Réconcilier le vécu avec la statistique : une typologie des communes françaises
Bibliographie | mots-clés | citer cet article
Les « territoires », au pluriel, sont à la mode. Ils investissent les plateaux télé et s’affichent en bonne place dans la vitrine des librairies. La crise des Gilets jaunes puis celle du covid, les questions de souveraineté tout comme l’urgence climatique ont contribué à les placer au cœur des débats qui animent notre société. Malheureusement, au moment où pour relever ces défis nous aurions besoin d’objectivité, le débat public se trouve prisonnier de concepts qui, nonobstant leur succès médiatique, manquent de bases scientifiques solides. Que le pays soit « archipelisé » ou fracturé entre métropoles et « France périphérique », dans les deux cas il s’agit davantage d’alimenter un parti-pris avec des exemples choisis à dessein que de recueillir et d’analyser des données avec rigueur et méthode.
L’objectif du travail présenté ici est de proposer une catégorisation des communes françaises ((Cet article est tiré de l’ouvrage « La France au défi de ses territoires : de la géographie au vote des citoyens » paru en novembre 2023 aux Éditions L’Harmattan.)) en essayant de trouver un juste équilibre entre le simple qui travestit le réel et le complexe qui le rend incompréhensible. Au-delà des questions de méthode, celui-ci répond à un objectif assez universel : restituer la diversité d’un ensemble d’objets sans la truquer, simplifier sans caricaturer, en essayant d’éliminer tout jugement a priori dans le cadre d’une démarche quantitative assumée. Qu’il s’agisse de démographie, d’emploi, de niveau de vie ou de comportements politiques, plus que de révéler des phénomènes déjà documentés, notre but était de les réinterpréter à la lumière des catégories ainsi créées et d’en affiner l’analyse chaque fois que possible.
L’objet de cet article est de présenter les résultats de cette catégorisation. Concrètement, nous avons constitué, à partir des données ouvertes publiques, une base d'un peu plus de 400 variables par commune allant de 1968 à 2018. Nous ne développerons pas ici la méthodologie que nous avons mise en œuvre pour mener à bien ce travail, qui allie un certain nombre d’outils classiques de l’analyse multivariée (ACP, CAH, K-Means, AFD) à des approches de modélisation plus pointues (rendues nécessaires par le fait que certaines données, notamment les revenus et leur composition, ne sont pas disponibles sur les petites communes). Les lecteurs intéressés pourront se reporter à notre ouvrage dans lequel celle-ci est présentée en détail (Vassal, 2023). Nous dirons simplement que pour utiliser les techniques de classification depuis de nombreuses années, et sur différents sujets, nous avons développé notre propre démarche afin d’éviter certains écueils propres aux méthodes traditionnelles. Quant au choix des communes comme maille d’analyse, pour faire court, celui-ci s’explique pour deux raisons : la commune constitue le territoire auquel on s’identifie spontanément et le zonage le mieux documenté.
1. La typologie des communes
Notre travail a abouti à l’identification de 22 groupes qui sur le plan statistique ressortent comme un bon résumé du territoire français. Ils constituent le témoignage d’une diversité remarquable, tant au niveau démographique que social ou économique. Nous avons repris ci-dessous les caractéristiques essentielles de chaque groupe afin de mettre en lumière ce qui fait leur singularité, sans insister sur les chiffres. Le lecteur intéressé par une description plus détaillée pourra se référer à notre ouvrage.
Document 1. La France métropolitaine en 22 groupes statistiques
Réalisation : Olivier Vassal pour Géoconfluences, 2024. Pour voir la carte en très grand, cliquez ici.
