Anthropocène
L'Anthropocène est l'un des récits, scientifiquement étayé, décrivant les basculements en cours dans les rapports des sociétés humaines à leurs environnements. Au sein de l’Holocène, dernière époque géologique du Quaternaire qui commence après la dernière glaciation et qui dure depuis 12 000 ans, l’Anthropocène peut être considéré comme l'époque de l'histoire de la Terre au cours de laquelle les activités humaines ont un impact significatif et global sur le système planétaire.
Ce néologisme, construit à partir du grec ancien anthropos, « être humain » et kainós, « nouveau, récent », apparaît au début des années 1990, pour signifier que l'influence des activités anthropiques sur le système terrestre est désormais prépondérante. Le biologiste Eugene F. Stoermer l'utilisait dans la décennie précédente sans l'avoir formalisé. En 1992, dans un livre consacré au « réchauffement global », Andrew C. Revkin écrit : « Peut-être que les scientifiques du futur nommeront cette nouvelle période post-Holocène par son élément déclencheur : nous. Nous entrons dans un âge qu'on appellera peut-être un jour l'Anthrocène (sic). Après tout, c'est un âge géologique que nous avons forgé nous-mêmes. » (cité par Steffen et al. 2011). Le terme est formalisé en 1995 par le Néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel de chimie grâce à ses travaux sur la couche d'ozone. La notion d'Anthropocène repose aussi sur l'irréversibilité : la trace des activités humaines est désormais inscrite dans l'histoire géologique et climatique de la planète, et les scientifiques du futur pourront la dater.
Depuis 2016, le Congrès de l'Union internationale des sciences géologiques, instruit par le groupe de travail créé au sein de la Commission stratigraphique internationale, travaille à déterminer s'il est possible d'acter le passage d’une époque géologique à une autre. De nombreux géologues sont en désaccord dans la mesure où la date de début de l'anthropocène n'est pas fixée. Pour eux, la notion relève de l'histoire et pas de la géologie. Les débats s'achèvent en 2024 lorsque la Commission internationale de stratigraphie (ICS) refuse la proposition de création d’une nouvelle époque géologique nommée « anthropocène » (Dufour, 2024). À cette date, le concept a déjà glissé de la géologie vers d'autres disciplines, et en particulier vers les sciences sociales.
En tant que concept scientifique émergent, l'Anthropocène est loin d’être parfaitement circonscrit dans ses limites thématiques et temporelles car selon les champs disciplinaires, sa définition et sa datation peuvent varier. Les géologues l’ont d’abord défini comme une époque qui survient avec l’impact géologique des activités humaines sur l’environnement terrestre, avant qu'une partie d'entre eux ne refuse de le considérer comme une époque ou une période géologique au sens strict. Puis la notion d’Anthropocène s’est élargie aux autres changements environnementaux globaux induits par les impacts des activités humaines sur le climat planétaire ainsi que les grands équilibres de la biosphère. Cette notion issue d’abord des sciences de l’atmosphère et de la terre s’est propagée dans toutes les sciences, des sciences de la vie jusque que dans les sciences humaines. En géographie, c'est au sein de la géographie environnementale qu’elle se développe actuellement (Mathevet et Godet, 2015).
La date des origines de cette nouvelle époque n'est toujours pas arrêtée.
– Avec Paul Crutzen, certains proposent de la faire commencer avec la révolution industrielle (1784 : brevet de la machine à vapeur de James Watt).
– D'autres remontent aux débuts du néolithique, il y a quelque 10 000 ans, lorsque des sociétés de cultivateurs-pasteurs sédentaires se sont substituées aux chasseurs-cueilleurs nomades.
– D’autres montrent que le processus s'est précipité à partir du milieu du siècle passé. La « grande accélération » voit tous les indicateurs monter en flèche : démographie mondiale, concentration de gaz à effet de serre, disparition d’espèces animales, construction de barrages, pertes de forêts, surfaces de terres exploitées, etc. (Hamilton et Grinewald, 2015).
– La date de 1945 arrêtée par la Commission stratigraphique internationale peut être contestée au regard des travaux de Bonneuil et Fressoz (2013) qui montrent l'ampleur des effets des guerres sur l'environnement et le changement climatique : commencer en 1945 tendrait à effacer l'effet accélérateur qu'a eu la Seconde guerre mondiale sur l'entrée dans l'Anthropocène.
Le terme Anthropocène est soumis à des critiques de plusieurs types.
D'une part, il est rejeté par les partisans du « négationnisme écologique » regroupant climato- et écolo-sceptiques.
D'autre part, pour les historiens des sciences, Bonneuil et Fressoz (2013), « il faut prendre garde à ce terme et ne pas laisser à la culpabilité collective de l’humanité la charge de ce changement environnemental alors que des acteurs politiques et économiques en sont responsables. L’Anthropocène est une affaire trop importante pour qu’elle soit laissée aux seuls scientifiques. ».
(JBB) : septembre 2017. Dernière modification : septembre 2023, septembre 2024.
Références citées
- Bonneuil Christophe et Fressoz Jean-Baptiste (2013). L’autre histoire de l’Anthropocène – L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 304 p.
- Crutzen P.J. (2002), “Geology of mankind”, Nature, 2002, 415: 23.
- Dufour Simon (2024), « L’anthropocène, mort et enterré pour les géologues ? Et s’il survivait malgré tout ? », The Conversation, 5 septembre 2024.
- Hamilton C. et Grinevald J. (2015), “Was the Anthropocene anticipated ?”, The anthropocene review, 2015, 1-14.
- Mathevet R. et Godet L. (coord., 2015), Géographie de la conservation, Paris, L’Harmattan, 2015, 397 p.
- Steffen Will, Jacques Grinevald, Paul Crutzen, John McNeill (2011), "The Anthropocene: conceptual and historical perspectives", Philosophical transactions of the Royal Society, 2011.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Julie Le Gall, Olivier Hamant et Jean-Benoît Bouron, « Anthropocène », Notion à la une de Géoconfluences, 2017.
- Yves-François Le Lay, Émeline Comby et Jean-Benoît Bouron, « Notions en débat. Milieu, environnement et nature », Géoconfluences, novembre 2023.
Pour aller plus loin
- Simon Dufour (dir.), Géographie de l'anthropocène : concepts, démarches, éthiques. Armand Colin, coll. « U ». Octobre 2024. 352 p.
- Pierre Pech, « Anthropocène », Hypergeo, 2016.
- Le site du Groupe de travail sur l'Anthropocène (en anglais), un réseau interdisciplinaire de chercheurs œuvrant pour la Commission internationale de stratigraphie.
- France Culture, Science Publique, Peut-on parler d’Anthropocène ?, avec Jean-Baptiste Fressoz, 13 juin 2014.