terre anciennement agricole à l'état boisé. Il est possible de distinguer l'extension forestière contiguë à un massif forestier et le boisement hors forêt.
Reboisement : "Action de reboiser ; fait de planter des arbres sur un terrain nu (antérieurement boisé ou non)". Source : Le Trésor Informatisé de la Langue Française. Les forestiers s'accordent à dire qu'un reboisement équivaut à la transformation par plantation d'un peuplement déjà forestier. Toutefois, il est fréquent que les termes de boisement et de reboisement soient confondus. Cela pose la question de l'antériorité du couvert forestier. C'est pourquoi dans ce dossier les deux termes de boisement et reboisement sont très souvent accolés pour parler des réalisations du FFN. S'ils sont séparés, c'est pour qualifier très précisément l'origine d'une opération : dans un cas le boisement est synonyme de plantation d'extension forestière, lorsqu'il n'est pas qualifié de spontané, et dans l'autre, le reboisement est équivalent à la transformation par plantation d'un peuplement forestier sans extension forestière.

[13]  Vers le milieu du XIXe siècle, plusieurs crues torrentielles, notamment dans la vallée du Rhône (1856, 1859), révèlent de graves problèmes d'érosion des sols dans les montagnes françaises. La surpopulation des zones de montagne associée à un surpâturage et à une déforestation massive des versants sont, entre autres, à l'origine de ces problèmes. À partir de 1860, plusieurs lois seront promulguées pour encadrer la protection des terrains en montagne et lutter contre l'érosion des sols : loi du 28 juillet 1860, sur le reboisement des montagnes et la régulation du régime des eaux ; loi du 9 juin 1864 sur le regazonnement des montagnes. C'est véritablement la loi du 4 avril 1882 qui représente le point de départ de la restauration et de la conservation des terrains en montagne avec la création de périmètres domaniaux de restauration sur les zones les plus sensibles et avec la prise en charge des travaux par l'État après acquisition des terrains à l'amiable ou par expropriation. Aujourd'hui, le service de Restauration des terrains en montagne (RTM) intervient sur 11 départements de montagne. Il a permis l'aménagement d'un grand nombre de bassins versants contre les risques naturels. Plus de 300 000 ha de terrain ont été acquis par l'État depuis 1860, dont 250 000 ont été reboisés.

[14] Une châtaigneraie peut aussi être qualifiée de verger de châtaigniers. À ce sujet, Jean-Robert Pitte (1986) aborde les difficultés que pose la définition d'une châtaigneraie : "Étudier la répartition des châtaigneraies supposerait d'abord de définir clairement ce qu'est une châtaigneraie. Or, rien n'est moins simple. Pour le Larousse, c'est un "lieu planté de châtaigniers". Pour Paul Fénelon, c'est un "verger de châtaigniers". Il y a plus qu'une nuance. C'est un réel problème de terminologie, car, à vrai dire, on ne sait jamais si l'on a affaire à des forêts ou à des vergers et, par conséquent, si leur recensement relève de l'administration de l'Agriculture ou de celle des Forêts. Le problème se complique lorsque le paysage à décrire est une forêt en cours de transformation en verger comme cela arrivait souvent jadis, ou un verger en train de devenir forêt comme c'est généralement le cas aujourd'hui.

[15] L'IFN en 2006 (suite à la publication des résultats de la nouvelle méthode d'inventaire) estime à près de 27 000 ha la superficie des boisements morcelés privés de châtaigniers en Ardèche, soit un peu plus de 10% de la surface des formations boisées de production. Cette estimation correspond à la "surface boisée totale par type national de peuplement (cartographié) et par classe de propriétés".

[16] Le fruit comestible du châtaignier (Castanea vulgaris, de la famille des Cupulifères (Fagacées)) est un akène (fruit à péricarpe sec, ne s'ouvrant pas à maturité) contenu dans une bogue épineuse. Cette bogue est constituée par un involucre de bractées mimant une capsule et s'ouvrant à maturité.

[17] "La France en friche" fait allusion à l'ouvrage d'Éric Fottorino paru en 1989. Concernant la friche, il importe de préciser en préambule deux points importants qui ne seront pas développés outre mesure ici. Le premier concerne les ambiguïtés sémantiques du mot. Le second a rapport au vagabondage constant de la friche entre catégories d'occupation et d'usage du sol, aussi bien au sein d'une même exploitation agricole que lorsqu'elle en est sortie. Cela en fait un objet difficile à saisir statistiquement. Pierre Dérioz (1991, 1994, 1999) s'est appliqué au cours de la décennie 1990 à rendre intelligible cet objet. Il a consacré sa thèse aux "Friches et terres marginales en basse en moyenne montagne" (Dérioz, 1994). Qui cherchera de plus amples détails sur le sujet de la friche, tant sur le plan des origines du mot, que de ses multiples définitions, des nombreux discours et images qui lui sont associés, des différents usages qui en sont fait selon les groupes sociaux, ou des mécanismes de flux et de reflux entre catégories d'occupation du sol, pourra s'y référer.