Grands pôles d’emplois (18) : ces communes de plus de 100 000 habitants se distinguent par leur dynamisme en termes d’emploi et par les secteurs d’activités qu’elles hébergent, tournés vers la sphère marchande et le tertiaire supérieur. Si l’on raisonne à l’échelle de l’aire d’attraction, ces 18 communes attirent à elles seules près d’un emploi sur quatre en France. Le profil de leurs habitants les distingue nettement des autres métropoles : forte surreprésentation des cadres et professions intellectuelles supérieures, des diplômés de l’enseignement supérieur, des actifs occupés, revenus très supérieurs aux autres métropoles, population plus jeune… On trouve dans cet ensemble des villes comme Toulouse, Rennes, Lille ou encore Grenoble. | |
Grands centres urbains (16) : contrastant avec les précédentes, ces grandes villes montrent un taux d’actifs faible couplé à un chômage important. Les employés y sont majoritaires, voire les ouvriers comme à Mulhouse, les revenus parmi les plus faibles. Ce groupe se partage entre deux types de villes. D’une part, on y trouve des villes à tradition industrielle, mais affectées par la désindustrialisation, comme Mulhouse, Saint-Étienne, Le Havre, Le Mans ou Amiens. D’autre part, le groupe est constitué de villes du pourtour méditerranéen où l’activité et la création d’emplois n’ont pas crû au rythme des migrations résidentielles comme Marseille, Toulon, Nîmes ou encore Perpignan. | |
Pôles tertiaires et technopôles (99) : ces communes accueillent des emplois très qualifiés appartenant soit au secteur tertiaire, soit aux fonctions tertiaires de grandes entreprises. On y trouve des sièges sociaux ainsi que des centres de recherche, des bureaux d’études, des sociétés de services… Ces 99 communes, dont 57 sont localisées dans la seule aire d’attraction de Paris, regroupent un quart des emplois d’ingénieurs et de cadres d’entreprise en France. Ce groupe a connu la croissance de l’emploi la plus soutenue sur la période 1968-2018. | |
Paris : au regard de ses caractéristiques, celle-ci pourrait appartenir aux Pôles tertiaires, aux Grands pôles d’emplois, mais également à l’Économie touristique. Elle est aussi la grande ville où les revenus sont de très loin les plus élevés et la seule à avoir perdu des habitants sur le demi-siècle écoulé. Tous ces éléments font de Paris une commune statistiquement hors norme par rapport aux autres communes-centres des grandes agglomérations françaises. | |
Pôles industriels (71) : ces communes se distinguent par le nombre important d’emplois industriels qu’elles concentrent (plusieurs milliers) et la part de ces derniers dans l’emploi total, qui dépasse les 30 %. On trouve dans ce groupe des villes emblématiques du passé industriel du pays tandis que d’autres incarnent des filières en développement : Bordes, Châtellerault, Cluses, Cholet, Fos-sur-Mer, Gravelines, Les Herbiers, Issoire, Lamballe, Le Creusot, Lestrem, Mayenne, Molsheim, Oyonnax, Poissy, Sablé-sur-Sarthe, Saint-Nazaire, Sandouville, Sarreguemines, Sochaux, Val-de-Reuil, Vitré, Vendôme… | |
Petits pôles industriels et industrie diffuse (1 020) : ces communes, qui accueillent jusqu’à quelques centaines d’ouvriers, représentent près d’un emploi industriel sur quatre en France. Le secteur y pèse pour 37 % des emplois, le taux de chômage y est inférieur à la moyenne nationale et les revenus dans la moyenne. Elles sont surreprésentées dans l’Ain, les Ardennes, l’Eure, l’Eure-et-Loir, le Loir-et-Cher, le Maine-et-Loire, la Haute-Marne, la Mayenne, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, la Sarthe, la Vendée ou encore les Vosges. | |
