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Darfour : conséquences ethniques et territoriales d'une guerre civile en Afrique

Publié le 16/01/2006
Auteur(s) : Marc Lavergne - Université Lyon 2

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1. Le Darfour, une entité forgée par l'histoire

2. Le Darfour, une région du Sahel en proie à la désertification

3. L'impact des crises du monde rural et du conflit du Darfour sur les centres urbains

4. Ethnicité et tribalisme, des notions bouleversées par la guerre

Bibliographie | citer cet article

La crise du Darfour a été l'occasion pour le gouvernement de Khartoum de franchir une nouvelle fois les limites de l'horreur, en massacrant et en faisant massacrer une population civile désarmée et en la transplantant de force loin de ses foyers. Depuis début 2003, cette succession ininterrompue d'atrocités, sous le regard agacé et embarrassé, mais impavide, de la communauté internationale, le temps est venu de se demander non pas comment partager les responsabilités, mais plutôt comment les leviers de l'ethnicité peuvent être si aisément mobilisés au service d'une politique dévastatrice pour les sociétés qui en sont les actrices ou les victimes. La question de l'ethnogénèse est étroitement liée aux conditions de vie et aux types d'activités pratiquées par les populations rurales de la bande sahélienne.

Le Darfour, une entité forgée par l'histoire

L'affirmation d'une région appelée Darfour doit peu aux conditions naturelles, climatiques ou afro-pastorales, et au socle démographique ou ethnique régional.

À mi-chemin entre la vallée du Nil et le bassin du lac Tchad, le Darfour est un pôle d'équilibre, point d'arrivée et de départ des caravanes sur un axe trans-saharien qui a relié, durant des siècles, la basse vallée du Nil et l'Afrique Noire, en direction du bassin du lac Tchad et du bassin du Congo, mais aussi vers Sennar et l'Abyssinie lorsque les voies de la vallée du Nil et de la mer Rouge étaient coupées.

Cette situation à l'échelle continentale, l'existence de relais oasiens sur la route des Quarante jours ("darb el-Arbaïn") entre la région d'Assiout, de Dongola et le poste de Kobbé au nord de la province, ont permis l'affirmation de pouvoirs centralisés, reposant sur le prélèvement de taxes et l'engagement des élites dans le commerce caravanier : commerce des esclaves, des produits de l'élevage et de la cueillette à l'exportation, produits manufacturés à l'importation et à la réexportation vers le Bornou et le Kanem) [1].

La population du Darfour n'a pratiquement pas bénéficié de la prospérité engendrée par ces courants d'échanges. Elle a au contraire été souvent victime des conflits engendrés par ce mode de production fondé sur la prédation des esclaves et des ressources du milieu. Aucune civilisation urbaine ne s'est développée en dépit des contacts réguliers avec les centres de civilisation de l'Égypte et du golfe du Bénin, et les anciennes cités caravanières sont aujourd'hui tombées en poussière sans laisser de traces. Sur le plan des idées, de la même manière, aucune trace d'enrichissement culturel ne peut être décelé dans les modes de vie, dans les pratiques linguistiques ou dans les productions culturelles. La preuve en est le maintien de langues vernaculaires qui n'ont pas régressé jusqu'à ce jour parmi les populations de souche africaine, pourtant islamisées de longue date.

Soudan : localisations

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Si cette présentation semble privilégier les facteurs historiques liés au commerce à longue distance dans l'affirmation d'une personnalité darfourienne, il ne faut pas pour autant négliger les "acteurs muets" de cette histoire, c'est-à-dire la population rurale, qui était intégrée de façon marginale dans cette structure politique et économique.

Le Darfour, une région du Sahel en proie à la désertification

Le Darfour est en proie à un processus général de désertification qui s'amplifie depuis le début des années 1970. Ce processus peut avoir un lien éventuel avec les évolutions climatiques globales mais leur impact est impossible de mesurer. Par contre, les causes anthropiques de désertification sont, elles, clairement établies. Elles relèvent de la conjonction de deux facteurs : la croissance démographique en milieu rural d'une part et l'absence de politiques d'équipement, de développement et de diversification économique de l'autre.

