Les enjeux du référendum sur l’autodétermination du 18 septembre 2014, vus depuis l'Écosse
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Le 18 septembre 2014, quelques semaines seulement après le déroulement des Jeux du Commonwealth à Glasgow et les célébrations du 700ème anniversaire de la victoire écossaise du 24 juin 1314 [1] sur les Anglais à Bannockburn, les Écossais exprimeront par référendum leur préférence en ce qui concerne la place de leur nation au sein du Royaume-Uni. Au terme de longues négociations, un accord signé à Edimbourg le 15 octobre 2012 entre David Cameron, le Premier ministre britannique et Alex Salmond, le Premier ministre écossais [2], autorise en effet le gouvernement écossais à organiser un référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Selon Alex Salmond, c’est « l’opportunité d’une génération » [3].
L’unique question à laquelle les électeurs écossais devront répondre est la suivante : « L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? » [4]. Dans l’hypothèse d’une victoire du « oui », il est prévu que l’Écosse devienne de fait indépendante le 24 mars 2016 [5] au terme de 18 mois de négociations avec le reste du Royaume-Uni, l’Union Européenne et les institutions internationales. Les premières élections législatives d’une Écosse indépendante auraient lieu le 5 mai 2016. Le nouveau pouvoir aurait alors la charge de poursuivre la mise en place des institutions du pays [6].
La campagne du référendum à l'été 2014
Sur une fenêtre de North Berwick, autocollant pour le maintien dans le Royaume-Uni. |
Stand du Oui sur les Meadows à Edimbourg. |
Autocollant pour le vote « Naw », retranscription phonétique du « no » écossais, sur un ferry d'Irish Ferries. |
« Si vous ne voulez pas que la richesse de l’Écosse finance des guerres sanglantes en Iraq et en Afghanistan, votez Oui ». |
Depuis sa création en 1934, le Scottish National Party (SNP) a toujours milité pour l’accession par les urnes à l’indépendance de l’Écosse, c’est-à-dire à la situation antérieure au Traité d’Union des Parlements de 1707. L’organisation d’un référendum d’autodétermination est donc une victoire politique pour le parti indépendantiste. Ce dernier a longtemps soutenu que l’accession au pouvoir lui donnerait mandat pour négocier l’indépendance. Au début des années 2000 pourtant, il a dissocié vote en sa faveur et accession à l’indépendance, ce qui lui a permis d’obtenir le soutien de la partie des Écossais qui approuvaient son programme politique mais étaient réticents face à l’indépendance. Devenu un parti de gouvernement crédible, et détenteur de la majorité absolue des sièges au Parlement écossais depuis 2011, le SNP avait donc la légitimité politique nécessaire pour entamer des négociations avec le gouvernement britannique afin d’obtenir l’autorisation d’organiser un référendum d’autodétermination.
Aboutissement d’un long combat politique du SNP, ce référendum est également un événement majeur pour les institutions britanniques et pour la relation très particulière de l’Écosse avec le Royaume-Uni. Les trois grands partis britanniques [7] sont très hostiles à l’indépendance de l’Écosse. Ils mènent campagne à travers une organisation multipartite, Better Together (« Mieux Ensemble »), présidée par le travailliste Alistair Darling, ancien Chancelier de l’Échiquier de Gordon Brown. Les partis en faveur de l’indépendance – le Scottish National Party, les Verts et le Scottish Socialist Party – sont quant à eux regroupés sous la bannière Yes Scotland, dirigée par Blair Jenkins, une personnalité des médias sans affiliation politique publiquement connue, et présidée par Dennis Canavan, ancien député indépendant au Parlement écossais.
Les territoires britanniques : des Unions à géométrie variable
L'Union Jack, la bannière du Royaume-Uni, réunit la croix de Saint-Patrick (Irlande), de Saint-André (Écosse) et de Saint-Georges (Angleterre). Cliché pris dans une rue d'Irlande du Nord. |
Complément 1 : les relations singulières de l’Écosse et du Royaume-Uni
Le Traité d’Union de 1707 entre l’Angleterre et l’Écosse unit les Parlements anglais et écossais sous l’autorité d’un seul roi protestant. Il consacre toutefois une union partielle. Il s’agit en fait d’un mariage de raison, dont les motivations sont différentes selon que l’on est écossais ou anglais. Du côté écossais, la classe dirigeante est motivée par la liberté de commerce et de navigation, ce qui signifie la possibilité de commercer avec les pays de l’Empire. En contrepartie, l’Écosse accepte définitivement le principe de la succession dynastique protestante et la disparition de son Parlement. De son côté, l'Angleterre redoute une attaque militaire par le nord. L'alliance historique de l'Écosse, dont une partie de la population, notamment dans les Highlands, reste attachée à la dynastie catholique des Stuarts, avec la France catholique est une menace d'importance pour l'Angleterre protestante [1].
Le Traité d’Union pose les bases de l’existence d’un sentiment national écossais. En premier lieu, il fait naître une conscience d'avant l'Union. Ensuite, l’Union des Parlements n’est possible, c’est-à-dire acceptable du côté écossais, qu’à partir du moment où elle permet une autonomie de fonctionnement de la société civile écossaise. Cela donne naissance à un sentiment national. L’Union reste en effet acceptable aux yeux des Écossais car elle est partielle. L'Union préserve l'existence séparée d'une loi et d'un système judiciaire propres à l'Écosse, l'autonomie du système scolaire et du gouvernement local ainsi que la prédominance de l'église presbytérienne. Les institutions ont alors davantage d'importance pour les Écossais que le Parlement qu'ils perdent. En fait, l'Union est acceptable car l'Écosse bénéficie du meilleur de deux mondes : l'autonomie intérieure et l'accès à l'Empire britannique en pleine expansion qui lui assure des débouchés et des emplois ainsi que des perspectives d'ascension sociale à la classe moyenne bien formée par un système éducatif performant qui avait également conservé sa spécificité [2].
