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La métropolisation de la région de Hô Chi Minh-Ville : industrialisation globalisée, urbanisme de projet et concurrence intra-régionale

Publié le 19/10/2021
Auteur(s) : Khac Minh Tran, post-doctorant en géographie - Université du Québec à Montréal

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La région de Hô Chi Minh-Ville résume bien à elle seule le processus de métropolisation en cours au Vietnam. Dans un contexte de très forte croissance économique et de collusion entre les entreprises de promotion immobilière et les pouvoirs locaux, l'essor rapide de villes nouvelles et de nombreuses zones industrielles n'est pas seulement une aubaine financière. Il conduit à une fragmentation croissante du tissu urbain et à une accentuation des inégalités, en particulier dans l'accès au logement.

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Depuis les réformes du Đôi Moi (Renouveau) de 1986, la région de Hô Chi Minh-Ville (document 1), située dans le sud-est du Vietnam, est devenue le fer de lance de l’économie vietnamienne. Regroupant les six provinces du Sud-Est (Hô Chi Minh-Ville, Đông Nai, Binh Duong, Ba Ria Vung Tau, Tây Ninh et Binh Phuoc) et deux provinces du Delta du Mékong (Long An et Tiên Giang), la région de Hô Chi Minh-Ville a connu un développement soutenu s’appuyant sur une industrialisation globalisée amorcée dès les années 1990, qui s’appuie principalement sur l’exportation et sur les investissements privés nationaux et étrangers, et sur un secteur immobilier dynamique attirant de nombreux investisseurs. La construction de nouvelles infrastructures techniques d’envergure (autoroutes, complexes portuaires, lignes de métro...) a également transformé en profondeur les liens d’interdépendance entre les provinces membres. Totalisant 46 % du PIB national en 2019 (82,2 des 260,2 milliards de dollars), cette région de 21 millions d’habitants (Đông Nai Statistical House, 2020) compte parmi ses membres quatre des provinces les plus économiquement avancées du pays : Hô Chi Minh-Ville, Đông Nai, Binh Duong et Ba Ria Vung Tau (document 1). Formant le cœur productif de l’ensemble de la région de Hô Chi Minh-Ville, ces quatre provinces entament aujourd’hui un processus de métropolisation qui est à la fois intense, spatialement inégal et temporellement décalé.

À travers le cas de la région de Hô Chi Minh-Ville, cet article vise à proposer une analyse éclairant la métropolisation au Vietnam, en mettant l’accent sur les trois forces motrices suivantes : (1) l’industrialisation globalisée, (2) l’urbanisme de projet et (3) la mise en concurrence interprovinciale. Visant non seulement à analyser les transformations spatio-économiques, ce travail cherche également à décrypter de manière transversale les recompositions des rapports de force entre le public et le privé, entre les échelons de pouvoir et entre les provinces membres. Enfin, à travers les trajectoires métropolitaines diverses des provinces membres, cet article présente au lecteur un cas d’étude illustrant le caractère intense, morcelé et inégalitaire de la métropolisation en Asie du Sud-Est.

Document 1. La région de Hô Chi Minh-Ville

carte région d'ho chi minh ville

Formant une dorsale de développement situé au cœur de la région de Hô Chi Minh-Ville, les quatre provinces économiquement avancées de Hô Chi Minh-Ville, de Binh Duong, de Đông Nai et de Ba Ria Vung Tau polarisent plus de 74 % de la population régionale. Avec son taux d’urbanisation atteignant 70,8 % en 2019, contre 17,1 % en moyenne pour les provinces à prédominance rurale, la dorsale centrale de développement occupe 92 % de la population urbaine de la région de Hô Chi Minh-Ville. Les quatre provinces économiquement avancées regroupent 93 zones industrielles contre 34 pour les provinces à prédominance rurale, ainsi que l’ensemble des infrastructures portuaires d’envergure de la région.

 

1. Les zones industrielles au cœur de l’industrialisation globalisée

Dès les années 1990, l’industrialisation a joué un rôle déterminant dans la création des agglomérations métropolitaines au Vietnam (Weissberg, 1999). En 1989, la région de Hô Chi Minh-Ville, dont la majorité des infrastructures industrielles se concentrent dans la dorsale de développement formée par Hô Chi Minh-Ville, Binh Duong, Đông Nai et Ba Ria Vung Tau, représente 43 % de la production du secteur secondaire national, contre 27 % pour l’agglomération Hanoi-Haiphong au Nord (Vu et Taillard, 1993). L’industrialisation de cette région s’est accélérée durant les années 2000, avec l’émergence de nouveaux pôles de croissance secondaires situés dans les provinces voisines de la métropole de Hô Chi Minh-Ville. Sous l'effet de l'industrialisation, la mise en interdépendance entre la métropole de Hô Chi Minh-Ville et les pôles secondaires a contribué à déterminer la trajectoire de construction métropolitaine de cette région urbaine (document 2). En 2019, la région de Hô Chi Minh-Ville représente 58,1 % du PIB généré par le secteur industriel national, soit à 52,1 milliards de dollars (Đông Nai Statistical House, 2020 ; Vietnam Statistical House, 2020).