La pax britannica, à partir de 1916, avait favorisé une croissance rapide de la population (estimée à 300 000 habitants au début du XXe siècle) et le Darfour n'a pas connu la résistance à la colonisation britannique menée par les Nouba ou les peuples du Sud Soudan jusque dans les années 1930. Au contraire, la pacification a fait descendre les Four [2] des endroits les plus élevés et les plus reculés du jebel Marra vers les plateaux environnants, plus faciles à cultiver et plus productifs. La population a donc décuplé en moins d'un siècle, pour atteindre 3,1 millions d'habitants en 1983 et 6 millions aujourd'hui [3]. Pour autant, les Britanniques ont concentré leurs efforts sur la Mésopotamie soudanaise, entre Nil Bleu et Nil Blanc. Le projet de la Gézira, plus grande ferme à coton du monde, devait alimenter les usines du Lancashire et financer l'entretien de l'administration coloniale. La population du Darfour fut recrutée massivement pour ramasser le coton, lors de migrations saisonnières, ce qui lui permettait de gagner de quoi payer l'impôt et de subsister le reste de l'année. Dans le même temps, le rôle du Darfour comme porte du désert et port du commerce trans-saharien entre l'Égypte et l'Afrique noire, avait cessé à la fin du XIXe siècle, avec l'ouverture de voies maritimes directes et d'une ligne de chemin de fer sur l'axe de la vallée du Nil.

La ferme de la Gézira est entrée en crise dès les années 1970 et les paysans ont abandonné la culture du coton pour d'autres, plus rentables et plus aisément commercialisables sur le marché mondial (céréales et protéagineux). L'appel à la main d'œuvre du Darfour a donc cessé, concurrencée de plus par l'arrivée de déplacés du Sud Soudan chassés par la guerre civile et travaillant dans des conditions proches de l'esclavage. Les paysans du Darfour ont alors dû augmenter les surfaces cultivées, en réduisant les jachères pourtant indispensables à la reproduction de la fertilité sur des terres pauvres, et en étendant la zone cultivée bien au-delà des limites pluviométriques traditionnelles. Compte tenu de la grande variabilité des pluies d'une année sur l'autre et d'un endroit à l'autre, les paysans ont multiplié les champs épars, pour avoir l'assurance d'au moins une bonne récolte sur l'ensemble des lopins défrichés et ensemencés par leurs épouses. Ils ont également multiplié les cultures de fonds et des berges des wadis [4]. Cette extension s'est faite au détriment des éleveurs nomades, privés de leurs pâturages et de leurs passages par les cultures, et de l'accès aux points d'eau des wadis. Les incidents entre tribus voisines se sont alors multipliés et les paysans, pour écarter les incursions des pasteurs, mettent le feu aux pâturages qui entourent leurs villages, dans une tactique de terre brûlée rappelant celle des campagnes russes.

Les éleveurs ont eux aussi adopté des stratégies pour faire face à la dégradation de leurs conditions de vie. Ils ont laissé proliférer leurs troupeaux pour faire face aux sécheresses, exerçant ainsi une pression croissante sur des ressources en pâturage et en eau. Ils y ont été encouragés par une aide étrangère irresponsable qui, en créant des forages en des lieux excentrés a favorisé le séjour sur place de larges troupeaux, bien au-delà des dates traditionnellement admises. Des auréoles de désertification en ont résulté. Les éleveurs nomades, transformés en milices tribales, se livrent aujourd'hui à une dévastation systématique des forêts de haraz (Acacia albide) et de heglig (Balanites segyptiaca) du Sud Darfour, brûlant les troncs d'arbres vénérables pour en arracher les hautes branches et les donner en pâture à leurs animaux, comme on peut le constater le long de la route d'El-Geneina à Zelingei. On peut interpréter cette dévastation comme la volonté de modifier l'environnement, d'éliminer des obstacles à l'activité pastorale, d'éradiquer symboliquement la mémoire de sédentaires attachés à ces forêts dont ils tiraient une part importante de leurs ressources. Pour le gouvernement, cette déforestation offre l'avantage d'éliminer un abri potentiel de groupes rebelles. Il est par ailleurs devenu spectacle courant de voir les chameaux paître, sous la garde de petits garçons, les hautes tiges des champs de mil prêts d'être récoltés, ou dévaster les vergers de manguiers et d'agrumes au bord des villages désertés.

La déstabilisation des équilibres tribaux a été aggravée par les effets des crises agro-climatiques. Des groupes, naguère semi-nomades, comme les Zaghawa, se sont tournés vers le grand nomadisme qui leur donnait plus de mobilité, tandis que des communautés paysannes développaient leur propre cheptel sédentaire ou semi-nomade. Les premiers entraient de ce fait en concurrence avec les nomades chameliers voisins, et les seconds avec les éleveurs qui fréquentaient les abords de leurs villages.