Terres d’agricultures (10 408) : ces communes témoignent de la vocation agricole d’une grande partie du pays. L’agriculture couvre ici 86 % des surfaces et représente plus d’un tiers des emplois. Sur les cinquante dernières années, la croissance démographique y a été parmi les plus faibles tandis que l’emploi y a décru de 31 %, taux le plus élevé de tous les groupes. Ces éléments contrastent avec un taux de chômage bas et des revenus dont la répartition est la moins inégalitaire de tous les groupes. La densité de services à la population y est particulièrement faible, à l’image de tout le rural. Ce groupe est surreprésenté dans l’Aveyron, la Charente, la Charente-Maritime, les Côtes-d’Armor, le Finistère, la Gironde, L’Ille-et-Vilaine, l’Indre, le Lot-et-Garonne, le Maine-et-Loire, la Manche, la Mayenne, le Morbihan, les Deux-Sèvres, le Vaucluse, la Vendée ou encore la Vienne. | |
Économie touristique (502) : ce type regroupe les communes dont l’activité est liée aux flux touristiques (stations balnéaires, stations de ski, parc à thèmes, stations thermales, sites d’intérêt historique ou culturel…). La proportion de résidences secondaires y atteint six logements sur dix et dépasse 80 % dans de nombreuses stations balnéaires et de ski. Ici, l’industrie est inexistante et l’agriculture résiduelle. Huit emplois sur dix relèvent de l’économie présentielle du fait de la prééminence des branches commerce, hébergement/restauration et construction, dimensionnées pour couvrir les flux touristiques et largement excédentaires par rapport aux besoins des résidents. C’est dans ces communes que l’on trouve la proportion la plus élevée de contrats précaires, tout comme, Paris mis à part, la part des revenus du patrimoine la plus forte, traduisant l’importance prise par les revenus locatifs. | |
Petits pôles d’emplois (60) : ce type regroupe des villes moyennes qui constituent les pôles d’activités essentiels de territoires demeurés à l’écart des métropoles. L’emploi y est orienté vers les services aux particuliers et les services publics y sont particulièrement surreprésentés. Quasiment toutes ces communes sont des préfectures (42) ou des sous-préfectures (14) qui, à quelques exceptions près, ont connu sur les cinquante dernières années une croissance de l’emploi qui contraste avec leur stagnation démographique. On trouve dans ce groupe des communes comme Auxerre, La Roche-sur-Yon, Angoulême, Laval ou encore Rodez. | |
Couronnes riches des grandes aires d’attraction ((Les Grandes aires d’attraction sont les aires d’attraction qui concentrent plus de 100 000 habitants et 40 000 emplois. Elles sont au nombre de 105 sur les 700 aires d’attraction définies par l’INSEE.)) (191) : ce petit groupe de communes urbaines à vocation résidentielle, toutes situées dans la zone d’attraction d’une métropole, se caractérise par les revenus de très loin les plus élevés de France. Les familles y sont prédominantes, le taux d’actifs occupés important, les cadres et professions intellectuelles supérieures très largement surreprésentés, tout comme les diplômés de l’enseignement supérieur. 71 % des communes de ce groupe appartiennent aux aires d’attraction de Paris, Genève et Lyon. | |
Couronnes aisées des grandes aires d’attraction (900) : ce type, qui représente 9 % de la population métropolitaine, a connu la croissance démographique la plus forte des cinquante dernières années. Les ménages de professions intermédiaires y sont majoritaires, même si les cadres et professions intellectuelles supérieures demeurent surreprésentés. Les revenus y sont supérieurs de 25 % à la moyenne du pays. Ce groupe est caractéristique des périphéries de densité moyenne où prédomine la maison individuelle, où le taux de propriétaires est supérieur à 70 % et où la multimotorisation est la règle. | |
Couronnes intermédiaires des grandes aires d’attraction (1 002) : ce groupe se caractérise lui aussi par un taux d’actifs important avec une présence quasi égale des ménages employés et professions intermédiaires. Les revenus y sont proches de la moyenne nationale. Si le taux de maisons individuelles y est aussi important que dans les groupes précédents, le taux de propriétaires y est sensiblement inférieur, tout comme la bimotorisation. On commence à se trouver ici dans le cas de familles pour lesquelles habiter la banlieue est souvent un choix dicté par la contrainte budgétaire. | |