La spécificité de l'Écosse n'est pas vécue comme une menace par l'État central. Ce dernier n'apparaît pas non plus être une menace pour l'autonomie locale au quotidien. La stabilité de la relation entre l'Écosse et l'Angleterre va durer plus de deux cent ans sur cette base et rendra inutile l'expression politique d'un nationalisme qui revendique l'autonomie ou l'indépendance écossaise.
La première partie du XXème siècle pose de façon différente la question de l’intégration politique et économique de l’Écosse au sein du Royaume-Uni. D’un côté la perte des marchés impériaux, l’effacement progressif du capitalisme écossais autonome et la montée du protectionnisme entre les deux guerres remettent en cause les bienfaits de l’Union et rendent indispensable, du point de vue écossais, la réévaluation du statut de l’Écosse. D’un autre côté, l’intégration politique et économique de l’Écosse à travers le développement de l’État-providence ne devait pas se faire de façon indifférenciée. Il se développe alors dans les années 1930 une nouvelle forme de nationalisme officiel, basé sur l’idéologie de la « middle opinion », qui considère que l’Écosse continue à être un membre volontaire de l’Union, que les problèmes de déclin industriel de l’Écosse sont si sévères qu’ils nécessitent une réponse particulière et que le nouvel État-providence doit prendre en compte le statut de l’Écosse en tant que nation et le caractère urgent de la situation.
C'est le Scottish Office qui va être le vecteur de l'évolution de la relation entre l'Écosse et l'Angleterre. Le gouvernement libéral de 1906-1914 et le gouvernement travailliste de 1945-1951 y jouent un rôle particulièrement important. Dans la première partie du XXème siècle, l’autonomie de l’Écosse prend donc la forme d’un contrôle technocratique de domaines politiques que l’élite écossaise a choisi d’administrer à travers le Scottish Office. L’autonomie est considérable dans le logement et l’éducation, substantielle dans la santé et le travail social, limitée en ce qui concerne la politique économique (l’Écosse apporte tout de même une contribution aux politiques britanniques de développement régional). Il n’y a pas d’exception écossaise dans le domaine de la sécurité sociale. Ce fonctionnement permet à l'Écosse de développer des aspects tout à fait particuliers et différents de l'Angleterre en termes de politique sociale, d'éducation, de logements (en créant à partir des années 1950 un parc de logements locatifs appartenant aux collectivités locales plutôt qu'à des propriétaires privés) et de développement économique pour limiter les effets du déclin économique. Par ailleurs, l'Écosse peut toujours recourir aux ressources supplémentaires du Royaume-Uni. Pour la population écossaise, le compromis est donc assez confortable pour qu'une demande de changement institutionnel apparaisse encore largement inutile dans la première partie du XXème siècle : « [La plupart des gens] étaient satisfaits car cela répondait à leurs attentes : un bien-être matériel pour l’ensemble de la population à une échelle sans précédent, délivré selon la tradition écossaise. » [3].
Les enjeux d'une éventuelle indépendance de l’Écosse ont été présentés par le gouvernement écossais dans son Livre blanc, Scotland’s Future. Your Guide to an Independant Scotland [8]. Les principaux concernent la démocratie, la justice sociale et la prospérité. La mise en oeuvre d’une fiscalité totalement indépendante en est la pierre angulaire. Le texte qui suit s'appuie sur ces documents publiés dans la perspective du référendum par les partisans du "yes" qui ont ainsi défini les grands thèmes du débat. Les unionistes sont amenés à répondre à cet argumentaire et choisissent de mettre l'accent sur la place de l'Écosse indépendante dans le concert des nations.
1. L'enjeu majeur de la démocratie
Pourquoi les dirigeants indépendantistes font-ils de la démocratie un enjeu majeur alors que la nation écossaise est aujourd’hui gouvernée de manière démocratique à travers l’élection d’un Parlement régional duquel est issu un gouvernement qui lui rend compte ?
Le Parlement écossais
Le Parlement écossais a repris ses travaux depuis le 1er juilllet 1999. Ses pouvoirs sont définis par le Scotland Act de 1998. Il compte 129 députés. |
Il siège depuis 2004 dans un bâtiment neuf construit par l'architecte catalan Enric Miralles. Installé à Holyrood, il fait face à Holyrood House, la résidence officielle de la Reine. |
Aux yeux du gouvernement écossais, l’indépendance doit, en premier lieu, permettre de gommer le déficit démocratique dont souffre l’administration de l’Écosse. Il s’agit en effet pour les Écossais de choisir de ne plus se faire imposer des politiques économiques et sociales par un gouvernement et un Parlement britanniques distants qui ne reflètent pas toujours les choix de l’électorat écossais et pour lesquels l’Écosse est un souci périphérique. Il y a là une référence marquée aux onze années de pouvoir de Margaret Thatcher (1979-1990) qui lui avaient valu une impopularité considérable en Écosse mais également à quelques décisions prises récemment par le gouvernement conservateur de David Cameron telles que la privatisation du Royal Mail ou l’instauration d’une bedroom tax [9] pour les locataires de logements sociaux. Ainsi, Alex Salmond écrit-il vouloir l’indépendance pour « construire un pays qui reflète nos priorités en tant que société et nos valeurs en tant que peuple » [10]. Actuellement, sur les 59 députés du contingent écossais siégeant à Westminster, un seul est conservateur.
Complément 2 : l'héritage Thatcher ou l'effondrement des conservateurs écossais
L'unionisme de droite commence à s'effriter à partir de 1959. Le destin du parti conservateur en Écosse ne suit plus celui de son alter ego anglais. L'Écosse devient progressivement la nation d'un seul parti, le parti travailliste, jusqu'à ce qu'il soit concurrencé par le SNP. Le nationalisme comme force politique durablement viable émerge à la fin des années 1960 quand le déclin économique s'installe durablement, les institutions peinent à conserver le même niveau de protection sociale et le compromis mis en place au cours du XXème siècle sur les principes de planification, d'intervention étatique et d'État-providence commence à sérieusement s'éroder.