Ces conflits locaux ont été instrumentalisés par l'État. À l'origine, ils ne présentait aucun caractère ethnique et auraient pu être résolus, au cas par cas, par le biais des conseils tribaux, sur le mode traditionnel de compensation pour les bêtes volées, les récoltes détruites et les hommes tués. Mais l'État soudanais a aboli les pouvoirs locaux dès 1970, pour, dans un second temps (1983) établir une autonomie régionale dépourvue de moyens, avant d'en venir, sous le régime islamiste actuel, à prendre fait et cause pour les "arabes" contre les "non-arabes", c'est-à-dire, dans la plupart des cas, pour les nomades contre les sédentaires. Cette politique a rencontré beaucoup de résistances auprès des chefs tribaux traditionnels dont la légitimité s'est trouvée mise en cause.

En pop-up : Dans les campagnes, terroirs, territoires et compétitions pour l'espace

L'impact des crises du monde rural et du conflit du Darfour sur les centres urbains

Le Darfour compte trois centres urbains d'envergure, les capitales régionales d'El-Facher, El-Geneina et Nyala, et quelques autres localités, centres administratifs et marchés qui se détachent de leur environnement rural et dans une certaine mesure, tribal. Les crises du monde rural livré à l'insécurité depuis vingt ans ont gonflé la population de ces centres, hâvres de paix relatifs et seuls lieux disposant d'emplois de substitution à l'agriculture et à l'élevage.

Des trois capitales, c'est aujourd'hui Nyala qui s'est imposée comme la plus dynamique et la mieux équipée, au détriment d'El-Geneina, promue à la tête d'une région du Darfour-Ouest créée tardivement et d'El-Facher, la capitale historique, victime de la désertification de son environnement.

D'une manière générale, ces villes sont affectées par les crises du monde rural et du Darfour (afflux de réfugiés, impact de la présence des ONG, etc.) mais les impacts y sont différents.

Nyala, est un centre stratégique et logistique, porte d'accès du Darfour. Dépassant aujourd'hui 250 000 habitants (contre 63 000 en 1973 et 114 000 en 1983), Nyala bénéficie de sa situation méridionale, mieux arrosée et dotée d'un potentiel agricole varié : bétail exporté vers Khartoum et les marchés du Golfe, production céréalière importante grâce, en partie, à de vastes fermes mécanisées. Nyala est également la porte du jebel Marra, potentiellement riche en tabac, en fruits et en légumes.

D'abord terminus du chemin de fer construit depuis El-Obeid en 1961 (aujourd'hui, la gare a presque cessé toute activité), la ville bénéficie de liaisons facilitées par la route goudronnée, plus ou moins dégradée, qui la relie depuis les années 1980 à Zélingei. Porte d'accès terrestre privilégiée au Darfour, elle connaît une activité intense, autour de son marché animé par les commerçants jallaba [5] et les camionneurs qui desservent toute la région. Son aéroport, doté d'une piste goudronnée, est desservi plusieurs fois par jour depuis Khartoum par des compagnies privées qui ont proliféré depuis la crise humanitaire, et par les avions de l'ONU et de quelques ONG fortunées. C'est le principal centre de refueling (réapprovisionnement en combustible) avec El-Obeid.

Abritant aujourd'hui plus de 50 ONG internationales et diverses agences de l'ONU, la ville connaît une prospérité sans précédent. Le loyer des maisons et des villas a explosé, de même que le prix des denrées et du carburant, ce qui profite aux propriétaires et aux commerçants qui ont partie liée avec les forces de sécurité et les représentants du régime.

Mais pour la majorité de la population, la vie est devenue très difficile. Des centaines de milliers de déplacés, fuyant leurs villages dévastés ou contrôlés par les milices tribales, sont venus chercher refuge à Nyala ou dans les camps situés à proximité. Devant l'abondance de l'offre, le prix de la main d'œuvre a chuté, tandis que la demande en nourriture et en eau potable a été multipliée par 2 ou 3. C'est pour parer, à leur façon, à cette situation que les autorités ont procédé manu militari à l'évacuation de camps de déplacés comme celui d'El-Guir, en novembre 2004, entraînant une protestation indignée (mais vaine) de la communauté internationale. Les camps de Kalma (100 000 habitants), d'El'Atash ("la soif"), etc. hébergent une population supérieure à celle de la ville elle-même. On peut se demander quel avenir est réservé à ces déplacés, harcelés par les autorités, et sans perspective autre que l'asservissement [6].