Document 2.  L’évolution de l’industrialisation et ses effets sur la trajectoire d’urbanisation de la région de Hô Chi Minh-Ville

tableau évolution économie vietnamienne

Appliquant des stratégies de catch-up industrialization favorisant l’intégration des économies émergentes dans les circuits mondiaux (Suehiro, 2008), le Vietnam s’appuie sur des modèles de production industrielle permettant de générer rapidement des devises grâce à une main-d’œuvre bon marché, tout en évitant une industrialisation lourde, souvent lente et coûteuse (document 3). Si seulement quelques zones franches industrielles ont été créées durant les années 1990 dans la région de Hô Chi Minh-Ville, les zones industrielles classiques – dont les activités sont destinées à la fois à l’exportation et au marché national – sont devenues dominantes dès les années 2000. En 2017, la région de Hô Chi Minh-Ville comptait plus de 125 zones industrielles sur les 325 zones industrielles ((Selon la définition officielle du gouvernement vietnamien, une zone industrielle correspond à un territoire délimité dont la superficie varie de quelques dizaines à plusieurs centaines d’hectares et le fonctionnement repose quasi exclusivement sur les industries manufacturières. Comptant 325 en 2017, les zones industrielles du Vietnam sont mises sous tutelle des provinces, par l’intermédiaire des comités de gestion spécifiques qui prennent en charge non seulement la planification, mais aussi l’approbation de projets d’investissement et la gestion de ces pôles productifs.)) du Vietnam (Département des zones économiques, 2017 ; Tran 2019). Les zones industrielles de cette région urbaine accueillent principalement des industries manufacturières employant une main-d’œuvre peu qualifiée, comme le textile, l’agroalimentaire, la fabrication de meubles en bois, de produits plastiques et chimiques.

Document 3.  L’évolution de la stratégie d’industrialisation du Vietnam à partir des réformes du Đôi Moi et ses conséquences sur la dorsale urbano-industrielle de la région de Hô Chi Minh-Ville

Période

Politique nationale

Industrialisation de la région de Hô Chi Minh-Ville

Développement de zones industrielles dans la région de Hô Chi Minh-Ville

1987-1995

Transition entre l’économie de planification socialiste et l’économie de marché

Développement expérimental de modes de production industrielle centralisée et mondialisée (zones industrielles et zones franches)

Création de 7 zones industrielles et zones franches, situées principalement à Hô Chi Minh-Ville et dans les périphéries limitrophes

1996-2006

Politique d’» industrialisation et modernisation » avec la promotion d’industries manufacturières mondialisées et les prémices des secteurs des nouvelles technologies

Création généralisée de zones industrielles

Redéfinition des objectifs et priorités de la politique régionale d’industrialisation avec la promotion de zones industrielles de type classique dont la production est destinée à la fois à l’exportation et au marché national

Création de 93 zones industrielles et de zones de nouvelles technologies dans les quatre provinces économiquement avancées de la région de Hô Chi Minh-Ville

 

À partir de 2006

Continuité de la politique d’» industrialisation et modernisation » avec de nouvelles priorités données aux secteurs des nouvelles technologies, à la modernisation des zones industrielles existantes et à l’intégration mondiale de l’industrie nationale

Continuité de la création généralisée sur le territoire de zones industrielles, notamment dans les provinces émergentes de Đông Nai, Binh Duong et Ba Ria Vung Tau, création de premières zones de nouvelles technologies et promotion des secteurs à haute valeur ajoutée, tout en limitant le développement d’industries usant de la main-d’œuvre peu qualifiée

Source : Ishida, 1996 ; Ha, 2012 ; Département des zones économiques, 2017.

À partir des années 2000, sous l’effet de la réorientation de l’industrie régionale, trois parcs de nouvelles technologies ont été créés et plusieurs autres sont toujours en cours de planification (document 4). Dans le but de remplacer progressivement les industries légères comme le textile, le cuir, l'agroalimentaire et la fabrication de meubles en bois, qui emploient des technologies obsolètes et qui sont de moins en moins compétitives, la région de Hô Chi Minh-Ville accueille aujourd’hui des usines de Samsung (fabrication d’équipements audiovisuels), de Nidec (fabrication de composants électroniques et de circuits intégrés), d’Intel (technologies informatiques) et de Sanofi (industrie pharmaceutique). Les retombées économiques issues de cette dynamique sont particulièrement importantes. Par exemple, Samsung (originaire de Corée du Sud) et Nidec (originaire du Japon) ont investi dans la région respectivement un milliard de dollars en 2012 et plus de deux milliards de dollars en 2015 (Quôc Hung, 2012 ; Tuong Hân, 2015). Par leurs activités exportatrices et leur attractivité pour les investisseurs, les zones industrielles sont devenues un outil puissant permettant l’intégration de l’économie de la région de Hô Chi Minh-Ville aux circuits mondiaux.