L'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher a beaucoup fait pour le nationalisme écossais. Sa vision de la société – ou plutôt de son absence de société puisque, selon elle, il n'y a pas de société mais uniquement des individus et des familles [1] – l'amène à pourfendre tout ce qui ressemble de près ou de loin à des institutions publiques à qui elle reproche d’entraver la modernisation de l'économie britannique. Sans que cela soit une attaque spécifiquement dirigée contre l'Écosse, cela est ressenti comme tel par les Écossais pour qui, justement, les institutions de la société civile ont été un moyen de contrebalancer l'influence de l'État central et d'assurer l'autonomie de fonctionnement de leur nation.
En même temps, l'idéologie du laissez-faire qui guide son action à la tête du gouvernement britannique conduit à un État central fort. Les Écossais se voient imposer depuis Westminster des réformes qui leur apparaissent préjudiciables sur le plan économique et social. Margaret Thatcher ne manque pas de stigmatiser la culture de dépendance des Écossais quand il s'agit de réduire l'aide de l'État-providence. Le « délicat équilibre entre autonomie et accès aux ressources de l'État central » [2] est rompu par sa politique agressive qui crée rapidement un consensus anti-conservateur en Écosse. Les mesures prises par les conservateurs sont d'autant plus mal vécues dans une Écosse majoritairement travailliste qu'elles sont votées à Westminster par des députés conservateurs souvent issus du sud de l’Angleterre. L'inadéquation entre la représentation locale et la couleur politique du gouvernement central mène au constat que les conservateurs n’ont pas de mandat pour voter des lois qui concernent l’Écosse. Le vote conservateur en Écosse passe en effet de 31,4 % en 1979 à 24 % en 1987 (10 députés seulement) puis 17,5 % en 1997 (et aucun représentant écossais à Westminster, en raison du mode de scrutin, uninominal à un tour).
Parallèlement, le vote travailliste reste assez stable et élevé (41,6 % des voix en 1979, 42,4 % en 1987, 45,6 % en 1997). Le vote nationaliste passe de 17,3 % à 22,1 % pendant la même période. Avec 6 sièges de député, le SNP est le troisième parti en Écosse, derrière les libéraux (13 % des voix et 10 sièges) et les travaillistes (56 sièges).
[1] http://www.margaretthatcher.org/speeches/displaydocument.asp?docid=106689
Le gouvernement écossais met en avant la possibilité pour une Écosse indépendante de refuser le coûteux programme [11] de renouvellement de l’arsenal nucléaire britannique et de privilégier la création d’une société plus juste, alors que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse de croître au Royaume-Uni. Ainsi, de manière symbolique, une des premières actions de l'Écosse indépendante serait de mettre en place un service postal entièrement public. Le peuple écossais souverain [12] pourrait aussi décider de renforcer les services publics dans les domaines de la santé (le National Health Service est au cœur des débats), l’éducation ou les transports quand le reste du Royaume-Uni fait le choix de la privatisation.
Une constitution écrite sera garante de cette démocratie, fondée sur des principes de souveraineté du peuple, d’égalité des droits et de respect des droits de l’homme. Elle s’appuierait sur les institutions existantes telles que le Parlement (Holyrood), le gouvernement, un pouvoir judiciaire indépendant et un cadre juridique déjà autonome. En l’état actuel des institutions, le Parlement britannique peut en effet, en dernier recours, imposer n’importe quelle décision au Parlement écossais, malgré la dévolution de certains pouvoirs. Cette constitution réaffirmera la prévalence d’un Parlement élu à la proportionnelle dont les principes fondateurs sont la séparation des pouvoirs, la responsabilité envers les citoyens, l’égalité des chances et la participation citoyenne. Un projet de constitution écrite, qui a vocation à être débattu au Parlement écossais pendant la période de transition entre le vote en faveur de l’indépendance et l’indépendance effective de l’Écosse, a été publié en juin 2014.
Complément 3 : le Scotland Act de 1998 et le rétablissement du Parlement
Fruit d’un calcul politique du Premier ministre britannique travailliste Harold Wilson pour étouffer la montée du vote nationaliste et torpillé en coulisses par des députés travaillistes qui n’y étaient pas favorables, le premier référendum sur la dévolution du 1er mars 1979 fut un échec. Au terme d’une campagne où les partis étaient divisés sur la mise en place d’un Parlement purement cosmétique, le « oui » majoritaire avec 51.6 % des suffrages exprimés (pour une participation de 63,6 %) ne parvint pas à atteindre le seuil des 40 % du nombre d'inscrits [1] .
