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Le potentiel d'énergie renouvelable de l'océan mondial entre contraintes d'exploitation et enjeux de territorialisation

Publié le 04/07/2014
Auteur(s) : Jacques Guillaume, professeur honoraire des universités - Université de Nantes

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Bibliographie | citer cet article

Qui n’a pas, un jour de tempête, été frappé par la furie des éléments ? Qui en même temps, ne s’est pas interrogé sur les difficultés de maîtriser une telle débauche d’énergie, en mettant en comparaison cette brutalité de la nature avec d’autres formes d’énergie, plus secrètes, plus constantes ou plus faciles à domestiquer ? Il est vrai que l’énergie contenue dans ces mouvements de l’air et de l’eau arrive la plupart du temps à s’exprimer de manière moins violente que pendant de telles phases paroxystiques, grâce à des flux d’intensité variable, qu’ils soient liés aux courants ou aux ondes animant les masses d’eau, ou qu’ils soient engendrés par des mouvements atmosphériques, dépendant eux-mêmes des échanges entre les eaux de surface et l’air sus-jacent. Au total, le potentiel énergétique renouvelable de l’océan mondial est énorme, certains l’estimant à l’équivalent de 100 000 milliards de kWh, dont 20 000 milliards seraient exploitables avec les technologies actuelles, sous forme éolienne pour 12 000 milliards de kWh, le reste étant tiré de la houle, des courants ou de l’énergie thermique des mers. A titre comparatif, la production d’électricité de la planète est évaluée à près de 22 000 milliards de kWh en 2011. Autant dire que les énergies marines renouvelables (EMR) pourraient presque suffire aux besoins électriques de l’humanité, si de multiples contraintes géographiques, techniques, économiques, politiques, ne venaient pas s’interposer entre ce potentiel et les capacités de production.

Le décollage récent de ces énergies intègre évidemment toutes ces contraintes, tout en ne masquant pas que l’homme s’y intéresse finalement depuis très longtemps, comme attestés par les moulins à marée, sur les côtes généralement basses et à fort marnage de l’Europe atlantique ou par les moulins, à eau ou à vent, qui étaient en charge d’assécher les polders hollandais. Le saut technologique qui accompagne l’essor récent des EMR dérive donc d’un effort obstiné dont les dernières nouveautés dépendent pour beaucoup du développement des hydrocarbures offshore. C’est dire que l’émergence des EMR n’est pas isolée ou n’est pas une alternative à tous les « vices » des énergies conventionnelles. Elle s’inscrit dans un mouvement continu d’expansion des techniques au service de la maîtrise de l’oekoumène. De ce point de vue, elle justifie le regard géographique que l’on peut porter sur elle : elle s’inscrit dans des environnements précis et participe à une certaine forme de territorialisation des espaces marins, pour lesquels le regard du géographe trouve son intérêt ou sa justification.
L'énergie marine, une énergie ancienne

Moulin à marée du Rio Formosa en Algarve (Portugal). L'eau de mer stockée à marée haute et relâchée à marée basse fait tourner les meules. Les moulins à marée existent depuis le XIIIe siècle au Portugal. Celui-ci, construit en 1885, a fonctionné jusqu'en 1970.

1. À la recherche des environnements favorables aux EMR

Plusieurs types d’EMR sont envisageables, même si leur essor est conditionné à l’état d’avancement des technologies (depuis la création de prototypes jusqu’aux phases de production industrielle, elles-mêmes liées aux difficultés relatives des captures et à l’ampleur des coûts qui en résultent).

Les différentes énergies marines renouvelables et leur stade technologique
 
Source Forme  État actuel de la technologie
Vent Électricité Éolien posé : stade industriel
Éolien flottant : prototypes
Vagues Électricité Houlomoteur : stade expérimental
Courants Électricité Hydrolien : stade expérimental
Marée Électricité Marémoteur : stade industriel
Température Électricité ou froid ETM : prototypes

Réalisation : Jacques Guillaume

 

