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Les Jeux olympiques de Paris 2024 et leurs effets territoriaux

Publié le 09/07/2024
Auteur(s) : Stéphane Merle, docteur en géographie, chercheur associé - université de Saint-Étienne

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Les Jeux olympiques sont un méga-événement sportif dont les enjeux sont aussi économiques, socioculturels et politiques. Derrière l'effet vitrine attendu pour les JO de Paris 2024, les difficultés sont nombreuses et les effets territoriaux incertains : inévitables dépassements budgétaires, éviction spatiale des catégories les plus pauvres, contestation de la logique verticale des projets imposés... pour des retombées à moyen terme plus difficiles à évaluer que ne le sont les coûts.

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Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 constituent un méga événement sportif, d’une ampleur impressionnante : plus de 10 000 athlètes, près de 330 épreuves dans plus de 40 sites. Si les enjeux sportifs mobilisent les médias pendant les cinq semaines d’épreuves (du 26 juillet au 11 août puis du 28 août au 8 septembre 2024), les phases précédant et suivant les Jeux mettent plutôt en avant les autres dimensions, selon des enjeux à la fois économiques, sociaux, culturels et politiques. Cette affirmation d’un méga-événement aux effets multiples résulte d’une évolution progressive depuis les premiers jeux modernes à la fin du XIXe siècle.

Dans l'encadré déroulant : tableau chronologique de l’événement Jeux olympiques d’été

Les Jeux olympiques offrent une perspective d’accélération des transformations urbaines mais dans un choc des échelles spatio-temporelles difficile à gérer par les acteurs concernés. Sur le plan spatial, de l’échelle de la mondialisation au micro-local, il est impossible de contenter tous les acteurs (y compris sur un plan sportif, puisque pour les 10 500 athlètes, il n’y a que 340 champions olympiques et souvent une gloire sportive éphémère). Quelle que soit l’échelle concernée, il est difficile de « faire territoire », de susciter l’adhésion de populations plus ou moins concernées, plus ou moins favorisées. Il existe également un choc des échelles temporelles : 15 jours d’épreuves médiatisées (près de 5 semaines avec les jeux paralympiques) mais 20 ans de transformations de la métropole parisienne, bref un événement par essence éphémère mais dont l’empreinte est très forte, tant sur un plan sportif que culturel, touristique, politique et même territorial, si elle est accompagnée de stratégies d’acteurs cohérentes. Sinon, les Jeux olympiques peuvent être parfois associés aux GPII (Grands Projets Inutiles et Imposés), aux stratégies d’éviction (des habitants, parfois des touristes). Ainsi, le collectif « Non aux JO 2024 à Paris » issu de l’ONG ATTAC souligne dès 2017 la distorsion entre une fête de quinze jours et l’ampleur des dépenses et des investissements : coûts financier, écologique, démocratique (décision imposée d’en haut, sans l’aval des populations locales), sans oublier l’ampleur de la communication médiatique pour les masquer (même si la presse française porte un éclairage plus nuancé grâce à sa diversité et le nombre d’enquêtes journalistiques).

Nous proposons, dans une approche resserrée sur l’analyse des sites olympiques dans cette phase de préparation et d’organisation des Jeux, d’étudier les transformations, les dynamiques territoriales à l’œuvre, en questionnant ces effets sur les territoires aussi à bien à une échelle nationale et internationale (en interrogeant l’effet vitrine des JOP) qu’à une échelle régionale et locale (en se concentrant sur une accélération des mutations territoriales). Il s’agira également de poser la question de l’héritage des Jeux, celle que pose le CIO (Comité International Olympique) dans ses récentes recommandations, mais aussi celle qui éclaire la tension entre coûts et bénéfices – sur un temps long – d’un tel événement inscrit dans un temps court.