Couronnes modestes des grandes aires d’attraction (275) : ces communes dont le revenu est inférieur de plus de 10 % à la moyenne nationale se distinguent par la prédominance des ménages ouvriers et employés. Seuls quatre sur dix sont imposés et près d’un sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Le taux d’actifs occupés décroche par rapport aux autres couronnes urbaines du fait d’un taux d’actifs inférieur et surtout d’un taux de chômage plus élevé. | |
Couronnes pauvres des grandes aires d’attraction (124) : ces communes se caractérisent par les revenus de très loin les plus faibles de tous les groupes, les taux de chômage, de pauvreté et de familles monoparentales les plus élevés. Leur démographie est soutenue, le taux d’enfants et d’adolescents le plus élevé et l’âge moyen le plus faible de tous les groupes. Les régions Île-de-France et Hauts-de-France concentrent à elles seules 75 % des habitants de ce groupe. Même si toutes les grandes villes possèdent leurs quartiers pauvres, ici, ce sont des communes entières qui sont plongées dans la précarité. | |
Communes rurales des grandes aires d’attraction (5 783) : ces communes, rurales plus qu’agricoles, dont sept sur dix comptent moins de 1 000 habitants, ont connu une croissance démographique trois fois supérieure à celle de la métropole sur les cinquante dernières années. On y trouve le chômage le plus faible et le taux d’actifs occupés le plus élevé après Paris. Les revenus y sont supérieurs de 10 % à la moyenne nationale, les professions intermédiaires et les familles nombreuses surreprésentées. Le taux de propriétaires, de multimotorisation ainsi que de personnes utilisant leur voiture pour se rendre à leur lieu de travail y sont les plus élevés de tous les groupes. Si cet espace est rural par sa morphologie, le lien à la ville des personnes qui vivent ici est quotidien et permanent. | |
Rural diffus (4 160) : ces communes situées en dehors des grandes aires d’attraction des villes montrent un caractère rural davantage lié à leur morphologie qu’à la présence d’agriculteurs ou à la valeur ajoutée de la branche agricole. Avec 14 emplois pour 100 habitants, leur vocation résidentielle est plus qu’affirmée. La structure des PCS y est caractéristique des territoires éloignés des métropoles : sous-représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures, des commerçants et des employés au profit des artisans, des ouvriers et des retraités. Le taux d’actifs y est plus important que la moyenne nationale, le chômage moindre et les revenus dans la moyenne. Ici, la maison individuelle comme la propriété constituent la règle, en lien avec un taux de multimotorisation des foyers parmi les plus élevés. Comme tous les groupes ruraux, la densité de services à la population y est très faible. | |
Terres de tradition ouvrière (4 256) : ces communes comptent la plus forte concentration de familles ouvrières. Rurales pour 96 % d’entre-elles, elles constituent le témoignage de l’imbrication entre la ruralité et le monde ouvrier. On est ici dans un habitat ouvrier de tradition ancienne qui alimente les sites de production alentour avec pour conséquence une vocation résidentielle marquée. On y trouve une prédominance de familles avec enfants habitant des maisons individuelles dont elles sont propriétaires dans 80 % des cas. Les détenteurs d’un brevet d'études professionnelles (BEP) ou d’un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) représentent un tiers des diplômés, chiffre le plus important de tous les groupes. Le taux de chômage y est inférieur à la moyenne nationale, le taux d’actifs occupés supérieur, les revenus dans la moyenne. Cette « France des ouvriers » est particulièrement présente dans les départements où l’activité industrielle est ou a été importante tels que l’Aisne, les Ardennes, le Doubs, l’Eure, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse, la Moselle, l’Oise, le Pas-de-Calais, le Bas-Rhin, la Haute-Saône, la Seine-Maritime, la Somme ou les Vosges. | |
