L'Europe, une "forteresse" ? La gestion des politiques migratoires. Des lieux entre mobilités et immobilisations. Objectifs et activités de l'agence Frontex.
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2008.
En complément de cette page de corpus documentaire, on pourra se référer à l'article d'Olivier Clochard : Jeux de frontières à Chypre, quels impacts sur les flux migratoires en Méditerranée orientale ?
Cette page peut favoriser les croisements entre géographie et ECJS.
Les migrations vers l'Europe s'inscrivent dans un contexte mondial plus large de mobilités internationales accrues. L'évolution démographique des pays de l'Union européenne au sein d'un monde en mouvement est riche de conséquences sur sa place dans le monde (C. Wihtol de Wenden, 2008). Pour compenser son déficit démographique, l'Union européenne va devoir ouvrir ses frontières à une immigration réfléchie et maîtrisée, prenant en compte les problématiques de l'accueil et de l'intégration des populations qu'elle attire.
La gestion des migrations légales et illégales par l'Union européenne : quelques aspects
L'accord de Schengen, signé en 1985 et entré en application en 1995, définit un espace communautaire sans frontière pour les États signataires où la liberté de circulation des personnes est garantie. Les règles applicables aux États membres sont donc issues de l'"acquis de Schengen" intégré dans le droit communautaire, qui fixe les normes d'entrée sur le territoire d'un État membre et la circulation à l'intérieur de l'espace européen. En particulier, l'entrée régulière est définie par le Code Schengen des frontières adopté le 15 mars 2006 et entré en vigueur le 13 octobre 2006.
En conséquence, tout étranger qui entre, légalement, dans un des pays signataire a le droit de circuler dans tout l'espace Schengen. L'abolition des contrôles aux frontières intérieures (terrestres, aériennes et maritimes) de cet espace a reporté ces fonctions aux frontières extérieures dont les dispositifs de surveillance et de contrôle des flux migratoires ont été renforcés.
La politique des visas est également définie au niveau communautaire. Une politique commune de "visas Schengen" est encouragée et un fichier informatique commun, le Système d'information Schengen (SIS / ISS), mutualise les identités des personnes "interdites de territoire". Chaque État peut rétablir, lorsqu'il le veut et le juge nécessaire, des contrôles sur les personnes à ses frontières.
Pour ce qui concerne les migrations illégales, en vertu du traité d'Amsterdam de 1999 (titre IV, articles 61 à 69) les décisions sont prises à la majorité qualifiée depuis le 1er mai 2004 au niveau de l'UE. Le 18 juin 2008, le Parlement européen a adopté la directive dite "retour" qui fixe des normes minimales communes au renvoi des clandestins, sans-papiers, de l'UE (voir encadré infra).
L'immigration légale est encore peu harmonisée au niveau de l'UE. Le "programme de Tampere" de 1999 visait à assurer une meilleure harmonisation des politiques d'immigration légale mais, presque dix ans après, ses effets peuvent paraître minimalistes. En 2005, la Commission a publié un Livre vert sur "une approche communautaire de la gestion des migrations économiques". Il a été décliné en une "feuille de route" qui prévoit une directive-cadre générale et quatre directives spécifiques sur les saisonniers, les salariés détachés au sein de leur entreprise, les stagiaires rémunérés et les travailleurs hautement qualifiés. En 2008, la règle de l'unanimité entre les États membres est toujours maintenue pour les questions d'immigration légale que chacun mène donc comme il le souhaite sans harmonisation.
Immigration légale : des critères à géométrie variable, exemples
Les dispositions sur l'asile et l'immigration et, de ce fait, sur l'accueil et la détention datent de plusieurs décennies dans certains pays. Les premiers États membres, fondateurs de l'espace Schengen, pays d'immigration de longue date bien souvent, sont dotés de systèmes d'accueil et de détention très disparates et plutôt datés. Les "distorsions" qui en résultent provoquent des situations migratoires souvent dramatiques, telles que l'afflux de migrants vers les espaces permettant l'accès à la Grande-Bretagne, dans le Calaisis par exemple.
(Entrées légales en 2006)
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Non limitatif
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Restrictif
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Commentaire
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Allemagne
(558 500) |
- Pas de quota
- Pas de contrat d'intégration |
- Maîtrise de la langue
- Regroupement familial |
Accord sur les métiers à pourvoir entre les deux pays. Equivalence des diplômes. Regroupement familial pour un contrat de travail de plus d'un an. "Bonnes notions" d'allemand demandées
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Espagne*
(803 000) |
- Pas de quota
- Pas de contrat d'intégration |
- Regroupement familial
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Listes régionales des secteurs ou métiers ouverts. Equivalence des diplômes. Regroupement familial sous condition de ressources et de logement après un an de séjour.
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France
(135 100) |
- Pas de quota
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- Contrat d'intégration
- Promesse d'embauche - Test linguistique - Regroupement familial |
Liste de trente métiers ouverts, pouvant être élargie si accord avec le pays d'origine. Regroupement familial sous condition de ressources, de logement et de maîtrise de la langue.
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Italie
(181 500) |
- Pas de contrat d'intégration
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- Quota
- Promesse d'embauche - Regroupement familial |
Quota annuel d'immigrés, répartis par pays en fonction d'accords bilatéraux. Regroupement familial sous condition de ressources.