1. Aux échelles nationale et internationale : un effet vitrine de l’événement sportif

1.1. Un méga-événement sportif d’ampleur mondiale

D’un point de vue géographique, notamment du marketing territorial, c’est bien un effet vitrine qui est recherché, en mettant le focus sur un territoire, un pays, une ville, ici une métropole mondiale, une grande agglomération avec la ville-centre marquée par une forte mise en tourisme et des périphéries plus ou moins intégrées et marginalisées, telle une ville éclatée, aussi bien spatialement que socialement, avec des sites patrimonialisés dans le prolongement de la ville de Paris (à l’image de Versailles) mais aussi ses banlieues industrielles et pavillonnaires – plus banales – plus d’autres concentrant les grands ensembles – défavorisées. À l’image de Paris, la ville-hôte est souvent une ville monde soucieuse de son image, forte de son capital humain et financier, défendant sa capacité organisationnelle (Machemehl, Robène, 2014).

L’ampleur mondiale de l’événement Paris 2024 est renforcée par le choix des sites avec les épreuves de surf organisées à Tahiti sur la vague de Teahupo, une manière implicite d’impliquer toute la nation, y compris l’outre-mer, tout en validant un argument sportif sur la puissance et la régularité de la vague pour le prestige de l’épreuve.

1.2. Un événement national qui mobilise au-delà de Paris

Le choix des sites olympiques fut parfois compliqué, à l’image du surf qui fut avant le choix de Tahiti d’abord pressenti à Biarritz, ou même en Bretagne (pointe de la Torche). Tout aussi compliqué fut le choix pour le tir sportif : pressenti à la Courneuve sur un site coûteux à dépolluer et abandonné en 2022, il est finalement prévu au centre national de tir sportif de Châteauroux, une petite ville de 43 000 habitants à 270 km au sud de la capitale (encadré 1).

 
Encadré 1. Accueillir une épreuve déconcentrée pour assurer sa visibilité ? L'exemple de Châteauroux

Le choix de Châteauroux relève d’une double logique. Pour la fédération française de tir, c’est l’occasion de valoriser son équipement de 140 000 m² dont la construction et ses 38 millions d’euros avaient nécessité la participation financière de tous les licenciés. Pour l’EPCI Châteauroux Métropole, c’est l’occasion de valoriser un site emblématique de l’industrialisation en milieu rural, situé sur la commune de Déols et ses 7500 habitants, en fait une ancienne base militaire de l’OTAN (de 1951 à 1967) puis de l’Armée française. Appelé la Martinerie, le site est vendu à Châteauroux Métropole qui le vend à son tour à la découpe, dont le lot du centre de tir et celui d’un projet hybride franco-chinois, que la pandémie de Covid-19 freine largement, en le limitant à une succursale de l’université de Pékin avec quelques étudiants logés dans des dortoirs. L’un des bâtiments a été loué par le prince saoudien qui a racheté le club de football local, celui de la Berrichonne, pour y créer pompeusement une « académie de football » : il doit accueillir les athlètes olympiques en juillet 2024, tandis que la mise en tourisme pour héberger les spectateurs se limite à quelques opérations sur l’hébergement (transformation d’une ancienne chapelle en appart-hôtel pour 5 millions d’euros en partie payés par la ville et l’intercommunalité). L’Indre reste en effet un département en déficit d’image et le coup de projecteur pourrait se limiter à la médiatisation de la première médaille olympique des Jeux remise au centre de tir le 27 juillet 2024 devant 700 spectateurs installés dans une tribune provisoire. C’est bien ici la faiblesse des infrastructures et l’isolement géographique – aussi à échelle nationale que locale – qui limitent les effets de l’événement, y compris pour l’animation locale (la fan-zone prévue avec écran géant et guinguette dans un parc excentré est finalement annulée début 2024, contestée par les commerçants du centre-ville révélant les problèmes de revitalisation des villes moyennes).


 

Outre ces deux cas particuliers, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 apparaissent comme des jeux multiscalaires, parfois disséminés sur tout le territoire français, notamment pour plusieurs sports collectifs, en profitant de stades de football modernisés pour l’Euro 2016, dans sept villes : Lyon, Marseille, Nice, Nantes, Bordeaux et Saint-Etienne pour le football, plus Lille et son stade polyvalent pour le basket et le handball. Comme le Stade de France est déjà utilisé pour d’autres disciplines que le football, celui-ci est accueilli dans des grands stades de province. Parfois ce sont les contraintes géographiques inhérentes à certains sports qui poussent à délocaliser des épreuves olympiques comme dans les sports nautiques nécessitant la présence de la mer : la voile est accueillie à Marseille en appui sur un projet local de démocratisation du nautisme.