Si l’énergie éolienne a pris le pas sur les autres EMR, c’est sans doute parce que les techniques de capture sont les plus connues, les plus facilement transposables de l’onshore à l’offshore et surtout, parce que leur source (le vent) est suffisamment répandue à la surface de la planète, spécialement sur les côtes ou au large immédiat des espaces littoraux, là où la rugosité des reliefs ne l’a pas encore freiné. Il faut au moins des vitesses de 15 à 20 km/h pour disposer de vents « utiles » au potentiel éolien, sans pour autant atteindre des vitesses excessives qui interdiraient la mise en œuvre des éoliennes. Il faut surtout une distribution moyenne des vitesses qui soit favorable, toutes choses plus faciles à atteindre sur les côtes qu’à l’intérieur des terres. Cela dit, même si des atlas éoliens ont fait leur apparition au cours des dernières décennies, avec des évaluations des potentiels locaux, à partir d’estimations fortement modélisées, beaucoup de travail reste à faire pour harmoniser les estimations, selon des méthodes et des critères applicables de manière universelle. Il serait dit par exemple qu’en France, le potentiel éolien en mer serait de l’ordre de 30 000 MW, (à mettre en comparaison avec les 6 000 MW à équiper à l’horizon 2020, selon les espoirs du Grenelle de la mer, et des 3 000 MW des six premiers appels d’offres déjà engagés). On constate par ces nombres que la France n’en est encore qu’aux balbutiements, mais qu’elle se trouve dans un contexte géographique très favorable, avec des côtes venteuses sur sa façade atlantique, comme d’ailleurs pour l’ensemble de l’Europe du nord-ouest. Les différents États disposant de potentiels intéressants se sont employés à les mettre en œuvre, pour certains de manière précoce et systématique (le premier parc éolien en mer a été mis en service au Danemark en 1991). En 2011, une cinquantaine de parcs étaient en fonction en Europe pour 3 813 MW, dont 2 094 pour le Royaume-Uni et 857 pour le Danemark. Deux ans plus tard, la puissance européenne avait été portée à 6 562 MW, répartie entre 69 champs et plus de 2 000 éoliennes posées. Et les objectifs des différents États devraient porter ces nombres à des résultats plus impressionnants encore pour 2020.

Le potentiel éolien à 60 m de hauteur dans les Pays de la Loire

Source : Atlas régional du potentiel éolien de la Région des Pays de la Loire
(grâce à l'aimable autorisation de l'ADEME)

Le parc éolien de Nysted (Danemark)

Le parc éolien de Nysted, installé dans les eaux territoriales danoises, a été mis en service en 2003. Ses 72 machines (8 rangées de 9 turbines) ont une puissance nominale totale de 170 MW.

Les parcs éoliens en fonctionnement en Europe en mars 2014

Source : ADEME, L'énergie éolienne, 2014
Le Royaume-Uni possède la plus grande puissance installée, le plus grand nombre de turbines et le plus grand parc éolien offshore (London Array).

Cette avancée de l’Europe du Nord-Ouest, si elle dépend bien sûr de choix politiques, est étroitement liée à des environnements favorables, sans lesquels rien ne serait possible. On sait en effet que les latitudes moyennes sont étroitement associées à des vents d’ouest qui se propagent sur le flanc septentrional (ou méridional dans l’hémisphère austral) des anticyclones permanents installés sur les océans. Ces westerlies représentent des gisements intéressants pour les producteurs d’électricité, tout comme d’ailleurs les flux d’alizés de nord-est (hémisphère boréal) ou de sud-est (hémisphère austral) sur les flancs opposés de ces mêmes cellules anticycloniques (d’où l’importance des potentiels éoliens sur les côtes au vent des îles subtropicales). Toutefois, il n’y a jamais dans les espaces concernés, en particulier aux latitudes moyennes, un courant continu de vents dominants d’obédience zonale, mais une série de secteurs où alternent de façon variée et variable des vents de différentes directions et des passages de calme relatif. Mais au cours de l’année, il s’avère que ce sont les vents dominants qui s’imposent et qui établissent en résultante le régime des flux permanents ou saisonniers. Par extension, on peut dire la même chose de l’exceptionnel renversement des flux d’alizés au sud de la masse eurasiatique, pendant l’été de l’hémisphère boréal, attendu chaque année (régime de mousson), mais à des dates et selon des intensités variables.
Pressions et vents dans le monde