Document 4.  La zone de nouvelles technologies Saigon Hi-tech Park (Hô Chi Minh-Ville)

zone de nouvelles technologies vietnam asie du sud est

Situé dans les périphéries orientales de Hô Chi Minh-Ville, la zone de nouvelles technologies Saigon Hi-tech Park, créée en 2002, s’étend sur une superficie de 913 ha, dont 872 sont destinés au développement de filières de nouvelles technologies. En 2012, la phase II de la Saigon Hi-tech Park a été approuvée par la municipalité de Hô Chi Minh-Ville. Depuis son extension, cette zone de nouvelle technologie a réussi à attirer plus de trois milliards de dollars dans le cadre de 60 projets d’investissements. Saigon Hi-tech Park accueille aujourd’hui des usines des multinationales comme Samsung, Sanofi et Intel. Clichés : Khac Minh TRAN, photographies prises en 2017 (B, C, D, E) et en 2018 (A). Vue satellitale : Google Earth, 2019. Coordonnées : 10°50'25.5"N 106°48'07.4"E.

En parallèle de leur importance économique, les zones industrielles participent à la transformation spatio-fonctionnelle des périphéries urbaines (figure 5). À l’échelle de la région de Hô Chi Minh-Ville, les zones industrielles forment, avec les pôles urbains émergents et les complexes portuaires, des corridors de développement desservant les provinces économiquement avancées de Binh Duong, de Đông Nai et de Ba Ria Vung Tau (documents 9, 10 et 12). Cette dynamique bénéficie également des programmes de modernisation d’infrastructures routières mis en place par l’État central ou à l’initiative des provinces.

Document 5. Le processus de densification d’un secteur périurbain de la région de Hô Chi Minh-Ville sous l’effet de la création de zones industrielles

Densification du périurbain et multiplication des zones industrielles

Avec le développement de zones industrielles, les périphéries situées à l’est de Hô Chi Minh-Ville entrent dans un processus de densification accélérée, qui se caractérise principalement par une urbanisation peu planifiée et menée de manière autonome par les habitants locaux. Réalisation : Khac Minh TRAN, 2018. Source : Google Earth, 2003 et 2018. Coordonnées : 10°89’53.2"N, 106°73’42.7"E.

Le développement des périphéries sous l’effet de l’industrialisation présente des spécificités spatio-architecturales et fonctionnelles. En premier lieu, la morphologie de ces zones périurbaines est marquée par la présence prédominante de maisons-compartiments et de dortoirs ouvriers. Desservies par certaines artères et des réseaux denses de ruelles étroites, les zones périurbaines s’organisent autour de liens spatiaux complexes entre les formes bâties, les espaces interstitiels et les réseaux de voirie. En deuxième lieu, sous l’effet de la création des zones industrielles, de nouveaux liens de synergie économique émergent (document 6). Si les projets immobiliers privés fournissent des appartements et maisons de standing aux cadres travaillant dans les zones industrielles, les quartiers d'habitat spontané — qui sont souvent habités par des populations moins aisées — proposent aux ouvriers des offres de logement bon marché dans des dortoirs locatifs. Ainsi, la concentration des ouvriers des zones industrielles dans ces secteurs favorise le développement des activités commerciales et de services. En parallèle des dortoirs ouvriers, les restaurants au prix abordable, les cafés, les marchés informels et les commerces ambulants dominent le paysage urbain et l’économie des périphéries industrielles. Les quartiers périurbains sont ainsi devenus un support spatial et fonctionnel pour les zones industrielles de la région de Hô Chi Minh-Ville.

À partir des années 2000, les promoteurs et les autorités ont commencé à introduire de nouveaux concepts de développement, qui cherchent à prôner la synergie entre l’industrialisation et la promotion immobilière privée. Cette tendance s’est concrétisée par la création de nombreux projets immobiliers associés aux zones industrielles et de villes nouvelles, qui transforment en profondeur la configuration territoriale et fonctionnelle des périphéries métropolitaines de la région de Hô Chi Minh-Ville.

Document 6. Le développement de l’économie locale sous l’effet de l’industrialisation, l’exemple d’un quartier périurbain limitrophe d’une zone industrielle de Hô Chi Minh-Ville

développement de l'économie locale

Réalisation : Khac Minh TRAN, clichés pris en 2018 ; Google Earth, 2010, 2018. Coordonnées : 10°86’13.4"N, 106°77’93.0"E.

L'agrandissement des usines de la compagnie de confection de vêtements de Viêt Thang au début des années 2010 a produit des effets positifs sur l’économie locale. Les entrées de la compagnie, ouvertes sur la rue de Nguyen Van Chi, sont à l’origine de flux denses de circulation d’ouvriers aux heures de pointe. Un segment de cette rue, qui relie les deux entrées de la compagnie l’une à l’autre, est transformé en marché de fortune, caractérisé par un développement peu contrôlé mais dynamique. Alors que les vendeurs ambulants convergent vers les entrées et occupent entièrement les espaces étroits le long du mur de la compagnie, les habitants locaux transforment les façades de leur maison en épiceries, en restaurants et en cafés.