Les gouvernements de Margaret Thatcher et John Major, tant ils apparaissent illégitimes en Écosse, poussent la société civile écossaise à produire des propositions très radicales en matière d'autonomie nationale [2]. Une troisième convention constitutionnelle voit le jour (Scottish Constitutional Convention [3]) dont les propositions [4] sont publiées en 1995 dans Scotland's Parliament, Scotland's Right. Ce travail de réflexion en profondeur, ajouté à ce que nombre d’Écossais estiment être une absence totale de mandat des gouvernements conservateurs successifs pour gouverner l’Écosse, amène Tony Blair à promettre la tenue d'un référendum sur la dévolution des pouvoirs en Écosse dans les mois qui suivront son élection s'il est élu. Les partis favorables au changement institutionnel recueillent 82 % des voix aux élections législatives de mai 1997. Le processus est alors très rapide. En juillet, le nouveau gouvernement travailliste publie un livre blanc intitulé Scotland’s Parliament. Le 11 septembre 1997, les Écossais sont amenés à se prononcer sur le principe d’un Parlement écossais et sur la capacité de ce dernier à lever l’impôt. Les Écossais sont à 74,3 % en faveur d’un Parlement écossais, dont le principe est acté par la promulgation du Scotland Act de 1998. Ils votent à 63,5 % en faveur des pouvoirs fiscaux du nouveau Parlement dans l’espoir des services publics de meilleure qualité. Depuis le 1er juillet 1999, avec la reprise des travaux du Parlement écossais, l’Écosse s’administre donc de façon autonome, démocratique et représentative du vote des citoyens écossais, dans la limite des pouvoirs dévolus à ce Parlement par le Scotland Act de 1998. Ce dernier établit une liste précise des domaines réservés à Westminster définissant ainsi par la négative ses compétences. Dans la pratique, il a autorité sur tout ce que gérait le Scottish Office et qui relève de l’échelon local. En d’autres termes, la dévolution ne s’accompagne pas de l’attribution de nouveaux pouvoirs pour le Parlement écossais, mais elle instaure une autre façon de s’en occuper. Certains domaines se recoupent et Westminster conserve la haute main sur les domaines les plus importants tels que la fiscalité, l’économie, la défense et la sécurité, la sécurité sociale, l’immigration, l’emploi, les affaires étrangères, l’énergie et les transports ainsi que la réglementation de certaines professions libérales.
Le système électoral est modifié, avec l’apport d’une dose de proportionnelle dans le scrutin. Sur les 129 députés que compte le Parlement écossais, 73 sont élus au traditionnel scrutin uninominal à un tour [5] ; tandis que les 59 autres sont élus à partir de listes en compétition sur des circonscriptions basées sur celles des élections européennes. Chacune des huit circonscriptions élit sept députés. C’est un système censé être représentatif de l’équilibre des partis en présence, rendant ainsi difficile le gain d’une majorité absolue. Ainsi aux élections de 1999 et 2003, les travaillistes restent le premier parti en Écosse, sans pour autant obtenir la majorité absolue au Parlement, et forment des gouvernements de coalition avec les libéraux.
Aux élections de mai 2007, pour la première fois depuis le rétablissement du Parlement écossais, le Scottish National Party (SNP) supplante le parti travailliste écossais comme premier parti et parti de gouvernement en Écosse. Le SNP ne dispose alors pas non plus de la majorité absolue. Avec 47 sièges contre 46 pour les travaillistes (sur un total de 129), il forme un gouvernement minoritaire, faute d’avoir trouvé un accord avec les libéraux-démocrates ou les Verts pour constituer un gouvernement de coalition. Sa victoire sans appel aux élections de 2011 lui vaut 69 sièges et lui donne la légitimité politique pour porter la revendication d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse auprès du gouvernement britannique.
[1] Cette clause avait été proposée par le député travailliste George Cunningham.
En bref, l’indépendance doit permettre aux seuls Écossais de décider de ce qui les concerne à travers un processus démocratique ouvert et pleinement représentatif de la diversité de la société écossaise. La disparition complète de ce déficit démocratique est présentée par les indépendantistes comme un préalable indispensable pour permettre à l’Écosse de réaliser pleinement ses objectifs économiques et sociaux.
2. La question de la viabilité économique d’une Écosse indépendante
Population et économie : indicateurs comparés Écosse / Royaume-Uni
Sources : UK Office for National Statistics, Scottish Economy Statistics |
2.1. Quel potentiel économique ?
Le deuxième enjeu majeur du référendum concerne la capacité de cette petite nation à être indépendante. Selon le gouvernement écossais, l’indépendance fera de l’Écosse un pays plus riche [13], libéré du frein constitué par son appartenance au Royaume-Uni. Le parti indépendantiste estime que la richesse du pays ne bénéfice pas aux Écossais du fait des politiques néolibérales menées par les gouvernements successifs depuis une quarantaine d’années et accentuées par les politiques d’austérité conduites par le gouvernement britannique conservateur actuel. Ainsi, si la croissance de l’Écosse avait suivi celle des autres nations européennes de taille similaire entre 1977 et 2007, le PIB par habitant serait aujourd’hui plus élevé de 900 £ par habitant,toujours selon le parti indépendantiste [14]. Le SNP affirme que l’Écosse est traitée comme une économie régionale au sein du Royaume-Uni et récuse le développement économique actuel déséquilibré au profit du sud de l’Angleterre.
La question de la viabilité économique de l’Écosse se cristallise sur les revenus générés par les taxes sur les hydrocarbures de la mer du Nord et leur contribution au budget du pays. La question est autant économique que politique et symbolique. Les indépendantistes soutiennent que, dans les années à venir, ces revenus resteront suffisants pour financer un État indépendant, pour peu que l’Écosse puisse bénéficier de l’intégralité de ce qui lui revient, sachant que la quasi-totalité des ressources offshore britanniques de la mer du Nord sont situées dans la ZEE écossaise. C’est un argument résumé dans le slogan « It’s Scotland’s Oil » (« C’est le pétrole de l’Écosse »), lancé au moment des élections législatives de 1974.