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Royaume-Uni
(509 800) |
- Pas de quota
- Pas de contrat d'intégration - Regroupement familial |
- Promesse d'embauche
- Test linguistique |
Système à points pour le candidat à l'immigration (âge, qualification ...). Priorité aux professions hautement qualifiées : ingénieurs, scientifiques, médecins spécialistes ...
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Source : Le Monde, 8 juillet 2008
* En 2005, l'Espagne du gouvernement Zapatero a eu une politique très volontariste de régularisation de travailleurs clandestins sur son territoire où quelque 600 000 d'entre eux ont été régularisés. Pour l'ensemble des pays de l'UE, Eurostat estime la hausse du nombre d'immigrés en 2006 à 1 422 600 dont presque la moitié (636 000, soit 44,7%) correspond à la seule immigration vers l'Espagne.
Il n'existe pas encore de norme européenne sur l'accueil des migrants ni d'harmonisation des normes en matière de séjour légal ou de séjour illégal qui sont définies au niveau national. Une harmonisation est en cours de négociation au niveau européen et elle permettra peut être de clarifier les normes européennes en la matière. En attendant, sur ces questions, les traités et conventions des Nations Unies ainsi que la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH / Conseil de l'Europe) offrent le cadre juridique susceptible de s'appliquer aux diverses situations.
Les textes contraignants du droit international des Nations Unies, les conventions de l'Organisation internationale du travail ainsi que la Convention européenne des Droits de l'Homme (Conseil de l'Europe) protègent, d'une manière générale, les migrants et les demandeurs d'asile : protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, contre la détention arbitraire ; respect de la vie, du droit d'asile, du droit à la liberté de circulation et aux autres libertés fondamentales (expression, opinion, etc.) quels que soient la nationalité, la condition ou le statut des individus. Sans avoir tous la même force, ces textes sont contraignants, applicables par les États Membres de l'UE qui les ont ratifiés et qui devraient être incités à tous ratifier rapidement la convention de l'ONU sur les droits des migrants et de leurs familles. Les conventions des Nations Unies sont toutes assorties d'un comité dont la jurisprudence s'impose aux États en vertu des règles de droit international. La Cour européenne des Droits de l'Homme est la juridiction pour l'application de la CEDH. Sa jurisprudence s'impose aux États en se fondant régulièrement sur les articles 3, 5 et 8 de la Convention.
D'autres textes non contraignants sont également pris en compte dans le corpus des dispositions applicables à la situation de ces personnes, comme la Déclaration universelle des Droits de l'Homme ou la Charte européenne des droits fondamentaux. Lorsqu'il y a un vide juridique ou des difficultés d'interprétation, des organismes ont pu émettre des lignes directrices et des recommandations. On peut citer en particulier les résolutions et principes du Conseil de l'Europe, les normes du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe, les lignes directrices du Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) pour l'interprétation de la Convention de Genève sur les demandeurs d'asile.
Droits des migrants : quelques jalons du droit international, du niveau mondial au niveau européen
Soulignons que :
- l'application de ces textes dans tel ou tel pays dépend de leur ratification, ou non, par ce pays,
- parallèlement à ces traités et conventions écrites, le droit international humanitaire peut aussi être "coutumier" c'est à dire fondé sur des pratiques reconnues, de fait, de manière quasi uniforme par la plupart des États.
Textes internationaux, échelle mondiale (Nations Unies et Organisation internationale du travail / OIT)
- Déclaration Universelle des droits de l'Homme / DUDH (Universal Declaration of Human Rights / UDHR), 1948
- Art 5 : Protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants.
- Art 9 : Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.
- Art 13 : Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
- Art 14 : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.
- Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (International Covenant on Civil and Political Rights / ICCPR), 1966
- Art 7: Interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
- Art 9: Droit à la liberté et à la sécurité, interdiction de la détention arbitraire.
- Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains et dégradants / CAT (Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment / CAT), 1984
- Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (Optional Protocol to the Convention against Torture and other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment), 2002
- Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille (International Convention on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families), adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies, résolution 45/158, 18 décembre 1990
- La détention des migrants est encadrée aux articles 16 et 17.
- Convention de Genève relative au statut des réfugiés, 1951 et Protocole (Convention relating to the Status of Refugees, 1951 and Protocole), 1967
- Art 33 : Le principe de non-refoulement interdit l'expulsion et le renvoi d'une personne dans des États "où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques." Ce principe est devenu partie intégrante du droit international coutumier en usage et, ainsi, tous les États y sont liés.
- Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant / CIDE (Convention on the Rights of the Child / CIDE), 1990
- Les articles 3, 9, 10, 22 et 37 sont applicables aux enfants dans une situation de migration ou de demande d'asile.
- Convention de l'OIT n° 97 sur la migration de travail (ILO Convention n°97 concerning Migration for Employment), 1949
- Convention de l'OIT n° 143 sur la promotion de l‘égalité de traitement des travailleurs migrants (ILO Convention n° 143 concerning Migrations in Abusive Conditions and the Promotion of Equality of Opportunity and Treatment of Migrant Workers), 1975
Échelle européenne
- Conseil de l'Europe (Council of Europe) / Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH / European Convention on Human Rights, appellation usuelle pour la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales), adoptée en 1950, entrée en vigueur en 1953.
- Art 3 : protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants.
- Art 5 : protection contre la détention arbitraire.
