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Le paysage dans tous ses états

La nature en ville : des enjeux paysagers et sociaux

Publié le 28/04/2007
Auteur(s) : Emmanuel Boutefeu - chargé d'études au CERTU

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Bibliographie | citer cet article

Quatre Français sur cinq vivent aujourd'hui dans des aires urbaines. Parmi les critères mis en avant pour offrir une meilleure qualité de vie en ville, la présence d'espaces verts de proximité, autrement dit de parcelles végétalisées, de parcs et de jardins publics facilement accessibles, est sans cesse convoquée.

 
La notion d'espace vert en ville

La notion d'espace vert appartient au vocabulaire de la planification urbaine et paysagère comme à celle de l'urbanisme paysager. Dans les agglomérations urbaines, l'espace vert désigne des terrains non encore bâtis, végétalisés ou arborés, boisés ou agricoles. La circulaire du 22 février 1973 (voir en corpus documentaire : le paysage et la loi) définit les espaces verts de manière très extensive : les parcs, jardins, squares, les plantations d'alignement et les arbres d'ornement intramuros, de même que les bois, les forêts, les espaces naturels et ruraux périurbains sont considérés comme des espaces verts (chlorophylliens).

Outre ces définitions, la circulaire convie les préfets à élaborer un plan de protection et de mise en valeur des espaces verts urbains et périurbains : articuler les réglementations existantes, coordonner les initiatives des services, assurer leur ouverture au public. Elle rappelle qu'un espace vert représente un équipement structurant d'intérêt général et une catégorie juridique soumise, le cas échéant, à des règles et des servitudes opposables aux tiers, pouvant être déclinées dans les documents d'urbanisme, les schémas d'aménagement rural et forestier, les politiques foncières des collectivités territoriales.

De son côté, l'Association des ingénieurs territoriaux de France a mis au point une typologie des espaces verts qui comporte les treize items suivants : parcs, jardins et squares ; espaces verts d'accompagnement des voies ; espaces verts d'accompagnement des bâtiments publics ; espaces verts d'accompagnement des habitations ; espaces verts d'accompagnement des établissements industriels et commerciaux ; espaces verts des établissements sociaux ou éducatifs ; espaces verts des stades et des centres de sports ; cimetières ; campings ; jardins familiaux ; établissements horticoles à vocation publique ; espaces naturels aménagés ; arbres d'alignement à l'unité sur la voirie publique. (Source : La Gazette des communes, 1995)

L'Association des ingénieurs territoriaux de France : www.aitf.fr (le site a été modifié depuis sa consultation en 2007)

 

Les documents d'urbanisme, les Schémas de cohérence territoriale (SCoT), les Plans locaux d'urbanisme (PLU) [2] visent à préserver et à créer des zones de contact entre le bâti et la trame verte. À ce titre, ils s'appuient sur des modèles urbains de référence qui interpellent de nombreuses disciplines, comme l'urbanisme, la sociologie, la géographie, la biologie. Ainsi, l'inscription d'un espace vert au cœur d'un quartier et le "réglage" de sa localisation, sa taille, son style paysager, questionnent les pratiques des paysagistes, des élus et des responsables administratifs, mais aussi des juristes, des historiens et des citoyens.

Les articles ci-dessous donnent un aperçu des arguments et des débats qui alimentent les démarches de planification des espaces verts sous l'angle social, environnemental et économique.

 

Plus de nature près de chez moi

La ville est perçue par beaucoup comme un espace hostile à la nature, voire un milieu anti-nature. Si les Français reconnaissent volontiers que la qualité de la vie s'est améliorée depuis les années 1990, ils déplorent de ne pas avoir suffisamment d'espaces verts à proximité de leur logement. C'est l'un des faits marquants de l'urbanisme actuel : les Français manifestent clairement leur quête de verdure d'autant plus qu'ils vivent dans une grande ville. Les ménages résidant en immeuble collectif ressentent plus que d'autres l'absence de nature. Par rapport à un ménage habitant en maison individuelle dotée d'un jardin, la différence est significative. 84% des Français estiment qu'il faut créer davantage de jardins et de parcs en milieu urbain. Quelles que soient les enquêtes d'opinion effectuées, la présence d'un jardin demeure le premier équipement public spontanément cité par les personnes interrogées pour améliorer la qualité de vie en ville.

Donnez-nous des squares quotidiens

Les citadins plébiscitent les squares de proximité. C'est l'un des enseignements tirés d'une enquête téléphonique réalisée en 2002 auprès de 305 habitants de la communauté urbaine de Lyon, âgés de 18 ans et plus. Cette enquête "Certu" a été l'occasion d'obtenir une photographie de "la demande sociale de nature à l'échelle d'une grande ville" allant des squares, parcs urbains [3], jusqu'aux espaces naturels et ruraux.