La pérennité et la stabilité de ces revenus sont les deux éléments-clés du débat [15]. Les investissements industriels dans le secteur ont atteint la somme record de 4 milliards de £ en 2013 mais il est prévu que ce montant soit divisé par deux d’ici 2020 [16]. La production a chuté de 38 % entre 2010 et 2013 car certains gisements s’épuisent tandis que l’exploitation de nouveaux puits, plus petits et plus difficiles d’accès, est de moins en moins rentable. Il en a résulté un manque à gagner de 6 milliards de £ pour le Trésor britannique. Il est établi que le pic de production de pétrole a été atteint en 1999 et celui du gaz en 2000. Depuis le début de l’exploitation en 1964, 42 milliards de barils de pétrole ont été extraits. Il reste, selon les projections, entre 12 et 24 milliards de barils à extraire, pour une durée de 30 à 40 ans et un revenu de 41 à 57 milliards de £ en impôts pour l’État écossais d’ici 2018 [17]. Le gouvernement écossais ne nie pas le caractère fluctuant et relativement incertain des revenus des hydrocarbures. En se basant sur la production de 2013, il table sur un revenu de 6,8 milliards de £ en 2016-2017. Une projection un peu plus proche des prévisions des industriels conduit à des revenus de 7,9 milliards de £ [18]. |
Les gisements d'hydrocarbures écossais en mer du Nord
Source : National Marine Plan Interactive |
Complément 4 : L’Écosse, pionnière des énergies renouvelables en Europe
« De la même manière que nos chantiers navals étaient l’atelier du monde à la fin du XIXe siècle, la révolution de l’énergie verte nous donne l’opportunité de devenir l’atelier mondial de la haute technologie du XXIe siècle. » Alex Salmond, premier ministre écossais.
L’Écosse s’est fixé comme objectif de produire 100 % de son électricité en énergies renouvelables en 2020. Pourquoi l’Écosse s’est-elle positionnée comme pionnière des énergies renouvelables, alors même qu’elle est l’une des nations les plus riches d’Europe en énergies fossiles ?
Un fort potentiel d’énergies renouvelables
Dès les années 1950, une bonne partie du potentiel hydroélectrique offert par les reliefs a été exploité. Aujourd’hui, les côtes et les Highlands possèdent un gros potentiel éolien onshore et offshore en cours d'équipement. Mais ce sont les espaces maritimes qui lui promettent un bel avenir dans les énergies marines renouvelables (hydrolien et houlomoteur). Les vents d’une régularité exceptionnelle permettent à certains parcs marins d’atteindre des rendements de 40 % contre 25 % en moyenne dans le reste de l’UE. On estime le potentiel écossais à 25 % du potentiel européen d’énergie marémotrice et 10 % du potentiel d’énergie houlomotrice.
Une volonté politique forte et durable
Le gouvernement écossais s’est engagé dès 2007 dans la transition énergétique, avec la vision d’une Écosse sobre en carbone et riche en énergies renouvelables. L’objectif du premier ministre Alex Salmond est de « consolider notre rang de leader des énergies vertes en Europe ». Depuis, ce message n’a jamais changé, apportant aux investisseurs une stabilité, facteur déterminant pour leur engagement.
Cette volonté politique affirmée s’est traduite par la mise en place d’un cadre législatif plus ambitieux que dans le reste du Royaume-Uni et par un ensemble conséquent de mesures. Parmi celles-ci, le système des Renewable Obligation Certificates (ROCs), introduit dès 2002, pousse les fournisseurs d’électricité à s’approvisionner à des sources renouvelables, en usant à la fois de la carotte et du bâton.
L’Écosse pionnier et leader
Le résultat est spectaculaire : en moins de 10 ans, la production d’énergies renouvelables en Écosse a triplé et permet d'employer 11 000 personnes en 2014. Les énergies renouvelables dans le mix énergétique écossais
(Production annuelle en GW) |
Les énergies marines renouvelables en Écosse en 2014
Source : National Marine Plan Interactive Les îles Orcades, laboratoire des énergies marines renouvelables
Embarquement des éléments du prototype d'hydrolienne HyTide de Voith Hydro dans le cadre du projet EMEC, au terminal ferry de Kirkwall aux îles Orcades, à l'été 2013. |
L'Écosse s'est donné les moyens d'être leader au sein du Royaume-Uni lui-même en tête dans la production d'énergies marines renouvelables en Europe.
Sources :The Scottish Government, EMEC, Sia Partners
Réalisation : Marie-Christine Doceul
En réponse aux avertissements sur la part importante des revenus du pétrole et du gaz, estimée à 22 milliards de £ en 2012 [19], le gouvernement écossais met en avant le potentiel économique des ressources énergétiques alternatives (éolienne, marémotrice et houlomotrice [20]) qui se sont développées au cours de la dernière décennie [21], et au-delà, la vitalité et la diversité du tissu économique écossais ainsi que la qualité des universités et de la recherche. Les performances économiques globales de l’Écosse sont d’ailleurs sensiblement identiques à celles du Royaume-Uni [22]. D’après les estimations du gouvernement écossais, une Écosse indépendante serait alors la quatorzième nation la plus riche du monde en termes de PIB par habitant et devancerait ainsi le reste du Royaume-Uni de 4 000 $ par habitant [23].
Selon le SNP, les pays les plus prospères et dont les sociétés sont les plus justes sont de taille similaire à l’Écosse. Il s’appuie sur les exemples de la Norvège, du Danemark, de la Suède et de la Finlande qui se gouvernent de manière totalement indépendante.
Le discours indépendantiste vise à convaincre l’opinion publique que les ressources et les atouts de l’Écosse apporteront davantage de prospérité à ses habitants en cas d’indépendance. Encore faut-il ne pas oublier que la mise en place d'un État indépendant s'accompagne de dépenses (ambassades, délégations, par exemple).
2.2. Quelle autonomie fiscale ?
La question de l’ampleur de l’autonomie fiscale constitue le troisième enjeu majeur de ce référendum. Elle est le point nodal entre la démocratie et l’économie. D’un côté, la capacité de l’Écosse à assumer son indépendance est indissociable de sa capacité à financer seule sa dépense publique. De l’autre, l’indépendance lui permettrait d’opérer des choix en matière de fiscalité que la distribution des pouvoirs réservés à Westminster lui interdit.
