Dynamiques et enjeux des agricultures familiales au Brésil
Pablo Sidersky - Instituto Interamericano de Cooperación para la Agricultura (IICA) et Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária (INCRA
Ludivine Eloy - CNRS
Eric Sabourin - CIRAD
Bibliographie | citer cet article
1. Histoire de l'agriculture familiale
2. Expériences sociales et politiques publiques : un projet pour l'agriculture familiale
Le Brésil est le deuxième exportateur agricole mondial. Les chiffres varient fortement selon la définition donnée au secteur de l'"agro-business" [1] mais l'objectif du début des années 1970 a été atteint. La production a dépassé 144 millions de tonnes de grains en 2008. Le troupeau bovin est estimé à 205 millions de têtes (www.agricultura.gov.br) et le Produit Intérieur Brut (PIB) agricole brésilien a atteint 177 milliards d'US$ en 2008. Selon le site du ministère de l'Agriculture, le secteur agro-alimentaire représentait, en 2005, 33% du PIB, 42% des exportations totales et 37% des emplois. Le taux de croissance du PIB agricole est supérieur à 4%/an.
Les propriétaires des immenses fazendas de São Paulo, Paraná et Minas, des plaines du Cerrado [2] et de l'Amazonie, à l'agriculture mécanisée revendiquent ce succès. Mais le Brésil est aussi un pays qui compte 5 millions d'agriculteurs familiaux qui contribuent à hauteur de 30% du produit agricole intérieur brut (Guilhoto et al, 2006). Le dynamisme de l'agriculture familiale brésilienne a longtemps été méconnu (Sabourin et al, 2005 (a) ; Zanoni M.et Lamarche H, 2001 ; Ribeiro Romeiro A., 2001). Le gouvernement de Lula a considérablement amplifié et diversifié les politiques d'appui à l'agriculture familiale avec, en particulier, le Programme d'appui à l'agriculture familiale (Pronaf), créé par le gouvernement Fernando Henrique Cardoso en 1995 [3]. Ce choix affirmé sur une décennie pour l'agriculture familiale, peut surprendre dans un Brésil qui a toujours, tout au long de son histoire, privilégié d'autres formes d'agriculture, entre latifundia et entreprises rurales. Les nouveaux programmes et l'augmentation des montants de crédit disponibles pour l'agriculture familiale ne doivent pas faire oublier les appuis aux autres formes de production qui restent très conséquents.
Des agricultures contrastées
- À gauche : Une agriculture hautement mécanisée : récolte du coton dans le Mato Grosso. Cliché : Patricio Mendez del Villar, août 2009
- À droite : Une agriculture utilisant la traction animale (Unai, Minas Gerais). Cliché : Marcelo Oliveira Embrapa
La politique agricole actuelle est duale. Le ministère de l'Agriculture est chargé d'appuyer l'agro-business des commodities, les matières premières agricoles nécessaires à l'industrie, souvent exportées. Le ministère du Développement agraire est chargé de la réforme agraire et de l'appui à l'agriculture familiale. C'est un compromis qui, de bon ou mauvais gré, est accepté par les acteurs du monde rural et, au delà, par une bonne partie de la société brésilienne.
La reconnaissance de l'agriculture familiale a été le fruit de son dynamisme et de sa capacité à se construire une identité et à la faire reconnaitre. Nous analysons ici cette dynamique en proposant, successivement, un bref retour sur l'histoire du monde rural brésilien, une description du rôle des syndicats ruraux et plus généralement de la société civile dans la "construction" de cette identité ainsi que des politiques d'appui à l'agriculture familiale, une description des instruments, de leur émergence et des modalités de leur mise en œuvre. La conclusion présente quelques enseignements de l'expérience brésilienne qui pourraient être utiles à d'autres situations.
Histoire de l'agriculture familiale
Une agriculture familiale toujours marginalisée
Le Brésil est né avec le grand essor du commerce iternational au XVIe siècle. De grands domaines ont été octroyés aux nobles portugais, désireux de tenter l'aventure "coloniale". Ils ont créé des "plantations" pour produire, grâce aux esclaves (voir, dans ce dossier, la première partie de Questions foncières et politiques de réforme agraire au Brésil), les biens nécessaires à la métropole (canne à sucre, cacao, café, coton….). Le Brésil est terre d'exportation : l'agriculture brésilienne a été, dès le début, commerciale, vouée aux besoins du marché européen. La production alimentaire pour le marché interne a toujours été négligée et réduite depuis le début de la colonisation. Dès les premières années de la colonisation, les rois du Portugal sont obligés d'imposer un quota de cultures alimentaires pour lutter contre la disette (Brito, 1924).
L'accès à la terre a été refusé à une grande partie de la population. Les bidonvilles ne sont pas une conséquence de la modernisation, ils ont existé dès l'arrivée des premiers migrants. Bien sûr, une partie d'entre eux a "conquis" l'intérieur du territoire. Mais, contrairement aux farmers Nord-américains, les colons n'ont pas vu cette conquête officialisée par le droit à la propriété. Ils ont défriché les terres dans un mouvement sans fin au profit des grands propriétaires. Le modèle de la plantation, puis celui de latifundia/minifundia après l'abolition de l'esclavage, a suivi la "frontière", créant continuellement des "sans terre", sans cesse repoussés vers l'Ouest. Certes une agriculture familiale paysanne a existé depuis le XVIe siècle, mais c'est une agriculture familiale "dépendante" (métayage, fermiers, travailleurs sans terre, occupants sans droits,...) ou une agriculture marginalisée, située dans les zones les plus isolées, servant souvent de refuge aux fugitifs, esclaves "marrons" et autres. Il s'agissait alors essentiellement d'une agriculture de survie même si elle assurait l'approvisionnement du marché interne, toujours limité (Ribeiro Romeiro, 2001 ; Zanoni M. et Lamarche H., 2001). Le faible coût de la main d'œuvre et la disponibilité en terre ont rendu l'investissement rare et ont favorisé une agriculture de défriche, toujours à la recherche de nouvelles terres dans le mouvement de mise en valeur de la frontière de l'ouest.