Paysage et demande sociale de nature en ville : une méthodologie d'enquête
En rubrique "Savoir faire", au titre d'exemple méthodologique, les détails de la démarche d'enquête réalisée par le Certu en 2002 auprès de 305 habitants de la Communauté urbaine de Lyon (Grand Lyon), âgés de 18 ans et plus. Cette enquête a été l'occasion d'obtenir une photographie de "la demande sociale de nature à l'échelle d'une grande ville" allant des squares, parcs urbains, jusqu'aux espaces naturels et ruraux.

Le square est une valeur sûre : la moitié des personnes interrogées déclare aller régulièrement dans un square, quasi quotidiennement (54%). La promenade est le premier motif de visite évoqué (40%), et assez loin derrière, les riverains accompagnés d'enfants sont attirés par les aires de jeux (26%). Le trajet "domicile-square" est vécu comme un itinéraire de promenade à part entière, complémentaire du square, favorisant l'activité physique et la détente. Le temps de déplacement qu'un citadin est prêt à consentir pour se rendre dans un square est de l'ordre de 10 minutes, 7 visiteurs sur 10 y consacrent entre 1 et 10 minutes de trajet. Ce budget-temps de 10 minutes permet de mesurer le rayon d'attractivité d'un square, la marche étant le mode privilégié de déplacement pour aller au square. Les squares doivent donc être localisés au cœur des îlots denses et à intervalle de 500 mètres les uns des autres. Au-delà de 10 minutes de temps de trajet, la voiture est préférée à la marche. L'équilibre "piéton-voiture" s'opère aux alentours de 2 000 mètres, le budget-temps de déplacement étant alors limité à 40 minutes, c'est-à-dire qu'une moitié des visiteurs vient à pied et l'autre en voiture.

Voir le diaporama ci-dessous

Le square séduit les ménages de la ville-centre avec de jeunes enfants, mais aussi les lycéens et les étudiants. La fréquentation d'un square est fortement tributaire des rythmes scolaires et des conditions météorologiques. La demande de square est d'autant plus forte que l'on s'élève dans les classes d'âge, les personnes âgées estiment particulièrement ce modèle d'espace vert (62%). Le square est un espace vert multifonctionnel : à la fois un lieu de détente et de promenade, un terrain de jeux, une aire de pique-nique, une salle de lecture en plein air. Il est avant tout un lieu d'échanges, de discussions et de rencontres, un salon de verdure où les riverains viennent rompre l'isolement et renforcer les liens sociaux. Certains usagers vivant à deux pas d'un jardin public le considèrent d'ailleurs comme un jardin privatif dans lequel ils conversent avec leurs voisins de palier et reçoivent leurs amis.

Cachez-moi cette ville que je ne saurais voir

Si le square est un équipement populaire de la ville dense, un parc urbain reste une pièce maîtresse du réseau vert d'une ville. Quel que soit le style paysager d'un parc, celui-ci recueille d'excellents taux de satisfaction des visiteurs qui s'échelonnent de 70% à 90% selon les études consultées (satisfaisant à très satisfaisant). Un parc en position centrale est un équipement très prisé des habitants de la ville-centre, notamment les jours travaillés durant lesquels il fonctionne à la manière d'un square de proximité. En fin d'après-midi et en soirée, un parc connaît une fréquence d'utilisation plus importante qu'un square. Et plus encore le week-end car il attire les habitants de la ville pavillonnaire et des communes périurbaines.

Un parc urbain regroupe des qualités fonctionnelles et symboliques qui sont appréciées et recherchées des visiteurs. Dès qu'un parc réunit quelques aménagements ludiques, il séduit un large public. Les équipements d'accueil (plaines de jeux, grands toboggans, animaux de la ferme) et les installations sportives (terrains de basket, skate-parc, pistes cyclables, etc. ) sont des aménagements très sollicités des enfants et des adolescents. Ces derniers sont souvent des prescripteurs de sortie dominicale et un parc disposant de l'un de ces équipements spécialisés a une meilleure attractivité pour les familles.

La marche, stimulante, tonique et vivifiante, reste l'activité favorite des usagers et la promenade est un moyen de se détendre et de contempler le spectacle de la nature. Plus la surface d'un parc est grande, plus il est capable d'offrir une surface végétale importante et plus il attire des visiteurs venus de loin. Un parc gagne en attractivité lorsque les aménagements paysagers sont agencés selon une conception simple, accentuée par des évocations campagnardes, plutôt que dirigée vers un style ornemental, décoratif ou minéral.