- Art 8 : protection de la vie privée et familiale.
- Protocole n°11 de 1998, article 4 : Les expulsions collectives d'étrangers sont interdites.
Le droit communautaire (European Union Législation)
- Charte des droits fondamentaux (Charter of Fundamental rights), signée et proclamée par les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission lors du Conseil européen de Nice le 7 décembre 2000, reprend en un texte unique l'ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens ainsi que de toutes personnes vivant sur le territoire de l'Union.
- Art 18 : droit d'asile.
- Art 19 : protection contre l'éloignement.
- Art 24, 25, 26 : protection enfants, personnes âgées, personnes handicapées.
- Directive 2001/55 du Conseil européen relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, 20 juillet 2001
- Directive 2003/9 du Conseil européen relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres, 27 janvier 2003 ("Directive accueil").
- Les demandeurs d'asile doivent recevoir dans les 15 jours après le dépôt de leur demande une information sur leurs droits et obligations, ainsi qu'une liste d'organismes qui peuvent les aider ou les informer (accès aux ONG et à l'UNHCR), y compris sur l'accès aux soins (article 5).
- Pas de droit à l'hébergement, les États membres peuvent imposer un lieu ou un secteur d'assignation à résidence (article 7-4). Les demandeurs peuvent être détenus (article 7-3)
- L'accès au travail n'est pas en lui-même garanti. Cependant, au-delà d'un an, les États membres doivent "décider dans quelles conditions les demandeurs d'asile ont accès au marché du travail" et cet accès ne peut pas être refusé aux personnes qui sont en recours suspensif (article 11)
- Standards minimum en matière d'accueil et de conditions matérielles (niveau et conditions de vie) pour les demandeurs d'asile afin de limiter les mouvements secondaires intra-communautaires des requérants. Les États membres sont tenus d'assurer des conditions matérielles d'accueil "qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs" (article 13)
- Dispositions sur les personnes vulnérables (mineurs, mineurs isolés, familles, victimes de tortures). Respect de la vie et de l'unité familiale (article 14-3).
- Cette directive à été transposée dans une majorité d'État membres (dérogation pour l'Irlande et le Danemark). Des dispositions plus favorables peuvent être retenues par les États membres.
- Règlement 343/2003 du Conseil européen établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers (ou règlement dit "Dublin II"), 18 février 2003.
- Les accords de réadmission régissent les procédures de renvoi des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ou des demandeurs d'asile à l'intérieur de l'espace européen.
- Directive 2004/83 du Conseil européen concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, 29 avril 2004.
- Directive 2005/85 du Conseil européen relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, 1er décembre 2005.
- Art 10 et 15 sur l'information des demandeurs sur leurs droits et devoirs ainsi que sur la procédure, dans une langue "dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent" comportant : les services d'un interprète, au minimum lors de l'entretien ; la possibilité de communiquer avec le Haut Commissariat aux Réfugiés ou toute autre organisation agissant pour le HCR ; l'information sur la décision. L'assistance juridique n'est pas obligatoirement gratuite.
- Art 17 sur les garanties accordées aux mineurs non accompagnés.
- Art 18 sur le placement en rétention.
- Directive sur le retour des immigrés illégaux ("Directive retour"), premier pas d'une politique de l'immigration à l'échelle européenne, adoption par le Parlement européen 18 juin 2008.
- Fixe des standards communs quant à leur traitement et leur durée de rétention.
- Encourage le retour volontaire ressortissants étrangers en situation irrégulière dans l'UE vers leur pays d'origine.
- Prévoit la possibilité de les expulser dans le cas contraire, avec une durée de rétention maximale de 18 mois et un bannissement de cinq ans après expulsion. Elle n'interdit pas l'expulsion des mineurs.
Cette directive, conçue comme une étape de la politique communautaire sur l'immigration, devrait être suivie de mesures destinées à promouvoir l'immigration légale de travailleurs qualifiés et à décourager l'emploi de clandestins.
Source principale : Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveurs des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États membres de l'Union Européenne. Note demandée par la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen. Étude STEPS, décembre 2007
www.europarl.europa.eu/activities/committees/studiesCom/download.do?file=19149 etwww.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/.../-2008-2008/default_fr.htm
Cette situation est en passe d'évoluer car trois des instruments législatifs qui régissent le régime d'asile européen commun ont été modifiés par la Commission européenne le 4 décembre 2008 : la directive relative aux conditions d'accueil des demandeurs d'asile, le règlement de Dublin déterminant l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, et le règlement créant le système Eurodac, une base de données qui contient les empreintes digitales des demandeurs d'asile et facilite l'application du règlement de Dublin. Ces modifications constituent les premières propositions concrètes présentées par la Commission pour mettre en œuvre le Plan d'action sur l'asile et le Pacte sur l'immigration et l'asile. Elles visent à garantir un traitement équitable et uniforme aux demandeurs d'asile, où qu'ils introduisent leur demande dans l'Union, et à renforcer l'efficacité du régime d'asile européen.
La difficile typologie des lieux, entre mobilités et immobilisations
L'éventail des camps et des centres de rétention ou détention, d'attente ou de transit pour immigrants en Europe, et plus particulièrement dans l'Union européenne et l'espace Schengen, est large. Au-delà de la disparité de ces lieux, trois principales situations fonctionnelles sont à envisager : arrivée et identification sur le territoire, accueil et hébergement pendant les procédures légales en vue de l'obtention d'un statut de réfugié, d'un titre de séjour et, dans la négative, procédures d'éloignement du territoire.