Dès le XVIIe siècle, certains considèrent que les domaines sont trop grands et donnent trop de pouvoirs et de richesse à un groupe trop restreint de personnes. Avec l'indépendance en 1822, le débat oppose deux conceptions du développement : d'un côté, le choix d'accès facile à la terre (redistribution/bon marché) pour créer une classe de petits propriétaires (donc augmenter la valeur du travail) et favoriser les investissements substituant le travail ; d'un autre, la défense d'un accès difficile à la terre assurant une réserve de main d'œuvre bon marché et une production avec peu d'investissements. La loi de la terre de 1850 a fait le choix de la seconde option et un accès plus "démocratique" à la terre s'en est trouvé retardé. Les mêmes maux (produits voués à l'exportation, faible productivité, production pour le marché intérieur insuffisante) se sont alors perpétués [4].
Un projet de modernisation de l'agriculture
Le débat est revenu d'actualité à partir de la moitié du XXe siècle où le retard du Brésil a été analysé par les économistes de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) [5]. Dans la continuité des travaux de Prébisch (1950) et de Furtado (1970), le modèle latifundia/minifundia a été tenu pour responsable du retard de l'agriculture et au-delà du retard économique du Brésil. Alors que l'État choisit la colonisation de "terres vierges" d'Amazonie comme alternative à la réforme agraire dans les zones déjà cultivées (voir Questions foncières et politiques de réforme agraire au Brésil), il appuie la modernisation de l'agriculture qui est vite apparue comme la "meilleure" voie à l'intensification nécessaire pour répondre à la forte augmentation de la demande (croissance démographique, augmentation du niveau de consommation par individu, diversification des services) et pour développer l'industrie, fournisseur d'intrants.
L'intensification consiste à augmenter la production et le rendement par travailleur et par unité de surface ou de cheptel, via le recours aux intrants (nouvelles variétés et semences améliorées, fumure, traitement phytosanitaire...) et à la mécanisation. La création, dans les années 1950, de services d'assistance technique et de la formation agricole, de banques à vocation agricole et de programmes de crédit l'ont rendu possible. Au début des années 1970, l'Entreprise brésilienne de recherche agricole (Embrapa [6]) va conforter ce mouvement d'intensification. La spécialisation et le développement de la monoculture, l'augmentation de la taille des unités de production, "l'artificialisation" de la nature par le développement de l'irrigation et par la plantation de pâturages sont les voies de cette intensification.
Une agriculture productiviste et équipée
- À gauche : monoculture du soja (Mato Grosso). Cliché : Seguy (Cirad)
- À droite : irrigation par pivot central à Petrolina (Pernanbuco). Cliché : Véronique Lucas, octobre 2009
L'objectif de moderniser les rapports de production latifundia/minifundia était largement, consensuel. Leur disparition devait conduire à la création soit d'entreprises rurales (le latifundium se modernise en particulier par la mécanisation ; les travailleurs ruraux obtiennent un statut d'ouvrier agricole bien que la plupart d'entre eux émigrent vers les villes, le mouvement permettant l'industrialisation), soit d'une agriculture familiale (les travailleurs ruraux par le jeu de la réforme agraire ou du marché s'installent en tant que propriétaires). La promulgation d'un code du travail rural avec un statut du travailleur rural (loi n° 4214 de 1963), rend obligatoire, en particulier, le contrat de travail et met en œuvre un système de sécurité sociale. Les politiques ont aussi cherché à mettre en œuvre des instruments d'appui à l'utilisation de "paquets techniques" de manière indiscriminée pour les entreprises rurales et les agriculteurs familiaux (Weid et al, 2003).
Dans la réalité, très vite, cette modernisation des relations sociales, portée par le modèle de "l'agro-business", s'est faite au profit des entreprises. Bien sûr, selon les productions et les territoires, la modernisation a pu aussi toucher l'agriculture familiale, en particulier dans le sud du pays, terre d'immigration d'une paysannerie européenne. Mais en règle générale, malgré la création de quelques programmes spéciaux d'appui aux petits producteurs qui apparaissent d'ailleurs tardivement, les subventions se sont portées sur les entreprises rurales. L'appareil d'État n'a pu assumer le rôle de promotion de l'agriculture familiale.
Néanmoins, le nombre d'agriculteurs familiaux n'a cessé de croître, essentiellement du fait de la croissance démographique. Ces agriculteurs se sont donné les moyens de l'accès à la terre par des mécanismes de "posse" (appropriation sans droits de terres "libres") et par l'achat et la division de terres par héritage.
Les recensements agricoles, qui ont commencé en 1920 (Fonseca et al, 2006), montrent que, bien que marginalisée et n'ayant pas pu se "moderniser", cette agriculture a un certain poids. Ainsi, le recensement agricole de 2006 (IBGE 2009) donne une mesure précise de la réalité de l'agriculture familiale qui concerne près de 85% des exploitations sur 24% des superficies mais qui contribue aussi à presque 38% de la valeur de la production (tableau ci-contre).