Un parc est également porteur d'attributs symboliques, éventail de qualités associées à la nature. L'environnement urbain ne doit pas être visible depuis l'intérieur du parc qui reste à l'écart du bruit et de l'agitation ce qui en fait un espace public situé hors de la ville. Si le parc est par nature un endroit calme, il est aussi assimilé à un lieu propre, sans déchet ni pollution. Les attributs "calme et propre" sont des valeurs symboliques de la tranquillité d'un parc, que les enquêtés veulent paisible et soigné, un lieu sûr et rassurant. Dans l'imaginaire du public, un parc urbain correspond à une "île verdoyante" composée d'arbres et de pelouses dont la mise en scène rehausse les bons côtés de la nature. Le parc incarne "le petit coin de nature" de la ville, une enclave située à l'écart de l'agitation urbaine. Ce havre de paix jouit d'une position extra-territoriale : il est "hors la ville". Par voie de conséquence le parc doit être calme, tranquille et dépourvu de tension sociale, il doit mettre en scène les évocations d'une nature bucolique et soigner le couple "calme et propreté".

Espace de détente et de récréation, lieu de promenade et découverte de la nature, l'espace vert est un équipement public très prisé des citadins. Au-delà de leur rôle social, les parcs, les squares, les jardins privés sont des espaces gérés et entretenus qui composent le "grain de verdure" d'une ville. Certes, les espaces verts sont des milieux remaniés dont l'environnement et les pratiques culturales modifient les équilibres naturels, mais les grands parcs, à l'écart de l'agitation urbaine, sont néanmoins propices à la faune et à la flore sauvages. Les biologistes ont longtemps écarté le milieu urbain de leur champ habituel de recherche, la ville étant considérée comme un environnement hostile à la vie sauvage. Il faut attendre les années 1970 pour que de timides études d'inventaire "faune, flore" voient le jour, amenant certains scientifiques à réviser leur jugement et à considérer la ville comme un "écosystème" à part entière (voir infra, Paul Arnould, Biodiversité : de la confusion des chiffres et des territoires). Or, les mails plantés, les linéaires d'arbres d'ornement, les aménagements paysagers le long des voies rapides urbaines sont des axes verts qui assurent des liaisons et des connexions potentielles avec les espaces naturels et ruraux périurbains. Toutes ces pénétrantes vertes sont autant de milieux supports et de relais nécessaires au déplacement, à l'alimentation, à la reproduction, au repos et à la survie d'espèces animales.

 

Des corridors biologiques en ville ...

La mise en place de corridors biologiques permet de lutter contre l'érosion de la biodiversité, et au-delà de créer un réseau maillé de voies vertes pour stimuler les modes doux de déplacements.
L'accroissement des surfaces urbanisées participe au recul des milieux naturels et à l'effacement progressif des paysages ruraux à la périphérie des villes. Non seulement ce mouvement de périurbanisation s'accompagne d'un morcellement des espaces naturels et ruraux marqué par un repli des milieux propices à la diversité biologique, mais la taille des sites épargnés ne cesse de rétrécir comme une peau de chagrin. L'enclavement de "petits coins de nature" subsistant ça et là dans le périurbain perturbe les communautés animales et végétales. La fragmentation et la réduction des milieux naturels, conjuguées à la banalisation des paysages ruraux, font partie des causes majeures de l'érosion de la biodiversité, qui peut se mesurer par un indicateur de "connectivité écologique" [4]. À terme, les espèces qui survivent tant bien que mal dans ces zones marginales sont vouées à l'extinction.

Biodiversité : de la confusion des chiffres et des territoires

Introduction au document à consulter (cliquer sur le lien, 16 000 caractères environ ) :

La préservation de la biodiversité est devenue un grand enjeu du XXIe siècle. L'évaluation de la biodiversité repose sur la notion d'espèce, dont la définition n'est pas universellement admise. L'inventaire du vivant, appuyé sur la classification (taxonomie), n'est pas achevé. Si les chiffres de la biodiversité connue sont de mieux en mieux assurés, les données sur la biodiversité potentielle sont du registre de l'approximation, de l'extrapolation et de l'exagération. L'inflation de  chiffres contradictoires  entretient la confusion et permet la manipulation.
Les enjeux territoriaux de la biodiversité ont été longtemps minorés. La ville a longtemps été considérée comme un espace de non nature, à la biodiversité inexistante. Ces schémas sont en cours de réévaluation.

Paul Arnould, adaptation de l'article paru dans les Annales de Géographie, n° spécial de septembre-octobre 2006 : Les territoires de la biodiversité.