 

2. Un urbanisme de projet privatisé et en synergie avec la planification publique

L’ampleur et le caractère multiforme des transformations des villes d’Asie font de ces territoires des laboratoires de la métropolisation (Roy et Ong, 2011 ; Aveline-Dubach et al., 2014 ; Franck et Sanjuan, 2015 ; Goldblum et al., 2017). Dans ce contexte, l’émergence d’un nouveau régime de fabrique urbaine a permis d’introduire de nouvelles formes de développement urbain, comme les zones industrielles et les condominiums, et d’associer la promotion immobilière privatisée à la planification publique (Goldblum, 2015). L’urbanisme de projet est devenu un vecteur de négociation et de consensus entre les autorités publiques et les promoteurs. Ce fait est particulièrement important dans le contexte vietnamien, où le régime socialiste cherche à préserver sa capacité interventionniste face à la montée en puissance des acteurs économiques privés.

Premièrement, l’urbanisme de projet est à l’origine de l’émergence d’une mosaïque de formes urbaines. À l’heure de la saturation des villes-centres, les périphéries témoignent de la juxtaposition entre formes urbaines génériques et mondialisées, issues de la promotion privatisée, et formes liées à l’urbanisation spontanée menée par la population. Dépendants de zonages fonctionnels stricts, les projets immobiliers sont multiformes, allant des condominiums de grande hauteur aux maisons-compartiments modernisées, en passant par des complexes de villas de standing. Ces projets immobiliers contribuent activement au processus de modernisation urbaine au Vietnam. Les nouvelles formes bâties, souvent de grande hauteur, modernisées et dotées d’équipements et de services de standing, contrastent avec l’urbanisation « organique » et horizontale des villes vietnamiennes traditionnelles (Gibert-Flutre, 2019). Desservies par des infrastructures de transport d’envergure, les khu đô thi moi (zones urbaines nouvelles) ((Le mot khu đô thi moi désigne l’appellation commune des projets de logements privés développés par les promoteurs immobiliers.)) forment, en synergie avec les zones industrielles, de vastes corridors de développement dans les périphéries émergentes de la région de Hô Chi Minh-Ville (document 7).

Document 7. Le rôle de l’urbanisme de projet dans l’émergence d’un corridor urbain reliant Hô Chi Minh-Ville à Đông Nai sous l’effet de la modernisation d’infrastructures routières

a. L’autoroute CT01

b. Le deuxième périphérique régional

c. Des projets immobiliers en construction le long de l’autoroute CT01
condo lotissements
d. Un condominium en construction à proximité de l’autoroute CT01 (district 2, Hô Chi Minh-Ville) e et f. Un condominium et une zone de lotissement situés à proximité du deuxième périphérique régional
Clichés : Khac Minh TRAN, 2017 (photos 1, 3 et 4) et en 2018 (photos 2, 5 et 6)

Deuxièmement, l’urbanisme de projet est devenu aujourd’hui un vecteur de négociation et de consensus entre les promoteurs et les autorités publiques. Selon la Constitution du Vietnam et la loi foncière du 2013, les terres restent toujours la propriété de l’État. Autant la propriété foncière privée n’est pas reconnue que l’État vietnamien dispose du pouvoir d’exproprier les terrains, dont le droit d’usage appartenait aux acteurs privés. Par le biais de la planification urbaine, des processus d’appel d’offres et de mise en enchère, l’usage des terrains expropriés peut ensuite être transféré à des promoteurs.

D’une part, le développement de zones urbaines nouvelles modernes, bien planifiées et équipées représente un outil efficace dans la modernisation de la trame urbaine de la région de Hô Chi Minh-Ville. D’autre part, de nouveaux liens d’alliance public-privé émergent, dans la mesure où les négociations entre les autorités locales et les promoteurs sont devenues une étape incontournable dans le montage et l’approbation des projets immobiliers (encadré 1). En contrepartie, l’insertion des projets immobiliers dans les schémas directeurs rapporte de nombreux bénéfices aux autorités publiques. La promotion immobilière privatisée est devenue un levier important pour la modernisation de la trame urbaine de la région de Hô Chi Minh-Ville. En parallèle des retombées financières (investissements, impôts), de nombreux promoteurs participent à des projets de « terre contre infrastructures » (Nguyên et al., 2018). Selon ce mode d’investissement, les autorités locales attribuent directement des terrains aux promoteurs contre l’engagement de ces derniers à financer la construction des infrastructures routières, d’électricité et d’assainissement des zones urbaines nouvelles. L’émergence des liens d’alliance public-privé sous l’effet de l’urbanisme de projet représente l’un des signes caractéristiques de la maturation d’un « capitalisme de connivence » (Beresford, 2008 ; Musil et al., 2019), qui a mené à la création de groupes d’intérêts capables d’influencer non seulement les schémas directeurs locaux, mais aussi des orientations nationales de développement (encadré 2). L’avènement de l’urbanisme de projet a contribué à intensifier la fragmentation urbaine de la région de Hô Chi Minh-Ville, qui se traduit par la discontinuité territoriale et économique entre les territoires urbanisés et industrialisés et les marges à prédominance rurale. Ce phénomène conduit également à la ségrégation sociale entre quartiers d’habitat spontané et projets immobiliers de standing.

 
Encadré 1. Les pratiques informelles au centre de nouveaux mécanismes de développement urbain

Le mécanisme de planification urbaine au Vietnam est caractérisé par la lourdeur des démarches administratives. L’approbation d’un projet urbain doit par exemple prendre en compte une diversité de documents officiels : les schémas de province, les plans 1/5 000 et 1/2 000, les cadastres et les plans d’architecture et d’usage du foncier.

