Archive. Risques "naturels" et territoires en France
Emmanuel Jaurand, maître de conférences en géographie - Université Paris 12 Val de Marne
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
>>> Pour des informations plus récentes, lire par exemple : Françoise Pagney Bénito-Espinal, « Construire une culture du risque efficiente ? Le cas de la Guadeloupe et de la Martinique », Géoconfluences, décembre 2019.
1. Le risque "naturel" : une notion pertinente ?
2. Des réalités historiques aux perceptions contemporaines
3. Territoire du risque : dynamiques et acteurs
L'actualité récente est jalonnée par de multiples catastrophes naturelles qui ont affecté aussi bien la France métropolitaine que l'outre-mer : le séisme de Guadeloupe en novembre 2004 (magnitude de 6,3), la canicule de l'été 2003, les inondations de la Somme au printemps 2001, les tempêtes de Noël 1999, en sont quelques exemples. La médiatisation de ces événements a nourri un discours tantôt catastrophiste ("C'est Verdun", à propos des tempêtes de Noël 1999), tantôt fataliste (la petitesse de l'homme face à la nature déchaînée), tantôt accusateur (c'est la faute des hommes). Au-delà de ces images trop réductrices, essayons d'analyser plus sereinement la question des risques naturels en France, en prenant en compte les caractéristiques majeures de notre territoire, à la fois assez densément peuplé, urbanisé, économiquement développé et encore largement centralisé.
La notion de "risque" recouvre à la fois le danger potentiel de catastrophe et la perception de la société par rapport à celui-ci. En ce sens, le risque précède la catastrophe. Mais dans les faits, le risque est souvent ressenti par les populations à la suite d'un événement catastrophique. La catastrophe révèle en quelque sorte le risque. Mais "risque" et "catastrophe" ne sont pas synonymes. L'idée de risque plonge les sociétés dans un rapport à l'incertain, au probable, à une temporalité qui n'est pas prédéterminée. À la différence du risque subi, il faut aussi envisager le risque affronté, calculé, celui qui est pris en connaissance de cause, lorsqu'un promoteur choisit par exemple d'urbaniser un secteur soumis à des aléas naturels. Les risques "naturels" se rapportent à des aléas qui font intervenir des processus naturels variés : atmosphériques, hydrologiques, géologiques ou géomorphologiques. Le risque naturel se situe à la croisée entre, d'une part, un ou plusieurs aléas et, d'autre part, la vulnérabilité d'une société et du territoire qu'elle occupe. La question des risques "naturels" permet ainsi de revisiter un vieux paradigme de la géographie, celui des rapports entre la société et la nature.
Le risque "naturel" : une notion pertinente ?
La notion de risque naturel a-t-elle un sens ?
La question mérite d'être posée dans la mesure où le risque est toujours relatif à une société potentiellement mise en danger. L'expression "risques naturels" est-elle une simple commodité de langage ou est-ce une notion scientifiquement fondée ?
Incontestablement, l'expression "risques naturels" introduit une ambiguïté dans la mesure où elle laisse supposer que les phénomènes naturels exceptionnels comportent intrinsèquement un risque. Or l'idée de risque n'a de sens que s'il y a mise en danger pour les biens et les personnes. Un phénomène naturel exceptionnel se manifestant en dehors de l'écoumène (ce qui pour la France ne concernerait guère que la Terre-Adélie !) n'est qu'une curiosité de la nature.
Certes discutable, la notion de "risques naturels" a cependant une certaine valeur scientifique, si on considère qu'elle permet d'insister sur des risques particuliers, liés aux aléas naturels. D'autre part, sans tomber dans un déterminisme d'un autre âge, on ne peut pas nier la puissance formidable de certains aléas naturels (cyclones, tremblement de terre…), sur lesquels les sociétés humaines n'ont pas de prise directe. L'approche classique de la géographie des risques a été longtemps fondée sur les aléas, plus que sur la vulnérabilité, ce que les travaux récents des géographes tendent à corriger en reliant les volets naturels et sociaux dans l'analyse des risques.