Voir aussi un dossier sur Planet-Vie, un site ressources du réseau ENS/DGESCO (sciences de la vie) : La biodiversité - http://planet-vie.ens.fr/content/biodiversite

Les espaces verts en position insulaire

Depuis les travaux de Robert H.MacArthur et Edward O.Wilson portant sur les oiseaux des îles Channel, disséminées le long de la côte Californienne [5], nous savons que la richesse spécifique d'une île dépend à la fois de sa taille et de la distance qui la sépare du continent. Le modèle insulaire mis au point par MacArthur et Wilson peut être étendu aux espaces verts urbains. La surface est un paramètre-clé pour expliquer le niveau de richesse spécifique d'un espace vert : un square est toujours plus pauvre qu'un parc urbain. Mais ce n'est évidemment pas le seul facteur déterminant. Une faible distance de connexion du square au "continent rural" via un corridor vert – berge arborée d'un cours d'eau, alignement d'arbres d'ornement, cordon de haies vives d'un lotissement, etc. – diminue les risques d'extinction locale des espèces présentes.

Note : Plus la surface d'un espace vert est importante et plus sa richesse spécifique (*nombre d'espèces) augmente. De plus la relation aire-espèces suit une droite de la forme : log S = log C + z log A où S est le nombre d'espèces, A la surface, C est une constante du groupe biologique et z mesure la pente de la droite.

Téléchargement du fichier .xls des données correspondant au tableau ci-dessus.

Vue du ciel, la structure du "grain de verdure" d'une ville est comparable à un nuage de points noyés dans une mer de constructions. Sur le terrain, cet "archipel de taches vertes" est composé d'habitats hétérogènes (jardinets, espaces verts intérieurs privés, terrains vagues) qui sont plus ou moins isolés les uns des autres par des obstacles de toutes sortes : des immeubles et des routes, des clôtures et des murs. L'équilibre démographique d'une population animale recluse dans un square est très précaire : les effectifs oscillent entre des périodes d'expansion et des phases de déclin, voire de disparitions complètes. Une communauté en position insulaire est donc dépendante de l'arrivée de nouveaux immigrants pour compenser les pertes naturelles. Malgré l'encombrement du milieu urbain, la ville reste le théâtre d'échanges et de dispersions d'espèces sauvages utilisant toute la gamme des continuités vertes disponibles : en premier lieu, les cours d'eau et leur cortège de plantes rivulaires, et en second lieu, les dépendances vertes des voies rapides urbaines et les friches des voies ferrées.

Des corridors verts pour renforcer la biodiversité

Pour mieux accueillir la faune et la flore des champs candidates à l'immigration urbaine et pour gommer les effets d'insularité, il est opportun de maintenir et de renforcer les capacités de connexion des espaces verts intra-muros avec les ceintures vertes périurbaines. D'où l'intérêt de développer des corridors verts en augmentant les continuités biologiques. Il s'agit de créer des voies vertes, sans interruption ni obstacle physique au même titre qu'une infrastructure routière roulante, dotées de fonctionnalités écologiques et paysagères pour favoriser la libre circulation des animaux et des plantes.

Les villes ne doivent pas être exclues du réseau écologique qui se dessine au niveau européen (Natura 2000, voir le glossaire). Contrairement à une idée reçue, la ville n'est pas un désert biologique, loin s'en faut ! Certains parcs sont aussi riches que des forêts. La question des continuités biologiques se conjugue à toutes les échelles territoriales. En un mot, il faut défragmenter les espaces verts urbains. Il y a là un champ d'études et de réflexions pour les urbanistes et les services techniques des villes. La prise en compte des corridors biologiques dans les documents d'urbanisme (SCoT, PLU) interpelle les acteurs urbains. Sur les documents d'urbanisme, voir le glossaire du dossier (nouvelle fenêtre) : La France, des territoires en mutation

Cette notion de corridor a le mérite d'être en phase avec le concept de "ville apaisée" qui trouve une oreille attentive auprès des citadins. Pouvoir marcher le long d'un itinéraire vert, "mi-promenade urbaine, mi-jardin public", telle est la demande des citadins (voir ci-dessus) et afin de répondre à cette attente, nous préconisons de décliner le concept de corridor biologique, en développant une offre alternative d'espaces verts linéaires. À l'image du bocage, il s'agit de rétablir des connexions vertes : jouer sur la palette végétale, la densité et la diversité, pour aménager des axes verts multifonctionnels, réhabiliter l'avenue-promenade ou le quai-promenade. Si la largeur et la longueur d'un corridor biologique sont des paramètres fondamentaux pour augmenter les capacités d'échanges, une voie verte fonctionne mieux si elle allie différentes utilités écologiques et paysagères et si elle encourage les modes doux de déplacements. Une voie verte cumulant ces atouts a toutes les chances de séduire les citadins.