Cette remarque générale vaut pour la capture parfois aléatoire des vents par les machines éoliennes qui devront être orientables selon la direction du vent et disposer d’une puissance suffisante (de 6 à 8 MW pour les plus puissantes à construire), pour profiter des meilleurs vents « utiles », sans pour autant que ces derniers soient établis en permanence. Autrement dit, le facteur de charge (rapport entre l’énergie effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qui aurait pu être produite à la puissance nominale) est donc assez faible, de l’ordre de 35% en éolien offshore, contre 70 à 80% pour les centrales thermiques de « base », qu’elles soient nucléaires ou conventionnelles. Il faudra donc, pour évaluer convenablement le potentiel éolien, non seulement prendre en compte la vitesse moyenne des vents, leur direction dominante, mais aussi la variabilité des vitesses et des directions sur une période donnée.

L’analyse est d’autant plus complexe que s’interposent sur les littoraux face aux vents synoptiques liés à la circulation générale, des vents d’origine locale, dont le ressort dépend des gradients thermiques observés en zones côtières, ainsi que de la friction différente de l’air au-dessus des espaces liquides et des reliefs terrestres. Chacun connaît les effets de brise, brise de terre en début de journée, brise de mer en fin de journée, dont l’explication résulte d’une thermodynamique d’échelle locale. Le relief se charge de compliquer les observations, avec des vents déterminés par les différences de champs de pression dues à l’altitude, ou par les effets de couloir terrestre, mais aussi maritime (détroits). Par extension, à une échelle mésogéographique, on peut assimiler certains vents aux mécanismes observables à l’échelle microgéographique. Ainsi, le mistral (Provence) ou la bora (Balkans) procèdent par analogie des mêmes mécanismes que les vents catabatiques qu’il est possible d’enregistrer au pied de hautes terres refroidies au-dessus d’une mer plus chaude. Le mistral est engendré par une descente d’air froid des hauts plateaux du Massif central vers la basse vallée du Rhône. Il en résulte un nombre incalculable de vents « ressentis » avec des terminologies très riches qui sont associées autant à la direction, la vitesse des écoulements, les caractéristiques de l’air déplacé, qu’aux types de temps qui leur sont généralement associés. Les régions éoliennes favorables doivent donc composer avec de multiples paramètres locaux, qui s’expriment au travers de sites plus ou moins aptes à la production d’énergie.
Vents locaux sur les littoraux : des exemples

La configuration des littoraux provoque des vents locaux :
- vent catabatique, accéléré par la descente à partir d'un relief refroidi. Combiné à une brise de terre, il peut être très fort.
- vent de barrière, fort et turbulent le long d'un littoral escarpé.
- vent de couloir, accéléré par la convergence dans un passage étroit.
- vent de fjord, accéléré par l'effet de couloir et l'effet d'entonnoir quand il souffle en diagonale du fjord.

 

Le vent est un paramètre d’entrée d’autant plus intéressant que l’air, en se déplaçant, transmet une partie de son énergie à deux types de mouvements. Passons rapidement sur les courants d’impulsion (ou dérives), bien qu’ils soient très importants à l’échelle synoptique, mais ils sont impossibles à capter au niveau actuel des technologies. Insistons plutôt sur les ondes engendrées par le vent dans leur aire de génération et déplacées parfois sur plusieurs milliers de kilomètres. À la confusion relative de l’agitation de la surface dans la mer du vent (autre nom donnée à cette aire de génération), succède une onde de plus en plus régulière (la houle), caractérisée par quelques paramètres physiques (longueur d’onde, période, hauteur). Cette onde est propagée sans contrainte (ni grande perte d’énergie) sur de grandes distances, jusqu’à ce qu’elle atteigne les zones côtières, où l’influence des fonds lui fait subir de substantielles déformations (jusqu’au déferlement que le baigneur ressent comme une brutale dissipation d’énergie !). Il est évident que les deux principales aires de génération des houles à propagation lointaine sont celles où soufflent les tempêtes d’ouest des zones tempérées dans les deux hémisphères. Elles donnent naissance à des houles longues dont la propagation est particulièrement active pendant l’hiver de l’hémisphère. Ainsi, sur les côtes de l’Europe atlantique ou celles des latitudes moyennes du Pacifique des deux hémisphères, on peut atteindre des puissances de 60, voire 90 kW par m. Or, on estime que le potentiel énergétique de la houle devient intéressant à partir de 15 kW par m. L’Europe atlantique recèle un trésor estimé pour l’Ecosse à 2 000 MW, pour l’Irlande à 500 MW, pour la France atlantique (golfe de Gascogne) à 800 MW, pour le Portugal à 300 MW. Reste à mettre au point les machines les plus efficaces pour capturer ce pactole. Il convient toutefois de préciser que peu de côtes, en dehors de celles qui viennent d’être citées, sont à même d’utiliser cette énergie. Il n’y a qu’une seule autre aire très importante capable d’engendrer de fortes houles : il s’agit de la mer d’Arabie, entre la corne orientale de l’Afrique et la péninsule indienne, pendant la mousson d’été. En revanche, les régimes stables d’alizés n’engendrent pas de fortes houles, sauf lorsque leur course océanique est très longue (comme aux Mascareignes ou le nord-est de Madagascar). Ainsi, la plupart des fortes houles observées dans les régions intertropicales sont originaires de régions des latitudes moyennes : elles viennent y « mourir », après avoir parcouru des milliers de kilomètres.

