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Le développement durable, approches géographiques

L'aquaculture marine et ses dynamiques. L'exemple de la salmoniculture Norvège, Chili : caractéristiques de deux modèles

Publié le 10/02/2012
Auteur(s) : Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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La salmoniculture dans un contexte général de production aquacole mondiale en expansion 

L'aquaculture, d'eau douce ou marine (poissons, crustacés, mollusques, à l'exclusion des plantes aquatiques), est le secteur de production d'aliments d'origine animale le plus dynamique dans le monde. Les disponibilités de produits aquacoles sont passées de 0,7 kg/hab en 1970 à 7,8 kg/hab en 2008, soit une croissance de 6,6% par an ; et de 8,3% par an sur la période 1970-2008 alors que la croissance démographique mondiale s'établissait en moyenne à 1,6% par an. L'ensemble des pêches de capture et l'aquaculture ont produit en 2008 environ 142 millions de tonnes (t) de poissons, l'aquaculture assurant 46% de ce total (FAO 2010). Les conditions de production sont très contrastées dans le monde : par exemple, en Norvège, les aquaculteurs produisent en moyenne 172 t par personne, contre 72 t pour le Chili.

Au sein de cette production aquacole mondiale, celle des salmonidés était, en 2008, d'environ 2 250 000 t dont 1 456 700 t de saumon atlantique (Salmo salar), le reste étant représenté par le saumon coho (Oncorhynchus kisutch) et la truite arc-en-ciel (Onchorhynchus mykiss), productions marines ou d'eau douce confondues. Les principaux marchés pour le saumon atlantique d'élevage sont le Japon, l'Union Européenne, et l'Amérique du nord où il est consommé soit en frais (entier, steak, filets), soit fumé, essentiellement sur le marché européen.

L'envolée de l'élevage du saumon atlantique (Salmo salar) et les pays producteurs

 

Le saumon est une des espèces fer de lance de l'aquaculture mondiale et la production mondiale actuelle du saumon atlantique (Salmo salar) d'élevage excède 1 400 000 t (document ci-contre).

Le saumon atlantique croît mieux dans des sites où la température de l'eau reste dans les limites de 6 et 15°C. Les localisations susceptibles de convenir à son élevage sont relativement restreintes : les 2/3 du saumon d'élevage est produit en Norvège et au Chili qui, avec le Royaume-Uni et le Canada, assurent 93,7% de sa production mondiale (données FAO, document ci-dessus).

Les sites convenables de l'Atlantique Nord (Norvège, Écosse, pionniers de la salmoniculture, etc.), sont désormais plus limités. C'est donc dans le Pacifique du sud-est, au Chili, qui dispose de main d'œuvre et de matières premières (aliments et matériel des installations) à plus faibles coûts, que la production s'est rapidement développée au début du XXIe siècle.

La production traditionnelle du saumon atlantique dure environ 36 mois et comprend trois stades (document ci-dessous) :

  • le premier consiste à produire des œufs et à faire éclore les alevins en écloserie (hatchery), puis à élever les saumoneaux (ou smolts) en eau douce dans un bassin couvoir pendant 8 à 16 mois jusqu'à ce qu'ils pèsent de 40 à 120 g et puissent alors s'adapter à l'eau de mer ;
  • le deuxième stade est l'élevage en mer du saumon jusqu'à son poids commercial de plus de 2 kg ; la durée de cette phase de l'élevage dure de 12 à 18 mois, elle dépend de la température de l'eau (6 à 15°C), du régime alimentaire adopté et du poids recherché ;
  • le troisième stade (transformation primaire) consiste à collecter et à préparer le saumon pour l'abattre, à le vider et le conditionner en vue de son transport et de sa commercialisation. Certains poissons sont fumés, coupés en filets ou transformés en produits "prêts à être consommés", mais la plupart sont vendus en tant que saumons entiers nettoyés.