Document 1. Carte des sites olympiques des Jeux olympiques de Paris 2024

Carte JOP 2024

Source : Comité organisateur des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Cliquez ici pour afficher ou télécharger la carte en résolution maximale.

 

Cette logique de dispersion est d’ailleurs encouragée par le Comité international olympique (CIO) pour adapter les exigences olympiques aux besoins des villes hôtes, en utilisant les infrastructures existantes dans des villes plus éloignées, notamment pour Paris 2024 par les sites labellisés CPJ (centres de préparation aux jeux, servant aux entraînements), plus de 1 000 en France dispersés dans 98 départements.

1.3. Un événement entraînant un mouvement de contestations

Face à ces forces mobilisées et à cet effet vitrine recherché, les critiques des méga-événements sportifs se multiplient depuis plusieurs olympiades, surtout au vu des échecs partiels des jeux passés. Entre l’échec reconnu des Jeux d’Athènes en 2004 et la réussite toute aussi reconnue de ceux de Barcelone en 1992, il existe toute une variété de situations, entre les demi échecs de Rio 2016 ou de Montréal 1976 et les demi réussites de Londres 2012 ou de Tokyo 2020.

→ Lire aussi : Raphaël Languillon-Aussel, « Tokyo, ville globale olympique : de l’échec du projet de 2016 au succès de la candidature de 2020 », Géoconfluences, octobre 2017.

Sans analyse approfondie de chacune des situations, le premier cas est associé à un spectre d’un héritage négatif, voire d’une situation économique dégradée : infrastructures sportives très chères, avec fort dépassement pour les achever à temps, idem pour les équipements plus génériques (certes utiles comme dans les transports pour moderniser une ville asphyxiée, mais très coûteux et parfois surdimensionnés), mais surtout progressivement abandonnés. Pourtant, il convient de le mettre en perspective avec l’ensemble des périodes, avant pendant et après les jeux, sur un temps long, associant héritages matériel et immatériel, Athènes ayant par ailleurs conforté son image de ville touristique et de métropole moderne (Polychroniadi, 2022, p. 71–95). Cet héritage négatif peut être constaté pour d’autres jeux olympiques, plus récents, largement étudiés également, tels les travaux de Judith Audin sur les Jeux de Pékin en 2008, ceux de Marta Lotto sur les Jeux d’hiver de Turin 2006, qui révèlent les contradictions urbaines derrière l’événement, notamment quant à la préparation des jeux associée à des logiques de dépossession (démolitions, déplacement de populations). En France, plusieurs chercheurs ont analysé cette difficulté à construire des projets urbains olympiques cohérents et acceptés localement, mais surtout cette diversité d’accompagnement des candidatures (Augustin et Gillon, 2021), valorisant parfois un modèle d’équilibre comme pour les Jeux de Barcelone en 1992 avec leur approche holistique de l’urbanisme olympique (Machemehl et Robène, 2014). La réussite de ces jeux apparaît souvent comme une exception tant cette approche planificatrice s’est heurtée depuis à des difficultés et des tensions comme à Pékin en 2008 ou Rio en 2016 avec de fortes contestations locales suite à des dérives et des tendances propres au gigantisme. Ce type de critiques est renforcé ces dernières années quant à l’organisation d’autres méga-événements comme les coupes du monde de football ou de rugby (Qatar 2022 en particulier). Il tend à provoquer même un recul des candidatures.

→ Lire aussi : Pascal Gillon, « Les Jeux olympiques de Rio 2016, un héritage mais au profit de qui ? », Géoconfluences, 6 juillet 2016.