Comme en Europe, une forte différentiation territoriale s'est faite jour. Certaines régions ont connu un développement agricole évident. C'est le cas du Sud Est (États de São Paulo, de Mina Gerais et de Goias).
Source : IBGE, recensement agricole de 2006
Au contraire, le Nordeste s'est conforté au fil des temps comme la région à "problème" (Thery, 1995) [7]. C'est principalement ici, mais aussi dans d'autres régions brésiliennes, frappées par l'exclusion sociale, l'endettement, etc., que les politiques de modernisation (révolution verte, crédit, assistance technique…) ont été peu efficaces, essentiellement du fait des risques, climatiques et économiques, du manque de mécanismes de régulation des marchés (assurances, prix garantis…) et de l'absence de réel entrepreneurs. Le manque d'appui à l'agriculture familiale y a contribué à l'insécurité foncière, au maintien d'une forte mobilité de la main d'œuvre (migrations de courte ou longue distance, mobilités saisonnières), et aux stratégies anti-risques des familles, impliquant la pluriactivité et s'accompagnant souvent de sous-investissements sur les exploitations les plus vulnérables.
Différenciations territoriales de l'agriculture brésilienne
L'échec de la modernisation de l'Agriculture familiale
Seule une partie de l'agriculture familiale a été touchée par les programmes de modernisation. Une étude dans les périmètres irrigués de la vallée du São Francisco a mis en évidence deux raisons pour expliquer cet échec : l'inefficacité des institutions et le manque d'interactions entre acteurs (Barros et Tonneau, 2004). L'inefficacité des institutions est liée à des méthodes paternalistes qui inhibent les dynamiques sociales. Les budgets alloués étaient, paradoxalement, trop importants, car les publics bénéficiaires étaient réduits et les actions étaient limitées aux projets de colonats des grands périmètres irrigués du Nordeste. Sur la Transamazonienne, l'inefficacité des institutions, s'est combinée à des budgets trop faibles compte tenu de l'ambition affichée.
Difficulté d'accès à l'eau dans le Nordeste
Une agriculture familiale parfois à la limite de la survie. Périmètres de réforme agraire. Paraiba. Cliché : Pablo Sidersky, septembre 2005 Voir, en corpus documentaire
Agriculture irriguée dans la moyenne vallée du São Francisco : l'Agriculture familiale |
Dans le sud du pays, l'action de l'État a été plus efficace. La modernisation de l'agriculture familiale, issue de l'immigration paysanne européenne, a connu un certain succès, mais avec les mêmes conséquences : course à l'investissement, augmentation de la taille des propriétés, faillite et exode. Mais partout, les interactions entre cette agriculture familiale et institutions de l'État ont été rares. Un observateur extérieur pourrait dire que le "mouvement" rural brésilien dispose d'un syndicalisme relativement puissant. La quasi-totalité des agriculteurs est membre du syndicat. Mais cette adhésion est liée, en grande partie, au statut du travailleur rural de 1963 [8] qui a confié la gestion des activités sociales (assurance maladie et retraite rurale) au mouvement syndical. Au niveau de chaque commune, un syndicat regroupe salariés du monde agricole, métayers et petits propriétaires. Les syndicats sont organisés en fédérations d'États (Fédération des travailleurs de l'agriculture, Fetag) et en une confédération nationale (Confédération nationale des travailleurs de l'agriculture, Contag). La fonction de gestion des soins médicaux et dentaires a longtemps prédominé sur la fonction revendicative. L'apparition, à la fin des années 1970, de syndicats plus radicaux, a dynamisé les luttes sociales et a permis l'apparition d'un projet "alternatif", s'opposant à la vision courante de la "modernisation".
Pendant 20 ans, de la fin des années 1970 à la fin des années 1990, deux projets irréalistes se sont opposés : un projet économique libéral (transformer les agriculteurs familiaux en producteurs ou entrepreneurs ruraux au nom de la "modernisation") et un projet contestataire, centré sur une réforme agraire. Ces deux projets étaient, en fait, peu adaptés à la situation et aux aspirations des populations rurales. Le projet libéral supposait que l'agriculture familiale pouvait être en "compétition" avec l'agriculture d'entreprise sans mesurer que les rapports de forces sauf, toujours, dans le Sud du pays, rendaient cette compétition très difficile. Le projet contestataire mettait en avant la réforme agraire sans prendre en compte la diversité des situations. 'Le "sans terre" devient le producteur rural par excellence... " (ESPLAR, 1991). La revendication essentiellement politique de la réforme agraire, par ailleurs très vague, empêchait les dirigeants syndicalistes (et aussi d'autres acteurs du même groupe) de "voir" les autres catégories de l'agriculture familiale, parfois proportionnellement beaucoup plus importantes, et de prendre en considération leurs besoins.
Expériences sociales et politiques publiques : un projet pour l'agriculture familiale
Le désengagement de l'État et le nouveau rôle de la société civile
Le texte de la constitution de 1988 a consacré la défaite politique des tenants d'une ample réforme agraire. Les mouvements se sont rendu compte qu'ils devaient diversifier leurs luttes et développer un projet pour l'agriculture familiale plus concret et plus proche de la réalité et de la diversité des situations. De manière plus modeste, les organisations se sont mises au travail en abordant de manière pragmatique les problèmes quotidiens que vivaient les agriculteurs. Les dynamiques locales, rares jusque là, se sont multipliées et, mieux encore, elles sont devenues visibles et valorisées. Les dynamiques locales, processus de changement à l'échelle locale (les communautés, les périmètres irrigués, les districts, les villes, les bassins hydrographiques…) impliquent des agents économiques et des mouvements sociaux, la société civile et ses organisations, les assemblées et les instances communautaires, municipales ou inter-municipales. Les histoires de "développement local" sont diverses et spécifiques, mais présentent toutes une base commune. Elles sont nées de la perception d'une situation peu satisfaisante de "mal- développement" et de crise. Elles se développent dans un cadre communautaire, sont ancrées dans le territoire local dont elles veulent valoriser les ressources humaines et naturelles.