Rural dévitalisé (2 948) : ces communes dont les trois quarts ont moins de 500 habitants sont caractérisées par la prédominance des personnes âgées, une natalité atone, la stagnation voire la décroissance de leur population comme de l’emploi local. Ce groupe concentre plus de 10 % de la population dans 8 départements : le Cantal, la Corrèze, la Creuse, la Dordogne, le Lot, la Haute-Marne, la Nièvre, les Hautes-Pyrénées. | |
Petites villes touristiques et rural patrimonialisé (2 112) : ces communes se distinguent des précédentes par leur situation géographique ou leur intérêt patrimonial. L’emploi a pu s’y maintenir et elles n’ont pas connu l’évolution démographique du groupe précédent. Les maisons secondaires y représentent plus de quatre logements sur dix. La valeur ajoutée de la branche hébergement/restauration y est sans rapport avec le reste du rural, tandis que l’activité agricole représente encore plus de 10 % des emplois. La densité de services y est importante même s'il convient de la relativiser ces derniers, destinés à satisfaire les besoins d’une clientèle de passage, et fermés une partie de l’année. On retrouve ce groupe surreprésenté dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, l’Ardèche, l’Ariège, l’Aveyron, la Corrèze, la Corse-du-Sud, la Haute-Corse, le Lot, la Lozère. | |
Villes moyennes de l’économie présentielle (52) : ces communes, dont 43 sont des préfectures ou des sous-préfectures, constituent la ville centre des aires d’attraction à laquelle elles appartiennent. On y compte un peu plus de cinq emplois pour dix habitants, quasi exclusivement orientés vers les services aux particuliers. Elles se distinguent aussi et surtout par les revenus les plus faibles après les couronnes paupérisées, un taux de pauvreté qui concerne plus d’un ménage sur cinq et un taux de chômage supérieur de cinq points à la métropole. Si elles ressemblent aux grands centres urbains au regard de ces derniers éléments, ces communes s’en distinguent par les caractéristiques de leurs habitants : moins de diplômés de l’enseignement supérieur, plus de retraités, plus d’ouvriers, moins de PCS favorisées. Ce groupe fait partie, avec Paris, le rural dévitalisé et les petites villes centres, de ceux qui ont connu la croissance démographique la plus faible sur les cinquante dernières années. | |
Petites villes centres de l’économie présentielle (252) : ces communes constituent le pôle d’attraction des petites aires urbaines auxquelles elles appartiennent. Tournées vers les services aux particuliers, elles accueillent 5,6 emplois pour 10 habitants, taux comparable aux villes moyennes et aux grands centres urbains dont elles partagent beaucoup des caractéristiques. Avec le rural dévitalisé, ce sont les communes dont la population a le moins cru sur la période 1968-2018. Les revenus y sont faibles et le taux d’actifs le plus bas de tous les groupes. La part des sans diplômes y est élevée, juste après celles des couronnes paupérisées. Ce groupe et le précédent illustrent l’existence en France de villes petites et moyennes qui n’attirent plus et dont l’économie est de plus en plus dépendante des services publics. | |
Petites villes de l’économie présentielle (480) : ces communes qui ne constituent pas la ville centre des aires d’attraction à laquelle elles appartiennent se distinguent des précédentes par une démographie plus soutenue, des revenus plus élevés, des taux de chômage et de pauvreté inférieurs. La population y est plus jeune, les ménages de taille supérieure, les taux d’actifs sensiblement plus élevés. Le taux de maisons individuelles et de propriétaires est comparable à celui que l’on trouve dans les couronnes intermédiaires des grandes aires attraction des villes, dont la sociologie est assez proche. On est ici dans les petites villes des territoires diffus vers lesquelles se sont tournés des ménages motivés par l’accès à la propriété dans des zones où les villes centres n’attirent plus. |
Le tableau ci-dessous reprend le poids des catégories en fonction du nombre de communes et de la part de la population ou de l’emploi de chaque groupe dans le total.