Il n'y a évidemment pas toujours de corrélation stricte entre le lieu où se produit un aléa et l'espace de plus forte vulnérabilité. L'exemple le plus évident est celui des espaces montagnards, où certains phénomènes catastrophiques qui se déclenchent en altitude (avalanches, glissements, débâcles glaciaires…) ne constituent un risque que pour les espaces situés en contrebas, dans les vallées où se concentre l'essentiel de la population, des activités et des aménagements. C'est là l'illustration du phénomène de domination caractéristique du milieu montagnard, qui pourrait être appliqué à plus petite échelle à un bassin hydrographique : sur celui de la Seine, des précipitations abondantes en amont se traduisent par une vulnérabilité maximale en aval (Ile-de-France).
Il faudrait cependant se garder d'envisager le risque comme associant schématiquement des aléas naturels supposés actifs et des éléments de vulnérabilité considérés comme passifs (P. Pigeon, 2003). Le degré de vulnérabilité doit inclure les effets sur le terrain des actions politiques qui cherchent à anticiper et gérer l'endommagement possible (dégâts matériels et humains). Le risque peut être ainsi défini comme "la probabilité d'occurrence de dommage compte tenu des interactions entre processus physiques d'endommagement (aléas) et facteurs de peuplement (vulnérabilité)". "La notion de risque comporte donc une double composante : celle de l'endommagement potentiel, comme celle de l'endommagement effectif" (P. Pigeon, 2003, pp. 460-461).
Les risques naturels sont rarement isolés ou indépendants des autres types de risques, notamment technologiques, sanitaires ou sociaux. Par exemple, la canicule de l'été 2003, en faisant tomber le débit des fleuves à des niveaux d'étiage exceptionnellement bas, a eu des conséquences dangereuses pour le fonctionnement des centrales nucléaires (moins d'eau pour le refroidissement des réacteurs). EDF a rapidement réagi en arrêtant plusieurs centrales nucléaires, notamment le long de la Loire. Autre cas de figure, des maladies tropicales comme le paludisme (5 000 cas par an en Guyane) et la dengue (Antilles et Guyane) se développement dans des conditions de milieu particulières favorables à la prolifération des moustiques qui en sont les agents de transmission.
Des risques plus ou moins "naturels"
La France est soumise à toute une panoplie de risques naturels (Y. Veyret, 2004), y compris les risques typiquement tropicaux comme les cyclones (DOM des Antilles et de la Réunion). La part relative de la "naturalité" et des facteurs anthropiques dans l'origine de ces risques est variable.
L'origine naturelle des risques comme les séismes, les éruptions volcaniques, les mouvements de masse sur les versants ou les phénomènes météorologiques exceptionnels (tempêtes, cyclones, canicules, vagues de froid, sécheresse…) est évidente. La répartition inégale des risques renvoie largement à des contextes plus ou moins favorables à l'occurrence des aléas.
Par exemple, les séismes dépendent de l'activité géologique profonde liée au contact des plaques tectoniques : c'est aux Antilles que ces risques sont les plus élevés. La Martinique et la Guadeloupe sont les seuls départements français à être classés en zone III (valeur maximale) pour les normes de construction parasismiques. En métropole, si le risque sismique est d'ampleur modeste par rapport à des pays comme l'Italie et la Grèce, il est non négligeable dans les parties sud et est du pays : le séisme le plus meurtrier du XXe siècle a eu lieu en Provence, à Lambesc en 1909 (49 morts).
