Parcours migratoires, parcours de soins : des exemples au Service d’accueil et d’orientation à Rennes
Ali a 17 ans et arrive d'un pays d'Afrique du Nord avant sa majorité et ne parle pas le français. Comme mineur isolé il devrait être pris en charge par les services de l'aide social à l'enfance (ASE, ex-DDASS), mais il semble totalement livré à lui-même. L'ouverture de ses droits à la CMU se fait au 9ème jour de sa présence en France. Il ne consulte le Centre médical Louis Guilloux (CMLG) qu'au bout de six semaines ce qui sera son seul contact avec le milieu médical, en dehors d'une consultation chez un dentiste 2 mois et demi après. Il enchaînera cinq lieux de résidence différents sur les 3 mois et demi pour lesquels nous avons pu collecter des informations ; ces hébergements temporaires lui sont octroyés par le 115 (service social d'urgence) pour des périodes allant de 2 à 7 jours (parfois renouvelables). Les périodes où Ali est hébergé sont entrecoupées de périodes où il ne déclare pas de logement. Lors de ces périodes, Ali est soit à la rue, soit hébergé par des compatriotes, soit hébergé dans des squats. Dans tous ces cas de figure, Ali est en situation d'extrême précarité, il est isolé, et ses recours aux soins quasi-inexistants, alors que l'on peut imaginer les effets délétères de telles conditions de vie pour sa santé.
Sona est Arménienne. Elle a 51 ans, ne parle pas le français, et est arrivée en août 2007 à Rennes avec ses deux enfants. Elle est veuve. Elle vient en France demander l'asile, craignant pour sa vie et celle de sa famille dans on pays d'origine. Ses droits à la CMU, en tant que demandeuse d'asile, ne lui sont ouverts qu'au 15ème jour de sa présence en France. Sur les 8 mois où nous avons pu suivre son parcours de vie, elle en a passé la moitié sans prise en charge spécifique, puis, à partir du 3ème mois, elle est prise en charge par le Centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) de Rennes. Durant la première moitié de son séjour, elle ne consultera que deux fois au CMLG. Pourtant, elle déclare un état de santé psychologique très altéré et a un fils souffrant d'une maladie chronique. Elle enchaînera, les trois premiers mois, avec ses enfants, sept lieux d'hébergements différents, y compris à l'extérieur de Rennes (Fougères et Vitré, à, respectivement, 50 et 40 kms de Rennes), avec tout ce que cela peut avoir de délétère en terme de suivi médical et de suivi de scolarité pour ses deux enfants. À partir du moment où Sona et sa famille sont pris en charge par le CADA, des consultations ont lieu tous les 15 jours au foyer Guy Houist, leur permettant enfin une prise en charge adaptée.
Nugzar vient d'un pays caucasien qu'il fuit en raison de la guerre civile et de menaces pour sa vie. Il a 43 ans, ne parle pas le français et arrive avec sa femme et ses trois enfants à Rennes en octobre 2012. La famille dépose une demande d'asile dès son arrivée. Les droits à la CMU sont ouverts 12 jours après leur arrivée en France. Nugzar consulte en moyenne une fois par semaine, alternativement au CMLG, en médecine générale, chez un dentiste. Nugzar n'a pas de pathologie spécifique. Il semble utiliser le CMLG comme un lieu où il trouve des interlocuteurs à qui signaler sa détresse régulièrement. Avec sa famille, il est dépendant de l'aide sociale d'urgence pour se loger : ils enchaîneront cinq lieux d'hébergement différents, jusqu'à Saint-Brieuc parfois, et plusieurs périodes sans logement déclaré. Au bout de trois mois de séjour en France, Nugzar sera arrêté seul dans la rue par la police, placé en Centre de rétention administrative (CRA) pendant trois jours avant d'être relâché suite à un non lieu pour cette rétention. Puis reprennent les alternances entre hébergement d'urgence via le 115 et hébergement précaire (non déclaré).
Anne-Cécile Hoyez,
pour Géoconfluences le 28 juin 2012
Pour citer cet article :
« Parcours migratoires, parcours de soins : des exemples au Service d’accueil et d’orientation à Rennes », Géoconfluences, juin 2012.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/sante/popup/Hoyez2.htm