Trames et corridors verts dans le Grand Lyon

Repères : 1 = parc de la Tête d'Or ; 2 = parc de Gerland

 

Parc de la Tête d'Or (1) (image Google Earth)

GEarth.gif - 45°46'51.26"N et 4°51'13.37"E

Parc de Gerland (2) (image Google Earth)

GEarth.gif - 45°43'16.48"N et 4°49'40.74"E

L'environnement et la qualité du cadre de vie urbain correspondent à des attentes croissantes en matière de localisation résidentielle des habitants. Ils mettent en jeu l'image générale de la ville vis à vis de l'extérieur, des usagers non-résidents et des visiteurs. Parmi les éléments de qualité urbaine, la présence d'une trame verte constitue aujourd'hui une composante majeure de l'attractivité d'une ville. C'est en ce sens que le Plan local d'urbanisme est un moment privilégié pour engager une réflexion sur ce thème.

 

Prendre en compte les espaces verts dans un Plan local d'urbanisme (PLU)

La proximité d'une trame végétale ponctuée de parcs et jardins est un élément déterminant en matière de localisation résidentielle : un PLU [2] ouvre des opportunités d'augmenter l'offre d'habitat de qualité et d'accroître le maillage des espaces verts. La notoriété des parcs et jardins, la diversité des espaces naturels et ruraux de sa périphérie, le mode de traitement des franges périurbaines participent à l'attractivité et au dynamisme d'une agglomération. La présence d'une trame végétale ample et continue est sans cesse convoquée pour améliorer l'image de la ville, à tel point que le palmarès des villes vertes ou des villes fleuries est un évènement médiatique incontournable.

Face à un déficit d'espaces verts, plus durement ressenti dans les quartiers denses, le risque de "déclassement" social et économique s'avère une variable d'ajustement des flux migratoires et des parcours résidentiels des habitants. Ces derniers peuvent ainsi se mobiliser pour préserver leur standing en repoussant les projets dénaturant leur cadre de vie. Ils peuvent augmenter la valeur de leurs biens immobiliers en privilégiant les quartiers verts. L'équilibre entre espaces non urbanisés et surtout non urbanisables est un sujet sensible, un enjeu de gouvernance urbaine. Comment contenir l'urbanisation diffuse et verdir des tissus urbains ménageant peu d'espaces libres ?

Établir d'abord un plan vert

La déclinaison d'une politique verte suppose que les villes disposent d'un plan d'ensemble à partir duquel elles exposent leurs intentions. Ce plan de référence, que certains nomment Plan "vert", "de paysage" ou "d'embellissement", se présente sous la forme d'une étude préalable qui vise à coordonner les différents projets destinés à améliorer le cadre de vie à l'échelle d'un quartier ou de la commune. Un Plan vert définit une stratégie globale d'aménagement à moyen terme, propre à guider la conduite de chaque opération vers un projet urbain cohérent. Le caractère préopérationnel du Plan vert en fait l'instrument permanent de gestion de la municipalité : il hiérarchise les interventions en établissant les priorités, permet à la municipalité de saisir les opportunités qui s'offrent à elle. Ce plan induit des points de passage obligé : établissement d'un diagnostic partagé, scénarios d'aménagements envisageables, programme d'action doté de moyens, tenue d'un bilan et suivi des réalisations achevées.

Traduire les orientations d'aménagement dans le PLU

Un PLU constitue un moment privilégié pour mettre en œuvre une programmation des espaces verts sur le territoire communal. Parmi les outils opérationnels d'accompagnement d'un Plan vert, le PLU reste le meilleur moyen pour traduire les orientations d'aménagement dans un règlement opposable aux tiers [6] et pour cartographier la trame verte dans un document graphique. Outre les dispositions applicables aux zones agricoles (notées A) et aux zones naturelles et forestières (notées N) qui correspondent à des coupures d'urbanisation – nécessaires et indispensables espaces de respiration – nous mettons ici l'accent sur trois articles-clés du code de l'urbanisme. Ils permettent de renforcer la présence d'espaces verts en tissu urbain dense, là où la demande sociale est la plus forte.

En premier lieu, l'article 13 du règlement d'un PLU a vocation à gérer les espaces libres existants, non encore consommés par le bâti, la voirie ou une aire de stationnement. Un square, un parc urbain, un mail, un espace vert intérieur privé, tel qu'un jardin en retrait d'une rue, une cour d'école agrémentée de tilleuls, peuvent bénéficier d'une protection stricte en espace boisé classé au titre de l'article L.130-1 du code de l'urbanisme. Le classement interdit tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection, la création de boisements. Les éléments de paysage à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier peuvent également faire l'objet d'une réglementation plus souple en application de l'article L.123-1-7. Les prescriptions "paysagères", en précisant par exemple les essences spécifiques pour étendre un ensemble arboré, sont très appréciées des communes qui souhaitent valoriser leur patrimoine végétal, qu'il soit public ou privé.