Les 5 principales catastrophes naturelles en France depuis 1900
Date
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Nature
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Vicitmes
(morts ou disparus) |
8 mai 1902
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Eruption volcanique Montagne Pelée, Martinique
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28 000
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30 août 1902
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Eruption volcanique Montagne Pelée, Martinique (Morne-Rouge)
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1 000
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12 septembre 1928
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Cyclone Guadeloupe
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1 200
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26, 27-28 décembre 1999
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Tempête
France métropolitaine |
92 pour les deux tempêtes
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1er au 20 août 2003
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Vague de chaleur
France métropolitaine |
Environ 15 000
(près de 30 000 en Europe) |
Source : d'après "Les événements naturels dommageables en France et dans le monde en 2003", Ministère de l'écologie et du développement durable (MEDD), 2004. Consulter le rapport : 1,5 Mo : www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/054000038.shtml
L'importance de certains risques naturels est fréquemment amplifiée par les aménagements anthropiques. On l'a vu au cours de la canicule de l'été 2003, où les victimes ont été les plus nombreuses en Ile de France. Ici, l'urbanisation et l'îlot de chaleur artificielle qui l'accompagne expliquent que les températures soient moins descendus qu'ailleurs durant la nuit. Dans la nuit du 12 août 2003, Paris était de loin la localité la plus chaude de France (26°C de température minimale), et l'on sait que c'est l'absence de rafraîchissement nocturne qui fatigue le corps jusqu'à avoir des conséquences mortelles. C'est encore plus évident pour les crues des cours d'eau. Si des précipitations prolongées ou intenses sont toujours à l'origine des phénomènes de crue (lentes ou brutales), les aménagements des bassins-versants, et notamment l'urbanisation qui se traduit par l'imperméabilisation de vastes surfaces, peuvent accélérer la soudaineté et la rapidité des crues. La catastrophe de Nîmes en septembre 1998 est un prototype d'inondation urbaine : les constructions dans les fonds de vallons et les réseaux d'évacuation des eaux sous-dimensionnés ont considérablement amplifié la montée des eaux.
Enfin, certains risques d'origine anthropique sont incontestablement aggravés par des facteurs naturels. L'exemple le plus flagrant est celui des incendies de forêt, qui concernent surtout les forêts du sud du pays, des Landes à la Méditerranée. Les causes des éclosions d'incendies sont presque toujours intentionnelles ou accidentelles (pyromanes, éleveurs, touristes qui jettent un mégot mal éteint…), très rarement d'origine naturelle (cas exceptionnel de la foudre). Il est aussi clair que des facteurs climatiques sont plus ou moins favorables à la propagation des feux, en particulier la sécheresse estivale et la fréquence des vents violents (mistral, tramontane) en région méditerranéenne.
Au total, si l'on peut retenir l'expression de "risque naturel", il ne faut pas oublier la fréquente interaction des processus physiques, climatiques ou hydrologiques, avec les actions anthropiques aux effets souvent amplificateurs. Par ailleurs, les risques naturels montrent souvent des processus en chaîne : les séismes, les cyclones ou des averses torrentielles provoquent une déstabilisation des versants souvent à l'origine de risques associés (éboulements, glissements de terrain, par exemple). Enfin, le risque naturel, qui ne se pose que par rapport à un territoire humanisé, ne peut être séparé d'autres types de risques, sociaux, technologiques ou sanitaires.
Des réalités historiques aux perceptions contemporaines
L'historicité des risques
Il est difficile d'appréhender l'étude des risques en dehors du contexte temporel dans lequel ils s'enracinent. La perception des risques est indissociable des représentations culturelles qui se modifient au fil du temps. L'évaluation des risques présents et à venir doit tenir compte des événements passés.
Pour reconstituer les événements catastrophiques anciens, les sources historiques sont incontournables (R. Favier et Granet-Abisset, 2000 et R. Favier, 2002). Mais elles sont souvent lacunaires, car tributaires de la perception des risques à un moment donné de l'histoire.