El-Geneina est une ville otage du conflit du Darfour. De 39 000 habitants en 1973, 56 000 en 1983, elle en comporte 80 000 aujourd'hui. C'est un bout du monde : la ville a encore des allures de Far-West, avec des rues ensablées, où les 4x4 des ONG, oriflamme au vent, soulèvent des trombes de poussière, croisant les "technicals" gris-bleu de la police ou des FDP [7], avec leurs miliciens en uniforme de camouflage, debouts sur la plate-forme.

Ici, pas de buildings neufs ni de magasins illuminés comme à Nyala. L'urbanisme, légué par les Britanniques et les premiers gouvernements du Soudan indépendant est délabré. L'aérodrome, lieu de rencontre des "humanitaires" de tout poil, n'a qu'une piste en terre compactée. De larges rues, quelques arbres dépouillés par les animaux errants, des wadis et des fossés encombrés de carcasses rouillées et d'amoncellements d'ordure. À la différence de Nyala, les campagnes alentours ont été dévastées par les opérations des janjawids [8] et les incursions des rebelles venus du Tchad. L'économie de la ville est réduite à néant et le marché, qui servait de lieu d'approvisionnement aux nomades et aux villageois, est déserté. La présence de multiples ONG et de camps de déplacés en périphérie ne compense pas ce déclin, d'autant que la frontière avec le Tchad voisin est fermée.

Le camp de Riyadh, 20 000 habitants recensés officiellement, en compterait moins en réalité : une partie des huttes de branchage seraient construites par des déplacés installés en ville, qui ont besoin d'un abri symbolique pour percevoir les rations du PAM [9]. Mais à l'inverse, d'autres déplacés se plaignent de ne rien recevoir : toutes sortes de trafics se jouent entre distributeurs, commerçants, chefs tribaux, sur le dos des plus vulnérables, femmes âgées, mères avec des enfants en bas âge. Sans compter les stratégies de ceux qui se prêtent les enfants pour obtenir plus de rations [10].

La ville est le centre opérationnel des janjawids du Darfour occidental. Ils viennent y recevoir armes, équipement et instructions concernant les opérations à mener. Derrière l'apparence bon enfant qui règne dans la journée, El-Geneina et les camps de déplacés sont sous la coupe des forces de sécurité, des FDP et des janjawids, qui se déchaînent impunément la nuit, semant la terreur dans les camps.

La ville d'El-Facher est sur le front de la désertification. Capitale historique du sultanat du Darfour, aujourd'hui chef-lieu du Darfour-Nord, est passée de 26 000 habitants en 1956, 55 000 en 1973, 85 000 en 1983, à plus de 200 000 aujourd'hui.

Mais, comme Khartoum ou El-Obeid, elle se trouve sur le front de la désertification, ce qui explique que, même si elle draine encore une population rurale en désarroi, elle n'est plus en mesure de lui fournir de moyens d'existence. Située dans une région qui ne reçoit que 200 mm d'eau par an en moyenne, elle est victime, depuis plusieurs décennies, d'une désertisation accentuée, provoquée à la fois par la culture inconsidérée du mil, par le surpâturage et par la coupe de la végétation arborée pour les besoins urbains. La région d‘El-Facher apparaît, vue d'avion comme totalement dénudée, à l'exception du large bassin à fond argileux du wadi el-Ku qui passe immédiatement à l'est de la ville. L'eau manque en saison sèche, le réservoir du Golo étant sujet à l'envasement (l'aquifère profond est cependant exploité à Sag el-Naam, à 40 km au sud de la ville), tandis que le mil doit être importé en période de soudure à grands frais. Une grande partie de la population souffre de sous-alimentation.

Cet isolement et cette paupérisation expliquent pourquoi la ville a été la première cible des attaques de la Sudan Liberation Army (SLA) [11]. L'armée, qui en a fait sa base d'opérations pour le Nord-Darfour et un centre de pilotage des milices janjawids, en parallèle avec l'activité humanitaire, lui a rendu une certaine activité.

Nature des actions humanitaires au Darfour : l'exemple d'ONG françaises

Dix ONG françaises mènent des programmes d'urgence au Darfour, principalement en matière de santé, eau et assainissement, et sécurité alimentaire.