Document 2. Importance des différents types en fonction du nombre de communes, de leur population et de l'emploi
Types de communes | Nombre de communes | Part dans le nombre de communes | Cumul population (milliers) | Part dans la population totale | Cumul emploi (milliers) | Part dans l'emploi total |
Terres d'agricultures | 10 408 | 30,0% | 5 018 | 7,7% | 1 130 | 4,3% |
Pôles industriels | 71 | 0,2% | 1 203 | 1,9% | 819 | 3,2% |
Industrie diffuse | 1 020 | 2,9% | 4 218 | 6,5% | 2 197 | 8,5% |
Pôles tertiaires et technopôles | 99 | 0,3% | 2 840 | 4,4% | 2 155 | 8,3% |
Économie touristique | 502 | 1,4% | 2 166 | 3,3% | 879 | 3,4% |
Paris | 1 | 0,0% | 2 176 | 3,4% | 1 831 | 7,0% |
Grands pôles d'emplois | 18 | 0,1% | 3 920 | 6,1% | 2 519 | 9,7% |
Petits pôles d'emplois | 60 | 0,2% | 2 323 | 3,6% | 1 626 | 6,3% |
Grands centres urbains | 16 | 0,0% | 3 213 | 5,0% | 1 566 | 6,0% |
Villes moyennes de l'économie présentielle | 52 | 0,1% | 2 084 | 3,2% | 1 076 | 4,1% |
Urbain riche des grandes aires d'attraction | 191 | 0,5% | 1 535 | 2,4% | 466 | 1,8% |
Urbain aisé des grandes aires d'attraction | 900 | 2,6% | 5 735 | 8,9% | 1 709 | 6,6% |
Urbain intermédiaire des grandes aires d'attraction | 1 002 | 2,9% | 6 884 | 10,6% | 2 151 | 8,3% |
Urbain modeste des grandes aires d'attraction | 275 | 0,8% | 2 936 | 4,5% | 991 | 3,8% |
Urbain pauvre des grandes aires d'attraction | 124 | 0,4% | 2 710 | 4,2% | 894 | 3,4% |
Rural des grandes aires d'attraction | 5 783 | 16,7% | 4 901 | 7,6% | 893 | 3,4% |
Petites villes centre | 252 | 0,7% | 1 844 | 2,8% | 1 005 | 3,9% |
Petites villes | 480 | 1,4% | 1 602 | 2,5% | 477 | 1,8% |
Terres de tradition ouvrière | 4 256 | 12,3% | 2 819 | 4,4% | 546 | 2,1% |
Rural diffus | 4 160 | 12,0% | 2 734 | 4,2% | 569 | 2,2% |
Rural patrimonialisé | 2 112 | 6,1% | 884 | 1,4% | 223 | 0,9% |
Rural dévitalisé | 2 948 | 8,5% | 1 046 | 1,6% | 265 | 1,0% |
France métropolitaine | 34 730 | 100% | 64 792 | 100% | 25 985 | 100% |
Lecture : les communes appartenant au groupe de l’Économie touristique sont au nombre de 502, représentent 1,4 % des communes, rassemblent 2,166 millions d’habitants et 879 000 emplois, soit respectivement 3,3 % de la population et 3,4 % de l’emploi métropolitains.
2. Des enseignements pour une géographie de la France à une échelle fine
Sur le plan démographique, notre typologie restitue fidèlement la croissance de l’espace périurbain et l’atonie des communes centres. Au-delà, elle met en lumière la croissance du rural des grandes aires d’attraction ainsi que celle groupe rural diffus, tout comme la reprise démographique des communes rurales à vocation touristique.
Document 3. Les villes-centres sont les espaces ayant gagné le moins d’habitants entre 1968 et 2018
Population cumulée 2018 (milliers) | Population cumulée 1968 (milliers) | Croissance démographique | Taux de chômage | Revenu déclaré par UC | |
Communes centres des grandes aires urbaines | 12 601 | 12 429 | 1,4% | 17,9% | 19 170 |
Couronnes urbaines appartenant aux grandes aires urbaines | 34 864 | 21 447 | 62,6% | 8,9% | 22 850 |
Espace situé en dehors des grandes aires d'attraction | 17 327 | 15 794 | 9,7% | 10,5% | 20 110 |
Total | 64 792 | 49 670 | 30,4% | 9,7% | 21 120 |
*UC = unité de consommation, unité permettant de comparer des ménages de taille différente. Un ménage de 2 adultes = 1,5 UC.