Au cours des dix dernières années, près de 40% (en équivalent poids vif) de la production totale annuelle de poisson, pêche de capture et aquaculture confondues, ont fait l'objet d'échanges commerciaux internationaux. Ce qui suppose un développement rapide des aménagements nécessaires, la multiplication des installations, à terre et en mer, le développement logistique et spatial des filières de production et des modifications environnementales conséquentes.

Les étapes et les filières de la production aquacole du saumon (Salmo salar)

Source : Programme d'Information sur les espèces aquatiques cultivées, Salmo salar, FAO www.fao.org/fishery/culturedspecies/Salmo_salar/fr

Source : Salmoniculture marine : la collecte, une étape clé, Ifremer, http://archimer.ifremer.fr/search.jsp?record=0

L'essentiel de l'aliment nécessaire à l'élevage du saumon est produit par trois ou quatre grandes sociétés. La farine et l'huile de poissons, proviennent en grande partie des grandes pêcheries de l'Amérique du Sud (Pérou, Chili, voir infra). Elles sont encore à la base des régimes alimentaires du saumon, même si des évolutions sont en cours (FAO et documents infra).

Le grossissement en mer a lieu, en général, dans des cages suspendues par des systèmes de flotteurs ancrés au fond marin, qui peuvent être carrées ou circulaires, de différents systèmes et tailles (ordre de grandeur : 10 à 50 m de diamètre ou de côté, 15 à 20 m de profondeur), le plus souvent regroupées sur un même site en mer. Certains élevages utilisent de vastes cuves à terre avec pompage d'eau de mer. Les transferts (les smolts depuis le couvoir jusqu'aux centres de développement ou les saumons adultes vivants jusqu'aux lieux d'abattage) sont normalement réalisés à l'aide de bacs spécialement conçus et transportés par voie terrestre, ou en hélicoptère, ou par mer dans des bateaux-viviers spécialisés, les wellboats. Ces derniers sont équipés d'un système de circulation d'eau de mer et utilisés pour transférer les poissons aux différents stades de leur production.

Le saumon est une 'commodity' qui s'échange à l'échelle mondiale. La salmoniculture génère aussi des flux internationaux de marchandises relatifs à ses intrants, alimentation, matières premières et matériels nécessaires. La variabilité des cours du saumon peut être observée sur la courbe ci-contre. Sur une tendance nettement haussière de 2002 à 2012, les crises sanitaires des années 2007 à 2009 au Chili principalement (cf. infra), ont provoqué de brutales chutes des cours qui s'expliquent en large partie par la défiance des consommateurs. Les envolées des cours s'expliquent aussi par les conséquences différées de crises qui conduisent au retrait, plus ou moins prolongé, des moyens de production et des marchandises.

La demande des pays consommateurs traditionnels de saumon et l'émergence de nouveaux marchés devraient entretenir la tendance mais des périodes de surproduction ne sont pas à exclure comme on le voit en 2011 dans un contexte de restauration des capacités de la production chilienne et de mise en œuvre de nouveaux sites de production.

La variabilité des cours du saumon

Sources :

L'aquaculture marine du saumon en Norvège et au Chili : caractéristiques

On a pu opposer les modèles de la salmoniculture norvégienne et chilienne : la première, bien gérée et respectueuse de l'environnement, soucieuse de produire un saumon de qualité répondant aux sensibilités des grands marchés de consommation des pays développés ; l'autre davantage "prédatrice", consommant espace littoral et intrants phytosanitaires sans trop se soucier des conséquences sociétales et environnementales, dans un contexte de gouvernance insuffisante.

En fait, les deux modèles sont liés. À l'origine, les grands producteurs de saumon de l'hémisphère nord, notamment norvégiens, se sont trouvés confrontés à une diminution des sites disponibles pour se développer davantage. Le Chili est alors apparu comme le territoire d'expansion idéal par ses conditions spatiales (linéaire côtier, fjords abrités, bonnes conditions climatiques et hydrologiques) et socio-économiques (faibles coûts, notamment de main d'œuvre et de matières premières, réglementation "bienveillante"). Les deux économies de la salmoniculture sont donc fortement connectées par les grands groupes qui y opérent et par les accords de coopération technique et scientifique entre les deux gouvernements. Nous proposons ici un aperçu de la situation dans les deux pays.