Quelles descriptions du fait migratoire ?
La parole d'une militante associative
"La palette des camps pour étrangers en Europe est large, centres ouverts ou fermés, publics ou privés, légaux ou informels, conçus pour accueillir des demandeurs d'asile, des sans-papiers, des étrangers en passe d'expulsion ou de refoulement, ou en attente de la décision qui les autorisera ou non à franchir une frontière. Le régime en vigueur dans ces lieux, la durée moyenne de maintien, le statut des étrangers qui y sont placés, les dispositifs spécifiques éventuellement prévus (pour les mineurs, pour les familles) sont variables.
Ils diffèrent selon qu'on parle des camps-frontières situés à proximité des aéroports et des ports comme les zones d'attente françaises ou certains Centri di permanenza temporanea e assistenza italiens, des detention centers britanniques ou des Centros de Internamento Extranjeros espagnols, véritables prisons pour étrangers, des Ausreizencentrum allemands où les indésirables sont "incités" à partir volontairement, ou encore des centres et locaux de rétention français où ils attendent d'être expulsés. Il s'agit également des camps-sas dans lesquels échouent les migrants tentant de gagner l'Europe par l'est ou le sud : une vingtaine dans des îles grecques, cinq ou six à Malte, d'autres encore aux Canaries, en Sicile, en Hongrie, en Slovénie... Encore n'a-t-on évoqué ici que des camps situés dans l'Union européenne. Car le spectre peut être enrichi si l'on prend en compte les zones entonnoirs où sont retenus, sur la route de l'exil, ceux que l'Europe aspire ou qui aspirent à l'Europe : celles d'Ukraine, du sud de l'Algérie, de la Libye, constituent autant de barrages érigés entre l'Eldorado européen et le reste du monde."
Extrait de Claire Rodier, "Les camps d'étrangers, dispositif clef de la politique d'immigration et d'asile de l'Union européenne", Migreurop, 6 avril 2005. Paru dans "La mise à l'écart de l'étranger, centres fermés et expulsions", coordonné par P-A Perrouty, éd. Labor, 2004.www.migreurop.org/article801.html et www.migreurop.org
Une typologie des centres pourrait être fondée sur le critère de leur fonctionnalité (identification, examen de la demande d'admission sur le territoire, accueil et hébergement, organisation d'une mesure de reconduite ou d'expulsion, etc.. ) ou sur celui du statut administratif et juridique des étrangers destinés à y être accueillis, hébergés ou détenus (demandeurs d'asile, étrangers interceptés à la frontière, étrangers en situation irrégulière interceptés sur le territoire, etc. ). Mais un même centre pouvait avoir plusieurs fonctionnalités et/ou accueillir ou détenir des personnes ayant des statuts administratifs et juridiques divers. Les politiques d'accueil et de détention, qui ne relèvent pas de la même logique et n'ont pas les mêmes objectifs, sont pourtant souvent confondues.
Les difficultés à établir une typologie proviennent de l'hétérogénéité des systèmes d'accueil et d'hébergement et des systèmes de détention et de renvoi des étrangers : variété des dénominations, variété des fonctions (de la simple réception / identification à l'accueil et l'hébergement pendant la procédure en allant jusqu'à la "préparation au retour"), variété des statuts administratifs et juridiques des étrangers détenus ou hébergés dans chaque type de centres. Dans certains pays, les demandeurs d'asile sont placés dans les mêmes centres pendant toutes les étapes de la procédure. Finalement, le critère du caractère ouvert ou fermé des centres est le plus clair : alors que les étrangers hébergés dans les centres ouverts peuvent entrer et sortir de ces centres, sous réserve d'éventuelles contraintes (demande d'autorisation de sortie, limitation du nombre de jours autorisés d'absence, etc…), les centres fermés se caractérisent par la privation de liberté imposée aux étrangers.
Il faut noter que tous les centres en fonction dans les pays de l'UE ne sont pas toujours répertoriés officiellement. Dans certains, il n'existe pas de liste officielle centralisée des centres (ex : Allemagne). En Grèce, en France, il n'y a pas de liste officielle exhaustive et mise à jour des Locaux de rétention administrative (LRA).
Les dénominations et localisations des centres fermés sont diverses. Près des points de passage des frontières, les étrangers détenus à leur arrivée sur le territoire peuvent être détenus dans des centres appelés "zone de transit", "zone d'attente", "centres de transit", "centres de rapatriement ou dans des locaux de la police des frontières. Dans certains pays il existe des centres fermés appelés "centres de réception", ou "centre d'identification" qui sont plus spécifiquement destinés aux demandeurs d'asile en vue de l'examen de leur admission dans la procédure ou le dispositif d'accueil.
Répartis au-delà des espaces frontaliers, sur le territoire des États, les centres de "détention", de "rétention administrative", "d'internement des étrangers", des "centres gardés pour étranger", "centre de renvoi, "centres d'assistance", sont destinés à la détention des étrangers en infraction avec la législation sur l'entrée et le séjour. On note aussi l'emploi d'établissements pénitentiaires qui ne sont pas spécifiquement réservés aux étrangers.