Le potentiel pour l'énergie houlomotrice :
la puissance moyenne des vagues dans le monde
Le potentiel pour l'énergie marémotrice :
les littoraux à fort marnage dans le monde

Évidemment, il ne faut pas confondre énergie houlomotrice et énergie marémotrice, même si cette dernière dépend également d’une onde, mais d’origine et d’ampleur totalement différentes de celle de la houle. La marée a une cause générale assez simple à formuler, mais des manifestations très complexes, en particulier dans les mers bordières et les zones côtières. Il s’ensuit que les manifestations de la marée sont très inégales selon les lieux et par suite que les potentiels énergétiques contenus dans les courants de marée sont très variables. Ainsi, les marnages moyens les plus intéressants (plus de 2 m) sont observés principalement sur les rivages précédés d’une vaste plate-forme continentale (Europe du Nord-Ouest, côte orientale de l’Amérique du Nord, Sud de l’Amérique latine, mer de Chine septentrionale, Nord de l’Australie…). De même, les golfes ou fonds de baie, ouverts sur des mers bordières également ouvertes sur les océans, offrent des marnages qui peuvent atteindre des valeurs exceptionnelles : pour les marnages maxima les plus remarquables, on approche des 20 m en baie de Fundy (Provinces maritimes du Canada), près de 17 m dans la Severn au Royaume-Uni, plus de 16 m en baie du Mont Saint-Michel).

La France de ce point de vue offre un potentiel remarquable, puisqu'aucune de ses côtes (en dehors de la Méditerranée) n’est affectée par des marnages maxima de moins de 4 m. Le potentiel est d’autant plus intéressant que la côte présente un découpage permettant des effets de « vidange » de bassins de marée (baies ouvertes en goulot de bouteille, estuaires, goulets et détroits), ou que les mers bordières sont ouvertes à des ondes progressives venant de l’océan (avec des effets de retard de l’ouverture au fond de cette mer, comme en Manche). C’est là que sont observés les courants de marée les plus forts, avec des changements d’orientation selon l’heure de la marée (les courants alternatifs priment de ce point de vue sur les courants rotatifs pour la capture de l’énergie). Dès que le courant dépasse 2 m par seconde, il devient énergétiquement intéressant. De tels sites existent en Europe, dans les eaux britanniques ou françaises, où l’on peut atteindre 4 à 5 m à la seconde (au large du Cotentin ou en mer d’Iroise). Plusieurs milliers de MW y seraient potentiellement utilisables. Il convient toutefois de signaler qu’en raison de la variation du marnage entre les marées de mortes et de vives eaux, la puissance des machines hydroliennes ne peut être utilisée de manière continue tout au long de l’année. On retombe ici dans les difficultés déjà signalées pour l’énergie éolienne, sauf qu’en l’occurrence, la marée est prédictible sur de très longues périodes de temps, à la différence du vent qui est soumis aux caprices météorologiques. Par exemple, pour la centrale de la Rance, dont le principe de capture est assez comparable aux centrales fluviales au fil de l’eau, la puissance est assez élevée (240 MW) mais le facteur de charge est faible (25%) pour une production moyenne qui ne dépasse pas 500 millions de kWh (soit une puissance moyenne « utile » de l’ordre de 57 MW).
Les marnages sur les littoraux français

Source : SHOM
La différence entre la hauteur de la pleine mer et la hauteur de la basse mer suivante varie considérablement d'un point à un autre du rivage.