Un projet de développement immobilier doit se soumettre à quatre étapes d’approbation :

  1. L’approbation du schéma directeur du projet par le département de la construction de la province ;
  2. L’approbation du projet par le service de gestion urbaine du district ;
  3. L’approbation des modalités d’investissement du projet par le district ;
  4. L’indemnisation et l’acquisition de terrains grâce à la remise d’un permis de construire.

Dans le but d’accélérer l’approbation finale d’un projet, les investisseurs et les départements techniques doivent recourir à l’usage de multiples pratiques informelles. Dans les deux premières étapes, le promoteur entame des négociations avec les départements techniques et avec les comités populaires du district et du sous-district. À ce stade, le promoteur peut utiliser ses relations au sein des comités populaires et des départements techniques pour accélérer les procédures d’approbation. Dans certains cas, le recours à des pratiques illégales comme les pots-de-vin peut être envisagé par le promoteur.

Dans l’étape suivante, le service de gestion urbaine du district et le promoteur procèdent à des négociations dans le but de rendre le projet compatible avec le schéma directeur local. Le schéma directeur peut être délibérément modifié par le district en faveur de l’investisseur. Un condominium de plus de 30 étages peut être par exemple construit dans un secteur d’habitations à faible hauteur. Ensuite, les services techniques procèdent à des modifications (capacité d’accueil, hauteur autorisée du bâti) des secteurs voisins pour rééquilibrer le schéma directeur.

À partir de la troisième étape, des négociations informelles sont engagées pour trouver un consensus sur les modalités d’investissement. Le promoteur immobilier peut solliciter l’aide du district dans le processus d’indemnisation et d’acquisition de terrains, contre la promesse de construire des infrastructures techniques. Grâce à l’intermédiaire des sous-districts, les risques de conflit d’intérêts peuvent être réduits et l’acquisition de terrains s’accélère considérablement. En contrepartie, le district peut par exemple demander au promoteur de prendre en charge l’élargissement des portions de route reliant le projet en construction aux axes principaux. L’installation du réseau d’égout et d’électricité fait également l’objet de ces accords informels.

Une bonne relation avec l’autorité locale peut permettre aux promoteurs de créer de nouveaux projets. Les consensus et les échanges peuvent en effet être renouvelés. La symbiose public-privé, s’appuyant sur des pratiques informelles, permet aux autorités locales d’acquérir de nouvelles sources de financement et d’obtenir la construction d’infrastructures à titre gratuit.

Source : entretien du 14 juillet 2017 avec Monsieur T., fonctionnaire au service de gestion urbaine du district 2 de Hô Chi Minh-Ville ; Entretien du 20 juillet 2017 avec Monsieur N., fonctionnaire au département de la Planification urbaine et de l’architecture de Hô Chi Minh-Ville.


 

Troisièmement, l’urbanisme de projet a contribué à l’émergence d’un marché immobilier dynamique et particulièrement spéculatif. Même si les comportements de ces acteurs sont essentiellement guidés par des logiques de marchandisation foncière, les profils des promoteurs sont extrêmement diversifiés, allant de grandes firmes privées à des promoteurs de petite et moyenne taille, en passant par des compagnies publiques. En parallèle de l’omniprésence de certaines grandes firmes privées et compagnies publiques, le secteur immobilier régional a enregistré une multiplication de petits promoteurs, pour la plupart peu spécialisés dans le développement immobilier (Pham et al., 2017). Les grandes firmes privées, comme les vietnamiens Vingroup (encadré 2), Novaland, Đai Quang Minh et Hung Thinh et les multinationales comme Keppel Land et Capital Land (qui sont d’origine singapourienne), prennent en charge le développement des plus grands projets immobiliers de la région.

En parallèle, certaines compagnies publiques ont réussi à s’emparer de marchés immobiliers locaux, comme le montre le cas de la société Becamex, qui assure le développement de tous les complexes urbano-industriels et les villes nouvelles de la province de Binh Duong (document 8). En parallèle de la modernisation et de la verticalisation de la trame urbaine, le marché immobilier de la région de Hô Chi Minh-Ville devient de plus en plus spéculatif. Ce phénomène se traduit par des épisodes de flambée des prix fonciers et immobiliers. Ces épisodes correspondent non seulement à la mise en œuvre de politiques et programmes de l’État visant à encourager le secteur immobilier national (Labbé et Musil, 2013), mais aussi à la création de mégaprojets de planification, comme pour le cas de la construction de villes nouvelles et d’infrastructures routières d’envergure.

 
Encadré 2. La genèse du « capitalisme de connivence » au Vietnam : l’exemple de la montée en puissance de Vingroup

L’origine de la firme Vingroup reste une histoire peu connue au Vietnam. Pham Nhât Vuong, le fondateur de Vingroup, a créé une entreprise spécialisée dans la production de nouilles instantanées en Ukraine au début des années 1990. Au début des années 2000, Pham a créé l’entreprise Vinpearl, qui est connue pour la création d’un grand complexe de loisirs et hôtelier sur une île au large de la province de Khanh Hoa, au centre du pays.

