Controverse
La notion de « controverse » est davantage mobilisée en sociologie (Callon, 1986) qu'en géographie, où on utilise plus volontiers la notion de conflit (environnemental, d'acteurs, d'usage…). La controverse est souvent employée pour désigner un type spécifique de conflit, mais les caractéristiques de ce dernier varient en fonction des auteurs. Pour beaucoup, les controverses désigneraient des situations conflictuelles moins manifestes et moins violentes que les conflits. Bruno Charlier (1999) définit les controverses comme des conflits latents, comme des comportements ou des valeurs inconciliables co-existants dans un espace spécifique mais dans des temporalités différentes. Pour le sociologue Cyril Lemieux (2007), les controverses sont caractérisées, le plus souvent, par l'absence de violences, par la civilité et la maîtrise de soi. L’une des singularités de ce type de conflit serait aussi liée à sa structure : « les conflits qui nous sont présentés comme étant des « controverses » ont toujours une structure triadique : ils renvoient à des situations où un différend entre deux parties est mis en scène devant un public, tiers placé dès lors en position de juge » (Lemieux, 2007, p. 195).
En outre, les travaux qui recourent à la notion de controverse font une place de choix à la question de l'incertitude – technique ou scientifique – qui entoure l'objet de la controverse, en particulier dans ce qu'on appelle les controverses socio-techniques. Les controverses vont de pair avec une remise en cause des savoirs scientifiques et techniques, de leur légitimité mais aussi de leur véracité, d'autant plus lorsqu'il n'existe pas de consensus scientifique (le cas des mégabassines, ou retenues agricoles, est un bon exemple) ; elles brouillent les limites entre savoirs vernaculaires et savoirs scientifiques et peuvent ainsi être considérées comme des « processus d'apprentissage[s] » (Lascoumes, 2001). Ainsi, l'étude des controverses accorde une place importante aux discussions, aux arguments et aux connaissances qui se développent au cours de la controverse dans un espace partagé par un groupe d’acteurs divers (D’Alessandro-Scarpari et al., 2004 ; Lascoumes, 2001) ; cet espace a été formalisé par Callon et Rip (1992) sous l’appellation de « forum hybride ».
Silvia Flaminio, février 2017, dernière modification (JBB), octobre 2025.
Références citées
- Callon Michel, et Rip Arie. 1992. « Humains, non-humains : morale d’une coexistence ». La Terre outragée. Les experts sont formels !, dirigé par J Theys et B Kalaora. Paris, Autrement. (lire le PDF)
- Charlier, Bruno 1999. La défense de l’environnement : entre espace et territoire. Géographie des conflits environnementaux déclenchés en France depuis 1974. Thèse de doctorat en géographie, université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA).
- D’Alessandro-Scarpari Cristina, Rémy Élisabeth et November Valérie. 2004. « L’« espace » d’une controverse ». Espaces-Temps, Revue électronique des sciences humaines et sociales.
- Flaminio Silvia, 2017, « L'eau en Australie : de l'exploitation des ressources à la gestion des milieux ? L'exemple du bassin versant du Gordon en Tasmanie », Géoconfluences, février 2017
- Lascoumes Pierre. 2001. « La productivité sociale des controverses ». Intervention au séminaire « Penser les sciences, les techniques et l’expertise aujourd’hui », Paris.
- Lemieux Cyril. 2007. « À quoi sert l’analyse des controverses ? » Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle 25 (1): 191–212.