Ces initiatives émergent généralement grâce à l'intervention d'entités externes, souvent liées aux églises : Mouvement d'éducation de base, Communautés catholiques de base, Commission pastorale de la Terre [9]… Des ONG et, beaucoup plus rarement, des institutions publiques, peuvent jouer ce rôle de catalyseur. Les initiatives peuvent être modestes : un moulin à farine de manioc, une petite structure de vente, un kit d'irrigation… Elles sont de nature diverses : crédits pour la production et l'infrastructure, assistance technique publique ou privée, formation, dispositifs d'appui et de Recherche & Développement, ou encore certification des produits et commercialisation. Mais au-delà de cette diversité, elles ont toutes contribué à des dynamiques institutionnelles, de deux ordres. D'abord, au niveau local des associations communautaires ou professionnelles sont apparues. Citons le cas des groupes d'Agriculteurs-Expérimentateurs constitués de volontaires qui testent des techniques, pratiques ou espèces nouvelles sur leur exploitation et acceptent de divulguer les méthodes et résultats de leurs expérimentations (Sabourin, 2006). Puis, au niveau régional et national, la dynamique d'organisation la dynamique d'organisation est reprise dans des dispositifs, comptant avec l'appui des ONG ou des services de l'État. On assiste alors à la diffusion spatiale grâce à une prise en compte des expériences par des réseaux et à la reconnaissance partielle de l'État.
Trois exemples peuvent illustrer ces dynamiques et la diffusion de ces initiatives : la gestion solidaire des citernes de stockage des eaux de pluies ; les pâturages communautaires ; les banques de semences communautaires. (Sabourin et al, 2005b).
Face à la sécheresse de la zone semi-aride, le sertão, pendant trop longtemps le gouvernement fédéral a privilégié les camions citernes pour livrer de l'eau dans tous les villages. Cette politique a donné lieu à tous les trafics. L'élite qui disposait des camions nécessaires au transport réalisait des bénéfices considérables et consolidait son pouvoir car elle gardait le choix des bénéficiaires. Pour transformer cette situation, les ONG ont développé des opérations de construction de citernes de stockage des eaux de pluies. Il s'agit d'un réservoir cylindrique, semi-enterré, à base de plaques de ciment, un système, économique (300 $ pour 20 m³). La divulgation de ce modèle a été accompagnée de diverses formes de crédit rotatif avec caution solidaire allant de l'autofinancement total de type "tontine" au remboursement partiel ou total du coût de la citerne financé par une ONG. La formation des maçons et de gestionnaires était une caractéristique importante des actions dans une perspective de développement de l'autonomie des communautés. Le projet "Un million de citernes rurales" a permis la diffusion de ces expériences à grande échelle en associant un réseau formé par environ 750 entités de la société civile (syndicats, associations communautaires, coopératives, églises catholiques et évangéliques, ONG...), l'Articulation Semi-aride brésilien – ASA et le gouvernement fédéral [10].
Deuxième exemple d'initiative locale, l'État de Bahia a reconnu les droits des communautés paysannes qui géraient des pâturages communautaires (les communs). Les pâturages communs indivis, recensés et cadastrés, ont été attribués à des associations d'éleveurs, entités juridiques reconnues, qui ont pu avoir accès au crédit et aux infrastructures hydriques. Cette initiative a permis de sauvegarder d'importantes surfaces de forêt xérophile, de maintenir des communautés d'éleveurs de petits ruminants sur parcours extensifs et de relancer une production de viande caprine de qualité.
Enfin, dans la Paraíba, pour résoudre les problèmes de la disponibilité en semences, les institutions de l'État distribuaient des semences certifiées, de qualité. Mais les variétés étaient souvent inadaptées aux conditions de culture des agriculteurs (très productives mais aussi très vulnérables aux risques climatiques et aux maladies, exigeant des intrants dont ne disposait pas les agriculteurs) et à la diversité des situations écologiques (pour des raisons de logistique, seules une ou deux variétés étaient disponibles). L'insuffisance des quantités disponibles permettaient ici aussi tous les trafics d'influence. Les ONG et les syndicats ont alors créé des Banques communautaires de semences (BCS) qui préservaient les variétés locales de haricots et de maïs, garantissant la conservation d'espèces et de cultivars adaptés aux écosystèmes et aux modes de consommation de la région. Au prix d'un long processus de négociation, ces banques ont été reconnues par le secrétariat à l'Agriculture de l'État ce qui leur a permis d'obtenir une légitimité institutionnelle pour continuer l'effort de préservation de la biodiversité. L'État finance les banques pour l'achat de variétés locales auprès des agriculteurs dans l'ensemble de la région. Une loi légalise la distribution de semences via le système des BCS, sans qu'elles soient obligatoirement certifiées par des firmes spécialisées.