On dénombre en Norvège environ 1 200 concessions pour des fermes aquacoles employant directement 5 000 personnes. En 2008, elles ont produit 840 000 tonnes de poissons (85% de saumons et 9% de truites arc-en-ciel), dont 95% ont été exportés. (Le Monde, 2009). Le développement de la salmoniculture norvégienne s'inscrit dans une stratégie mondiale, ce modèle aquacole s'appuie sur le contrôle des principales pêcheries minotières situées dans l'Atlantique Nord et le Pacifique du Sud-Est (Chili et Pérou) et sur de puissants groupes spécialisés tels que Cermaq, Marine Harvest ou Aqua Gen.

Les concessions pour l'élevage des salmonidés destinés à la consommation doivent être délivrées par le Directorat des Pêcheries et doivent prendre en compte les points suivants : l'activité doit promouvoir un développement bénéfique dans la région et l'industrie ; les intérêts des propriétaires sont, dans la mesure du possible, gérés par des personnes en relation avec la communauté locale ; le personnel intervenant dans les opérations d'élevage doit posséder les qualifications professionnelles nécessaires.

D'après la réglementation relative au fonctionnement des structures aquacoles (2004), des études de prospections des conditions du fond marin du site aquacole doivent être réalisées de manière régulière et selon le standard norvégien "NS 9410". Une licence valable pour une ferme aquacole ne peut pas être accordée si l'élevage présente un risque de diffusion de pollution ou de maladie de poissons, crustacés, mollusques ou échinodermes, ou alors si le site aquacole est nettement inapproprié à l'environnement voisin. Pour les installations aquacoles en mer il est prescrit que le site soit vidé et laissé au repos au moins deux mois après chaque cycle de production. En plus, l'opérateur est amené à maintenir un registre avec toutes les informations concernant : le stock, l'alimentation, l'évasion, l'état de santé des poissons et l'utilisation des produits chimiques/médicaments vétérinaires. Le détenteur de licence est aussi amené à avoir un plan d'urgence pour limiter les évasions et re-capturer les poissons échappés.

Source principale : FAO, www.fao.org/fishery/legalframework/nalo_norway/fr

Des exemples d'installations dans le Nordland norvégien (nord de Bodø)

Source des images ci-dessous : Norgeskart (institut géographique norvégien), http://kart.statkart.no > cocher Norge i bilder

Straumen (commune de Sørfold)

67 21'21.40"N / 15 35'4.70"E

Source : Norgeskart

Vue au sol

Cliché : S. Tabarly, juillet 2010

Les installations de Sisomar AS à Straumenwww.sisomar.no

Hellfjorden, Lågøya 

68 40'3.90"N / 14 48'3.37"E

Source : Norgeskart

Vue en mer 

Cliché : S. Tabarly, juillet 2010 

Au débouché de l'Hellfjorden, la ferme aquacole et le bateau délivrant la nourriture. 

L'aquaculture commerciale chilienne a réellement démarré au cours des années 1980, pendant la période transitoire de la fin du régime d'Augusto Pinochet. Soutenue par la politique économique nationale qui encourageait l'activité privée et l'ouverture au commerce international, elle donnait des débouchés locaux aux stocks d'espèces endémiques (harengs, anchois, etc.) surexploités et excédentaires, issus de la pêche minotière et utilisés comme matière première alimentaire.