À l’heure actuelle, sous le régime du Scotland Act de 1998, le Parlement écossais n’est directement responsable que de 7 % des impôts prélevés en Écosse [24]. La dépense publique écossaise (64,5 milliards de £ pour l’exercice 2011-2012, pour des revenus de 56,9 milliards de £, dont 10,6 milliards du pétrole de la mer du Nord) est en très grande partie assurée par une dotation globale forfaitaire du gouvernement britannique dont le montant est revu tous les ans grâce à la formule Barnett et à la négociation avec le gouvernement britannique. La politique économique et fiscale et les dépenses sont donc très étroitement contrôlées par le Trésor britannique, qui est le principal collecteur d’impôts [25]. Le Scotland Act de 1998 permet seulement au Parlement écossais de faire varier le taux de l’impôt sur le revenu de 3 % [26], pouvoir qu’il n’a jamais utilisé pour d’évidentes raisons politiques. La seule autonomie dont dispose le Parlement écossais est la répartition de la dotation britannique en fonction de ses propres priorités. Il n’a donc guère les moyens de mettre en œuvre des politiques ambitieuses et différentes de celles de l’ensemble du Royaume-Uni.
Cette situation n’empêche pas d’estimer la part de l’Écosse dans la collecte britannique d’impôts directs et indirects. Le SNP s’efforce de démontrer que dans ce domaine, l’Écosse est meilleure que le Royaume-Uni, ce qu’il présente comme un gage sérieux de sa viabilité en tant qu’État indépendant. Ainsi, il estime que depuis l’exercice financier 1980-1981, l’Écosse a toujours collecté davantage d’impôts par habitant que le Royaume-Uni. En 2012-2013, les chiffres étaient respectivement de 10 000 £ contre 9 200 £, en incluant les impôts des hydrocarbures [27].
De nouveau, les revenus des hydrocarbures sont un enjeu central. Pour le moment, les revenus du pétrole profitent à l’ensemble du Royaume-Uni et contribuent à abonder la subvention forfaitaire annuelle que verse le Trésor britannique à l’Écosse. L’examen du budget écossais de 2011-2012, qui prend en compte l’estimation des revenus du pétrole et du gaz, montre que ces derniers sont en fait indispensables au budget écossais, qui reste malgré tout déficitaire. Au cours de la période 2007-2012, les revenus du pétrole s’élèvent à 43,4 milliards de £, soit 16 % des revenus écossais [28]. Dans le budget prévisionnel pour 2016-2017, qui serait le premier exercice budgétaire d’une Écosse indépendante, le gouvernement écossais prévoit une fourchette de revenus du pétrole comprise entre 6,8 et 7,9 milliards de £, pour un budget de 63,7 milliards de £, qui serait déficitaire [29]. La rhétorique du SNP apparaît donc quelque peu trompeuse quand il affirme que l’économie écossaise produit autant de richesses que l’économie anglaise et que le pétrole n’est finalement qu’un bonus [30].
Quand le SNP prône de placer les revenus du pétrole dans un fonds souverain (baptisé Energy Fund), sur le modèle de celui créé par la Norvège, à destination des générations futures et dans un fonds de stabilisation à court terme pour absorber les fluctuations de prix, les unionistes ont beau jeu de relever l’incapacité de l’Écosse à abonder un tel fonds alors que le budget du pays est déficitaire. Entre 1999 et 2012, le déficit de l’Écosse s’est élevé à 3,7 % du PIB en moyenne [31]. L’actuel gouvernement prévoit un déficit entre 1,6 % et 3,2 % en 2016-2017 en fonction des estimations des revenus du pétrole et du résultat du calcul de la part écossaise de la dette britannique. Toutefois, malgré un budget continuellement déficitaire au cours des cinq dernières années, l’Écosse a fait mieux que le Royaume-Uni quatre années sur cinq (et notamment au cours de l’exercice 2011-2012 avec 5 % contre 7,9 %) [32].
Le Scotland Act 2012 élargit les pouvoirs fiscaux du Parlement écossais par rapport au Scotland Act 1998. Prévu pour s’appliquer à partir de 2015, il portera à 15 % la part d’impôts dont Holyrood aura la responsabilité directe. Le SNP juge ce supplément d’autonomie fiscale très insuffisant pour construire « un système fiscal écossais basé sur des principes, des préférences et des circonstances spécifiquement écossais » [33].
3. Quelle place pour l’Écosse dans le concert des nations ?
Les indépendantistes estiment que l’Écosse a besoin d’être directement représentée sur la scène internationale car, à leurs yeux, le Royaume-Uni, par son attitude de plus en plus isolationniste, n’y défend pas ses intérêts et ses valeurs (paix et justice, partenariat et commerce plutôt que conflit, respect des droits de l’homme) de façon satisfaisante.
C’est surtout la question de l’appartenance à l’UE qui fait question. L’éventuelle indépendance de l’Écosse modifiera nécessairement la nature de ses futures relations avec le reste du Royaume-Uni. Mais l’enjeu du scrutin dépasse cette première évidence. Dans une période où euroscepticisme et europhobie sont deux sentiments profondément ancrés dans l’opinion publique britannique en général, et anglaise en particulier, le maintien de l’Écosse dans l’Union européenne est un enjeu majeur et, accessoirement, une question de démocratie : il n’est pas exclu que l’Écosse se retrouve dans quelques années en dehors de l’Union européenne parce qu’une majorité d’Anglais du sud, europhobes, en aurait décidé ainsi. Rappelons que David Cameron a promis la tenue d’un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne en 2017, s’il est reconduit comme Premier ministre après les élections législatives de mai 2015 [34]. À travers le référendum pour l’indépendance de leur nation, les électeurs écossais, en majorité pro-européens, peuvent être tentés de prendre leurs distances avec l’europhobie anglaise, défendue par le parti UKIP de Nigel Farage et les conservateurs au pouvoir [35]. Le Livre blanc Scotland’s Future considère que l’UE constitue une opportunité pour l’Écosse plutôt qu’une menace. Ne pas être représentés directement à la table des négociations européennes porte préjudice aux intérêts écossais, notamment dans les domaines de la pêche et de l’agriculture, encore faut-il que l'Écosse parvienne rapidement à se faire admettre comme État-membre. Pour le SNP, il n’y a donc aucun doute que l’Écosse deviendra membre de l’Union Européenne et que la période de transition permettra au gouvernement écossais de mener les négociations nécessaires pour que cela se produise dans les meilleures conditions. Pourtant, selon José Manuel Barroso, l’Écosse devra entamer un processus formel d’adhésion, long et difficile [36], obtenir l’accord unanime des 28 membres, y compris le Royaume-Uni, et attendre d’être indépendante pour formuler une demande d’adhésion.
