Où passe la frontière entre la Corée et le Japon ?

Publié le 11/03/2008
Auteur(s) : Cécile Michoudet - université de Lyon

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Le tracé des frontières sur une carte politique du monde peut sembler évident : les grands ensembles continentaux sont subdivisés en plusieurs États distincts et clairement identifiables. Dans le cas des territoires insulaires ou riverains des mers et des océans, l'espace de vie est délimité par le trait de côte. Mais alors la réalité est plus complexe du fait de l'existence de plusieurs zones maritimes successives sur lesquelles s'exercent à différents degrés la souveraineté des États riverains. En outre, l'application de ces dispositions au cas particulier des détroits pose des problèmes spécifiques. D'un point de vue juridique, les frontières maritimes sont également linéaires, à l'instar des frontières terrestres, mais à la différence de ces dernières elles se composent de plusieurs tracés parallèles au trait de côte.

Dans la réalité des pratiques spatiales des individus, les frontières, par ailleurs, ne relèvent pas de tracés linéaires mais de contacts multiples entre espaces ponctuels matérialisés par les ports et les aéroports qui mettent en relation les États situés de part et d'autre de zones terrestres ou maritimes.

Le cas de la frontière entre le Japon et la Corée permet de comprendre et d'illustrer la pratique des frontières dans un contexte de voisinage maritime.

Le Japon est un État entièrement insulaire, sans aucune frontière terrestre. Ses voisins les plus proches sont la Russie et la République de Corée (Corée du Sud). Du côté russe, le Japon fait face à l'extrémité orientale de la Sibérie, faiblement peuplée à l'exception de la ville de Vladivostok, et à l'île de Sakhaline. Du côté coréen, le Japon est en face d'une péninsule dont le sud est densément peuplé : sa frontière avec la Corée est donc la principale frontière "active".

La République de Corée, dans son fonctionnement, peut quasiment être apparentée à un État insulaire. En effet, sa seule frontière terrestre est partagée avec la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord). Il s'agit d'une des frontières les plus difficiles à franchir au monde. Il est donc pratiquement impossible d'entrer en Corée ou d'en sortir autrement que par la mer. Dans ce contexte, le voisin le plus proche de la Corée est le Japon, la République populaire de Chine étant plus éloignée.

Pour chacun des deux États, Japon et Corée, la frontière commune est ainsi la principale interface en termes de contacts et d'échanges. Or cette interface est maritime : les deux pays sont séparés par un détroit, le détroit de Corée ou de Tsushima, qui présente l'originalité de comporter une île en son milieu. Cette île, Tsushima, appartient au Japon, mais elle est située légèrement plus près des côtes de la péninsule coréenne que de l'île japonaise de Kyûshû : la pointe nord est à moins de 50 km de la Corée tandis que l'extrémité sud est à environ 120 km de Kyûshû. Nous nous intéresserons ici aux flux de personnes, qui ont plus de sens à l'échelle de ces deux pays alors que les flux de marchandises s'inscrivent à l'échelle mondiale. Les ports surtout, mais aussi les aéroports, de cette région comptent parmi les plus grands du monde et sont plus difficiles à envisager en termes de relations frontalières seulement.

Les délimitations de l'espace maritime entre le Japon et la Corée sont complexes historiquement et politiquement, tant en raison des difficultés dues à la topographie pour appliquer les règles internationales de définition des zones maritimes, que par la récurrence des sujets de discorde entre les deux États riverains.

La ligne Lee a été tracée unilatéralement par le président sud-coréen Syngman Rhee en 1952, après la période de colonisation puis la défaite japonaises, et alors que les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues (jusqu'en 1965). Cette décision permet à la Corée d'étendre son contrôle sur un espace maritime allant jusqu'à 200 milles marins depuis ses côtes, lorsque la topographie le permet, aux dépens du Japon.

La Conférence de Genève de 1958 établit la limite de la mer territoriale à 12 milles et non plus à 3 milles marins. Dans ce cas, le chenal ouest du détroit, mesurant 24 milles marins, serait "fermé" par les mers territoriales japonaise et coréenne. Or le Japon souhaite bénéficier d'un droit de passage pour ses navires dans d'autres détroits mondiaux dans la même situation, comme celui de Malacca. Il faudra attendre 1977 pour que le Japon se rallie à la position internationale, suivi par la Corée, mais avec une disposition particulière : la limite des 3 milles marins est conservée dans la partie la plus resserrée du détroit afin de maintenir un passage international.