  • Médecins Sans Frontières France (MSF-F) gère, dans le camp de Mornei (Ouest Darfour) un dispensaire et un centre de nutrition thérapeutique. À El-Geneina, elle réhabilite le bloc chirurgical de l'hôpital et apporte une assistance médicale et nutritionnelle. À Nyala, elle distribue des biens alimentaires et non-alimentaires.
  • Médecins du Monde France (MDM) met en œuvre un programme d'action médicale et nutritionnelle dans le camp de déplacés de Kalma.
  • Action Contre la Faim (ACF) dispose de 5 centres de nutrition et de soins à Kabkabiya et dans le camp d'Abou Chok (Nord Darfour). Au Sud Darfour (Nyala, Kass et dans le camp de Kalma), elle gère des centres de nutrition et de soins ainsi qu'un programme de sécurité alimentaire (distribution de semences et d'outils), et fore des puits.
  • Triangle Génération Humanitaire (TGH) se charge de l'approvisionnement en eau du camp de Riyad (Al-Geneina, Ouest Darfour) et gère à Bindisi un programme de réhabilitation des structures sanitaires du camp, de distribution de bâches, et de sécurité alimentaire (semences).
  • Enfants du Monde-Droits de l'Homme (EM-DH) anime, dans le camp d'Abou Chok (Nord Darfour), un programme de formation d'enseignants et de travailleurs sociaux et des activités d'éveil ou psycho-sociales pour les enfants de 4 à 16 ans.
  • Solidarités conduit un programme de forage et de réhabilitation de pompes à eau et de puits dans le Sud Darfour, et distribue des produits de première nécessité dans deux zones distinctes, l'une à Niertiti, sous contrôle gouvernemental, l'autre à Muhajaria, en zone rebelle (MLS) .
  • Aide Médicale Internationale (AMI) met en œuvre un programme d'amélioration de l'accès aux soins des populations résidentes et déplacées de certaines zones rurales du Sud Darfour (soins et prévention des maladies épidémiques).
  • Le Comité d'aide médicale (CAM) mène un projet dans l'Ouest Darfour comportant deux volets : eau et santé (construction et réhabilitation de puits et de dispensaires ruraux et création d'une clinique mobile).
  • Acted réhabilite des routes et construit des ponts dans l'Ouest Darfour.


Source : Ministère des Affaires étrangères - Crises et conflits, le Darfour : www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/crises-conflits_1050/darfour_1091/france-darfour_4193/ong-francaises_20760.html

Le rôle et l'importance des villes petites et moyennes ont également été redistribués par la situation d'insécurité qui prévaut dans la région depuis une quinzaine d'années. Certaines d'entre elles sont des garnisons et ont dû accueillir des populations fuyant la famine ou les combats, tandis que d'autres, trop exposées, ont été vidées de leur population civile. Des concentrations de populations déplacées, à l'écart des villes, devraient donner naissance à des centres urbains durables.

Les villes qui ont été vidées de leur population civile sont celles qui ont été directement touchées par les combats. C'est le cas des villes-frontières du Tchad, naguère actifs centres commerçants, comme Tiné ou Kolbous (40 000 habitants hier, guère plus de 4 000 aujourd'hui). Dans ces villes, occupées épisodiquement par les forces tchadiennes au cours des deux dernières années, ne subsistent guère qu'une population fantôme et une garnison militaire. Désertées, leur population s'est dispersée dans les campagnes alentour ou a traversé la frontière pour se réfugier au Tchad, elles sont ignorées par les organisations humanitaires. Dépourvues de ressources, à l'écart des grands axes, on peut se demander quel avenir leur sera réservé.

Une reconfiguration du réseau urbain est à attendre de l'enracinement des grands camps de déplacés à l'écart des centres urbains. Un embryon de vie urbaine est en train de naître dans des camps comme Mornay (80 000 habitants), Kerenik, surgis au pied d'une montagne ou autour de simples villages. Ces vastes agglomérations temporaires ont été dotées, dans certains cas, de réseaux modernes d'adduction d'eau pure à partir de forages dans les wadis proches, d'hôpitaux de qualité gérés par les ONG. Celles-ci assurent en outre, par leur simple présence, un semblant de sécurité face aux forces armées, à la police et aux janjawids qui rôdent à proximité et tentent de s'infiltrer la nuit. La population y survit dans un premier temps de l'aide alimentaire, des biens qu'elle a pu sauver et de la collecte de bois de feu et d'herbes de vannerie par les femmes. Il en résulte une vaste auréole de désertification, de 10 km de rayon environ autour de Mornay.