[18] Plus de 100 000 ha en Gironde et dans les Landes, plus de 50 000 ha en Corrèze, Puy-de-Dôme et Dordogne.

[19] Nous ne connaissons pas d'origine particulière à cette expression, mais elle reflète particulièrement bien l'état d'esprit du forestier qui décide de tout raser pour repartir à zéro avec un nouveau peuplement qu'il considère plus prometteur que l'ancien.

[20] Les subventions (ou bons-subventions) consistaient à délivrer ou à payer des plants ou des graines nécessaires au boisement et au reboisement. Ceux-ci étaient à retirer auprès d'une pépinière administrative ou d'un pépiniériste agréé par le ministère.

[21] Voir, dans le dossier La France, des territoires en mutation, l'entrée du glossaire :
"Union européenne et développement régional" (nouvelle fenêtre)

[22] La plupart des aides du FFN prenaient en charge en général un entretien de la plantation pendant les trois années qui suivaient son installation. Ce n'était donc que 4 à 5 ans après la décision d'attribution de l'aide que l'on pouvait savoir si l'opération était ou non réussie. Il faut donc appliquer aux données du FFN un taux de réussite globale à toutes les aides, car les plantations ayant disparu à la suite d'un échec (non reprise de la plantation, sécheresse, incendie) n'ont pas été déduites des statistiques du FFN, de telle sorte qu'elles induisent une surestimation. Nous avons choisi 80% pour l'ensemble de la France et 75% pour l'Ardèche à cause de son appartenance à la zone méditerranéenne et aux conditions de milieux difficiles. Voir l'étude : AFOCEL, CEMAGREF - Enquête sur la réussite des boisements, reboisements et améliorations réalisées avec l'aide du Fonds Forestier National et du Budget de l'Etat (période 1973-1998). Synthèse Nationale. Convention Cadre - DERF-CEMAGREF-AFOCEL du 28 novembre 1994. Octobre 1998. 35p., 1998

[23] Rappelons que ce sont les paysages et la population de cette vallée qui ont inspiré Jean Ferrat dans sa célèbre chanson La Montagne : "Ils quittent un à un le pays / Pour s'en aller gagner leur vie / Loin de la terre où ils sont nés / Depuis longtemps ils en rêvaient / De la ville et de ses secrets / Du formica et du ciné (...) Avec leurs mains dessus leurs têtes / Ils avaient monté des murettes / Jusqu'au sommet de la colline www.lehall.com/actus/jean_ferrat.htm et www.ina.fr/media/entretiens/.../jean-ferrat-a-propos-des-cevennes/.../.html
On peut aussi évoquer les descriptions de Robert-Louis Stevenson dans son ouvrage Voyages avec un âne dans les Cévennes publié en 1879.

[24] La réglementation des boisements est définie dans l'article L 126-1 du code rural. À l'origine dans la loi d'orientation agricole du 2 août 1960, il s'agissait d'une procédure destinée à éviter le mitage des terres agricoles par de petits boisements, dits en "timbre poste" afin de permettre à l'activité agricole de se maintenir. Dans la loi sur l'aménagement foncier du 31 décembre 1985, la réglementation des boisements devient un mode d'aménagement foncier à part entière. Son objectif est alors de favoriser une meilleure répartition des terres entre l'agriculture, la forêt et les espaces naturels. Par la suite, plusieurs autres lois ont complété ce dispositif législatif. Depuis 2005, elle est devenue une compétence départementale.

[25] Il s'agit des communes de Loubaresse, Valgorge, La Souche, La Boule, Jaujac, Rocles, Prunet, Prunet et Joannas.

[26] CORINE Land Cover (CLC) est une base de données sur l'occupation du sol européen dont les objectifs principaux sont la cartographie de l'ensemble des territoires européens (en 1997, trente pays étaient couverts) et la connaissance de l'état de l'environnement. Elle privilégie donc la nature des objets (forêts, cultures, surfaces en eau, roches affleurantes...) plutôt que leur fonction socio-économique ou leur usage (agriculture, habitat…). Les données CLC sont accessibles gratuitement en ligne, sous forme de tableur et au format vecteur utilisable dans un système d'information géoréférencée (SIG).

[27] Métaphore, en négatif, des tâches blanches qui figurent sur les cartes de densité de population et qui attestent de territoires peu peuplés.


Bibliographie en fin du deuxième article :

>>> Une ressource territoriale à révéler et à gérer, une nouvelle organisation de l'espace

 

 

Clément DODANE,
Université de Lyon, UMR 5600, EVS, université Jean Monnet Saint-Étienne


 

Édition de la page web : Sylviane Tabarly,
pour Géoconfluences, le 4 octobre 2010.
Dernière modification (JBB) mars 2021.

Pour citer cet article :

Clément Dodane, « Les nouvelles forêts françaises. L'exemple ardéchois », Géoconfluences, octobre 2010.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient8a.htm

Pour citer cet article :  

Clément Dodane, « Les nouvelles forêts françaises. L'exemple ardéchois », Géoconfluences, octobre 2010.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutScient8a.htm