Les activités aquacoles au Chili vont de la simple exploitation relevant d'une économie de subsistance aux entreprises visant une production industrielle, mais la plus grande part de la production est obtenue par l'élevage intensif de saumon dans des zones maritimes abritées et dans des environnements d'eau douce. La croissance de la production phare, celle du saumon atlantique, a été rapide au cours des dernières décennies, les exportations se répartissant ainsi, en volume : 50% vers le Japon, 14% vers les Etats-Unis, 14% vers l'Amérique latine et 2% vers l'Union européenne.

Au début des années 2010, un centre de production pouvait compter jusqu'à trois alignements de dix cages flottantes selon la superficie de la zone louée. Les différentes activités impliquant la culture de ressources aquatiques sont principalement réalisées dans des environnements marins loués dont l'État est propriétaire. Ces "concessions" doivent être autorisées par le sous-secrétariat de la Marine, par le sous-secrétariat des Pêches ou par le Service national de la pêche. Le type de permis exigé dépend du lieu où l'activité sera menée et des caractéristiques de l'eau utilisée.

La densité des installations aquacoles dans la Xe région (Los Lagos, secteur de Puerto Montt)

Autour de l'île Chidhuapi, à une quarantaine de km au sud de Puerto Montt (archipel de Calbuco), les cages des fermes à saumon côtoient la mytiliculture (mytilus, choritos).

 Le pointeur .kmz sur l'image Google Earth ou Map. Ses coordonnées :

41°49'34.18"S / 73° 6'3.49"O

À partir de l'image de Google Earth activer la fonction "Panoramio" pour accéder à des photographies de ces lieux.

Voir aussi (nouvel onglet) : La Patagonie chilienne, du front pionnier à l'ouverture internationale

Enjeux de gestion territoriale dans la région d'Aysén

L'activité est réglementée par la Loi générale des pêches et de l'aquaculture (LGPA, n° 18892) de 1989 et par ses modifications successives. La loi identifie trois types de concessions et d'autorisations pour mener une activité aquacole: la plage (playa) ; zones côtières (terrenos de playa); les parcelles de colonne d'eau et de fond de mer (fondo de porción de agua y fondo, y de rocas). En 2001, les Règles et règlementations pour l'aquaculture (RAMA) ont établi des exigences spécifiques en matière de développement environnemental. Des questions sanitaires ont été à leur tour incorporées dans les Règles et réglementations sanitaires pour l'aquaculture (RESA) promulguées début 2002. L'activité aquacole est sujette également à une évaluation de son impact environnemental (Sistema de Evaluación De Impacto Ambiental / EIE) selon la Loi Générale sur l'Environnement (Ley sobre Bases Generales del Medio Ambiente) de 1994.

Source principale : FAO, www.fao.org/fishery/legalframework/nalo_chile/fr

Après environ deux décennies d'expansion très rapide et de conquête des marchés mondiaux, la production de saumon atlantique chilienne a connu un brutal coup d'arrêt en 2007-2008 : une propagation massive d'ectoparasites, les "pous de mer" ("sea lice" en anglais, Lepeophtheirus salmonis ou Caligus elongatus) tout d'abord puis une affection virale, l'anémie infectieuse du saumon (dont l'agent pathogène est l'ISAV pour Infectious Salmon Anemia Virus) a contaminé presque la moitié de la production de saumon atlantique chilienne. Les responsabilités norvégiennes dans l'arrivée du virus au Chili sont en débat (New York Times, 27 juillet 2011), dans un contexte d'ambitions mondiales sur le marché de la salmoniculture pour les grands groupes norvégiens tels que Cermaq ou Marine Harvest. La production avait alors considérablement chuté (cf. graphique supra) et de gros acheteurs, comme le groupe américain Safeway, ont réduit leurs importations en provenance du Chili. Environ 26 000 emplois auraient alors disparu, la plupart tenus par des femmes embauchées dans les ateliers de transformation locaux travaillant pour l'exportation.

La Sernapesca : une veille des risques sanitaires de l'aquaculture

Service national de la pêche (Servicio Nacional de Pesca, Sernapesca) au Chili, www.sernapesca.cl 
Une veille renforcée des risques sanitaires dans les élevages aquacoles, exemple du contrôle du virus ISA le 5 janvier 2012.