Finalement, l’avantage indéniable des latitudes moyennes n’est contrarié que sur un point : l’énergie thermique des mers. En effet, cette dernière met à profit la différence de température entre les eaux de surface et les eaux profondes qui n’est vraiment intéressante qu’en zone intertropicale, où les eaux de surface peuvent dépasser 25°, alors que les eaux profondes (à 1 000 m) restent à 5°. Le principe est simple et reprend les lois de la thermodynamique : un fluide de travail (ammoniac) passe de l’état liquide à l’état gazeux au contact de l’eau chaude pompée en surface. Sous pression, ce gaz anime un turbogénérateur puis retourne à l’état liquide au contact de l’eau froide pompée en profondeur. La différence de température étant faible, le rendement de la machine est très modeste. Ce mode de production d’énergie électrique n’est donc envisageable qu’avec des conditions très particulières (absence d‘upwellings, pas de plateau continental, besoins d’énergie difficiles à satisfaire de manière autonome, toutes conditions remarquées par exemple dans les îles océaniques intertropicales). Par ailleurs, le pompage d’eau froide peut servir à des utilisations directes, comme la climatisation, pour peu que le pompage dépense moins d’énergie que la climatisation conventionnelle.

L'énergie thermique des mers, une ressource potentielles des mers intertropicales

Source : dossier de presse de la Région Réunion, décembre 2013 (à consulter, en .pdf)

2. Les EMR dans la territorialisation des espaces marins

Si l’on retourne aux définitions les plus classiques du territoire, il est certain que les instances qui le structurent paraissent relativement « molles » en zones côtières. En particulier, l’appropriation politique semble un préalable à toute autre forme de territorialisation, qu’elle soit gouvernée par des instances socio-économiques, ou des instances culturelles. La complexité du millefeuille de la formation socio-spatiale y paraît plus simple à démêler, le premier critère de territorialisation généralement évoqué étant le droit de la mer, au service des États côtiers.

Par ailleurs, l’extension des droits des États côtiers semble peu concernée par la mise en œuvre des EMR. Preuve en est, au-delà de la mer territoriale, l’invention du plateau continental, dès la convention de Genève de 1958, avant même que ne soit reconnue l’existence de la zone économique exclusive par la convention de  Montego Bay de 1982. En d’autres termes, il s’agissait de mettre la main sur les ressources fossiles du plateau, avant qu’on ne songe aux mouvements de l’eau qui le surmonte. Une notable inflexion est pourtant intervenue en 1982, puisque la zone économique exclusive, totalement englobante jusqu’à 200 milles des lignes de base de l’État côtier, du sol, du sous-sol et des eaux sus-jacentes aux fonds marins, quelle que soit leur profondeur, permet de ne pas oublier le droit de l’État côtier à exploiter l’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents. Ce droit souverain est précisé dans l’article 56 de la partie V de la convention de Montego Bay, avec une extension corrélative de ce droit pour la mise en place d’îles artificielles, d’installations et ouvrages, pour peu que l’État côtier reconnaisse le droit des autres États à naviguer bien sûr, mais aussi à poser des câbles et pipelines en zone économique exclusive. Cela dit, la majeure partie des EMR est exploitée en mer territoriale, où les droits souverains des États côtiers ne sont pas contestés, jusqu’à inclure le sol et le sous-sol, comme c’est le cas en France, dans le domaine public maritime (depuis la loi du 28 novembre 1963).