Cette description de l'évolution des centres urbains du Darfour, sous l'effet de la dégradation du milieu et de la sécurité, montre combien les conditions de vie et les activités de la population sont durablement bouleversées.

Ethnicité et tribalisme, des notions bouleversées par la guerre [12]

Le Darfour est une mosaïque de groupes ethniques qui constituent rarement, comme c'est le cas pour les Four, un bloc compact. En outre ces groupes ne sont pas étrangers les uns aux autres. Par exemple, les Rizeigat sont une confédération de groupes nomades arabisés qui reconnaissent un ancêtre commun, mais qui peuvent avoir des relations conflictuelles entre eux, lorsque les besoins des troupeaux en pâturage et en eau sont en jeu. Souvent, en vertu des relations étroites qui s'établissent entre les économies concurrentes, mais aussi complémentaires, des groupes nomades et sédentaires, on peut distinguer des binômes de groupes nomades/sédentaires, fondés sur des relations privilégiées qui peuvent être tantôt pacifiques, tantôt hostiles : c'est le cas des paysans Berti et des Arabes Zeyadeya [13].

Cela indique que la carte ethnique du Darfour a considérablement évolué dans le temps, et que les événements qui se déroulent sous nos yeux ne sont que la poursuite, avec une ampleur inconnue jusqu'ici, et selon un mécanisme planifié, de mouvements tantôt forcés, tantôt volontaires, de déplacements et de mutations des modes de vie et des rattachements.

Les destructions de villages et les dommages attestés

Légende

*IDP : Internally displaced persons (personnes déplacées de l'intérieur

Note : les toponymes des documents ne sont que partiellement francisés.

Village détruit près de Shataya (Sud Darfour, à 80 km à l'ouest de Nyala)

Les 23 villages Four de l'unité administrative de Shataya ont été entièrement vidés de leur population, pillés et brûlés. Parallèlement, des villages "arabes" proches sont restés indemnes, peuplés et en activité. Il arrive que la distance entre un village détruit et un village "arabe" soit de moins de 500 mètres.


Sources :

Ainsi les Zaghawa, grands nomades chameliers à l'origine, dont le dar [14] est à cheval sur le Nord Darfour et le Tchad voisin, sont aujourd'hui dispersés en groupes installés sur les flancs orientaux et méridionaux du jebel Marra. Après avoir perdu leurs troupeaux lors de la sécheresse de 1984-1985, beaucoup se sont lancés dans le petit commerce itinérant où ils ont fort bien réussi, en évinçant les commerçants jallaba, de village en village et de campement en campement, et, de là, en s'emparant des souks de tout le Soudan central, jusqu'à Omdourman. Ils y règnent sur le fameux souk Libya, vaste caravansérail aux portes du désert, alimenté par les marchandises introduites en contrebande depuis la Libye. Leurs réseaux d'approvisionnement, à partir de la Libye et du golfe du Bénin, ont ainsi détrôné les réseaux des jallaba qui émanaient d'Égypte depuis le XIXe siècle.

Ce déplacement des axes d'approvisionnement au cours des années 1980 et 1990 ne sont pas dûs seulement aux qualités respectives des groupes en concurrence. Ils s'expliquent aussi par des considérations géopolitiques. L'ascension des Zaghawa n'a pu qu'être confortée par l'accession, en 1991, de l'un des leurs, Idriss Déby, au pouvoir à N'Djamena, avec le soutien du gouvernement islamiste de Khartoum. Les Zaghawa soudanais ne sont d'ailleurs pas restés étrangers à cette épopée, de nombreux agents s'installant dans la capitale tchadienne pour y fournir la garde rapprochée et les services de sécurité du nouveau président.

Capacité financière et poids politique ont donc poussé les Zaghawa à saisir l'occasion des négociations de paix entre le gouvernement de Khartoum et le mouvement rebelle du Sud Soudan (SPLA), engagées au Kenya en juillet 2002, pour se faire entendre. Naguère proches, par le mode de vie et les valeurs qui y sont liées, de leurs voisins nomades chameliers Rizeigat ou Kababich, les Zaghawa se sont ainsi rapprochés des deux autres grands peuples de la région, les Four et les Masalit, comme eux de souche non-arabe, qui nourrissent des griefs similaires à l'égard du pouvoir central accusé de favoriser les intérêts des groupes nomades d'origine arabe.