Du point de vue de leur localisation (voir cartes ci-dessous) et de leur dimension, les centres peuvent être situés à proximité de lieux stratégiques (points de contrôles frontaliers, terrestres, maritimes ou aéroportuaires), de grandes villes ou répartis sur le territoire. La plupart des centres ont été aménagés dans des locaux déjà existant qui ont été réaffectés à l'hébergement des migrants : anciennes casernes ou bâtiments militaires (ex. : Malte, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Danemark), hangars ou anciens entrepôts de marchandises désaffectés (ex. : Grèce), ancienne plate-forme flottante utilisée autrefois en Mer du Nord amarrée dans le port de Rotterdam (Pays-Bas). D'autres pays ont simplement utilisé d'anciennes prisons (ex. : Belgique, Espagne) ou ont directement aménagé des zones séparées dans des centres pénitenciers, des prisons, en service pour les droits communs (ex. : Grande Bretagne, Irlande, Chypre, Grèce, Luxembourg, Autriche) ou dans des commissariats de police.
Dans certains pays, des centres fermés ont été installés dans des campements ou dans des bâtiments en préfabriqué destinés à être temporaires (ex : Malte, Grèce). Grilles, barbelés et mesures de sécurité ont été ajoutés à ces structures conçues et utilisées autrefois pour d'autres usages. Ces lieux ont souvent un aspect sinistre, voir déshumanisant (ex : dans certains centres en Italie, l'utilisation de cages et de containers est apparue particulièrement déshumanisant, également en Grèce).
Camps de détention / rétention, zones de transit, zones d'attente et centres ouverts dans quelques pays de l'Union européenne
Pour l'Espagne, voir (nouvelle fenêtre) cette page de corpus documentaire du dossier : "La Méditerranée, une géographie paradoxale" Réalisations : Olivier Clochard, pour l'étude STEPS, décembre 2007 |
Compte tenu de la vétusté de certains bâtiments ou du caractère précaire des structures utilisées, des problèmes liés à l'insalubrité ou au mauvais état général des locaux sont souvent observés (ex : Chypre, Italie, Malte, Grèce, …). Il arrive que des centres aient été aménagés dans des bâtiments plus récents spécialement construits ou rénovés pour détenir des migrants mais les priorités d'aménagement sont le renforcement des mesures et des équipements de sécurité (ex : nouveau centre en Hongrie construit sur un modèle de prison de haute sécurité, nouveau centre de détention en Finlande équipé de moyens moderne de sécurité).
Les différents centres ouverts pour demandeurs d'asile remplissent diverses fonctions de réception et identification, d'accueil et d'hébergement des requérants pendant le temps des procédures, de " préparation au retour" pour ceux qui se retrouvent "sans-papiers". En Allemagne, il existe des centres de réception, des centres "communautaires" le temps de la procédure et des centres "ouverts d'éloignement", pour motiver les étrangers à un "retour volontaire". Dans d'autres pays, les demandeurs d'asile ou de permis de séjour sont placés dans les mêmes centres pendant toutes les étapes de la procédure (ex : France, Pologne, Finlande, Grèce, République Tchèque…).
Une question de fond, pour un regard humaniste sur les questions migratoires, est de savoir si les migrants en infraction avec les règles d'entrée et de séjour sur le territoire national sont assimilables à des délinquants de droit commun. L'infraction à ces règles ne justifie pas que les contrevenants soient soumis à des conditions d'enfermement assimilables à des conditions carcérales, disproportionnées au "délit" commis.
Par ailleurs, l'attribution de plus en plus parcimonieuse du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ou de statuts assimilés (), le cas des ressortissants étrangers "apatrides" et/ou pour lesquels l'ambassade du pays d'origine refuse d'émettre un laisser passer dans le cadre d'une procédure d'éloignement, les mineurs sans référent familial, créent dans l'ensemble des pays de l'UE une population nombreuse n'ayant pas de statut, "non régularisable/ non expulsable", et qui ne peut de ce fait accéder ni aux droits liés à la protection sociale ni l'accès à un emploi déclaré. Il apparaît nécessaire qu'un statut précis soit défini concernant ces populations, l'Europe doit pouvoir afficher en ce domaine le même respect des droits des personnes que pour ses propres citoyens. Il apparaît également nécessaire, en amont, de décourager les filières de l'immigration illégale dangereuses pour la vie des hommes, des femmes et des enfants qui s'y abandonnent.
"C'est peut-être dans [ce] mot "hospitalité" que se révèlent les difficultés et surtout l'ambiguïté qui est celle de l'Europe face à l'étranger. Le sens de ce mot "hospitalité" est double. D'une part c'est l'hôte (hostis), l'hospice, l'hôtel, le lieu de l'accueil, de la compassion et du repos. D'autre part, hospitalité est aussi la racine du mot hostile (hostilis), otages, c'est l'étranger dangereux et la peur de l'autre. Au sein du vaste espace de droit qu'est l'espace européen, on voit ce double sens à l'œuvre. Il construit une stratégie humaniste de l'accueil et profile dans le même temps la crainte irraisonnée d'une corruption par l'autre, différent, étranger. Ce clivage entre, d'un côté un accueil bienveillant et le respect du droit, de l'autre la méfiance et le rejet, montre à quel point cette fameuse hospitalité peut être mise à mal selon que l'on bascule dans un sens ou dans un autre. Et d'un point de vue général, car tel est le cadre du présent rapport, l'enjeu n'étant pas de faire le procès des politiques de l'immigration, mais davantage, en se concentrant sur l'accueil des migrants et la situation des populations les plus vulnérables, de rappeler l'évidence et l'impérieux besoin de respecter le droit des hommes et des femmes, tel que depuis plus d'un demi siècle, nous sommes convenus qu'il devait l'être."