Document 4. Croissance démographique de chaque type (consolidée) 1968–2018
Croissance en % (1968–2018) | Rural des G.A.A.*;Urbain intermédiaire des G.A.A.;Urbain riche des G.A.A.;Urbain intermédiaire des G.A.A.;Économie touristique;Pôles tertiaires et technopôles;Rural diffus;Urbain modeste des grandes aires d'attraction;Petites villes;Industrie diffuse;Pôles industriels;Urbain pauvre des G.A.A.;Terres de tradition ouvrière;Grands pôles d'emplois;Rural patrimonialisé;Terres d'agricultures;Petits pôles d'emplois;Villes moyennes de l'économie présentielle;Petites villes centre;Grands centres urbains;Rural dévitalisé;Paris | false | ||
Croissance en % | 112.6;89.4;83.2;51.1;49;44.7;38.6;33.6;33.5;28.5;26.9;21.7;15.3;13.5;13.2;6.7;5.5;3.2;2;0;-9.1;-16 | #e31e51 |
GAA* : grandes aires d'attraction au sens INSEE.
Concernant l’emploi, on retrouve la tendance à la concentration de celui-ci dans certains types de territoires et la transformation profonde d’une majorité d’entre eux vers une économie à vocation résidentielle où le taux d’emplois est inférieur à trois emplois pour dix habitants ((Le critère du taux d’emploi (ou intensité d’emploi) utilisé ici désigne le ratio entre le nombre d’emplois et le nombre d’habitants. Il est de 4,1 pour l’ensemble de la France métropolitaine.)). Ainsi, bien qu’entre 1968 et 2018 l’emploi ait progressé de 23,4 % sur l’ensemble du territoire, celui-ci a diminué dans 65,2 % des communes, baissé de plus de 10 % dans 60,9 % d’entre elles et de plus de 50 % dans 36,4 %… Notre typologie met bien en évidence la césure entre territoires où l’on travaille et territoires où l’on habite.
Document 5. Répartition des 22 groupes selon le secteur productif dominant et le taux d’emplois par habitant
Lecture : la catégorie « terres d’agricultures » compte 59 % d’emplois appartenant à la sphère productive et un ratio emplois/habitants de 17 %. Ces deux chiffres correspondent à la médiane du groupe. Autrement dit, au sein de cette catégorie, la moitié des communes ont un taux d’emplois supérieur à 17 % et la moitié un taux inférieur.
Au-delà des deux aspects précédents, notre travail permet aussi d’éclairer certains aspects. Sans les passer tous en revue ici ((On pourra se référer à notre ouvrage pour plus de détails concernant les apports et enseignements de la typologie, notamment en termes de fragilité et de trajectoire des territoires.)), certains nous semblent dignes d’intérêt :
- L’écart au sein des grandes villes entre d’un côté, celles qui se portent bien, peuvent prétendre à devenir des pôles économiques à l’échelle européenne et de l’autre, celles qui font face à un sous-emploi structurel est ici clairement restitué au travers de la distinction entre les grands pôles d’emplois et les grands centres urbains.
- De la même façon, ressort nettement la diversité des espaces ruraux entre ceux où la population décroit dans la longue durée et ceux formant le groupe le plus dynamique de tous sur le plan démographique, entre ceux où l’activité agricole structure encore l’économie locale et ceux qui hébergent moins de deux emplois pour dix habitants, devenus au fil du temps un lieu de résidence emblématique de l’habitat pavillonnaire, entre ceux en voie de patrimonialisation qui attirent les urbains en quête d’authenticité et ceux qui hébergent des sites industriels. La seule chose que partagent tous ces groupes c’est leur faible densité de services à la population, pour le reste tout est différent.
- La situation des villes, petites comme moyennes, centrées sur l’économie présentielle, témoigne des difficultés d’une économie tertiaire à faible valeur ajoutée qui, à la différence du tertiaire supérieur, ne produit pas assez de revenus ni de croissance. Le maintien des services publics, qui a constitué la planche de salut de ces communes pendant des années, n’est plus en mesure d’y empêcher le sous-emploi, la décroissance démographique et la paupérisation. Dans ces territoires, l’économie présentielle n’a pas tenu ses promesses. Ceci explique que quasiment une commune sur deux appartenant au groupe des villes moyennes de l’économie présentielle est une commune pauvre.