Complément 1 : Article 56 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982

On aboutit ainsi à une territorialisation par « débordement », de l’onshore à l’offshore, par les EMR. À vrai dire, ce processus est animé par des préoccupations d’ordre environnemental. En effet, la mise en œuvre de l’éolien terrestre et des autres EMR sur la côte elle-même a un grand impact sur les littoraux. Par exemple, on ne pouvait guère imaginer jusqu’à ces dernières années, utiliser l’énergie des marées, autrement qu’en barrant des baies et rias. Or, cette technique est fortement perturbatrice pour l’environnement, en accélérant la sédimentation en amont du barrage, sans parler des perturbations visuelles, plus subjectives. C’est l’une des raisons qui a contribué à retarder la mise en œuvre de cette énergie ou à faire renoncer à des projets grandioses, comme la fermeture de la baie du Mont Saint-Michel. De même, l’utilisation de la houle a fait tout de suite songer à des équipements sur la côte elle-même : colonnes oscillantes sous lesquelles viennent s’engouffrer les vagues, comprimant l’air qui y est emprisonné et permettant d’actionner une turbine, comme dans un piston, bassin-déversoir, dans lequel la vague vient déferler, l’eau retournant ensuite à la mer en actionnant une turbine. Toutes ces installations se heurteraient à des réactions hostiles de la part des riverains. Il faut donc « décoller » du littoral pour aller à la conquête de la mer côtière : l’hydrolienne se substitue alors à la centrale marémotrice, le système articulé aux équipements houlomoteurs précédemment décrits, l’éolienne offshore à l’éolienne terrestre. Cette descente vers la mer est d’autant plus intéressante que l’énergie n’y est pas dissipée en partie, comme au contact de la côte.

Toutefois de multiples contraintes subsistent en mer. La capture in situ d’une énergie diffuse, sans concentration préalable par des artifices techniques, oblige à multiplier les machines de faible puissance, donc à coloniser de vastes espaces de collecte. Les premières éoliennes en mer n’avaient même pas 1 MW de puissance et celles qu’on songe à développer aujourd’hui, pas plus de 6 à 8 MW. Cela signifie qu’un parc éolien, pour atteindre des puissances de 400 à 500 MW doit pouvoir s’étendre sur plusieurs dizaines de km², pour y implanter sa centaine de machines. C’est pire encore pour les hydroliennes puisque, pour l’heure, la puissance espérée ne peut guère dépasser 1 à 3 MW.  Il faut donc s’attendre à des résistances au développement de ce genre d’équipements, sauf à s’éloigner de plus en plus des rivages, pour aller conquérir le grand large. C’est le sens qu’il faut donner sans doute à la mise au point d’éoliennes flottantes qui découpleraient l’installation des petits fonds des zones côtières.

L’évitement des conflits oblige à réfléchir à un zonage, défini en concertation avec les autres usagers des espaces marins. La France, par exemple, a mis deux ans pour identifier les sites éoliens qui lui paraissaient les plus intéressants sur la côte atlantique, tout en étant les moins contraignants pour les autres usages de la mer. Ce travail, piloté par les Préfets maritimes, en concertation avec les Préfets de région, a amené l’État à considérer que la mer était déjà bien pleine et qu’il lui serait difficile d’atteindre l’objectif des 6 000 MW qu’il s’était fixé pour 2020. Effectivement le premier appel d’offres n’a ciblé que cinq sites, suite à l’opposition du Conseil général de Vendée à voir inscrire un site entre les deux îles de Yeu et de Noirmoutier. Au résultat final, quatre sites seulement furent attribués, l’appel d’offres pour le Tréport étant jugé infructueux. Les marges de manœuvre sont donc faibles, comme du reste le montre le deuxième appel d’offres qui n’est qu’un premier appel d’offres bis, puisqu’on y retrouve Le Tréport et les deux îles Yeu-Noirmoutier. Par ailleurs, les débats publics, diligentés par la Commission nationale du débat public pour les quatre sites retenus, entre mars et juillet 2013, prouvent que la sensibilité des riverains et des usagers reste forte devant ces projets, malgré tout l’effort de concertation qui avait été mené en amont. Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’un premier appel d’offres avait été lancé pour l’éolien en mer en 2004 et que le seul site qui avait été retenu à l’occasion (Veulettes-sur-Mer) s’était heurté à de multiples obstacles administratifs et à une hostilité réelle des riverains, au point de le faire abandonner par Enertrag, son promoteur.
Le choix des sites éoliens en mer en France métropolitaine