Source : Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveurs des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États membres de l'Union Européenne. Note demandée par la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen. Étude STEPS, décembre 2007
www.europarl.europa.eu/activities/committees/studiesCom/download.do?file=19149 et www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/.../-2008-2008/default_fr.htm
Objectifs et activités de l'agence Frontex [1]
L'agence Frontex est l'agence européenne pour la coopération des États membres en matière de contrôle des frontières extérieures. Elle a été créée le 26 octobre 2004 mais elle ne fonctionne effectivement que depuis mai 2005. Son siège est situé à Varsovie. Elle est dirigée par un directeur exécutif et un Conseil d'administration composé d'un représentant de chaque État membre de l'espace Schengen et deux membres de la Commission). Le budget de l'Agence était de 20 millions d'euros en 2006, de 34 millions d'euros en 2007 et de plus de 70 millions en 2008. Ses effectifs, de 164 personnes en 2008, sont constitués de personnels contractuels ou d'experts détachés, fonctionnaires nationaux ou internationaux, et personnes venant du privé qui interviennent de façon ponctuelle.
Les activités de l'agence Frontex sont définies dans un règlement 2007/2004, du 26 octobre 2004, "portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne", chargée de la mise en application du code Schengen. L'activité la plus importante de Frontex est la gestion de la coordination des opérations de contrôle des frontières organisées par les États membres (opérations se déroulant dans les eaux méditerranéennes, entre les îles Canaries et les côtes sénégalaises, opération HERA). L'agence ne dispose pas de matériels propres, mais les États membres ont mis à sa disposition tout une série de moyens (bateaux, hélicoptères, radars... ) qu'elle peut utiliser en échange d'une participation financière. Lors d'opération conjointe à la frontière extérieure de l'UE, les États membres qui envoient des gardes-frontières envoient aussi leurs propres navires ou autre matériel.
L'agence développe également une activité de formation des gardes-frontières apparentant aux corps nationaux des États membres qui participent aux opérations qu'elle met en place. Elle définit dans ce cadre des modules de formations pour les formateurs des gardes-frontières des nouveaux États membres. L'agence s'est spécialisée dans "l'analyse du risque" migratoire, qui consiste à identifier les routes migratoires, les frontières où le risque d'entrée illégale de migrants est le plus grand. Elle dresse des cartes sur les itinéraires des migrants et mène une réflexion sur les opérations conjointes à initier et sur les moyens à leur allouer. Ce travail se fait en collaboration avec Europol.
Frontex a aussi la responsabilité de porter assistance aux États membres s'ils se trouvent confrontés à une forte affluence de migrants sans avoir les moyens suffisants pour y faire face. L'agence a mise en place pour répondre à ces demandes des États membres des équipes d'intervention rapide nommées RABIT (RApid Boarder Intervention Team). Elle aide enfin, à l'organisation d'opérations d'éloignements communes à plusieurs États membres.
Prise de risques et rendez-vous avec la mort aux portes de l'Union européenne
Le regard porté sur les activités de l'agence surestime très certainement les opérations maritimes, fort médiatisées, aux dépens des situations terrestres qui représentent un nombre largement plus important, mais en général moins risqués, de passages. Les relations avec les pays tiers, l'exemple du Sénégal :
"In the early hours of the morning on Saturday 5th July 2008 at around 01.30hrs, the AFM's Protector-class patrol vessel P-52 from Armed Forces of Malta' Maritime Squadron intercepted a boat full of illegal migrants, in a position some 69 nautical miles south of Malta. The group was made up of 26 males and their countries of origin apparently vary between Nigeria, Mali, Guinea and Egypt. Given the adverse sea conditions at the time, it was decided to take onboard the patrolboat the migrants, they were landed at Haywharf Base later in the morning" http://video.google.fr/.../=frontex&hl=fr
Aperçus de la vidéo ci-contre |
Des morts par milliers aux portes de l'EuropeRéalisation : O. Clochard et P. Rekacewicz, décembre 2006. Sources : Olivier Clochard (Migrinter), Alain Morice (CNRS, Paris), United for Intercultural Action, Gibraltar : Association des familles de victimes de l'immigration clandestine (AFVIC), police aux frontières (PAF) des ports de Nantes et de la Rochelle, Jean Christophe Gay, Les discontinuités spatiales, Economica, Paris, 1995, Le Monde, AFP, Reuters, AP, Eleftherotypia (Athènes). Plusieurs associations tiennent à jour la liste des victimes, immigrés et réfugiés, de la "forteresse Europe". Se fondant sur des rapports de presse et des signalements effectués par des organisations locales, elles tentent d'en établir une comptabilité aussi précise que possible. Seuls les décès précisément documentés - plus de 7 000 entre 1993 et 2006, soit 3 000 sur la seule période allant de décembre 2003 à 2006 - figurent donc sur ces cartes, représentations a minima d'une hécatombe ignorée.www.monde-diplomatique.fr/cartes/mortsauxfrontieres |
Suggestion pédagogique : on pourra comparer, selon différents critères, les situations migratoires aux portes de l'Union européenne et aux portes des États-Unis : dispositifs de surveillance, d'accueil, dispositifs réglementaires et législatifs, nombre estimé de victimes, organisation des filières, etc.