Document 2. Tableau des candidatures : devenir une ville olympique depuis 1980

Année olympique Nombre de candidatures au départ Nombre de candidatures abouties Ville désignée hôte
1980 2 2 Moscou
1984 1 1 Los Angeles
1988 2 2 Séoul
1992 7 6 Barcelone
1996 6 6 Atlanta
2000 7 5 Sydney
2004 11 5 Athènes
2008 10 5 Pékin
2012 9 5 Londres
2016 7 4 Rio
2020 5 3 Tokyo
2024 5 2 Paris

Source : olympics.com

 
Encadré 2. Chronique d’un échec volontaire, que nous enseignent les abandons de candidatures ?

Depuis le début du XXIe siècle, on assiste bien à un recul des candidatures, surtout pour les projets de candidature de plus en plus abandonnés dans les années 2000 et 2010, souvent faute de soutien populaire comme à Vienne ou Boston, poussant les pouvoirs publics à renoncer (comme à Rome et Budapest pour les JO de 2024, dans le premier cas après un changement de Maire qui qualifie désormais les Jeux d’irresponsables, dans le second cas après une pétition de 266 000 opposants), y compris après des referendums de consultation comme à Hambourg en 2015 pour les JO 2024. Des projets de JO d’hiver ont également été abandonnés faute de soutien populaire à Annecy pour 2018, à Cracovie, Munich, Oslo ou Stockholm pour 2022 : il est loin le temps où la candidature avortée de la ville de Denver pour les JO de 1976 (annulée après referendum) était une exception. Peu de villes moyennes se lancent dans l’aventure olympique, d’ailleurs souvent recalées (comme la ville suisse de Sion pour les JO de 1976, 2002 et 2006 au profit de grandes métropoles américaines et européennes), stoppées par un referendum (Berne pour 2010, St-Moritz et Davos pour 2022). L’acceptation peut passer par l’association d’une ville moyenne et d’une métropole comme pour 2026 avec Cortina et Milan, ou alors par des candidatures conjointes et surtout négociées en amont avec le CIO, annoncées parfois de façon simultanée. C’est le cas de la candidature française pour les JO d’hiver 2030, dont le dossier a été remis en CIO le 7 novembre 2023 après quelques mois de préparation : dès le 29 novembre, le CIO annonce entrer en dialogue ciblé, écartant les candidatures suisse et suédoise, avant une annonce officielle en juillet 2024. C’est une candidature des « Alpes françaises » mobilisant deux régions (Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur) en appui sur les sites des JO d’Albertville 1992, dans la continuité des Jeux olympiques Paris 2024, au budget réduit à 1,5 milliard d’euros avec un seul grand équipement à construire (une patinoire à Nice, en remplacement de l’actuelle qui n’est plus aux normes), aux ambitions écologiques affirmées (quoique déjà contestées sur un plan politique local). On peut y voir un moyen de contrer le mouvement anti-olympique qui s’affirme et s’internationalise certes timidement mais suffisamment pour inquiéter le monde de l’olympisme. L’une des solutions parfois proposées face à cette contestation pourrait être de faire d’Athènes une ville olympique permanente, en tout cas pour les jeux d’été, au lieu d’une organisation tournante comme actuellement.


 

En conséquence, de nouvelles recommandations sont promues par le CIO à travers son agenda 2020 adopté en 2014, mais dont les Jeux olympiques de Paris 2024 sont les premiers à appliquer les principes, basés sur la notion d’héritage : il s’agit principalement de préparer l’avant et surtout l’après, d’éviter les éléphants blancs – ces équipements surdimensionnés et abandonnés après la quinzaine olympique – mais aussi « décélérer », faire reculer le gigantisme, préparer une meilleure analyse des budgets, susciter l’adhésion des populations (y compris par l’organisation d’un referendum devenant a priori obligatoire à partir des Jeux 2032). L’agenda 2020 du CIO invite « les villes candidates potentielles à présenter un projet conforme aux besoins de planification de long terme sur les plans économique, social et environnemental ». Nous allons désormais voir comment s’applique à Paris 2024 cette réflexion sur l’inscription des dépenses dans un projet urbain.