En second lieu, l'article 13 peut édicter des obligations de réaliser un espace vert à l'occasion d'un aménagement de voirie, d'une opération immobilière, d'un lotissement, d'une zone d'activité. Cette disposition permet de délimiter les espaces libres à végétaliser aux abords d'une voie publique, d'une aire de stationnement ou d'une construction nouvelle. Certaines communes vont jusqu'à fixer un pourcentage en pleine terre pour augmenter les continuités vertes et les surfaces perméables. Cette obligation est contrôlée à la parcelle près, dans le cadre de l'instruction des permis de construire ou autorisations, au vu d'un plan-masse [7] indiquant les plantations maintenues, supprimées ou créées.

Les espaces libres à végétaliser ont le mérite d'inciter les maîtres d'ouvrage à requalifier les zones de couture entre les domaines public et privé, au besoin par des aménagements paysagers en pied d'immeubles qui sont très prisés des riverains.

En dernier lieu, la volonté de créer des espaces verts peut se traduire par l'inscription d'un emplacement réservé pour espace vert public en précisant la collectivité, le service ou l'organisme public bénéficiaire, conformément à l'article L.123-1-8. L'emplacement réservé pour espace vert permet de verdir des délaissés fonciers, non sans difficultés, mais surtout de créer un jardin public dans des secteurs appelant des requalifications : démolitions d'entrepôts vétustes, recompositions de places, parcs de stationnement, etc. La localisation de l'espace vert doit être la meilleure, notamment dans les quartiers déficitaires au cœur des îlots denses, car on se souvient (cf. supra) qu'il répond d'autant mieux aux besoins de détente des habitants qu'il est facilement accessible, à 10 minutes de marche. Un emplacement réservé peut aussi être destiné à l'acquisition d'un espace vert existant, encore non ouvert au public, comme un parc boisé attenant à une maison bourgeoise ou une friche industrielle. Cette servitude rend les parcelles concernées inconstructibles pour toute autre opération que l'espace vert projeté et elle évite que les terrains fassent l'objet d'une utilisation incompatible avec leur destination finale.

L'accessibilité potentielle des espaces verts de la ville de Toulouse

Source : Service des Espaces verts et Direction de l'Environnement de la ville de Toulouse.

Espaces verts et déplacements doux : les nouvelles images du marketing urbain

Sur le quai, en rive gauche du Rhône, la promotion du corridor vert du projet "Berges du Rhône" (bas-ports) dont la première tranche est inaugurée en mai 2007. On relève aussi une station de "Velo'v" mis à disposition en libre-service. (Cliché : S. Tabarly, mars 2007)

L'attrait d'une ville dépend beaucoup de l'importance réciproque des masses bâties et des espaces verts. Un PLU est un document essentiel pour régler ce subtil équilibre.

 

En guise de conclusion ... et pour ouvrir au débat ...

Les urbanistes rêvent la ville à la manière d'une métropole ouverte alliant les bienfaits du vivre à la campagne et les avantages du monde urbain, où les habitants seraient heureux de vivre ensemble. Pour que ce bonheur soit palpable, la nature n'est pas oubliée. Elle participe à l'embellissement urbain : elle est l'assurance d'améliorer la qualité de vie de tous. La nature aimable, ou en tout cas l'image que l'on s'en fait, verte, végétale, lumineuse, propre et apaisante, est sans cesse convoquée : arbres d'ornement le long d'avenues-promenades, parcs et jardins de proximité, fleurissements généreux en pied d'immeubles, voilà quelques-unes des réalisations vertes les plus appréciées pour introduire de la nature en ville.

Les documents de planification des territoires sous influence urbaine revisitent les modèles de villes vertes célébrées par les protagonistes de la cité-jardin (Ebezener Howard), de la cité-parc (Jean-Claude Nicolas Forestier) ou de la cité radieuse (Le Corbusier). La protection des derniers "carrés verts" sur les marges périurbaines, disposés en ceinture verte, en doigt de gant ou en coupure d'urbanisation, et la mise en valeur des espaces verts intra-muros sont érigées en programme d'action prioritaire. Cette cité verte, chère aux urbanistes contemporains, renoue avec la nature. La ville verte est un espace hybride, entre la ville minérale et la ville-jardin.