De l'expérience à l'élaboration des politiques publiques
Ces dynamiques locales ont eu pour principale conséquence la formation d'un tissu social de fédérations, de réseaux et d'instances syndicales, territoriales ou professionnelles tels que des forums municipaux et régionaux, des réseaux thématiques (citoyenneté, jeunes, femmes, eau, semences, etc.), qui créent peu à peu un mouvement social. Ce mouvement s'organise sous la forme de "forums", de collectifs ou d'articulations, regroupant syndicats, ONG, coopératives, associations de producteurs, mais aussi églises, universitaires, etc. L'expression "agriculture familiale" apparaît dans les travaux de recherche qui accompagnent ce mouvement et contribuent à sa lisibilité. Cette dynamique d'organisation renforce l'ouverture vers l'extérieur, au moyen des échanges, de la formation continue, formelle et informelle, et, finalement, mobilise des financements de programmes et de politiques publiques.
À la recherche d'alternatives pour l'Agriculture familiale du Sertão du Nordeste
La crise du coton et sa signification pour l'Agriculture familiale À partir du XIXe siècle, la culture du coton est devenue une activité économique importante du Sertão du Nordeste. Elle toujours a été associée à l'agriculture familiale, dans des petites propriétés ou en situation de métayage dans les grandes exploitations agricoles. Cette culture s'associait parfaitement à l'élevage bovin, car les restes de la culture du coton sont un bon fourrage. Même si la commercialisation favorisait les acheteurs (en règle générale associés aux grands propriétaires), le coton était très important dans les revenus familiaux. Du point de vue technique, le système était basé sur la défriche/brûlis, très négatif en termes de fertilité des sols. Et, au début des années 1980 est apparue une nouvelle peste - la bicudo*. qui dévaste le Sertão : en peu d'années la productivité du coton a diminué drastiquement et sa culture a été abandonnée par une grande majorité des agriculteurs. Cette crise a fragilisé les systèmes familiaux qui n'ont plus disposé de revenus en complément des productions, surtout d'autoconsommation, végétales et animales. La recherche de solutions Des tentatives de relance du coton ont été testées en utilisant l'application de pesticides, mais elles ont été peu efficaces**. Quelques acteurs sociaux ont développé une technique alternative de production de coton organique (biologique). L'expérience a été lancée dans le Ceará, à partir d'un partenariat entre quelques familles agriculteurs, une ONG et deux organisations d'agriculteurs***. Quelques chercheurs de l'université se sont par la suite associés à l'expérience. Cette proposition de culture sans pesticides et moins dommageable pour les sols a été baptisée de coton agro-écologique. Le coton organique sur le marché équitable Les rendements du coton agro-écologique ne sont que légèrement inférieurs aux anciens rendements mais la culture n'est pas intéressante dans le cadre des filières économiques classiques. Mais l'ONG responsable de l'expérience a tissé des contacts avec les marchés alternatifs du coton organique et du marché équitable. Les prix de vente sur ces marchés sont le double des prix du marché classique, ce qui a rendu la culture rentable. La diffusion de l'expérience Débutée au début des années 1990, l'expérience n'impliquait qu'une poignée de familles et sa diffusion est restée relativement modeste, impliquant un peu de plus de 100 familles en 2003. À cette date, l'expérience a été diffusée dans d'autres régions du Ceará, puis dans d'autres États, Paraíba, Pernambuco et Rio Grande du Nord. En 2008, 600 familles environ étaient concernées. En 2009, un programme gouvernemental, le Programme Dom Helder, s'est engagé financièrement et le nombre de familles intéressées est passé à 1 500, pour la campagne 2009-2010. * La bicudo (Anthonomus grandis) est un insecte, originaire du Mexique. Son apparition au Brésil date de 1983. ** Parallèlement, la culture du coton s'est développée fortement dans la région Centro-Oeste du Brésil (principalement dans l'État de Mato Groso). Dans cette région, l'agriculture est hautement mécanisée, avec une utilisation importante d'intrants agrochimiques (fertilisant, insecticides, herbicides, etc.). Comme dans d'autres pays du monde, la culture du coton du Centro-Oeste est grande consommatrice d'agrotóxicos. *** Les organisations concernées: ESPLAR (ONG basée à Fortaleza), ADEC (Association de Développement Scolaire et Culturel) et les Syndicats des Travailleurs Ruraux de la ville de Tauá (ce). Références
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Aujourd'hui, il en résulte, dans le champ de l'agriculture familiale brésilienne, des mouvements sociaux importants et opérationnels, bien que de nature et d'origine diverses : Conféderation nationale des travailleurs dans l'agriculture (CONTAG), Centrale unique des travailleurs (CUT), Mouvement des Sans Terre (MST), Fédération des travailleurs de l'agriculture familiale (Fetraf), sans compter des mouvements plus spécifiques comme le Mouvement des agriculteurs atteints par les barrages (MAB), les mouvements indigènes ou des quilombolas (descendants d'esclaves "marrons"). Leur dynamisme en a fait des partenaires de l'État, d'abord dans la mise en œuvre des politiques sociales leur participation ayant accompagné les politiques de décentralisation. Des structures de concertation au niveau municipal ont été organisées : conseils de développement rural, de santé, de l'éducation, etc. Bien sûr, les conditions de la démocratie ne sont pas idéales, mais l'enceinte de ces conseils est une arène et un lieu d'apprentissage de la prise de parole, d'expression de besoins et de formalisation de projets.
Les espaces de dialogue se sont ainsi multipliés à tous les niveaux. Il y a eu une institutionnalisation des forums et des instances de gestion collégiale. Ces espaces ont permis un débat sur les conditions de l'application d'une partie du budget public. Même si cette discussion s'est souvent traduite par des conflits, elle a permis une véritable négociation de politiques publiques autour de l'agriculture familiale. C'est ainsi, que le modèle de modernisation conservatrice qui a fait le succès de l'agriculture brésilienne a été largement critiqué permettant l'émergence d'un nouveau projet qui, malgré quelques divergences, est relativement consensuel. "Il vise à maximiser les occasions de développement humain (...) dans le plus grand nombre possible de petites régions agricoles. Donc, au lieu de la "spécialisation" éliminant les emplois, le projet prétend diversifier les économies locales, à commencer par l'agriculture en elle-même [11]" (Veiga, 2001).