Frontex rend visible la dépolitisation de la question du contrôle des frontières externes en focalisant les enjeux sur des questions techniques. Avec l'agence, les États membres ont trouvé un équilibre entre intergouvernementalisme et communautarisation qui leur permet de mutualiser les efforts pour le contrôle et la surveillance des frontières sans s'embarrasser de règles contraignantes. L'équilibre entre communautarisation (transfert des responsabilités des autorités nationales aux autorités européennes) et intergouvernementalisme (seuls les États membres ont du poids dans les décisions) permet tout à la fois, de contourner les débats, voire les désaccords politiques au sein des institutions européennes, dont le Parlement européen, et d'éviter les lourdes procédures et disputes législatives qu'impliqueraient un débat national sur ces questions. Les discussions entre États membres sont jusqu'à présent, pour l'essentiel, d'ordre technique.
Le processus de décision de Frontex illustre très bien cette dépolitisation. Les interventions potentielles de l'agence sont décidées par son directeur exécutif et son Conseil d'administration sans implication du Parlement européen. Les décisions et les modalités d'interventions (lieu, type de personnel mobilisé, durée et type d'action - identification, interception maritime) s'appuient sur une analyse du risque qui reste très confidentielle, donc très peu transparente, au nom des impératifs de sécurité de l'Union dont la plupart des États membres considèrent les migrants comme des criminels potentiels, la lutte contre l'immigration illégale étant alors identifiée à la lutte contre le trafic des êtres humains et des réseaux mafieux. Les actions se décident souvent dans l'urgence et dans un contexte médiatique pressant, aux limites de la "politique spectacle", Frontex servant de vitrine de la politique migratoire de l'UE et s'efforçant de dissuader les candidats potentiels à l'immigration depuis les pays tiers. L'agence peut aussi se montrer sensible aux pressions gouvernementales des États membres demandeurs de ses interventions. Frontex est ainsi accusée d'avoir été "récupérée" par les États du Sud de l'UE qui en monopoliseraint les moyens.
Frontex enfreint certains principes du droit international (voir l'encadré supra : Quelques jalons du droit international). Ainsi, le principe de non-refoulement (article 14 de la DUDH, article 33 de la convention de Genève, droit international coutumier), avec la mise en commun de moyens d'interception. Par exemple, les opérations Hera I, II et III, aux Canaries, qui, depuis le 17 juillet 2006 permettent à l'Espagne [2] de faire face à l'arrivée des migrants qui partent des côtes sénégalaises, mauritaniennes et du Cap Vert. Les patrouilles sont constituées de gardes-côtes espagnols, italiens, portugais, finlandais mais aussi mauritaniens et sénégalais, agissant dans les eaux territoriales des trois pays. La procédure est l'interception maritime suivie de la reconduite de l'embarcation en fonction du lieu d'interception. Si elle a eu lieu dans les eaux territoriales sénégalaises ou mauritaniennes, retour direct (et détention des personnes interceptées). Si elle a eu lieu dans les eaux espagnoles (canariennes), conduite en centre de rétention en Espagne [3]. Les autorités européennes et nationales (par exemple l'Italie avec la Libye) tentent depuis plusieurs années de multiplier les accords qui permettent ce type de coopération avec des États "voisins", mais jusqu'à présent aucun autre accord n'a été signé.
L'agence est aussi en défaut sur le principe d'interdiction des expulsions collectives (article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, protocole 4 de la CDEH, article 19 de la Charte européenne des droits fondamentaux) en envoyant des experts pour identifier les migrants afin de les regrouper par nationalité et d'organiser des renvois collectifs par charters ou autres moyens. En septembre-octobre 2006, 4 000 personnes ont été renvoyées en un mois des Canaries vers le Sénégal à raison de 3 vols par jour, 3 fois par semaine.
Quant aux mineurs, ils ne devraient jamais être éloignés de force ni détenus si les pays se conformaient aux dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant.
La place de l'UNHCR dans le dispositif Frontex est restée limitée jusqu'à présent, alors que l'article 14 du règlement lui donne la possibilité d'y jouer un rôle qui s'est longtemps cantonné à la formation des gardes frontières et à l'administration des questions d'asile. La signature d'un accord, signé en juin 2008, semble présenter des avancées. Un accord entre les deux agences inclut différents domaines de coopération : des consultations régulières, des échanges d'information, d'expertise et d'expérience, des participations à des formations, notamment concernant la législation internationale sur les droits de l'homme et la législation internationale relative aux réfugiés, etc. Un officier de liaison de l'UNHCR a été nommé pour travailler avec Frontex à Varsovie afin de s'assurer que la gestion des frontières est en accord avec les obligations internationales des États membres [4].
Notes
[1] Source principale : Sara Casella Colombeau, doctorante, rattachée au Cevipof, "Frontex : rendre crédible les politiques des frontières de l'UE ?" Mémoire de Master 2 soutenu à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po), primé par l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) : www.ihedn.fr/enseignements/prix.php
Autres sources : étude STEPS 2007.