Les Four, eux aussi sous l'influence de leurs intellectuels et de leurs leaders politiques, ont pris conscience de leur force et de leurs droits dans un cadre soudanais rénové. Depuis les années 1980, les paysans four s'étaient lancés dans la diversification et l'intensification de leurs productions agricoles (cultures de wadis, production d'agrumes à destination des marchés urbains du Soudan central, culture et manufacture du tabac), en dépit de l'absence d'intérêt du gouvernement central et de l'inefficacité des programmes de développement impulsés par l'Union européenne.

Ces efforts de développement ont été minés par la volonté gouvernementale de donner la haute main sur la région aux groupes nomades arabisés. Premières victimes des attaques des tribus nomades, les jeunes four furent parmi les premiers villageois à gagner le maquis, bénéficiant de l'avantage de l'homogénéité de leur peuplement et de leur connaissance du terrain accidenté des contreforts du jebel Marra. Ils bénéficièrent également, à la différence des Zaghawa, de l'existence d'une communauté importante de cadres et d'intellectuels disséminés à Khartoum, dans l'ensemble du Soudan et à l'étranger.

La révolte des Masalit et leur participation à la rébellion armée du SLA [11] ont également pour origine les nombreux conflits des années 1980 et 1990 lorsque leurs villages ont été pillés et dévastés par leurs voisins arabes, avec le soutien tacite des autorités. L'histoire des années 1990 est celle d'une longue série de massacres et de conflits pour le bétail et les terres entre les Masalit et les tribus arabes qui se sont installées dans leur dar, comme les Beni Hussein ou différentes sections des Rizeigat.

Il s'agit d'une recomposition profonde des clivages et des modes d'articulation de la société du Darfour. Ces trois peuples non-arabes, socle de l'insurrection contre le pouvoir central, ne sont que des exemples. Mais les autres peuples non-arabes, dans leur grande majorité, se sont vus imposer le même choix par la politique de Khartoum. Les Berti, agriculteurs installés sur les plateaux qui portent leur nom, au nord, les Birgid, qui occupent la steppe de l'est, ou les Daju, sont tous engagés dans cette lutte pour la survie en tant que peuples [15].

 

Conclusion

L'ethnogénèse et le fonctionnement du système ethnique de la région sont éminemment complexes et ne peuvent être réduits à une opposition entre Arabes et non-Arabes (a fortiori Arabes et Africains) ou entre nomades et sédentaires. À partir des apports encore à venir par les linguistes (qui se sont surtout intéressés à ce jour aux relations entre certaines langues du Darfour et de la Nubie nilotique), des historiens qui peuvent s'appuyer sur l'archéologie, sur les traditions orales et sur quelques écrits qui restent à exploiter, et des anthropologues, les géographes ont un rôle à jouer pour expliquer les conflits en cours, car il s'agit, tant à l'échelle locale et régionale, de conflits ayant pour objet l'appropriation et le contrôle de territoires en vue du développement économique et social et de l'obtention d'une place reconnue au sein d'un ensemble plus vaste qui est celui du Soudan dans son ensemble, et de la configuration que pourrait prendre ce pays, en termes politiques, sociaux et culturels [16].

Notes

[1] a) Abder Rahman El Rasheed, Fatima (1988), Marchands, marchés et commerce à longue distance dans la province du Nord-Darfur : une étude des stratégies de commercialisation (Soudan), doctorat de sociologie, Lille.
b) Browne, William George (2002), Nouveau voyage dans la Haute et la Basse Égypte, la Syrie et le Darfour, édition originale Londres 1799, trad. française J. Castéra, Paris, 1800, réédition in Folio, collection Itinera.

[2] Les Four sont peuple africain, islamisé de longue date. Traditionnellement, ils sont pour l'essentiel des cultivateurs s'adonnant également à l'élevage. Ils occupent une place pivot sur les versants du jebel Marra et par rapport aux peuples qui les entourent. La suprématie historique du sultanat four a reposé sur sa capacité à exploiter à son profit les positions périphériques des autres peuples, en un jeu de balancier mobilisant les peuples du nord (Zaghawa, Berti, pasteurs ou agriculteurs de souche africaine), contre ceux du sud, où dominent les peuples nomades arabisés Baggara, comme les Taaisha, Rizeigat, etc.