Port de St Pierre le 8 mai 1902 après le passage de la nuée ardente issue de l'irruption de la montagne Pelée. Extrêmement dévastatrice, la nuée ardente a atteint la ville de Saint-Pierre en moins de 2 minutes et a fait 28 000 victimes. Crédit photographique Prof. A.Lacroix (Mâcon, 1863-Paris, 1948 - MNHM de Paris) www.brgm.fr/risques/Antilles/mart/v1902.htm |
Certains événements ont frappé l'imagination des contemporains, comme le raz-de-marée de Nice en 1564, évoqué par Nostradamus. D'autres phénomènes ont été occultés dans le passé parce qu'ils n'étaient pas considérés comme catastrophiques (tempêtes de neige par exemple). Sans remonter très loin dans le temps, quelques exemples suffisent à se convaincre de l'existence, dans l'histoire récente, des mêmes catastrophes naturelles que celles que nous connaissons aujourd'hui. En 1902 en Martinique, l'éruption de la Montagne Pelée accompagnée de nuées ardentes brûlantes et asphyxiantes, a détruit la capitale Saint-Pierre, déclassée au profit de Fort-de-France. Cette catastrophe a laissé des traces persistentes dans la mémoire collective nationale. Les crues ont constitué un fléau majeur tout au long de l'histoire : celle de la Seine en janvier 1910 à Paris a conduit à l'inondation de quartiers entiers. Mais celle du Tarn, en 1930, reste la plus meurtrière du XXe siècle, avec 200 morts, 10 000 sinistrés et une hauteur de submersion de 7 m dans Montauban. |
La recension des catastrophes historiques présente un intérêt réel, quoique à relativiser, pour l'évaluation des risques actuels. Cela permet de cerner les zones les plus fortement exposées, en vertu du principe selon lequel un lieu touché par un séisme ou une crue est susceptible de l'être à nouveau. L'importance des aléas peut aussi être évaluée par rapport aux seuils d'intensité historiques atteints : les événements paroxysmaux, qui se produisent sur une échelle centennale ou millénaire, permettent de caler les dispositifs de prévention et de protection. C'est ainsi que la crue de 1910 sert de référence pour la prévention de ce risque à Paris.
L'ancienneté et la répétition des catastrophes invitent à ne pas sous-estimer la conscience des risques dans les sociétés traditionnelles, enracinées dans un territoire. L'aménagement des espaces ruraux témoigne de la prise en compte ancienne des risques : les terrasses avec des murs en pierres sèches permettant l'évacuation de l'eau pour limiter les risques de glissements de terrain, ou l'habitat perché au-dessus des lits d'inondation, en témoignent. Ces aménagements traditionnels de l'espace géographique, au prix d'un travail laborieux réalisé souvent avec peu de moyens, visaient à réduire la vulnérabilité des populations et de leur habitat.
Une perception contemporaine paradoxale du risque
Le cas de la France contemporaine permet de s'interroger sur la perception des risques naturels dans un pays développé. Celle-ci s'avère pour le moins paradoxale. Dans notre société, largement urbanisée, il n'y a pas de véritable mémoire du risque. C'est pourquoi le retour sur les temps historiques est salvateur pour nuancer la perception actuelle des risques.