Une agriculture familiale aux productions diversifiées
Fort de ces succès, les organisations de producteurs ont revendiqué un programme spécifique d'appui à l'agriculture familiale. Un important séminaire, "Crédit d'investissement - une lutte qui a valu des millions de vies", réalisé par la CUT à Chapecó en 1993 a été déterminant dans la formalisation de la demande. Nunes (2005) souligne les résolutions qui revendiquaient des crédits aux objectifs ambitieux : "consolider les infrastructures nécessaires aux petits établissements agricoles pour redéfinir leurs systèmes de production, ajuster le niveau technologique pour diminuer les coûts de production, promouvoir l'augmentation de la qualité et de la productivité agricole, augmenter la production d'aliments de manière à garantir la sécurité alimentaire du pays, permettre le développement d'une agriculture écologiquement soutenable dans la conservation des sols, eaux et autres ressources naturelles, fixer les agriculteurs familiaux dans les zones rurales en évitant l'exode agricole".
La naissance d'un programme pour l'Agriculture familiale
Pour la première fois, un discours cohérent et convaincant né de pratiques locales mais légitimés par les mouvements sociaux présente l'agriculture familiale comme une alternative capable de répondre aux grands défis du Brésil : faim, sécurité alimentaire, violence, inégalité sociale, manque d'emplois mais aussi déboisement, pollution et gaspillage des ressources naturelles... Sa diffusion a été facilitée par les consultations nationales et régionales et par l'ouverture de nouveaux espaces de négociation, au fur et à mesure de l'implantation du projet démocratique "post dictature" (voir l'entrée "Démocratisation et gouvernance" du glossaire. Un projet de développement de l'agriculture familiale s'est très rapidement matérialisé d'abord au sein d'expériences institutionnelles puis dans un ensemble de politiques publiques de réforme agraire et d'accès à la terre, de crédit, d'assistance technique, d'appui à la commercialisation des produits de l'agriculture familiale, de mécanismes de garantie en cas de catastrophes naturelles.
La plus connue des politiques mises en œuvre est le Programme national d'appui à l'agriculture familiale (Pronaf), créé en 1995 et dont l'objectif était de consolider l'agriculture familiale, suivant trois grandes lignes d'actions : le financement de la production de l'agriculture familiale (crédits d'investissement et de campagne aux petits agriculteurs) ; la formation et la professionnalisation des agriculteurs familiaux, accompagnées d'appuis aux services de vulgarisation et de formation ; le financement d'infrastructures sociales et économiques dans les régions à forte présence de l'agriculture familiale, en liant cet effort à la promotion du partenariat (création des Conseils municipaux de développement rural). Le Secrétariat du développement agraire a été créé en 1996 au sein du ministère de l'Agriculture. Ce secrétariat s'est transformé en ministère du Développement Agraire (MDA) en 1998.
Dans la pratique, le Pronaf a concentré ces efforts sur les diverses formes de crédit pour l'Agriculture Familiale. Durant ses premières années, il a surtout profité à l'agriculture du Sud du Brésil, d'origine européenne, en valorisant un modèle d'agriculteur familial consolidé, de producteur rural (FAO/Incra, 1994). Mais peu à peu, avec un grand pragmatisme, sous l'influence de la société civile fortement impliquée dans sa mise en œuvre, le Pronaf a pris en compte la diversité des situations de l'agriculture familiale en multipliant les possibilités de financement (Pronaf Femme, Pronaf jeune, Pronaf Semi-aride, Pronaf agro-industrie, Pronaf Agro-écologie, Pronaf Pêche, Pronaf Forêt, Pronaf Petit Élevage, Pronaf Tourisme, Pronaf Machines et équipement, Pronaf réforme agraire). Le montant des crédits a doublé, puis triplé, entre le gouvernement Cardoso II et le gouvernment Lula 1 (tableau ci-contre). D'autres politiques – politiques d'assurances pour les risques climatiques et les variations de prix, politique d'assistance technique, politique d'accès à la terre via l'achat, politiques d'accès aux marchés – se sont ajoutées au Pronaf par la suite. |
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Cette évolution a été favorisée par l'avènement du gouvernement Lula, plus partagé sur l'avenir de l'agriculture brésilienne que les libéraux du gouvernement précédent, donc plus sensible à la recherche de modèles alternatifs. En fonction de sa diversité, l'agriculture familiale brésilienne s'est alors vue offerte la possibilité de mettre en œuvre deux projets, complémentaires :
- un projet de modernisation prônant une agriculture familiale compétitive, activement insérée au marché sur le modèle de modernisation de l'agriculture européenne des années 1960 ;
- un projet d'insertion (en particulier par la réforme agraire) s'appuyant sur l'aide sociale pour affirmer l'implantation puis la consolidation des activités productives des populations marginalisées.