[3] Marc Lavergne :
- 1988 : Villes et régions au Soudan ou les difficultés de l'intégration nationale, Cahiers d'URBAMA n°1, pages 25-44 ;
- 1987 : Exode rural et croissance urbaine au Soudan, Bulletin du CEDEJ, n°22, 1987-2, pages 123-138 ;

[4] Wadis : cours d'eau intermittents, qui ne sont alimentés que durant la saison des pluies, l'eau s'infiltrant dans les sédiments accumulés dans leur lit.

[5] Les commerçants jallaba sont des arabes issus des communautés nubiennes du Nord (Dongola, Wadi Halfa), connectés avec l'Égypte, et disséminés à travers l'ensemble du pays.

[6] On pourra consulter, en complément, l'article de Luc Cambrézy consacré aux camps de régugiés du Kenya

[7] FDP : Forces de défense populaire, formation paramilitaire gouvernementale destinée à incorporer certaines milices telles que les Janjawid.

[8] Janjawids : miliciens soudanais à la solde de l'armée soudanaise, issus des ethnies arabes qui ont engagé, à partir de 2001, un "nettoyage ethnique" du Darfour avec l'appui des forces armées de Khartoum. Le tristement célèbre Mousa Hilal, repris de justice et criminel de guerre, a été intronisé chef des milices par le gouvernement soudanais.

[9] PAM : Programme alimentaire mondial ou World Food Program (WFP)

[10] Ces trafics ne sont pourtant pas très nocifs et permettent de répondre à des besoins que les humanitaires sont incapables d'évaluer avec précision, comme par exemple de revendre des rations de farine pour acheter un peu d'huile ou de sauce tomate. Mais ils préoccupent beaucoup les humanitaires, qui ne sont pourtant pas avares de gaspillages autrement plus conséquents.

[11] Sudan Liberation Army (SLA) : Armée de libération du Soudan, ex- Front de libération du Darfour (FLD)

[12] Sur les notions d'ethnie et de tribu, voir la mise au point de Maurice Godelier, in "Tribus et pouvoirs en terre d'Islam", H.Dawood dir., Armand Colin, 2004.

[13] Informations recueillies lors d'une conférence donnée par Jérôme Tubiana, le 6 décembre 2004. cf. Tubiana, Jérôme (2005), Le Darfour, un conflit identitaire ? Eléments de compréhension ethnologique, rapport de mission au Darfour, Action Contre la Faim, 45 pages, dactylographié.

[14] Le dar (pl. diyar), est un territoire affecté officiellement à un groupe ethnique ou tribal dont il porte le nom, ce qui lui attribue, non pas l'exclusivité du peuplement ou de l'usage des ressources, mais un pouvoir administratif et un pouvoir d'organisation et de gestion. Les autorités tribales, représentées par la pyramide des cheikhs de village, des nazirs et des sultans, n'ont certes plus de pouvoirs officiels, mais elles continuent d'exercer une influence officieuse et reconnue par les autorités au sein de ces espaces.
[] FLD : Front de libération du Darfour, mouvement de résistance à l'armée soudanaise et aux milices janjawids dirigé par un avocat, Mohamed Nour.

[15] La diversité ethnique du Darfour n'a jusqu'ici que peu attiré l'attention des historiens et des ethnologues. Ce qui laisse cours aujourd'hui à des analyses médiatiques de type essentialiste, pourtant battues en brèche par les courants contemporains de l'anthropologie et de l'histoire africaine, qui mettent en avant l'importance primordiale des liens tissés entre les communautés et la grande fluidité de ceux-ci, en fonction des conditions historiques et au gré des circonstances.

[16] Le bilan, approximatif et provisoire, du conflit du Darfour depuis le début de la guerre civile, en 2005, est le suivant : 70 000 personnes tuées ; 1,65 million déplacées ; 200 000 réfugiées au Tchad.


Des ressources

Experts, universitaires, chercheurs

 

L'humanitaire (institutionnel et ONG)
Autre, divers géopolitique

 

Marc Lavergne,
Groupe de recherche et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, Université Lyon 2,

Adaptation et compléments : Sylviane Tabarly.

Pour Géoconfluences le 16 janvier 2006


 

Pour citer cet article :

Marc Lavergne, « Darfour : conséquences ethniques et territoriales d'une guerre civile en Afrique », Géoconfluences, janvier 2006. 
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahScient4.htm

 

Pour citer cet article :  

Marc Lavergne, « Darfour : conséquences ethniques et territoriales d'une guerre civile en Afrique », Géoconfluences, janvier 2006.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Afsubsah/AfsubsahScient4.htm