Les inondations en France de 1982 à 2003(cliquer pour agrandir) |
Ainsi, les risques d'inondation dans la France méditerranéenne ne sont en rien une nouveauté : dans les Pyrénées catalanes, soumises aux "aiguats" (pluies diluviennes suivies de crues catastrophiques), les témoignages les plus anciens remontent au Moyen-Âge (N. Meschinet de Richemond, 1997). Par ailleurs, la sur-médiatisation de certains risques conduit à une perception très sélective de la population. Les crues sont considérées aujourd'hui en France comme un risque majeur, alors qu'elles font infiniment moins de morts que les accidents de la route ou que les noyades en mer ! Face aux aléas naturels, le seuil d'acceptabilité du risque par la société est très bas. Les pouvoirs publics sont poussés par l'opinion à œuvrer pour tendre vers un risque zéro. Dans notre société ultra-sécuritaire, tout événement non contrôlé par l'homme et qui entrave le cours normal des choses est perçu comme un danger. Cela découle en partie du succès sans précédent dans l'histoire du rôle des assurances. La loi du 13 juillet 1982 a rendu obligatoire l'inclusion d'une garantie contre les catastrophes naturelles dans chaque contrat d'assurance habitation. Les Français sont assurés contre tout. Mais curieusement, la recherche de protection systématique est la source de nouvelles angoisses, et la moindre alerte est ressentie comme une menace difficilement acceptable. Paradoxalement, le sentiment de vulnérabilité se nourrit des progrès même de la sécurité (Veyret, 2001) |
Dans un pays développé comme la France, la société et l'économie sont fondées sur les échanges et les mobilités, et sont donc particulièrement vulnérables aux aléas naturels. À Paris, une crue centennale, comparable à celle de 1910, provoquerait non seulement des dégâts considérables, mais surtout paralyserait l'Ile-de-France durant de longs mois (Faytre, 2003) en endommageant tous les circuits électriques et électroniques enfouis, sans lesquels les communications (métro, RER, etc.) ne sont pas possibles. Il faudrait attendre la décrue pour commencer une remise en état qui nécessiterait des investissements considérables. C'est en quelque sorte le revers de la modernité. En France, et dans les pays riches en général, la vulnérabilité ne repose donc pas tant sur le nombre de morts potentiels que provoquerait un aléa naturel, mais plutôt sur les conséquences désastreuses pour les communications, ainsi que sur les implications financières d'une catastrophe majeure (remise en état des bâtiments, des réseaux, coût de l'arrêt de l'activité économique, désorganisation des services de l'État…).
Territoire du risque : dynamiques et acteurs
Dynamiques spatiales et accroissement de la vulnérabilité
La vulnérabilité aux aléas naturels a été renforcée au cours du XXe siècle en liaison avec certaines dynamiques spatiales et avec la réalisation de certains aménagements. La croissance urbaine et péri-urbaine durant la seconde moitié du siècle s'est largement effectuée dans des secteurs à risques, soit dans des espaces inondables, soit en montagne (développement des stations de ski) et sur des littoraux abrupts soumis à des mouvements de terrain.
Il est frappant de constater qu'en octobre 2000, un survol du Nord-Pas-de-Calais montrait que les secteurs inondés incluaient fréquemment les lotissements et les zones d'activités récentes, alors que les quartiers anciens étaient davantage épargnés. L'urbanisation récente a donc eu une double conséquence : une exposition directe aux risques dans des lits majeurs, et plus généralement un accroissement de l'aléa inondation dans la mesure où l'imperméabilisation des surfaces favorise une concentration rapide des eaux de ruissellement dans les talwegs. Le développement de l'urbanisation dans les secteurs à risque est évidemment explicable par la disponibilité et le moindre coût des terrains. Cela concerne non seulement les particuliers désireux d'accéder à la propriété individuelle, mais implique aussi la responsabilité des collectivités territoriales, peu regardantes sur l'attribution des permis de construire. Plus surprenant, l'État a réalisé de grands travaux d'aménagement dans des secteurs à risques. À Paris, le ministère des Finances (Bercy), ou l'Hôpital G. Pompidou, ont été construits en zone inondable. Citons aussi l'exemple dramatiquement comique de la caserne des pompiers d'Arles, construite en zone inondable, et par conséquent non opérationnelle en cas d'inondations importantes ! Dans les espaces ruraux, les opérations de restructuration agraires (remembrement, simplification du parcellaire, arrachage des haies) ont eu pour effet d'augmenter la fréquence et la violence des crues. La débocagisation, qui a touché de façon spectaculaire les campagnes de l'ouest après la seconde guerre mondiale, a conduit à l'arrachage des haies qui limitaient le ruissellement et facilitaient l'infiltration des eaux pluviales. |
Voir en page de corpus documentaire : Arles sous les eaux du Rhône : la crue de décembre 2003 (Emmanuelle Delahaye) |
La conquête des zones humides au bord des cours d'eau, où les eaux pouvaient s'étaler en cas de crues, favorise aussi la concentration et la montée des eaux. Autre exemple, à la charnière des dynamiques rurales et urbaines, le mitage des forêts méditerranéennes par des résidences secondaires a largement augmenté le risque d'incendies. Les néo-ruraux, pour lesquels la forêt est avant tout un écrin paysager, n'ont souvent qu'une vague conscience du risque. Leurs vies et leurs habitations sont pourtant grandement menacées en cas de graves incendies.