Le succès de Vinpearl a permis à Pham de s’emparer du secteur immobilier dès le début des années 2010. Avec la création officielle de Vingroup en 2009, l’immobilier est aujourd’hui un secteur clé de la firme. Vingroup s’investit également dans de nouveaux secteurs comme l’éducation (Vinschool), le commerce de biens de consommation (Vinmart), la santé (Vinmec) et plus récemment l’industrie automobile (Vinfast).

Dans le domaine immobilier, Vingroup cherche à approcher une large gamme de clientèles avec la création de quatre grands produits : Vinhomes, Vincity, Vinpearl et Vincom. Les activités de cette firme nationale se concentrent autour de trois domaines principaux : immobilier résidentiel, immobilier commercial et immobilier touristique.

Dans le domaine de l’immobilier résidentiel, les projets Vinhomes sont destinés à une clientèle aisée issue de la classe moyenne supérieure des grandes villes. Les projets Vincity sont quant à eux destinés à des couches plus modestes de la classe moyenne. Quant à l’immobilier commercial, les centres commerciaux Vincom sont construits dans les centres urbains du pays. Hanoi et Hô Chi Minh-Ville polarisent 20 des 61 centres commerciaux Vincom. À partir de 2018, la firme vietnamienne élabore sa propre stratégie de développement de logements sociaux, qui cible notamment les provinces industrielles du pays.

Cette société privée entretient une relation étroite avec l’un des plus hauts dirigeants du Vietnam, le Secrétaire général du Parti Nguyên Phu Trong. Sorti vainqueur du conflit avec le camp libéral de l’ancien Premier Ministre Nguyên Tân Dung, Nguyên Phu Trong a lancé plusieurs mesures permettant de consolider sa position au sein de l’État-Parti. En parallèle d’opérations de règlement de compte contre les collaborateurs de l’ancien Premier Ministre, Nguyên Phu Trong appuie politiquement Vingroup. Avec le soutien du Secrétaire général, Vingroup a réussi à s’emparer du marché immobilier national. Dans les grandes villes du pays, les terrains stratégiques, dont certains appartenaient à l’État, ont été attribués à Vingroup, ce qui a permis à ce dernier de créer de multiples mégaprojets urbains.            

K. M. T. d’après Vinhomes, 2016.


 
Document 8. Les mégaprojets urbans et industriels de Becamex à Binh Duong

mégaprojets urbains et industriels

Réalisation : Khac Minh TRAN, 2021. Source : Google Earth, 2021. Coordonnées : 11°01’23N, 106°65’41E.

Le développement contemporain de la région de Hô Chi Minh-Ville, reposant principalement sur l’industrialisation et l’urbanisme de projet, a conduit à de nombreuses recompositions spatio-fonctionelles, dont certaines prennent une dimension interprovinciale. La formation des corridors urbains s’inscrit dans de nouvelles logiques d’interdépendance entre les provinces de la région. Certaines provinces économiquement avancées cherchent à asseoir leur statut de pôle métropolitain émergent, en mettant en place des stratégies visant à renforcer leur compétitivité face à l’hégémonie de la métropole de Hô Chi Minh-Ville.

 

3. Une construction régionale fragmentaire sous l’effet de la mise en concurrence interprovinciale

Les quatre provinces économiquement avancées, qui sont la métropole de Hô Chi Minh-Ville et les provinces de Binh Duong, Đông Nai et Ba Ria Vung Tau, forment une dorsale centrale de développement, qui polarise 93 des 127 zones industrielles de la région de Hô Chi Minh-Ville. En parallèle de l’importance de son appareil industriel, ce territoire est desservi par des infrastructures logistiques modernes, comprenant deux périphériques régionaux, trois autoroutes et plusieurs complexes portuaires. Avec son taux d’urbanisation atteignant 70,8 % en 2019, contre 64 % en 2010 et 63 % en 2005 (Vietnam Statistical House, 2010 ; Vietnam Statistical House, 2020), la trame urbaine de ce territoire a connu un développement rapide, notamment avec la création de nombreux mégaprojets. En parallèle d’un développement généralisé de projets immobiliers qui transforment les espaces périurbains, cette dorsale témoigne de la création de quatre villes nouvelles, dont une se situe à Hô Chi Minh-Ville, deux à Binh Duong et une à Đông Nai.

En l’absence de mécanismes de gouvernance régionale ((Aujourd’hui, deux structures régionales réunissent les provinces de la région de Hô Chi Ming-Ville : la Région métropolitaine de HCMV (créée par le ministère de la Construction) et la Région économique clé du Sud-Est (créée par le ministère de la Planification et de l’investissement). Toutefois, ces structures ne se dotent que de compétences consultatives, ce qui ne leur permet pas de coordonner le développement régional.)), le développement des pôles secondaires sous l’effet de ces dynamiques urbano-industrielles a contribué à l’émergence de nouveaux liens de concurrence entre Hô Chi Minh-Ville et les provinces voisines. Des corridors de développement relient des provinces émergentes, qui avaient été considérées dans le passé comme des arrière-pays de la métropole de Hô Chi Minh-Ville et ont pu bénéficier d’un développement rapide depuis les années 1990. La formation de ces corridors interprovinciaux s’inscrit dans deux logiques principales : mise en complémentarité logistique et coopération urbano-industrielle. En parallèle de la synergie interprovinciale engendrée par ces corridors, les provinces les plus développées de la région s’engagent aujourd’hui dans une course à la compétitivité, en quête de devenir de nouveaux pôles métropolitains capables de concurrencer Hô Chi Minh-Ville.