Outre l'appartenance à l’Union Européenne, il se pose la question de la continuité de l’adhésion de l’Écosse aux institutions internationales telles que l’ONU, l’OTAN, l’OSCE, l’OCDE, l’OMC. C’est un élément-clé du débat et un cas inédit qui suscite bien des interrogations. Dans son argumentaire, le SNP défend le principe optimiste de la continuité d’effet, qui vaudrait pour toutes les institutions internationales desquelles le Royaume-Uni est membre. Pendant la période de transition jusqu’à l’indépendance en mars 2016, l’Écosse continuera à faire partie du Royaume-Uni, ce qui, aux yeux des nationalistes, devrait faciliter les négociations d’adhésion. En ce qui concerne le maintien dans l’OTAN, le SNP a dû faire marche arrière sur son opposition initiale, car une majorité d’Écossais y est favorable. Toutefois, l’opposition du SNP à la dissuasion nucléaire peut être un obstacle.
Les indépendantistes développent en fait une vision opportuniste des intérêts écossais. Ils souhaitent ne former qu’une seule voix avec le reste du Royaume-Uni quand cela sera utile, tout en se réservant la possibilité de s’engager avec d’autres pays lorsque les intérêts de l’Écosse ne coïncideront pas/ plus avec ceux du Royaume-Uni [37]. Le SNP a bien conscience qu’il est impossible, et qu’il n’est pas souhaitable, de s’affranchir des liens géographiques, culturels, linguistiques, économiques et familiaux qui unissent l’Écosse au reste du Royaume-Uni. Le SNP estime qu’il est dans l’intérêt d’une Écosse indépendante et du reste du Royaume-Uni de partager une même monnaie, bien que George Osborne, le Chancelier de l’Échiquier s’y oppose [38], et de conserver une zone commune de circulation [39] qui facilite les déplacements des citoyens britanniques et irlandais en Irlande, au Royaume-Uni, dans l’île de Man, et à Jersey et Guernesey. Ainsi l’Écosse ne ferait ni partie de l’eurozone ni de l’espace Schengen. En fait, le gouvernement écossais appelle de ses vœux une relation avec le reste du Royaume-Uni du même mode que celle entretenue par ce dernier avec l’Irlande. La réalité risque d’être bien plus complexe.
L’accord d’Edimbourg signé le 15 octobre 2012 stipule en effet que « les deux gouvernements sont tenus de continuer à travailler ensemble à la lumière du résultat, quel qu’il soit, dans l’intérêt du peuple écossais et du peuple du reste du Royaume-Uni » [40]. Le gouvernement écossais s’abrite derrière ces termes de l’accord pour proposer des réponses optimistes aux questions les plus épineuses qui se poseront si l’Écosse devient indépendante. Dans cette hypothèse, des négociations devront avoir lieu sur des sujets aussi fondamentaux que la monnaie, les questions de défense et de sécurité, le partage de la dette et du patrimoine britannique. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Le SNP met en avant son désir de coopération avec le reste du Royaume-Uni dans le domaine de la défense notamment (tout en exigeant le retrait des sous-marins nucléaires de la base de Faslane, située dans l’embouchure de la Clyde, et des ogives entreposées à Coulport, au profit du retour à une politique de défense conventionnelle) ou de l’immigration (tout en mettant en œuvre davantage d’ouverture dans ce domaine). Il y a fort à parier que le reste du Royaume-Uni, représenté au moment des négociations par un gouvernement unioniste qui ne veut pas de l’indépendance de l’Écosse, ne soit pas disposé à brader son patrimoine, à prendre plus que sa part de dette publique ou à sacrifier ses intérêts stratégiques. Les éventuelles négociations risquent donc d’être âpres.
Conclusion : indépendance ou autonomie élargie ?
Le soutien au SNP et le vote indépendantiste sont deux choses bien distinctes. Il existe un fort sentiment d’identité nationale en Écosse qui ne se convertit pas nécessairement en volonté d’indépendance. Si 90 % des Écossais revendiquent leur identité écossaise, ils sont également deux tiers à se revendiquer britanniques. Ce sentiment d’identité nationale est généralement plus complémentaire qu’opposé au sentiment de britannicité, ce qui donne quelque crédit à la célèbre phrase de Jim Sillars, député SNP battu à l’élection générale de 1992 pour le siège de Glasgow-Govan, selon laquelle les Écossais n’étaient que des patriotes de 90 minutes (« 90-minute patriots »), en référence à la durée d’un match de football. Ainsi, selon les différents sondages d’opinion rapportés par la BBC, le pourcentage des Écossais favorables à l’indépendance atteint à peine 40 %, pour environ 15 % d’indécis. Ces chiffres relativement stables depuis des mois commencent à évoluer à proximité immédiate du scrutin, mais depuis les premiers sondages en 1983, jamais le "yes" n’est arrivée en tête [41].