[2] Voir cette page du corpus documentaire du dossier "La Méditerranée, une géographie paradoxale" (autre dossier, nouvelle fenêtre) : Un espace sous tensions, les flux migratoires, cas de l'Espagne
[3] Pour les questions de droit maritime international, voir sur Géoconfluences (autre dossier, nouvelle fenêtre) : Frontières, zonages et délimitations maritimes : les principes internationaux
[4] Point de presse de l'UNHCR, 17 juin 2008, "L'UNHCR conclut un accord avec Frontex", extrait :
"L'agence des Nations Unies pour les réfugiés plaide depuis longtemps pour que l'Europe maintienne son statut de continent d'asile, pour que les institutions européennes sur l'asile et l'application de la loi mettent en œuvre des garanties spécifiques pour que les personnes recherchant une protection internationale soient identifiées et puissent avoir accès au territoire de l'UE, ainsi qu'à des procédures d'asile justes et efficaces."www.unhcr.fr/cgi-bin/texis/vtx/news/opendoc.htm?tbl=NEWS&page=home&id=4857e2722
Sources et références
- Dans le dossier "La Méditerranée, une géographie paradoxale" (autre dossier, nouvelle fenêtre) : Un espace sous tensions, les flux migratoires, cas de l'Espagne
- La Documentation française, dossier : Réfugiés et droit d'asile dans le monde,www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/refugies/index.shtml
- Chaire de recherche du Canada en droit international des migrations (Cedim, Université de Montréal) :
- Politiques de contrôles migratoires dans le monde, bases de données :http://cdim.cerium.ca/spip.php?page=mot&id_groupe=27
- Rapport sur les politiques carcérale et d'immigration en France du Commissaire aux droits de l'homme au Conseil de l'Europe, commissaire Thomas Hammarberg, 20 novembre 2008 :www.cerium.ca/Rapport-sur-les-politiques
- Fondation Robert Schuman :
- Populations et migrations, www.robert-schuman.org/thematique.php
- Catherine Wihtol de Wenden (CNRS / CERI-Sciences- Po) - Démographie, Immigration, Intégration, octobre 2008 : www.robert-schuman.org/question_europe.php?num=qe-111
- L'initiative "Söderköping process" (ou Cross-Border Co-operation Process - CBCP) adoptée en 2001 pour coordonner la coopération en matière d'asile, de migration et de gestion frontalière des pays concernés par la frontière orientale de l'UE : http://soderkoping.org.ua
- Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveurs des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États membres de l'Union Européenne. Note demandée par la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen. Étude STEPS, décembre 2007 :www.europarl.europa.eu/activities/committees/studiesCom/download.do?file=19149 et www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/.../-2008-2008/default_fr.htm
- Olivier Clochard, Antoine Decourcelle et Chloé Intrand - "Zones d'attente et demande d'asile à la frontière : le renforcement des contrôles migratoires ?", Revue européenne des migrations internationales, vol. 19 - n°2, 2003. http://remi.revues.org/index2948.html
- Cultures & Conflits, "L'Europe des camps. La mise à l'écart des étrangers", n°57, printemps 2005, sous la direction de Jérôme Valluy : www.conflits.org/index1710.html
- Claire Rodier et Catherine Teule, Enfermement des étrangers : l'Europe sous la menace du syndrome maltais : www.conflits.org/index1752.html
Annexe - Les délais de rétention dans les pays européens (situation en 2003)
Pays
(*hors espace Schengen) |
Durée de rétention administrative
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Durée de rétention juridictionnelle
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Durée totale de rétention
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Observations
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Espagne | 72 heures | 37 jours | 40 jours | |
Italie | 30 jours | 30 jours | 60 jours | Durée doublée par la loi du 11 juillet 2002 |
Allemagne | 48 heures | 6 mois, prorogeable d'un an | 18 mois | Durée moyenne de rétention : un mois 1/2 |
*Royaume-Uni | Pas de délai prévu | Pas de délai prévu | Pas de délai prévu | Aucune législation, les autorités bénéficient de toute latitude pour apprécier. Délai moyen : 3 mois |
Portugal | 48 heures | 60 jours | 60 jours | Délai moyen : un mois |
France | 48 heures | 5 jours, renouvelable une fois | 12 jours | |
Belgique | 2 mois, prorogeable | 5 mois | Prolongation jusqu'à 8 mois si l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public. Délai moyen : un mois. | |
Finlande | 4 jours | Illimitée | Pas de délai maximum | |
Grèce | 3 jours | 3 mois | 3 mois et 3 jours | Délai moyen : 2 mois |
Pays-Bas | 10 jours | 18 jours, prorogeable | Illimitée | En moyenne, 6 semaines |
Source : document de travail du Conseil constitutionnel, 20 novembre 2003 www.conseil-constitutionnel.fr/cahiers/ccc16/documents.htm
Sélection, adaptation et mise en page documentaire : Sylviane Tabarly,
pour Géoconfluences, le 17 décembre 2008
Mise à jour : 17-12-2008
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Pour citer cet article :
Sylviane Tabarly, « L'Europe, une "forteresse" ? La gestion des politiques migratoires. Des lieux entre mobilités et immobilisations. Objectifs et activités de l'agence Frontex. », Géoconfluences, décembre 2008.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/frontier/FrontDoc4.htm