Difficultés de mise en œuvre et évolutions des politiques d'appui à l'agriculture familiale
La pluralité des instruments évoqués ci-dessus est évidemment un élément positif. Il ne peut exister une politique universelle. Mais elle pose des difficultés en termes de coordination des dispositifs, de superposition de mesures, quelquefois d'arbitrage entre visions et propositions contradictoires. Par exemple, de manière schématique et "polémique" nous pourrions caractériser les contradictions entre les politiques publiques à l'œuvre en Amazonie comme suit : le ministère de l'Agriculture finance la déforestation et l'implantation des agro-industries du soja qui "chassent les petits agriculteurs" et qui vont gonfler les banlieues des villes ; le ministère de la Solidarité sociale garantit des revenus minima inspirées de celles menées en Europe mais sans les moyens suffisants face à une misère trop grande ; le ministère de l'Environnement gère les réserves naturelles et leur utilisation par les populations locales ; le ministère du Développement agraire crée des "périmètres de réforme agraire" pour installer les ex-paysans chassés par les implantations des agro-industries de soja. Souvent on assiste à une division en territoires, sans véritables liens : la ville, les parcs et les réserves, l'espace agricole de la monoculture "intensive" et le "résiduel", souvent espace de l'agriculture familiale.
Ces difficultés de coordination sont d'autant plus importantes que la gestion et l'opérationnalisation des programmes est défaillante. L'administration publique est peu efficiente et elle manque de compétences techniques pour identifier la diversité de la réalité agricole et également de compétences institutionnelles pour inventer de nouveaux mécanismes afin de corriger les normes et les règles administratives et bancaires mal adaptées. Les lois et les réglements ont besoin aussi d'adaptation. Bitencourt (2003), Abramovay et Piketty (2005) ont analysé dans les détails les résistances du système bancaire à la mise en œuvre des crédits pour l'agriculture familiale, du fait des coûts de constitution de dossiers. Ils concluent à un manque de réflexion stratégique pour inventer de nouvelles institutions. La réflexion peut être étendue aux domaines de l'assistance technique ou de la commercialisation.
L'agriculture familiale essaie de se moderniser
La discontinuité des aides, caractérisée par l'instabilité et la rupture des politiques ou la réforme des instruments (crédit, formation…) est une autre entrave. Les divergences entre les "temps longs de l'action" et les "temps courts" des politiques publiques sont révélées par le rythme des élections, fédérales ou locales, qui se répètent tous les deux ans. Il manque toujours des options pour les agriculteurs face aux paquets techniques de la "révolution verte", surtout face aux nouveaux enjeux du développement durable. Les agriculteurs familiaux ont également besoin d'alternatives de commercialisation directe et de proximité pour contourner les logiques concurrentielles de spécialisation et d'insertion aux marchés. Les politiques publiques restent souvent trop convenues face aux défis de la créativité que le futur incertain impose. Mais, malgré ces difficultés, au quotidien, dans les relations entre acteurs, une pratique positive de mise en œuvre des politiques publiques a été inventée, selon un processus qui, depuis 1995, s'est inscrit sur quatre gouvernements successifs.
Conclusion
Les politiques publiques d'appui à l'agriculture familiale au Brésil sont significatives des évolutions nécessaires pour répondre aux défis d'un futur toujours plus incertain (Myers, 1990). Elles sont l'exemple d'un programme co-défini dans la continuité (quatre gouvernements successifs) avec la société civile. Le débat théorique s'est estompé grâce à l'alliance entre les services du MDA et les mouvements sociaux ruraux. L'alliance et le dialogue, qui n'ont pas été sans conflits, parfois violents, ont permis au pragmatisme, à la décentralisation et à l'apprentissage croisé de s'imposer dans une pratique de l'adaptation.
Cette situation a été favorisée par le gouvernement Lula. Le futur des politiques d'appui à l'Agriculture familiale au Brésil va dépendre aussi de la continuité de la reconnaissance par l'État de la "dualité" de l'agriculture – c'est à dire des deux "Projets" en présence, et des conditions de leur coexistence. Ces projets, qui dépendent des mêmes sources de financement et au delà d'une possible complémentarité, sont en confrontation permanente. Face à un projet dominant, celui de l'agrobusiness, le projet de l'agriculture familiale ne survivra que s'il arrive à la fois à convaincre de sa validité et à maintenir une mobilisation politique et sociale suffisante. La coalition pragmatique qui a permis sa reconnaissance doit sans cesse se renouveler pour permettre les évolutions nécessaires.
Il s'agit de développer la capacité d'adaptation des sociétés, ici rurales, face aux changements. La notion a été utilisée dans le cadre de la réflexion sur le changement climatique mais elle peut être utilisée pour d'autres enjeux (Folke et al, 2003) et elle semble passer par une adaptation de la gouvernance territoriale : dispositifs de discussion et d'échanges entre acteurs, définition d'objectifs communs, production de normes acceptées et légitimées, traduites en règles applicables (Fusulier, Lannoy, 2000) [12]. Dans le cadre d'une telle gouvernance, le problème remplace le conflit et il n'a de solution que dans un processus qui amène individus, société civile, institutions, entreprises et État (central et collectivités territoriales) à collaborer pour inventer ensemble.
Le choix actuel du gouvernement brésilien est de favoriser le territoire comme lieu de mise en œuvre de ces dispositifs de gouvernance : le Programme national de développement territorial (Pronat) et les territoires de la citoyenneté [13] ont pour but de favoriser un développement régional intégré, par la définition concertée de projets et d'infrastructures collectives entre les différents ministères, les services des États locaux et la société civile, à partir d'un appui prioritaire au secteur de l'agriculture familiale. Mais d'autres dispositifs de gouvernance peuvent être imaginés, par exemple au niveau des filières.
Notes
[1] Le terme agro-business désigne l'ensemble des filières agro-alimentaires qui regroupent des entreprises agricoles et des industries de transformations. Le terme véhicule au Brésil une idée de modernité et de puissance du secteur agricole au service du développement du pays.
[2] Savanes humides au centre du Brésil.