À la suite de tensions provoquées par des prospections pétrolières autour des îles Danjo-guntō, un accord est conclu en 1974 : une zone de développement économique conjoint est tracée au sud-ouest du détroit. La délimitation de cette zone reste la frontière aujourd'hui. En 1982, la Convention de Montego-Bay délimite les Zones économiques exclusives (ZEE) des États à 200 milles marins à partir de la ligne de base, ou à une ligne d'équidistance s'ils sont plus proches. La Convention est appliquée en 1996 par la Corée, puis par le Japon, ce qui permet de tracer la frontière actuelle entre les deux pays. Pour autant, le principe de passage international dans le détroit, décidé en 1977, n'est pas remis en cause.

En pop-up : Frontières, zonages et délimitations maritimes, les principes internationaux

Limites et litiges dans le détroit entre Japon et Corée

Carte conçue et réalisée par Cécile Michoudet

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Si la situation dans le détroit est aujourd'hui stabilisée, il n'en va pas de même au débouché nord-est de cet espace. En effet, les tensions sont vives au sujet de l'îlot Takeshima (en japonais) ou Tokto (en coréen), que les deux pays se disputent pour contrôler la zone maritime correspondante et ses ressources halieutiques. De même, plus symboliquement, le nom de "mer du Japon" est contesté par la Corée qui voit dans ce toponyme l'empreinte du colonialisme nippon et qui lui préfère le nom de "mer de l'Est".

Cependant, dans les pratiques quotidiennes transfrontalières des individus, ces délimitations administratives ne font pas sens. Pour les Japonais comme pour les Coréens, le passage de la frontière ne s'effectue pas au franchissement d'une ligne imaginaire en pleine mer, mais au bureau de douane, au départ et à l'arrivée dans chaque pays.

La carte ci-contre fait apparaître plusieurs tendances. Tout d'abord, l'essentiel des échanges est aérien et non maritime. Ensuite, si les liaisons aériennes l'emportent, elles permettent, à cette échelle, de s'affranchir de la question des distances. Ce ne sont donc pas les relations de proximité, de part et d'autre du détroit, qui dominent, mais celles entre les deux capitales, Tōkyō et Séoul.

Du côté japonais, les villes de Nagoya et Ōsaka sont aussi très bien reliées à la Corée. Au Japon, ce sont donc les trois principales villes, qui correspondent aux trois principaux aéroports du pays, qui se partagent l'essentiel du trafic.

Du côté coréen, en revanche, Séoul concentre l'ensemble du trafic, ne laissant qu'une faible part à Pusan, malgré le poids de la ville à l'échelle coréenne, et à Cheju. Les personnes qui voyagent entre les deux pays utilisent donc en grande majorité quatre aéroports, Séoul, Tôkyô, Nagoya et Ōsaka : ces quatre aéroports ont un rayonnement mondial, mais les villes ne sont pas proches les unes des autres à l'échelle de ces pays. La métropolisation joue, dans ce cas, un plus grand rôle que la proximité frontalière.

La question de la proximité joue cependant un rôle aussi, mais secondaire. En effet, si les rives du détroit concentrent aussi des liaisons aériennes, elles sont surtout l'espace des liaisons maritimes.

Les liaisons maritimes et aériennes : trafics passagers

Carte conçue et réalisée par Cécile Michoudet

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Dans ce cas, l'effet de distance compte davantage que pour les transports aériens, ce qui explique leur répartition. Dans ces zones littorales les points de contact, aériens ou maritimes, entre les deux pays sont nombreux, mais le trafic paraît plus éclaté et moins volumineux. Un axe domine tout de même la région : c'est l'axe Fukuoka-Pusan, à la fois pour les avions et pour les ferries, qui relient les deux principales métropoles des rives du détroit.

Pour le reste du trafic, il faut noter que pratiquement tous les aéroports internationaux du Japon et de la Corée sont reliés au pays voisin, à quelques exceptions près, mais les échanges sont beaucoup plus faibles.

La frontière entre le Japon et la Corée prend donc plusieurs formes. Au niveau des flux de passagers internationaux, la frontière correspond essentiellement aux grandes métropoles mondiales. Ces villes se situent sur la côte de l'océan Pacifique pour le Japon, et de la mer Jaune pour la Corée : d'un point de vue géographique, ce sont donc des villes qui se tournent le dos, et non pas des villes qui se font face. Au niveau qualitatif, les échanges autour du détroit ont sans doute plus de conséquences sur l'organisation et la structuration de l'espace, mais ils représentent des trafics moins intenses. Le tracé de la frontière administrative entre les deux États diffère donc grandement des espaces de circulation transfrontalière des personnes.

 

Cécile Michoudet,
Université de Lyon, UMR / CNRS 5600 Environnement Ville et Société,

d'après une mission d'étude réalisé en juin - juillet 2007, dans le cadre du travail de terrain de thèse,

pour Géoconfluences, le 11 mars 2008

Pour citer cet article :  

Cécile Michoudet, « Où passe la frontière entre la Corée et le Japon ? », Géoconfluences, mars 2008.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/frontier/FrontDoc2.htm