Enfin, la forte mobilité touristique et la multiplication des infrastructures de transport est un grand vecteur d'augmentation des risques. Les grandes transhumances hivernales et estivales, qui concernent simultanément des centaines de milliers de voyageurs, peuvent tourner à la paralysie en cas de tempête de neige, d'inondation ou d'incendie de forêt. En outre, ces populations citadines se déplacent dans des milieux naturels fragiles et mobiles qu'elles assimilent trop souvent à un terrain de jeux, et dont elles méconnaissent les dangers. L'urbanisation et la réalisation de grands aménagements de transport ont considérablement augmenté la vulnérabilité aux risques naturels. Ainsi, si un séisme analogue à celui de 1909 se reproduisait en Provence, il pourrait endommager au moins 20 000 habitations, affecter deux lignes ferroviaires, dont celle du TGV Paris-Marseille, l'"autoroute du soleil" (coupée par effondrement de ponts), le canal de Provence, deux pipe-lines, avec un montant de dégâts estimé à un milliard d'euros minimum (B. Ledoux, 1992).
La gestion des risques à la française : le rôle déterminant de l'État
Si l'État et d'autres acteurs territoriaux ont pu contribuer à une hausse de la vulnérabilité, il convient d'insister aussi sur les mesures anciennes de prévention des risques et de protection des populations, en particulier contre les inondations.
L'État a développé, depuis quelques dizaines d'années, une véritable politique de gestion des risques en France, organisée de façon spécifique. En effet, par rapport à l'Espagne, à l'Allemagne ou à la Suisse, pays dans lesquels le système des acteurs est beaucoup plus horizontal (avec un rôle essentiel de l'échelon régional), le système français se caractérise par un rôle central de l'État. Cela permet une plus grande cohérence, à l'échelle nationale, de la politique de prévention des risques. Mais en revanche, le système apparaît beaucoup plus rigide et moins adapté aux réalités régionales que chez nos voisins européens.
Aux différents échelons administratifs, il existe un partage et une hiérarchie des responsabilités. L'État est le seul maître en matière législative (loi Barnier de 1995, loi Bachelot de 2003). Il développe la politique de connaissance des risques et il est responsable des dispositifs de surveillance, d'alerte et de secours. Via les préfets, il contrôle l'élaboration et la validation des PPR (Plans de prévention des risques). Les régions et les départements ont peu de pouvoir décisionnel dans le système d'acteurs actuel. Les collectivités territoriales interviennent cependant dans le financement des travaux de réduction de la vulnérabilité, et peuvent aussi être impliquées dans des actions de surveillance et d'éducation de la population. À l'échelle des communes ou des groupements de communes, les maires sont responsables du respect des règles d'urbanisme et doivent s'impliquer dans la réalisation de PPR. Ils ont aussi des responsabilités de police et d'organisation des secours, en liaison avec les préfectures.
On peut identifier d'autres acteurs concernés aussi par la gestion des risques :
- Les établissements publics (MétéoFrance, BRGM, CEMAGREF…) qui jouent un rôle essentiel dans l'étude et la connaissance des risques, et dans l'élaboration des cartes d'aléas et de vulnérabilité. Ils sont placés sous la tutelle de l'État.