2. Aux échelles régionale et locale : une occasion d’accélérer des mutations territoriales

2.1. Les Jeux olympiques de Paris 2024 et la métropole parisienne

L’accueil des sites olympiques est pensé à une échelle régionale, dans une optique de relance des dynamiques d’attractivité mais aussi pour repenser la vie des franciliens, en appui sur les projets de la métropole du Grand Paris. L’idée est de créer une symbiose entre les aménagements olympiques et ceux de la métropole parisienne, dès la candidature portée en catalyseur du projet du Grand Paris. Les Jeux olympiques sont défendus comme des outils essentiels à la construction métropolitaine, c’est-à-dire une ville extravertie, compétitive et ouverte sur le monde, mais aussi réconciliée avec sa banlieue et répondant à la demande de logements et de services, notamment de transports (les lignes du Grand Paris Express devant autant desservir les sites majeurs du Grand Paris que les divers espaces périphériques, avec des quartiers de gares devenant des pôles de développement associant logements et bureaux). Le problème reste le déficit de gouvernance, au contraire de la candidature londonienne pilotée par la seule Greater London Authority déjà bien installée dans le projet urbain : les lois Matpam en 2014 et NOTRe en 2015 n’ont pas permis de clarifier le rapport entre les collectivités traditionnelles et la nouvelle métropole du Grand Paris qui évolue depuis plusieurs années vers une logique de guichet. En fait, c’est l’État qui reste le pilote principal pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, notamment à travers la Solideo, plus les collectivités locales concernées notamment en Seine-Saint-Denis puisque, selon Alain Bourdin, la dimension métropolitaine s’exprime dans trois thèmes : logement (en direction des classes moyennes qui ne peuvent plus acheter dans Paris), espace public (reconquête des berges de Seine dans Paris ou plus au nord et à l’ouest) et transports (telle une réorganisation profonde de la mobilité francilienne).

Sur ce dernier point, le grand chantier est le Grand Paris Express avec ses lignes nouvelles (15 à 18 plus le prolongement de la ligne 14), ses 68 nouvelles gares, supports de nouveaux quartiers évitant la logique de la ville-dortoir et même cherchant à redynamiser des secteurs entiers de la banlieue parisienne. Toutefois, devant les difficultés pour achever la majorité des projets du Grand Paris Express pour l’été 2024, les tensions dans l’organisation des transports pour les Jeux se multiplient depuis 2022, notamment pour répondre à l’objectif de transporter 100 % des spectateurs par les transports en commun, soit une estimation de 12 millions de voyageurs par jour (contre 7 à 8 millions habituellement chaque été). Sont alors prévus un budget supplémentaire par la Région et par l’État, plus de rames, plus de conducteurs (touchant une prime « jeux olympiques »), non sans tension comme à la RATP.

Le second dossier prioritaire en Île-de-France, de façon générale et pour la réussite des jeux en particulier, c’est le logement et l’habitat (intégrant alors les espaces publics, notamment les espaces verts), au-delà encore le cadre de vie, mais aussi l’image globale du territoire, en interne et en externe. Deux opérations sont au cœur des enjeux urbains : le village olympique et le « cluster des médias ». Construit en bordure du parc de la Courneuve pour environ 1 500 journalistes, ce dernier est amené à devenir un quartier résidentiel avec 1 400 logements, érigé en « cité-jardin du XXIe siècle » selon la Solideo. Ce ne sera pas pour 2024 mais à moyen terme, sans garantie de succès ni de greffe avec les autres espaces urbains, d’autant que des débats ont agité la phase de projet et de réalisation, que ce soit sur la densité urbaine ou le risque de gentrification.