Davantage que les débats sur les questions énergétiques, économiques ou fiscales et l’adhésion à l’Union européenne, c’est sans doute l’intensité de la relation entre les Écossais et le Royaume-Uni qui fera la différence. Les prospectives du gouvernement d’Alex Salmond ne restent, par essence, qu’hypothèses. Les unionistes exploitent parfaitement le sentiment d’inconnu qui en découle. Ils n’ont de cesser de prédire difficultés, faillite et isolement sur la scène internationale à une Écosse indépendante. Le SNP ne souhaite pas s’affranchir d’un certain nombre d’acquis britanniques, ou de ce que l’on pourrait définir comme un patrimoine commun symbolique, à commencer par la Reine qui resterait à la tête de l’État, comme c’est le cas pour un certain nombre d’anciennes colonies britanniques membres du Commonwealth des nations. Pour une majorité d’Écossais, le Scotland Act 2012, avec son élargissement des pouvoirs fiscaux du Parlement écossais à partir de 2015, montre la voie vers davantage d’autonomie, compromis plus satisfaisant que l’indépendance. Un rejet de l’indépendance ne signifierait en effet pas que les Écossais soient en faveur du statu quo institutionnel. Un scrutin serré serait plutôt la preuve que ces derniers souhaitent plus de dévolution (« devo-max » [42]), au sein d’un Royaume qu’ils ne voudraient finalement pas voir désuni. |
Drapeaux sur la National Gallery of Scotland
Les deux bannières du Royaume-Uni (Union Jack) et de l'Écosse (la croix de Saint-André ou Saltire) flottent sur la National Gallery à Édimbourg. Pour combien de temps encore ?
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Notes
[4] “Should Scotland be an independent country ?”
[7] Les partis travailliste, conservateur et libéral-démocrate.
[8] Un site internet apporte également des réponses précises aux questions concrètes que se posent les Écossais. Cliquez ici.
[9] Il s’agit d’une réduction des allocations aux locataires de logements sociaux, mise en place depuis le premier avril 2013, à partir du moment où ils disposent d’un logement dans lequel il y a une chambre inoccupée. Pour davantage de détails, voir le site de la National Housing Federation.
[10] The Scottish Government, Scotland’s Future, p. viii.
[12] En l’état actuel des institutions, c’est la Couronne britannique qui est souveraine.
[15] Voir le rapport du gouvernement écossais en date de mars 2013 pour une évolution détaillée. L’enjeu n’est pas que financier puisque l’exploitation du pétrole et du gaz en mer du Nord a couvert respectivement 67 % et 53 % des besoins britanniques en 2012 et l’industrie est pourvoyeuse de 450 000 emplois directs et indirects au Royaume-Uni, dont 200 000 en Écosse. Cliquez ici.
[16] Voir le rapport détaillé de Sir Ian Wood sur la question du pétrole de la mer du Nord (en pdf) . Cliquez ici.
[17] North Sea Oil : Facts and Figures. Cliquez ici.
[18] The Scottish Government, Scotland’s Future, pp. 74-75.
[19] http://www.scotland.gov.uk/Topics/Business-Industry/Energy/Facts Cliquez ici.
[20] http://www.scotland.gov.uk/Resource/0045/00454633.pdf Cliquez ici.
[21] http://www.scotland.gov.uk/Resource/0045/00454633.pdf Cliquez ici.
[22]The Scottish Government, Scotland’s Future, p. 87.
[23] http://www.scotland.gov.uk/Resource/0044/00446013.pdf Cliquez ici.
[24] L’analyse qui suit emprunte à The Scottish Government, Scotland’s Balance Sheet 2013, p. 13. En raison de la coexistence d’un certain nombre de pouvoirs dévolus au Parlement écossais et de pouvoirs réservés à Westminster, il n’est pas simple de se forger une idée précise du budget de l’Écosse, qui repose en partie sur des estimations.
[25] Les collectivités locales écossaises perçoivent également des impôts.
[27] The Scottish Governement, Government Expenditure & Revenue Scotland. Cliquez ici.
[28] The Scottish Governement, Scotland’s Balance Sheet 2013, p. 15. Cliquez ici.
[29] The Scottish Government, Scotland’s Future, p. 75.
[30] Voir en complément l’article de Gavin McCrone, “North Sea Oil is key to an independent Scotland”, The Guardian, 11 March 2014.
[32] The Scottish Government, Scotland’s Future, pp. 72-76.
[34] Rowena Mason, “David Cameron : in-out referendum on EU by 2017 is cast-iron pledge”, The Guardian, 11 May 2014. Cliquez ici.
[35] Voir en complément l’article de Keith Dixon, «L’indépendantisme écossais est une réplique à l’europhobie des Anglais », Le Monde, 21 mai 2014.
[36] Voir en complément l'article d'Eric Albert, « En Écosse, le oui à l’indépendance progresse », Le Monde, 14 avril 2014.
[37] The Scottish Government, Scotland’s Future, p. 209.
[38] Voir en complément l'article d'Eric Albert, « En Écosse, le oui à l’indépendance progresse », Le Monde, 14 avril 2014. Cliquez ici.
[40] “The two governments are committed to continue to work together constructively in the light of the outcome, whatever it is, in the best interests of the people of Scotland and of the rest of the United Kingdom” (paragraphe 30), Agreement between the United Kingdom Government and the Scottish Government on a referendum on independence for Scotland, Edinburgh, 15 November 2012 (en .pdf).
[41] Edwige Camp-Piétrain, op. cit., p. 94.
[42] Voir la définition de DevoMax par The Scotsman : Cliquez ici.
Fabien JEANNIER,
docteur en civilisation britannique, Université de Lyon, laboratoire Triangle UMR 5206
conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,
pour Géoconfluences, le 1er septembre 2014
Pour citer cet article :
Fabien Jeannier, « Les enjeux du référendum sur l’autodétermination du 18 septembre 2014, vus depuis l'Écosse », Géoconfluences, 2014, mis en ligne le 5 septembre 2014. |
Voir aussi :l'article d'Alistair Cole, "Scotland's Hour of Choice", publié sur le site expert ENS-DGESCO La Clef des Langues, 4 septembre 2014. et notre sélection de ressources classées en libre accès, septembre 2014 |