Le secteur de la salmoniculture au Chili s'est remis avec difficulté de la catastrophe sanitaire de 2007-2008, en intensifiant les efforts de recherche et de meilleure gouvernance pour corriger les dérives environnementales de la filière. L'État a adopté différentes mesures et de nouvelles normes et réglementations par l'intermédiaire du Service national de la pêche. La chute de la production de saumon atlantique a été partiellement compensée par les productions de saumon coho ou de truite. On peut considérer actuellement, en 2012, que l'anémie infectieuse ISA est à peu près sous contrôle et que la filière agro-industrielle se reconstruit. Avant cette crise on dénombrait environ 2 400 fermes aquacoles qui, d'après Salmón Chile, le syndicat professionnel de l'industrie du saumon, généraient environ 24 800 emplois directs et 9 800 emplois indirects.

La salmoniculture chilienne : points de vue et témoignages en vidéos

Pour visionner les vidéos :

http://wn.com/Cermaq
Voir aussi : Salmonopoly, fiebre de salmón (espagnol, Anaconda International Film, 2010),
http://es.arcoiris.tv/...=salmonopoly...

La Norvège, comme le Chili, ont connu de véritables envolées de leurs productions de saumon, avec un décalage dans le temps d'une dizaine d'années, la relative saturation des sites norvégiens ayant conduit les grands groupes spécialistes du secteur à rechercher de nouvelles eaux d'accueil. Dans les deux pays le front de la salmoniculture tend à se déplacer encore plus loin vers les hautes latitudes : Nordland et au-delà pour la Norvège, XIe et XIIe régions pour le Chili. La défiance des consommateurs depuis les crises sanitaires qui ont, avant tout, frappé la salmoniculture chilienne ont obligé les grands acteurs de la filière (souvent des groupes qui opèrent sur les deux territoires) mais aussi les autorités publiques, à s'adapter et à faire évoluer leurs systèmes de gestion et de gouvernance.

 

Les contraintes et les impacts de la salmoniculture : quelle évolutions, quelles réponses ?

L'élevage du saumon atlantique est controversé et son effet sur l'environnement mis en accusation par de nombreuses organisations. Les fermes d'élevage et leurs filières sont accusées : de polluer les systèmes aquatiques par les effluents, déjections et déchets alimentaires, par l'emploi de traitements phytosanitaires et chimiques variés (antibiotiques, pigments pour colorer la chair des saumons comme le souhaitent les consommateurs, produits d'entretien des cages, etc.) ou par les matériaux employés ; de perturber les équilibres écologiques naturels par la contamination des espèces sauvages (virus, parasites) et par les perturbations occasionnées à la pêche de capture du saumon sauvage du fait de la présence de spécimens échappés des élevages ; de nécessiter des intrants alimentaires qui encouragent des prélèvements excessifs sur d'autres ressources halieutiques (cf. infra) ; de présenter des conditions d'élevage contraires au bien-être des animaux.

Source : Blancheton et al., Inra / Ifremer, 
www.inra.fr/dpenv/pdf/blanchd26.pdf

Prenons ainsi l'exemple norvégien : selon les calculs de l'ex-Agence norvégienne de contrôle de la pollution (SFT, aujourd'hui Climate and Pollution Agency), les rejets d'une ferme piscicole de moyenne importance, produisant 3 120 t de saumons, équivalent à ceux d'une ville de 50 000 habitants. L'Agence avait indiqué, en mars 2008, que les rejets de nitrates et de phosphates des fermes piscicoles en Norvège avaient respectivement augmenté de 20% et 55% depuis 2000, la pisciculture s'étant développée en moyenne de 10% par an. Ces fermes représentent désormais les 3/4 des rejets de phosphates et la moitié de ceux de nitrates alors que les rejets issus de l'agriculture et de la population ont diminué et ceux de l'industrie sont stables.