En premier lieu, la région de Hô Chi Minh-Ville voit aujourd’hui la création d’un corridor de développement reliant les trois provinces de Đông Nai, de Binh Duong et de Ba Ria Vung Tau sous l’effet de la création de nouvelles infrastructures logistiques. Au sein de ce corridor, l’axe Binh Duong-Đông Nai s’appuie sur la construction de l’autoroute My Phuoc-Tân Van à l’initiative du Comité populaire de la province de Binh Duong dans l’objectif de relier ses zones industrielles aux ports situés au sud de la région, tout en contournant le réseau routier de Hô Chi Minh-Ville (document 9). La formation du deuxième axe, reliant Đông Nai à Ba Ria Vung Tau, repose quant à lui sur la création de nombreuses infrastructures portuaires et aéroportuaires. Créé en 2005, le complexe industrialo-portuaire de Thi Vai-Cai Mep réunit plusieurs zones industrielles, entrepôts, terminaux à conteneur et ports spécialisés en différents types de produits comme les denrées alimentaires, le pétrole et ses produits dérivés (document 10). Situé sur le territoire de Đông Nai, le futur aéroport international de Long Thanh, dont la construction a été approuvée par le gouvernement central à la fin des années 2010, a pour objectif de devenir le plus grand pôle aéroportuaire de la région de Hô Chi Minh-Ville. Le développement de ces infrastructures logistiques, capables de remplacer celles déjà saturées de la métropole de Hô Chi Minh-Ville, permettra de renforcer la compétitivité des pôles secondaires de la région.

Document 9. Les axes de développement Binh Duong-Đông Nai et Đông Nai-Ba Ria Vung Tau

axes de développement et corridors

Réalisation : Khac Minh TRAN, 2019, 2021. Source : Institut de planification du Sud, 2017.

Document 10.  La zone industrialo-portuaire de Thi Vai-Cai Mep, un projet de développement prioritaire de l’axe Đông Nai-Ba Ria Vung Tau 

zone industrialo-portuaire

Réalisation : Khac Minh TRAN. Clichés : Tran, 2018 ; IDICO, 2019. Image satellitale : Google Earth, 2019. Coordonnées : 10°37'43.7"N 107°00'15.3"E.

En deuxième lieu, les projets de coopération urbano-industrielle apparaissent aujourd’hui comme de nouveaux outils permettant de tisser de nouvelles relations d’interdépendance entre les provinces émergentes de la région de Hô Chi Minh-Ville. Dès les années 2010, un corridor urbano-industriel a commencé à se former entre Binh Duong et la province frontalière de Binh Phuoc. Cette dynamique interprovinciale est portée principalement par la création d’un complexe urbano-industriel par la compagnie publique Becamex, chargée par le Comité populaire de Binh Duong de mener une coopération industrielle avec Binh Phuoc. Si ce projet contribue directement à l’industrialisation de Binh Phuoc, qui reste jusqu’à aujourd’hui à prédominance rurale et peu industrialisée, le Comité populaire de la province de Binh Duong le considère comme une étape cruciale pour ouvrir un nouveau front de développement. Orienté vers la frontière cambodgienne, ce front de développement permettra à la province de Binh Duong d’échapper à l’influence de la métropole de Hô Chi Minh-Ville.

La formation des corridors interprovinciaux, portée par des logiques de mise en concurrence, transforme en profondeur la configuration territoriale de la région de Hô Chi Minh-Ville (document 11). Si les dynamiques d’industrialisation et d’urbanisation se sont concentrées, durant les années 1980 et 1990, principalement à Hô Chi Minh-Ville et dans ses périphéries limitrophes, l’extension de la dorsale centrale de développement à partir des années 2000 se caractérise par l’apparition de nouveaux pôles métropolitains dans les provinces émergentes. Dès les années 2010, cette dynamique s’est intensifiée avec la formation de corridors de développement reliant les provinces les plus développées de la région. La configuration actuelle de la région de Hô Chi Minh-Ville est le résultat d’une construction métropolitaine morcelée et territorialement sélective, en résultat de l’absence de mécanismes de gouvernance régionale. En parallèle du renforcement des inégalités entre la classe moyenne supérieure émergente et les couches populaires de la population, les écarts de développement se creusent entre les provinces économiquement avancées (Hô Chi Minh-Ville, Binh Duong, Đông Nai et Ba Ria Vung Tau) et les provinces rurales et frontalières (Tây Ninh, Binh Phuoc, Long An, Tiên Giang). À l'échelle intra-provinciale, ce développement fragmentaire et inégal est de plus en plus visible, notamment entre les districts urbains et industrialisés et les marges rurales, dont l'économie repose principalement sur les activités agricoles.