Source : Ministère du développement durable, 9 mai 2014

Complément 2 : Le débat public sur le projet de parc éolien en mer de Saint-Nazaire : procédure et extraits du compte-rendu du 17 septembre 2013
L'implantation des EMR génère des conflits d'intérêts territoriaux
L'opposition des pêcheurs du Tréport à l'éolien offshore

Les pêcheurs du Nord-Pas-de-Calais et de Haute Normandie ont affiché clairement leur position sur les murs de la Coopérative des Artisans Pêcheurs Associés du Tréport depuis le 17 Mars 2014.

Une Région et des industriels mobilisés pour le développement des EMR

« Les atouts uniques des Pays de la Loire font de notre région le territoire incontournable de développement des Énergies Marines Renouvelables (EMR) en France et en Europe : une large façade maritime avec de grandes infrastructures portuaires, des écoles et laboratoires de pointe, ainsi qu’un socle industriel spécialisé sur les grands ensembles maritimes.
Le volontarisme politique moteur de la région, associé à une mobilisation exemplaire des acteurs de la filière et des territoires, ont permis de prendre une longueur d’avance sur les autres régions en France. 145 millions d’euros auront été investis d’ici 2020 pour créer les conditions nécessaires au développement de la filière, de la conception à l’exploitation.
Ressources géographiques, industrie, Recherche & Développement et main d’œuvre qualifiée : aujourd’hui, seuls les Pays de la Loire offrent tous les maillons nécessaires aux industriels pour répondre au défi des Énergies Marines Renouvelables, et ce, dans toutes les technologies, éolien offshore, houlomoteur, hydrolien, énergie thermique des mers et énergie issue de la biomasse marine. Ces dispositions font des Pays de la Loire, la capitale légitime des Énergies Marines Renouvelables. » Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire.

L’ensemble des acteurs publics et privés concernés mise sur les EMR pour initier une dynamique économique qui prendrait le relai de l’industrie navale en difficulté. La filière s’appuie sur plusieurs grands acteurs industriels :
- EDF Energies Nouvelles, lauréat notamment de l’appel d’offres pour le futur champ éolien de Saint-Nazaire (banc de Guérande) qui a choisi Saint-Nazaire pour implanter le hub logistique qui servira au pré-assemblage des éoliennes avant leur installation en mer,
- Alstom qui fournira les machines équipant les parcs exploités par EDF, et qui dispose dans ce but d’un atelier provisoire à Saint-Nazaire, et construit deux nouvelles usines, à Montoir-de-Bretagne.
Un pôle de recherche et d’innovation est en cours d'implantation à Bouguenais, près de Nantes. En 2015, il comprendra l’Institut de Recherche Technologique Jules Verne, pôle de recherche universitaire et industriel dédié aux technologies avancées de production, le nouveau centre de recherche d’Alstom dédié aux énergies marines, le Technocampus Océan, plateforme d’innovation dans le domaine des procédés métalliques et des structures en mer, ainsi que le Technocampus Composites spécialisé dans les pièces de grandes dimensions en composites.

Source : Région Pays de la Loire : Pays de la Loire, région capitale des énergies marines renouvelables