La salmoniculture : quels intrants alimentaires ? De l'envolée de la production aquacole à l'effondrement des stocks halieutiques de la pêche minotière

Quelle quantité de poissons issus de la pêche minotière (dont les captures sont transformées en farine ou granulés, en huile et autres sous-produits) faut-il pour produire un kilo de saumon d'élevage ? Un indice l'évalue : le FI/FO (ou "fifo"), acronyme de fish in / fish out. Selon les estimations, il varierait de 5 kilos, pour les associations hostiles à la salmoniculture, à moins de 1,7 pour l'Organisation internationale des producteurs de farine et huile de poissons. L'Inra a calculé un indice fifo qui serait de l'ordre de 3 : 3 kg de poisson pour produire 1 kg de saumon.

- Fish In - Fish Out (FIFO), Ratios explained,www.iffo.net/downloads/100.pdf

Mais il faut aussi tenir compte de la diversification croissante de l'alimentation des saumons (voir infra). On calcule alors également le ratio de conversion d'aliment ou Feed conversion ratio (FCR) qui mesure, pour une espèce donnée, le rapport entre l'alimentation totale (toutes origines confondues) distribuée et la croissance de biomasse obtenue. Pour le saumon le FCR serait aux alentours de 1,3 (PNAS, 2009).

Concrètement, les saumons d'élevage sont nourris d'huiles et de farines de poisson venant, par exemple, de la pêche minotière du Pacifique (Pérou et Chili). Il peut aussi s'agir d'huiles végétales riches en oméga 3 comme l'huile de colza, surtout utilisée au cours des six premiers mois après la mise en mer. La composition des rations varie selon l'âge du poisson : les saumons plus âgés, transférés en eaux marines et dont les besoins énergétiques sont plus importants reçoivent une alimentation dont la teneur en graisses varie de 30% à 40%.

Différents médias ont évoqué les bilans sur les ressources halieutiques dans le Pacifique sud établis par la  South Pacific Regional Fisheries Management Organisation. (SPRFMO). Certains journalistes ont par ailleurs enquêté. Leurs constats sont alarmants et convergent pour constater l'effondrement des stocks de nombreuses espèces (chinchard, anchois, maquereaux, etc.) et avant tout celles de la pêche minotière destinée, entre autre, à la filière salmonicole. Ainsi, depuis 2006, les stocks de chinchard auraient décliné de près des 2/3 et la nécessité d'imposer des quotas se heurterait aux puissants lobbies de quelques grands groupes mais aussi aux réalités sociales de communautés de pêcheurs n'ayant pas d'autres ressources. Quels sont les mécanismes en œuvre pour expliquer cette surexploitation ? Une sélection de ressources.

  • Pacifique sud : La ruée sur un poisson menace tous les autres, Le Monde, 29 janvier 2012,
www.lemonde.fr/.../pacifique-sud-la-ruee/.../.html
  • Au Chili, vingt ans de massacre et des quotas toujours élevés, Le Monde, 29 janvier 2012,
www.lemonde.fr/.../au-chili-vingt-ans-de-massacre/.../#ens_id=1636058

Les solutions d'adaptation pour remédier aux plus graves dérives de cet élevage sont diverses, certaines déjà éprouvées, d'autres en devenir. La densité des poissons dans les cages peut être diminuée pour améliorer leur condition sanitaire sans recourir à des traitements excessifs. Les installations, souvent situées dans des baies, des rias et fjords très fermés où l'eau se renouvelle peu, peuvent être déplacées vers la mer ouverte, vers des sites mieux brassés, en eaux plus profondes, pour réduire les impacts environnementaux en diluant davantage les rejets, les effluents. Les installations peuvent alors être de plus grandes dimensions, le diamètre des cages pourrait atteindre 150 m selon les expérimentations réalisées au Canada et en Norvège (floating closed containment systems).