Document 11. La construction de la région de Hô Chi Minh-Ville 1986-2021, schéma récapitulatif

schéma récap

La construction de la région de Hô Chi Minh-Ville peut se subdiviser en trois périodes principales. Entre 1986 et 1996, les dynamiques d’industrialisation sont essentiellement concentrées dans l’axe originel Hô Chi Minh-Ville-Biên Hoa. La création des complexes portuaires de Ba Ria Vung Tau et celle des villes nouvelles de Nhon Trach et de My Phuoc contribue à l’extension de la dorsale industrielle de la région métropolitaine. À la fin des années 2000, une configuration polycentrique émerge, reliant les pôles de développement de Hô Chi Minh-Ville à ceux des provinces voisines. À partir de 2010, la construction des villes nouvelles dotées de fonctions de commandement a marqué un tournant dans la construction régionale. Dotés de nouvelles fonctions de commandement, les pôles de développement s’étendent vers les territoires périphériques qui étaient jusque-là marginalisés dans la métropolisation. L’émergence de l’axe Binh Duong-Binh Phuoc en représente un cas exemplaire. Les provinces périphériques comme Tây Ninh, Tiên Giang et Long An restent à l’écart de l’industrialisation, ce qui accentue le caractère fragmentaire du développement de la région métropolitaine de Hô Chi Minh-Ville.

L’industrialisation et l’urbanisme de projet ont contribué à faire de la région de Hô Chi Minh-Ville la figure de proue de l’économie vietnamienne. Le cas d’étude de cette région urbaine a permis également d’identifier de multiples lacunes de la métropolisation dans les pays émergents d’Asie. Si la métropolisation a transformé en profondeur le tissu urbain et l’appareil productif de cette région, la croissance économique n’a profité qu’à certains groupes d’acteurs, comme les autorités publiques, les entreprises et les citadins les plus aisés. Parmi les conséquences négatives de la métropolisation on relève la dégradation du cadre de vie urbain, notamment dans les quartiers où résident les couches défavorisées de la population. Le développement rapide des industries manufacturières a engendré des problèmes de pollution, qui sont aggravés encore par le manque d’infrastructures et de services de traitement des eaux usées et des déchets industriels (Katzschner et al., 2016).  

L’urbanisme de projet a quant à lui provoqué une spéculation foncière et immobilière importante, qui fragilise l’économie régionale et rend l’accès au logement de plus en plus difficile pour les classes populaires. La promotion immobilière, spéculative et peu régulée par les autorités locales, est par ailleurs à l’origine de l’apparition de nouvelles pratiques de négociation et de consensus souvent informelles entre les promoteurs et les autorités locales. Si ces arrangements public-privé transgressent souvent les normes urbanistiques, voire les schémas directeurs locaux, ils favorisent aussi la généralisation de la corruption et la formation de groupes d’intérêts. L’avènement de l’urbanisme de projet engendre des tensions sociales, principalement liées à l’indemnisation insuffisante des terrains expropriés pour le développement de zones urbaines nouvelles. La multiplication de vagues de contestation populaire visant certains promoteurs et autorités locales représente un signe fort montrant les faiblesses inhérentes de la métropolisation au sud du Vietnam (Harms, 2013).

Enfin, l’absence de mécanismes de gouvernance métropolitaine et la compétition interprovinciale intensifiée sont à l’origine d’un développement territorial fragmentaire et inégalitaire. Les contrastes sont multiples et visibles à plusieurs échelles spatiales : entre les provinces économiquement avancées et les provinces frontalières et agricoles ; entre les districts urbains et industrialisés et les marges rurales ; entre les zones urbaines nouvelles bien planifiées et habitées par les classes aisées et les périphéries industrielles où les couches de population les plus modestes vivent dans une précarité résidentielle et économique permanente. La métropolisation de la région de Hô Chi Minh-Ville représente un cas d’étude éclairant la rapidité et le caractère multiforme de l’émergence contemporaine des métropoles d’Asie du Sud-Est. À travers l’analyse des recompositions spatio-fonctionnelles de cette région urbaine, la métropolisation en Asie du Sud-Est apparaît comme un processus territorialement fragmentaire, économiquement fragile et socialement inégalitaire.

 


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Sites Internet

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : catch-up industrialization | condominium | Doi Moi | fabrique urbaine | émergencefragmentation urbaine | mégaprojets | multinationales | polycentrisme | quartiers d'habitat spontané | villes nouvelles | verticalisation | zone industrialo-portuaire.

 

 

Khac Minh TRAN
Post-doctorant en géographie, Université du Québec à Montréal

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Khac Minh TRAN, « La métropolisation de la région de Hô Chi Minh-Ville : industrialisation globalisée, urbanisme de projet et concurrence intra-régionale », Géoconfluences, octobre 2021.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/asie-du-sud-est/articles-scientifiques/metropolisation-ho-chi-minh-ville-vietnam

Pour citer cet article :  

Khac Minh Tran, « La métropolisation de la région de Hô Chi Minh-Ville : industrialisation globalisée, urbanisme de projet et concurrence intra-régionale », Géoconfluences, octobre 2021.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/asie-du-sud-est/articles-scientifiques/metropolisation-ho-chi-minh-ville-vietnam