Guyane française – Suriname : le tracé définitif de la frontière officiellement fixé sur 400 km
Depuis le lundi 15 mars 2021, la France possède une nouvelle frontière. Ce jour-là, un accord avec le Suriname été signé à Paris : il établit, dans un souci « d’amitié et de bon voisinage » (d’après l’expression empruntée au protocole en vue de délimiter la frontière), le tracé définitif de la frontière sur le Maroni et la Lawa entre la Guyane française et la République du Suriname. La négociation entre les deux États a été menée avec célérité et dans un esprit de concorde par l’ambassadeur de France au Suriname, Antoine Joly, négociateur pour la France, et les représentants du Suriname désignés par le nouveau président élu en juillet 2020, Chan Santokhi et son vice-président Ronnie Brunswijk – l’homme politique qui avait mobilisé les Surinamais du Maroni contre la France lors des incidents transfrontaliers de 2018 et 2019.
>>> Pour en savoir plus sur le différend frontalier entre la France et le Suriname jusqu’en 2019, lire : Patrick Blancodini, « La frontière Suriname – Guyane française : géopolitique d’un tracé qui reste à fixer », Géoconfluences, septembre 2019. |
Le protocole d’accord réaffirme le principe suivant lequel la frontière est constituée par la ligne médiane des eaux ordinaires, c’est-à-dire la ligne équidistante des deux rives. L’accord intègre donc la Convention du 30 septembre 1915 signée à Paris entre la France et les Pays-Bas qui possèdent alors la Guyane hollandaise, ainsi que l’accord de délimitation maritime du 8 novembre 2017 fixant l’azimut de la ligne de séparation des ZEE dans l’océan Atlantique entre les deux pays. L’accord, accompagné de cartes où la frontière est tracée précisément, concerne la section frontalière qui se situe entre l’embouchure du Maroni jusqu’au point le plus en amont de la rivière Lawa au niveau du village d’Antecume Pata. Cela implique que l’arbitrage international du tsar Alexandre III en 1891 définissant la Lawa comme frontière entre les deux pays est également reconnu.
Le traité corrige les anomalies que comportaient les cartes IGN depuis les années 1950 : pour une raison inconnue, la frontière tracée sur les cartes françaises ne tenait pas toujours compte de la ligne médiane. Ainsi, plusieurs îles théoriquement du côté de la Guyane française étaient rattachées au Suriname et réciproquement. Les cartes IGN et celles du Géoportail vont donc être remises à jour à partir des conclusions de cet accord. Lors du travail préparatoire du traité, la répartition des quelques 950 îles du Maroni et de la Lawa – dont la plupart sont inhabitées – s’est faite de façon purement géographique par rapport à la ligne médiane. Pour les îles qui chevauchent le ligne, l’appartenance nationale a été décidé en fonction de la position de la plus grande surface insulaire : si elle est à l’est de la ligne médiane, l’île appartient à la France, si elle est à l’ouest, elle appartient au Suriname. Pour une soixantaine d’îles habitées, il a fallu enquêter sur l’attachement principal des populations en fonction de leur papier d’identité (quand ils existent), leur allégeance à des autorités politiques ou religieuses, leur affinité nationale, le pays qui a construit et entretient les infrastructures et équipements divers… Parmi ces îles, une quinzaine a nécessité le déplacement sur place d’une mission conjointe franco-surinamienne à laquelle a participé l’ambassadeur Antoine Joly. Ainsi, dans quelques cas, les habitants se sont revendiqués surinamais alors que les îles sont situées à l’est de la ligne médiane (côté français). Dans ce cas, le traité rattache ces îles au Suriname. De ce fait, la France les a « cédé » officiellement, comme c’est le cas pour Bada Tabiki et Siki Tabiki en amont du village d’Apatou. Quant aux îles où se sont déroulés les incidents transfrontaliers de 2018 et 2019 à l’origine du processus de révision de la frontière, elles ont été définitivement confirmées comme françaises.
Le tracé de la nouvelle frontière Le nouveau tracé de la frontière sur un tronçon du Maroni à une trentaine de kilomètres au nord du village de Grand Santi. La carte montre que la France perd la souveraineté théorique sur la grande île de Gaan Tabiki qui se trouve désormais du côté du Suriname. Le sud de la carte montre le chenal anastomosé du Maroni. Sources : carte topographique issue de Géoportail, capture d’écran du 27 mars 2021 et carte frontière protocole 2021. |
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À quatre kilomètres en aval de Saint-Laurent-du-Maroni, ce groupe de six îles était exclu de la Convention de 1915 et l’IGN avait tracé une frontière qui ne prenait pas en compte la ligne médiane des eaux, rattachant ainsi les îles au Suriname. Le traité de 2021 rétablit la ligne médiane fixant une nouvelle frontière qui accorde à la France quatre des six îles. Sources : carte topographique issue de Géoportail, capture d’écran du 27 mars 2021 et carte frontière protocole 2021. |
Ainsi, les deux parties se sont entendues pour fixer une ligne frontière numérisée, définie par des points géolocalisés dont les coordonnées sont exprimées dans le système de référence ITRF2000, époque 1997.0. L’ITRF (International Terrestrial Reference Frame) est un système de calcul et de mesure de référence géodésique terrestre permettant de décrire la position d’un point sur la Terre. Il s’agit d’une des premières frontières numériques mondiales : non pas une frontière numérisée à postériori à partir de points relevés sur le terrain, mais une frontière existant d’abord numériquement, à partir d’un système géodésique international unifié, puis transposée sur le terrain.