Mais l'accès à un environnement de qualité n'est pas donné à tous. Habiter aux abords d'un parc historique, dans un logement avec vue imprenable sur le site, est un vœu hors de portée pour un ménage modeste. Les beaux quartiers, aérés et verts, sont aujourd'hui inabordables pour les primo-accédants et les locataires à faibles revenus. La requalification des friches urbaines en quartiers résidentiels pourvus d'espaces verts, la construction d'immeubles autour d'un jardin intérieur privé accélèrent le mouvement de reconquête des centres urbains de la part des ménages aisés, alors que l'exode des classes défavorisées se poursuit vers les communes périurbaines. La compétition entre les groupes sociaux pour l'accès à des biens immobiliers situés dans des quartiers à forte valeur environnementale est vive. Cette concurrence renforce le dynamisme des marchés fonciers et immobiliers qui alimentent l'étalement urbain, dans la mesure où l'offre de nature et la qualité des paysages sont insuffisantes dans les quartiers denses ou vétustes.

La ville verte reste un modèle consensuel, mais les alternatives à la ville compacte, plus urbaine, et la ville extensive, plus rurale, ne sont pas sans incidence sur le "vivre ensemble". Quels que soient les modèles urbains préconisés, la ville verte reste un défi pour les urbanistes. Pour les uns, l'introduction de verdure, de parcs et de jardins conduirait à une gentrification des quartiers rénovés, excluant les ménages défavorisés, notamment à Paris et dans les grandes villes de Province. Pour les autres, la ville verte serait synonyme de ville étalée, consommatrice de terres agricoles et destructrice de paysages, favorisant le repli communautaire des ménages habitant en maison individuelle dotée d'un jardin privatif. Mettre de la nature dans la ville s'avère, en fin de compte, un exercice complexe, opposant des points de vue contradictoires selon les orientations sociales, environnementales et économiques, qui sous-tendent une certaine vision de la ville idéale.

 

Aspects de la ville verte - Diaporama

 


Commentaires des photographies

  • 1 - Le jardin du palais Saint-Pierre à Lyon est un havre de paix et de silence dès que l'on franchit les murs de cette ancienne abbaye du XVIIe siècle. Niché au cœur de la ville, dans l'enceinte du musée des Beaux arts, ce jardin public est situé à deux pas de la place des Terreaux et de l'Hôtel de ville (Certu - Emmanuel Boutefeu, juillet 2006).
  • 2 - La requalification du boulevard de Rochechouart à Paris en axe vert en fait un lieu de promenade et de détente. Les aménagements paysagers favorisent les modes de déplacement doux et les piétons (Certu - Pierre Viatte, septembre 2006)
  • 3 - Le square Renard (Lyon, 6e) est un espace public très apprécié des familles vivant en immeubles collectifs (Certu - Emmanuel Boutefeu, avril 2002)
  • 4 - Enfants jouant dans le square de l'abbé Larue (Lyon) (Certu - Stéphane Autran, juin 2003)
  • 5 - Le parc de la Commune de Paris est un espace vert enclavé, en position insulaire dans le tissu urbain de la commune de Villeurbanne (Certu - Emmanuel Boutefeu, juin 1998)
  • 6 - Situé dans le 7e arrondissement de la ville de Lyon, le parc de Gerland est un équipement à part entière du renouvellement urbain (Certu - Stéphane Autran, juin 2003)
  • 7 - Au parc de Gerland, quand les nichoirs deviennent un symbole (Sylviane Tabarly, mars 2007)
  • 8 - ... et quand les plans d'eau sont investis par des canards sauvages (Sylviane Tabarly, mars 2007)
  • 9 - La prairie fleurie, un faire-valoir du parc des berges du Rhône. Ce parc de 5 km de long assure une continuité verte entre le parc de la Tête d'or et le parc de Gerland, permettant de multiples usages (Sylviane Tabarly, mars 2007)
  • 10, 11 et 12 : Le parc des berges du Rhône n'est pas une simple réhabilitation mais une complète mutation des espaces riverains du fleuve en lien avec les modes de vie et de déplacements en ville : marcheurs, joggeurs, rollers et cyclistes se partagent la voie sur berge dont les voitures ont été exclues. Le démarrage printannier de la végétation préfigure le nouveau visage de ce morceau de ville (Sylviane Tabarly, mars 2007)
  • 13 : Animation lors de l'inauguration de la première tranche du projet "Berges du Rhône" le 9 mai 2007 : une célébration de la nature en ville (Sylviane Tabarly).

