Vous êtes ici : Accueil / Glossaire / Constructivisme (en sciences sociales), socio-constructivisme

Constructivisme (en sciences sociales), socio-constructivisme

Publié le 17/11/2023
PDF

Une approche constructiviste (on rencontre aussi fréquemment, en sciences sociales, le terme de socio-constructivisme) repose sur l’idée que nous ne pouvons avoir de connaissance des choses qu’à travers nos « systèmes de représentation » (Orain, 2007) : il n’y a pas de connaissance d’un réel préétabli, mais seulement d’un réel tel que nous le questionnons, dans une époque donnée. Cette approche peut être résumée par les propos de Ferrier, Racine et Raffestin en 1977 : « Qu'on le veuille ou non, tout scientifique est enserré dans l'appareil social, et par conséquent lui-même et sa recherche en dépendent totalement. Dès lors, toutes les finalités scientifiques sont engendrées par l'appareil social, quelles que soient les explications données par le chercheur lui-même. Dans de telles conditions, le chercheur devrait se dire : "je fais de la science, donc je ne suis pas libre mais j'en suis conscient. Je connais mes déterminismes et, par cette prise de conscience, je suis sur le chemin de l'autonomie". »

C’est une position opposée à une approche positiviste qui envisage les choses comme une réalité que la connaissance pourrait épuiser. Pour Michel Lussault (2013), le positiviste « conçoit les concepts et les objets de connaissance comme présents tels quels dans un monde des réalités toujours déjà là, charge au chercheur, parfaitement objectif, de les découvrir en améliorant ses méthodes d’observation ». Pour prendre une analogie imparfaite, le positiviste voit le réel comme une bibliothèque contenant tous les livres du monde : un gisement de connaissance immense, mais fini, auquel on a accès pour peu qu’on en comprenne le classement. Pour un constructiviste, le réel serait comme un internet infini et dont les pages changent en permanence, qui n’apporterait de réponse qu’à celui qui lui pose la bonne question, et encore cette réponse ne serait que le reflet de ses préoccupations et de sa propre conception du monde. Cette analogie grossit toutefois le trait de chacune des deux approches.

Ces deux approches comportent un grand nombre de variantes et de positions intermédiaires. Si dans le domaine de l’accès aux connaissances, « on ne peut guère nier aujourd’hui le caractère constructiviste de l’intelligence humaine » (Lussault, 2013), c’est dans leur manière d’appréhender la réalité elle-même, et pas seulement la connaissance de la réalité, que s’opposent désormais les approches constructivistes et réalistes.

Dans une vision encore plus radicale du constructivisme, le monde lui-même n’existe pas en dehors de la représentation que nous en avons. Le monde est « un spectacle vu de l’intérieur » (Bruno Latour).  C’est cette approche pure qu’Olivier Orain appelle « constructivisme ontologique » : les choses n’existent pas en soi et en dehors de notre connaissance. Il distingue par ailleurs parmi les anti-réalistes, outre les constructivistes, les nominalistes et les pragmatistes : les nominalistes estiment que l’univers est trop complexe pour être dit, et que nous utilisons par conséquent, pour dire le monde, une série de simplifications ou de réductions qui orientent la connaissance que nous en avons ; les pragmatistes estiment qu’il peut y avoir connaissance du réel à condition de pouvoir lui appliquer une action qui valide cette connaissance.

Entre le constructivisme ontologique et le réalisme, Michel Lussaut discerne le constructivisme réaliste : si les connaissances sont un construit qui ne permet qu’imparfaitement d’accéder au réel, les choses n’en ont pas moins une existence réelle, indépendamment de la connaissance qu’on en a.

Constructivisme et réalisme, ainsi que toutes leurs nuances, sont des conceptions qui s’opposent (ou simplement coexistent) au sein de nombreux champs disciplinaires, y compris dans les sciences expérimentales (Michel Lussault cite l’exemple de la physique quantique), et dans les sciences sociales comme la géographie.

(JBB) novembre 2017.


Références citées
  • Michel Lussault « Constructivisme » in Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin, 2013 (1e éd. 2003).
  • Jean-Paul Ferrier, Jean-Bernard Racine, Claude Raffestin. « Vers un paradigme critique : matériaux pour un projet géographique ». L'Espace géographique, 1978, n° 4, p. 291–297. [pdf]
  • Olivier Orain, « Constructivisme », Hypergeo, encyclopédie de géographie en ligne, 2007.
Pour compléter avec Géoconfluences

 

Affiner les résultats par :