Toujours dans la perspective de réduire au maximum les échanges avec les milieux environnants, des systèmes de recirculation aquacole (recirculating aquaculture systems / RAS) pourraient se généraliser à certains stades de la production, à commencer par celle du smolt : il s'agit d'une circulation de l'eau en système fermé assurant l'oxygénation, l'ozonation, l'aération, la filtration, le contrôle de la température, etc.

La composition des rations distribuées a évolué de manière à réduire la part de l'alimentation provenant de ressources de la pêche de capture (voir supra) et l'emploi d'antibiotiques est mieux contrôlé (documents ci-dessous).

Evolution des modes d'alimentation et de la consommation phytosanitaire dans les élevages aquacoles de saumon

Les poissons issus de la pêche de capture qui entrent dans la composition de l'alimentation du saumon peuvent être contaminés et ces contaminants sont ensuite concentrés en aval de la chaîne alimentaire, par les saumons. Pour réduire les taux des contaminants, une solution consiste donc à substituer aux huiles de poisson des huiles végétales pendant une grande partie de la phase de prise de poids (documents ci-dessous).

Les teneurs en dioxines ou métaux lourds sont plus faibles dans les farines et huiles de poisson provenant du Pérou et du Chili que dans celles provenant de l'Atlantique Nord. Certaines fermes d'élevage ont donc privilégié les farines et les huiles provenant de la pêche minotière du Pérou et du Chili, ce qui a contribué à la surexploitation de ces ressources aboutissant à un goulet d'étranglement pour l'ensemble de la filière (cf. supra).

Sources :
- Norwegian Ministry of Fisheries and Coastal Affairs,www.regjeringen.no
- Marine Harvest, www.marineharvest.com/en

Marine Harvest : des données sur les conditions d'élevage des saumons

Note : Le groupe considère que la consommation d'antibiotiques pour ses élevages en Norvège est négligeable. 

D'autres solutions consistent à adopter des systèmes d'élevage intégrés avec des espèces de niveau trophique moins élevé telles que les algues marines, les mollusques et autres invertébrés benthiques ; ainsi, les déchets d'une ou plusieurs catégories d'espèces (tels que les poissons élevés en cage) peuvent être utilisés comme intrants par une ou plusieurs catégories d'espèces de niveau trophique inférieur. Cette approche peut être considérée comme environnementalement intégrée, en ce sens que les moules consomment une partie des effluents des saumons, et économiquement efficiente du fait que d'une part, à la production de saumons s'ajoute celle de moules, et que d'autre part, les dépenses d'investissement et d'exploitation sont partagées.

Les aquaculteurs cherchent aussi à améliorer les matériels utilisés. Ainsi, les cages d'élevage en matériaux à base de cuivre sont adoptées de plus en plus pour l'élevage du saumon atlantique, en particulier au Chili par ailleurs grand producteur mondial de la matière première. Ces cages, aux propriétés bactéricides, virucides, antifouling (biocide antialgues) permettent d'économiser traitements et nettoyages, la mortalité des poissons diminuerait ainsi de manière sensible selon les constats d'EcoSea Farming, une entreprise spécialisée.

La salmoniculture et la 'durabilité', entre effets d'annonce et réalités

Les entreprises impliquées dans la salmoniculture s'efforcent d'afficher leurs efforts en matière de "développement durable". La plupart ont, sur leurs sites et leurs outils de communication, des rubriques "sustainability" bien mises en évidence.

Ainsi, selon sa propre communication, Marine Harvest pouvait, en 2011, faire un bilan positif de ses performances et de sa profitabilité en 2010 en se félicitant d'une hausse de ses profits (3 108 millions NOK en 2010 contre 1 302 millions en 2009), résultat de la forte demande mondiale et de la hausse des prix d'une part, des gains de productivité en Norvège et du retour à la profitabilité de son implantation au Chili d'autre part. Au Chili, le groupe donne la priorité au retour à des bonnes conditions biologiques d'élevage et à un meilleur contrôle des conditions de production plutôt qu'au développement de ses installations.