- Les maîtres d'ouvrages qui sont, soit des responsables d'entités publiques (ex. DDE, DDA), soit des responsables d'entreprises industrielles ou commerciales. Ils ont la responsabilité des travaux visant à réduire la vulnérabilité, ou des travaux de mises aux normes dans les secteurs à risques (en zone bleue dans les PPR).
- La société civile enfin, qui est représentée par les associations écologistes, les groupements de victimes, les médias… Ils ont un rôle limité dans le système d'acteurs français. Ils agissent comme défenseurs des victimes de catastrophes, ou bien dans l'information et l'éducation du public.
Conclusion
Au terme de cette brève analyse, il convient de relativiser l'importance des risques naturels en France, notamment par rapport à d'autres régions dans le monde. La perception du risque varie selon le niveau de développement et la sensibilité de l'opinion publique du pays concerné. Vues de l'Asie, où le tsunami de décembre 2004 a fait des centaines de milliers de victimes, les dernières inondations de la Somme ne sont qu'un épi-phénomène ! De plus, la richesse d'un pays comme la France lui garantit une bonne capacité de résilience, c'est-à-dire de retour à l'état initial à la suite d'une catastrophe, ce qui est loin d'être le cas dans les pays en développement.
Le cas français est assez spécifique, à la fois dans la perception du risque (soit défaillante, soit exagérée), dans le paradoxe entre les progrès de la prévention des risques et l'augmentation parallèle de la vulnérabilité, et aussi dans le système d'acteurs très pyramidal, produit d'une longue tradition jacobine. On peut souligner enfin les insuffisances de la politique de prévention des risques, notamment sur le volet essentiel de l'information et de l'éducation de la population. À la différence du Japon ou des États-Unis, il n'y a pas ou peu de véritable culture du risque dans notre pays.
Références bibliographiques
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- Dauphiné A. - Risques et catastrophes. Observer, spatialiser, comprendre, gérer - A. Colin - 2003
- Faytre L. (coord.) - Les risques majeurs en Ile-de-France - Cahiers de l'IAURIF, n° 138, 2003
- Favier R. (dir.) - Les pouvoirs publics face aux risques naturels dans l'histoire - Grenoble, Maison des Sciences de l'Homme-Alpes - 2002
- Favier R. et Granet-Abrisset (dir.) - Histoire et mémoire des risques naturels - Grenoble, Maison des Sciences de l'Homme-Alpes - 2000
- Ledoux B. - Les catastrophes naturelles en France - Payot - 1995
- Leguay J.P. - Les catastrophes au Moyen-Âge - Gisserot Édit. - 2005
- Meschinet de Richemond N. – Les inondations catastrophiques sur la bordure montagneuse du Roussillon : dégâts et sinistrés. Thèse de doctorat inédite de l'Université de Paris X. - 1997
- Pagney Fr., Léone Fr. (coord.) - Les Antilles, terres à risques - Karthala, 1999.
- Pigeon P. – "Réflexions sur les notions et les méthodes en géographie des risques dits naturels" - Annales de Géographie, n°627-628, pp.452-470 - 2003
- Veyret Y. - Géographie des risques naturels en France - Hatier - 2004
- Veyret Y. (coord.) - Risques naturels et territoires - Bulletin de l'Association des Géographes Français, n°1, mars 2005
- Veyret Y. - Géographie des risques naturels - La Doucmentation Photographique, n°8023 - 2001.
Vincent Clément, maître de conférences de géographie,
École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon et
Emmanuel Jaurand, maître de conférences de géographie,
Université de Paris-Val-de-Marne, Créteil
Pour Géoconfluences, le 13 mai 2005
Pour citer cet article :
Vincent Clément et Emmanuel Jaurand, « Archive. Risques "naturels" et territoires en France », Géoconfluences, mai 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Risque/RisqueScient.htm