[3] Le Programme national d'appui à l'agriculture familiale (Programa Nacional de Fortalecimiento da Agricultura Familiar / Pronaf) a été créé en 1995 dans le but de consolider l'agriculture familiale en lui procurant des aides financières, en formant et en professionalisant les agriculteurs familiaux, en finançant des infrastructures sociales et économiques. Durant ses premières années, le Pronaf a surtout profité à l'agriculture du Sud du Brésil, originaire de l'immigration européenne, plus proche de ce modèle de producteur rural et d'entrepreneur familial. Mais, peu à peu, notamment sous les gouvernements Lula, il a diversifié les possibilités de financement et les montants des crédits alloués ont fortement augmenté, tout en s'efforçant d'orienter l'agriculture familiale vers un modèle moderniste et compétitif mais aussi soucieux de qualité (agriculture familiale de "terroirs"). www.mda.gov.br/saf/index.php?sccid=813
[4] Dans ce dossier, par L. Eloy, J.-P. Tonneau et P. Sidersky : Questions foncières et politiques de réforme agraire au Brésil
[5] Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) www.eclac.org/default.asp?idioma=FR
[6] L'Embrapa (Empresa brasileira de pesquisa agropecuária) est l'Institut brésilien de recherche agronomique, l'équivalent de l'Inra en France. L'Embrapa a une politique très dynamique de coopération avec l'ensemble des Instituts de recherche du premier monde ce qui lui a permis de développer des technologies de production adaptées au besoin de la révolution verte. www.embrapa.br
[7] Voir aussi l'article de Hervé Thery dans ce dossier : L'agriculture brésilienne en mouvement : performances et défis
[8] Ce choix des militaires, dans les années après le coup d'État de 1964, était une réponse aux "Ligues paysannes". Les Ligues paysannes se sont développées au Brésil au cours des années 1950 à partir de l'État du Pernambouc. Ce mouvement social a rapidement essaimé dans l'ensemble du Nordeste puis dans le sud du pays. Le succès de ces ligues a été important dans les zones à la marge des plantations de canne ou l'accès à la terre était mis en péril par l'expansion de la culture. En 1963, à la veille du coup d'état militaire, plusieurs centaines de ligues regroupaient plus de 500 000 affiliés et le mouvement s'était radicalisé, expérimentant, entre autre, les occupations de terre et contraignant le gouvernement, notamment dans le Nordeste, à des expropriations en faveur des petits paysans. Cette radicalisation fut une des incitations à la prise de pouvoir par l'armée et la dictature, de 1964 à 1984, mit un terme aux activités des Ligues affaiblies par une sévère répression et par les luttes internes de la gauche (scission du PC). Les syndicats légaux ont alors repris de l'importance.
[9] Commission pastorale de la Terre (Comissão Pastoral da Terra / CPT), secrétariat national : www.cptnac.com.br
[10] Pour faire reconnaître l'accès à l'eau comme un droit humain, l'Articulation Semi-aride brésilien (ASA) a développé le Programme “1 Million de Citernes pluviales”, qui se fixe comme objectif de garantir de l'eau de qualité à 5 millions de personnes. Dans plus de mille municipalités, 190 330 citernes ont déjà été construites et 187 923 familles ont été formées à la gestion de l'eau. www.aguariosypueblos.org/fr/le-projet-asa-un-million-de-citernes-%E2%80%93-bresil et www.dry-net.org/index.php?page=3&successstoryId=21
[11] "Ele visa maximizar as oportunidades de desenvolvimento humano (...) no maior número possível de microrregiões rurais. Por isso, em vez da especialização devoradora de postos de trabalho, pretende diversificar as economias locais, a começar pela pópria agropecária."
[12] La gouvernance met aussi l'accent sur la multiplicité et la diversité des acteurs qui interviennent ou peuvent intervenir dans la gestion des affaires publiques. Ce faisant, elle consacre le déplacement des responsabilités qui s'opère entre l'État, la société civile et les forces du marché lorsque de nouveaux acteurs sont associés au processus de décision ainsi que le déplacement des frontières entre le secteur privé et le secteur public.
[13] Le programme "Territórios da Cidadania" (Les Territoires de la Citoyenneté) est un programme pilote qui concerne 120 territoires brésiliens. Il a pour but de promouvoir le développement économique et la citoyenneté par le biais d'une stratégie de développement territorial durable. Son principal objectif est de modifier la gestion de la chose publique grâce à la participation et à l'intégration des actions entre gouvernement Fédéral, États et municipalités. Les conseils de territoire sont des organes représentatifs. Leur mandat concerne l'ensemble des politiques
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UMR Tetis (information spatiale et spatialisée dans le monde rural)
Pablo Sidersky, Instituto Interamericano de Cooperación para la Agricultura (IICA)
et Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária (INCRA, Ministério de Desenvolvimento Agrário)
Ludivine Éloy, CNRS, Laboratoire ARTDEV (FRE3027) à Montpellier,
Éric Sabourin, CIRAD UPR Politiques et marchés
Édition de la page web : Sylviane Tabarly
pour Géoconfluences le 17 février 2010
Pour citer cet article :
Jean Philippe Tonneau, Pablo Sidersky, Ludivine Éloy, Éric Sabourin, « Dynamiques et enjeux des agricultures familiales au Brésil », Géoconfluences, février 2010. |
Pour citer cet article :
Jean Philippe Tonneau, Pablo Sidersky, Ludivine Eloy et Eric Sabourin, « Dynamiques et enjeux des agricultures familiales au Brésil », Géoconfluences, février 2010.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Bresil/BresilScient7.htm