- Enfin, la démographie métropolitaine interpelle par son caractère affinitaire. Derrière les chiffres se cache une ségrégation de plus en plus marquée entre des territoires dont les populations se regroupent selon leurs PCS et leurs diplômes. La très grande fracture des territoires en termes de professions comme de qualifications constitue le signe d’une mixité en voie d’effondrement dans tout l’espace national et dépasse de très loin le sujet des inégalités monétaires, car elle en est à la fois le moteur et la conséquence.
Le travail que nous avons entrepris tente de démontrer la valeur ajoutée d’une catégorisation si l’on veut comprendre le territoire et son évolution. Au-delà, c’est aussi la volonté de réconcilier le discours scientifique avec l’expérience de la vie.
Bibliographie sélective
- François Clanché, « Trente ans de démographie des territoires. Le rôle structurant du bassin parisien et des très grandes aires urbaines », Insee Première, n° 1483, janvier 2014
- Joel Creusat, Henri Morel-Chevillet, « La hiérarchie des villes en France métropolitaine sur trente ans : stabilité globale et reclassements », La France et ses territoires, édition 2015 — Insee Références
- Stéphanie Depoorter, Chantal Niassou, Philippe Pottier, « Seine–Saint-Denis : l’emploi tertiaire aux portes de Paris », Insee Île-de-France, n° 322 — octobre 2009
- Jean-Michel Floch, Bernard Morel, « Panorama des villes moyennes », Insee Direction de la Diffusion et de l’Action régionale, Document de travail n° H2011/01, août 2011
- Marjolaine Gros-Balthazard, « À la découverte des territoires néo-industriels français », Géoconfluences, décembre 2019
- Mohamed Hilal, Aleksandra Barczak, François-Pierre Tourneux, Yves Schaeffer, Marie Houdart, et al., « Typologie des campagnes françaises et des espaces à enjeux spécifiques (littoral, montagne et DOM) », DATAR, 2011.
- Vassal Olivier, La France au défi de ses territoires - De la géographie au vote des citoyens, L'Harmattan, 2023.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Olivier Bouba-Olga, « Qu’est-ce que le « rural » ? Analyse des zonages de l'Insee en vigueur depuis 2020 », Géoconfluences, mai 2021.
- Jean-Benoît Bouron et Nathalie Reveyaz, « Enseigner les systèmes et les espaces productifs en classe de troisième et de première », Géoconfluences, mai 2024.
- Jean-Benoît Bouron et Nathalie Reveyaz, « Les aires urbaines en France en classe de troisième : que faire de cet objet géographique aujourd’hui ? », Géoconfluences, avril 2023.
- Jean-Benoît Bouron, « Carte à la une. Des projections de la population française qui parlent surtout des tendances démographiques actuelles », Géoconfluences, janvier 2023.
- Quentin Brouard-Sala, « Dévitalisation et revitalisation des villes petites et moyennes en Normandie », Géoconfluences, mars 2023.
- Antonin Girardin, « De la désindustrialisation à la vitrine métropolitaine : un quartier du Havre à l'heure néolibérale », Géoconfluences, mars 2022
- Yves Lavarde, « La Corse, un territoire en archipel ? L'exemple de Bastia et du Cap Corse », Géoconfluences, juillet 2024.
- Hélène Martin-Brelot, « Une ZUP réussie. Portrait du quartier Bellevue à Brest par ses habitants », Géoconfluences, mars 2023.
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : aires d'attraction des villes | analyse en composantes principales | démarche quantitative | désindustrialisation | économie présentielle | espaces ruraux | métropolisation | taux d’emploi.
Olivier VASSAL
Agroéconomiste, consultant, statisticien, auteur de l'ouvrage La France au défi de ses territoires
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Olivier Vassal, « Réconcilier le vécu avec la statistique : une typologie des communes françaises », Géoconfluences, septembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-france-des-territoires-en-mutation/articles-scientifiques/statistique-typologie-communes-francaises