Par ailleurs, la nécessité d’approfondir la coopération bilatérale a poussé les deux États à ajouter au traité de 2021 une déclaration conjointe portant sur la gestion commune du fleuve et le développement de la zone frontalière. Cette déclaration commune reconnaît l’importance du fleuve Maroni et de la rivière Lawa comme liens, facteurs d’identité et moyens d’existence des populations locales. De ce fait, il est rappelé la nécessité pour les États de veiller à la sécurité et à la protection des communautés riveraines ainsi qu’à un usage raisonné et durable du fleuve et de ses ressources. Le respect de l’environnement devient donc une priorité pour les gouvernants qui souhaitent gérer les ressources naturelles vivantes et non vivantes dans un souci d’équilibre et de croissance durable. Par exemple, les deux pays signataires manifestent leur ferme intention de lutter activement contre la pollution causée par l’orpaillage et protéger la biodiversité. Concrètement, l’exploitation des ressources minérales ou biologiques du fleuve, ainsi que les installations pour la production d’énergie hydroélectrique ayant une incidence sur les eaux doivent faire l’objet d’une concertation entre les deux pays. Comme toute activité nécessite désormais l’accord des deux parties et que la France s’oppose à l’orpaillage – même légal – sur le Maroni et ses affluents, la quarantaine de barges (les skalians) installées le long du fleuve en 2021 est désormais proscrite. L’orpaillage sur le Maroni devrait s’en trouver banni mais cette perspective parait peu réaliste tant les enjeux économiques liés à cette activité restent fondamentaux pour l’économie locale. Il n’empêche que ce tracé définitif doit permettre d’éviter de futurs incidents transfrontaliers et surtout faciliter la lutte commune contre l’orpaillage.
En matière de sécurité, le traité doit permettre de renforcer la coordination entre les services de police et de justice afin de mieux lutter contre tous les trafics illégaux (orpaillage, drogue, contrebande, migrations illégales). L’échange d’informations entre les services concernés apparait comme un besoin impérieux. D’une manière générale, le but est d’accroitre la prospérité économique et le bien-être dans la zone transfrontalière. Ainsi, la liberté de circulation sur le fleuve pour le transport de marchandises et de passagers est confirmée. Les forces de l’ordre des deux pays peuvent intervenir partout sur les eaux, mais seulement sur les îles correspondant à leur nationalité. La coopération dans le domaine de la santé, de l’éducation, la sécurité alimentaire, le tourisme suscite un intérêt renouvelé. Depuis 2009, existe un Conseil du fleuve chargé de régler les différends frontaliers, son rôle devrait être conforté et renforcé.
L'accord de mars 2021 porte sur toutes les sections en aval (au nord) d'Antecume Pata. En amont de cette localité, un accord reste à trouver pour fixer la frontière sur le cours de la Litani. Source de l'image : Patrick Blancodini, « La frontière Suriname – Guyane française : géopolitique d’un tracé qui reste à fixer », Géoconfluences, septembre 2019. |
Pour la section en amont du village d'Antecume Pata sur la rivière Litani, affluent de la Lawa, les deux États prévoient un dernier cycle de négociations à partir du printemps 2021. Il s’agit de régler l’ultime différend frontalier. Les Surinamais ont peu d’arguments pour continuer à revendiquer, comme ils l’ont fait longtemps, la fixation de la frontière sur le Marouini. En effet la Litani possède incontestablement un plus grand débit et a toujours été considérée comme le prolongement de la frontière en amont, y compris par les Hollandais. Le Suriname semble conservé jusqu’à présent sa position de conciliation vis-à-vis de la France, d’autant qu’il ne peut se permettre de perdre l’aide française au développement. Ainsi, la prochaine étape qui vise à fixer la frontière au sud-ouest de la Guyane pourrait advenir rapidement.
Pour compléter
- Patrick Blancodini, « La frontière Suriname – Guyane française : géopolitique d’un tracé qui reste à fixer », Géoconfluences, septembre 2019.
- France Diplomatie, Communiqué conjoint franco-surinamien (15 mars 2021)
- ViePublique, Communiqué conjoint franco-surinamien sur la frontière entre la Guyane française et la République du Suriname, le 15 mars 2021.
- Conseil National de l'Information Géographique « Signature d’une nouvelle frontière numérique sur 400 km de la France ! » (avec une carte de Géoconfluences)
Pour citer cette brève :Patrick Blancodini, « Guyane française – Suriname : le tracé définitif de la frontière officiellement fixé sur 400 km », brève de Géoconfluences, mars 2021. |