 


Notes

[1] Cette page est construite principalement à partir de différentes publications de l'auteur :

  • "Plus de nature près de chez moi" - Revue Isère Nature, mensuel de la fédération Rhône-Alpes de protection de la nature Isère, n° spécial 271, avril 2006 « Nature en ville ».
  • "Des corridors biologiques en ville : pourquoi, comment ?" - Techni-Cités, n° 89, 8 mai 2005
  • "Prendre en compte les espaces verts dans un Plan local d'urbanisme" - Techni-Cités n° 111, 8 juin 2006

 

[2] La loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbains (SRU, 13 décembre 2000) introduit de nouveaux outils d'aménagement urbain. Elle intègre les notions de développement durable, de solidarité, particulièrement en matière d'habitat et de territoires de projet. Elle institue de nouveaux documents d'urbanisme : les Schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les Plans locaux d'urbanisme (PLU) qui remplacent les SDAU et les POS de 1967. Ils doivent être compatibles avec les Directives territoriales d'aménagement (DTA, loi de 1995).

[3] On peut proposer les définitions suivantes :
> Square : espace vert urbain ouvert au public, peu étendu, allant de 1 000 m² (1ha) à 20 000 m², aménagé dans une cour intérieure d'immeuble, un quartier d'habitation, ou situé sur une place protégée des circulations générales, agrémenté d'arbres et de pelouses, généralement doté d'une aire de jeux, et clos par une grille, un grillage ou une haie.
> Parc : espace vert urbain ou périurbain ouvert au public, clos ou non, de plus grande proportion qu'un square, allant de 2 ha à 3000 ha. Le parc est aménagé à des fins récréatives, composé de pelouses d'agrément, d'arbres d'ornement et de massifs boisés. Il est généralement attenant à une propriété privée (château, manoir, maison de maître) ou jouxtant une propriété publique (hôtel de ville, domaine public fluvial, forêt domaniale). Les parcs hérités du Second Empire (parc boisé, jardin public, parc-jardin) disposent parfois d'une ligne de mobilier de jardin spécifique (banc, lampadaire, grille, porte d'entrée monumentale, fontaine). En revanche, certains parcs naturels urbains et périurbains peuvent inclure des terres agricoles cultivées, et ne présenter aucun mobilier et équipement urbain.
> Jardin public : au sens strict, le jardin public est un espace vert urbain, enclos, à dominante végétale, protégé des circulations générales, libre d'accès, conçu comme un équipement public et géré comme tel.

[4] La connectivité écologique est un concept emprunté à l'écologie du paysage qui mesure le degré de fragmentation des milieux naturels. Voir, par exemple un article informé sur Wikipédia : « Fragmentation (écologie) ».

[5] Le Channel Islands National Park en Californie : www.nps.gov/chis

[6] Opposable aux tiers : on dit qu'un document d'urbanisme est opposable aux tiers quand ses dispositions ( plans et règlements) s'appliquent à tous les usagers du sol qu'ils soient publics ou privés.

[7] Plan-masse : pour les urbanistes ce terme est entendu au sens de plan urbain, il s'agit d'un document d'urbanisme définissant les places respectives des activités, des logements et de la voirie ; c'est une sorte de vue d'avion des aménagements existants ou projetés.

 


Pour prolonger, pour en savoir plus : bibliographie et ressources en ligne

  • Arnould Paul et Glon Éric (dir.), La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ? - Publications de la Sorbonne, 275 p., 2005.
  • Arnould Paul et Cieslakb Caroline, « Mise en scène d'objets de nature à Paris et Varsovie : les arbres remarquables de deux forêts périurbaines », Natures, sciences, sociétés, 2004.
  • Autran S. - Les infrastructures vertes à l'épreuve des plans d'urbanisme. L'agglomération lyonnaise, la construction d'une stratégie, CERTU - 2004.
  • Lizet B., Wolf A.E. et Celecia J. (éd.), « Sauvages dans la ville », Paris, Jatba, Revue d'ethnobiologie,  607 p. - 1997
  • Boutefeu E. - La demande sociale de nature en ville, enquête auprès des habitants de l'agglomération lyonnaise, éditions PUCA-CERTU, 85 pages - 2005.
  • CERTU - Composer avec la nature en ville, collections du Certu, mars 2001.
  • Clément G. - Bibliographie et blog : www.gillesclement.com
  • Merlin P. et Choay F. - Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, PUF - 2000
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Emmanuel Boutefeu,
chargé d'études au département environnement du 
Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU)

pour Géoconfluences le 28 avril 2007

Mise à jour (toilettage, vérification des liens externes) : mars 2018.

Pour citer cet article :  

Emmanuel Boutefeu, « La nature en ville : des enjeux paysagers et sociaux », Géoconfluences, avril 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/paysage/PaysageViv.htm