Le groupe affiche sa volonté de garantir une production saine en contrôlant ou en éliminant les substances nuisibles, les agents pathogènes et en assurant la traçabilité dans ses filières de production. Les substances indésirables telles que les dioxines, les PCB ou les métaux lourds sont contrôlés pour rester largement en deçà des limites admises et l'utilisation des traitements vétérinaires est strictement encadrée. Ainsi, entre 2009 et 2010, la quantité de traitements antibiotiques utilisée est passée de 13 644 à 10 614 kg, soit une réduction de 22% (28,2 g par tonne de saumon vivant produit contre 37,9 g en 2009), ces progrès étant principalement le résultat de l'évolution des pratiques d'élevage au Chili car en Norvège la quantité de traitement antibiotique nécessaire est stable, autour de 0,003 g / t de production.

En cas d'incident, le groupe a adopté un système d'alerte rapide pour repérer le problème et y remédier au plus vite. Ainsi, le nombre de reports d'incidents a cru de 43% en 2010, reflet d'une vigilance accrue, mais peu ont dégénéré en "crises" nécessitant le retrait ou la destruction de la production.

Sources :
- Marine Harvest : www.marineharvest.com/en
> au Chili, www.marineharvest.com/en/.../about-marine-harvest1/Chile
> en Norvège, www.marineharvest.com/en/.../about-marine-harvest1/Norway
> Sustainability guides and reports for download,www.marineharvest.com/en/.../Sustainability-Reports

Quels qu'en soient les problèmes actuels, l'aquaculture est appelée à se développer. Dans quelles conditions ? Elle s'inscrit, par exemple, parmi les axes de la stratégie 2020 de l'Union européenne "Construire un avenir durable pour l'aquaculture européenne". Dès 2009, la Commission constatait que l'aquaculture européenne stagnait au moment où, au niveau mondial, le secteur connaissait une véritable explosion économique. Elle avait identifié une série d'obstacles à sa croissance et à sa compétitivité, entre autres : la concurrence spatiale sur la zone côtière, les coûts de la recherche et du développement, une image mitigée dans l'esprit des consommateurs, la complexité des différentes réglementations à prendre en compte, etc. En conséquence la Commission propose que chaque État membre "élabore pour 2014 un plan pluri-annuel stratégique pour développer les activités d'aquaculture sur son territoire dans une perspective de développement économique 'durable' contribuant à la sécurité alimentaire et à la croissance de l'emploi" (Pêche & aquaculture en Europe, n°52, août 2011).

À une échelle plus internationale, un processus de concertation s'est engagé en 2004, dans le cadre d'"Aquaculture dialogues" autour du Salmon Aquaculture Dialogue initié par le World Wildlife Fund (WWF). Il s'agit de rassembler les différentes parties pour développer un standard de durabilité concernant l'aquaculture du saumon. Ensuite, ce standard sera transmis à l'organisation Aquaculture Stewardship Council (ASC) pour être évalué par un organisme tiers indépendant. L'objectif serait de certifier que les fermes aquacoles labellisées sont conformes à certaines normes environnementales et sociales. Mais cette démarche se trouve contestée par un certain nombre d'associations environnementales et des droits de l'homme issues principalement du Sud qui considèrent qu'elle ne prend pas suffisamment en compte les souhaits des communautés locales et des peuples autochtones qui vivent à proximité des élevages.

 

Sources et ressources

Recherche, expertises
Institutionnel
Médias et assimilés
Organisations, collectifs 

 

Sylviane Tabarly, DGESCO-ENS Lyon

pour Géoconfluences le 10 février 2012

Pour citer cet article :  

Sylviane Tabarly, « L'aquaculture marine et ses dynamiques. L'exemple de la salmoniculture Norvège, Chili : caractéristiques de deux modèles », Géoconfluences, février 2012.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/DevDur/DevdurDoc10.htm