L’implantation des EMR n’est donc pas si facile à faire admettre. Les installations perturbent l’environnement, avec des risques réels d’effets cumulatifs, difficiles à quantifier par des exercices de modélisation. Elles gênent les usagers de la mer, en particulier les pêcheurs, lorsqu’ils s’adonnent aux arts traînants. De manière plus générale, cette implantation pose la question des priorités à donner dans la gestion des espaces marins. Sectoriser cette gestion conduit à des impasses ou à des contradictions. On ne peut en effet mener à la fois une politique de développement des EMR, d’encadrement raisonné des activités halieutiques et de sanctuarisation des mers côtières, comme semble le suggérer par exemple la loi du 14 avril 2006, créatrice de l’Agence des Aires marines protégées, et comme le confirme la volonté du Grenelle de la mer de protéger le cinquième de nos eaux souveraines (Outre-mer inclus) à l’horizon 2020.  Cette politique de protection est d’autant plus active qu’elle est largement impulsée par l’Europe, sous la double poussée d’une extension du réseau Natura 2000 en mer (l’Europe considérant que les directives Oiseaux et Habitats doivent être appliquées sur tous les espaces souverains des États-membres, y compris les mer territoriale, zone économique exclusive et plateau continental), et de la Directive Cadre Stratégie  pour le milieu marin  du 17 juin 2008, faisant du bon état écologique de la mer son objectif prioritaire pour 2020. Il faut donc pratiquer un double effort de gestion intégrée, horizontal, pour tenir compte de tous les usages sans exclusive et sans imposer partout les mêmes priorités, vertical, en tenant compte des attentes locales, diverses selon les lieux. De ce point de vue, la participation des collectivités locales aux débats, même si l’État ne leur reconnaît pas cette compétence, serait la bienvenue, comme du reste, l’effet de retour sur investissement, que la réglementation fiscale commence d’ailleurs à reconnaître, puisqu'une taxe au prorata de la puissance installée est mise en place en France, dont la moitié du montant revient aux communes riveraines.

Complément 3 : Aires marines protégées et énergies marines renouvelables : quelle compatibilité ?

Conclusion

Beaucoup d’espoirs sont mis dans les EMR. Ils sont attisés par les énergéticiens et les producteurs d’équipements, et justifiés par des considérations plus générales, liés à la promotion du développement durable et à la lutte contre le rejet des gaz à effet de serre des énergies carbonées. Beaucoup de contraintes apparaissent aussi. Elles ne sont pas uniquement liées à des difficultés techniques de capture, mais aussi à des obstacles sociaux, pour ne pas dire sociétaux. De telles contraintes abaissent sensiblement le potentiel des EMR réellement utilisables, par rapport aux ressources (énormes) contenues dans la nature. Voilà qui relativise considérablement les marges de développement des EMR, comme d’ailleurs des signes avant-coureurs ne manquent pas de le souligner, chez les pays les plus avancés en la matière (report d’équipement de certains sites, faillite d’entreprises, baisse d’effectifs). Finalement, les EMR restent contenues par deux considérations générales. D’abord, c’est bien la terre qui domine toujours la mer, et ce sont bien les besoins de la consommation mondiale qui rythment les pulsations des prélèvements énergétiques dans les espaces marins, en continuant à les orienter très solidement vers la production d’hydrocarbures (ces derniers contribuant, selon toute vraisemblance, à 28% pour le pétrole et à 23% pour le gaz, de la consommation d’énergie primaire à l’horizon 2040). Ensuite, le dernier mot revient toujours (ou doit revenir toujours) aux politiques des États côtiers, aux arbitrages qu’ils doivent effectuer entre leurs besoins (très différenciés), leurs capacités de production et leurs intérêts. L’avenir des EMR n’est pas transnational.

 

Pour compléter :

Ressources bibliographiques :

 

Ressources en ligne :
Les sites d’actualité
Les sites officiels
- à l'échelle mondiale
  • OES Ocean Energy Systems, site lancé en 2001 à l’initiative de l’Agence internationale de l’Énergie et qui regroupe 20 États
  • Thetis-EMR, la Convention internationale des EMR
- à l'échelle nationale
- à l'échelle régionale
- à l'échelle locale :

les sites des parcs éoliens en mer

Les sites des entreprises engagées dans les EMR
Les sites des opposants aux EMR

 

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 Jacques GUILLAUME,
Professeur émérite de l’Université de Nantes, IGARUN, Laboratoire Géolittomer, UMR 6554-LETG-CNRS


 

 

Compléments, conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul
 Réalisation cartographique : Hervé Tronchère.
pour Géoconfluences, le 25 juin 2014.

Pour citer cet article :

Jacques Guillaume, « Le potentiel énergétique de l'océan mondial entre contraintes d'exploitation et enjeux de territorialisation » Géoconfluences, juillet 2014.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/le-potentiel-energetique-de-locean-mondial

Pour citer cet article :  

Jacques Guillaume, « Le potentiel d'énergie renouvelable de l'océan mondial entre contraintes d'exploitation et enjeux de territorialisation », Géoconfluences, juillet 2014.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/le-potentiel-energetique-de-locean-mondial