Par ailleurs, les Jeux olympiques sont évidemment associés à des équipements sportifs, notamment ceux pour les cinq semaines de compétition, selon plusieurs logiques de localisation à l’échelle de la métropole parisienne, puisque de grands équipements sportifs nouveaux sont prévus en périphérie : arénas, piscine olympique, etc. Le cas de la piscine olympique est emblématique des débats qui animent les grands projets d’aménagement sportif : prévue à Saint-Denis près du Stade de France pour toutes les épreuves de natation avec sa jauge de 17 000 places, d’un coût de 68 millions d’euros dans le dossier de candidature (potentiellement porté à 260 millions dans un rapport de l’inspection des finances en avril 2018), elle est finalement maintenue sur ce site mais dans une jauge réduite à 5 000 places pour rester dans le budget, pour 174 millions d’euros, tout en prévoyant une construction écologique grâce à sa charpente et son toit pourvu de panneaux solaires. Par ailleurs, les négociations entre le comité organisateur et le propriétaire de la Défense Arena de Nanterre aboutissent à l’accueil des épreuves de natation grâce à une piscine provisoire. Cet équipement accueillant les matches de rugby du Racing 92 était pressenti pour les épreuves de gymnastique, voire les finales du handball.

Outre une piscine provisoire à Nanterre, la périphérie parisienne accueille plusieurs grands équipements éphémères dont le site d’escalade au Bourget : cet ancien complexe sportif est rénové avec deux murs d’escalade indoor amenés à rester après les Jeux, plus quatre murs en extérieur dont trois dédiés à la compétition olympique, démontables et réutilisables ailleurs. Mais la concentration des grands équipements éphémères se situe dans Paris, à commencer par la nef du Grand Palais qui doit accueillir les épreuves d’escrime et de taekwondo, suite à de lourds travaux de rénovation. Les Jeux olympiques apparaissent ainsi comme un premier moment de valorisation de ce chantier, dans un site patrimonial emblématique (construit pour l’exposition universelle 1900), avant la réouverture des galeries nationales et du Palais de la Découverte prévue respectivement pour 2025 et 2026. Tout près de là seront installés des équipements éphémères dans des espaces publics, précisément la place de la Concorde pour les nouveaux sports urbains : il existe en effet des logiques socio-sportives pour intégrer ce type de sport. Après l’escalade intégrée aux JO de Tokyo, les Jeux olympiques de Paris accueillent pour la première fois le skateboard, le breakdance et le BMX-freestyle, symboles de renouvellement générationnel et propice au relais sur les réseaux sociaux. Le BMX est par ailleurs accueilli en périphérie dans l’un des nombreux sites franciliens (encadré 3).

 
Encadré 3 : les équipements olympiques franciliens

Plusieurs sports sont accueillis en dehors de Paris, dans des communes périphériques déjà plus ou moins dynamisées par de grands équipements sportifs mais aussi culturels, ce que soit Versailles et son château, dont le parc accueillera les épreuves d’équitation mais aussi de pentathlon moderne, ou Vaires-sur-Marne pour l’aviron et le canoë-kayak, dont le stade nautique est le premier équipement olympique neuf livré dès 2019. Cette base de loisirs de Vaires-Torcy insérée dans un site de 150 ha renforce l’offre de loisirs pour les franciliens, grâce à un lac aménagé (permettant aviron et canoë mais encore paddle, voile sur catamaran et optimist). Un espace accueille des bâtiments dotés d’un toit paysager accessible à la promenade, servant de sièges des fédérations des deux sports olympiques (plus les pôles France et Espoir, les ligues ou comités régionaux, etc.) et de centre de formation et d’hébergement, tandis que le pôle sportif est unique en Europe pour accueillir l’aviron et le canoë olympiques et paralympiques, que ce soit dans le stade d’eaux vives et ses deux parcours de 150 et 300 m de long ou sur le parcours en ligne (long de 2 200 m, équipé d’une tour d’arrivée et d’un centre médias).

L’idée pour ces grands équipements sportifs en périphérie est bien de transformer ces communes par le sport et les images positives qui y sont associées. Le cas de Saint-Quentin-en-Yvelines est emblématique de ces communes ayant fait du sport un des piliers de leur stratégie politique (Aubin, 2024), profitant de son insertion dans les projets du Grand Paris, d’un tourisme sportif déjà initié avant les jeux mais surtout de grands équipements déjà construits donc seulement modernisés : le golf national et le vélodrome national construit dès 2014 pour le cyclisme sur piste, mais aussi le BMX avec un stade voisin (dont la piste couverte a été simplement redessinée avec des autour des tribunes temporaires pour les JO 2024). Sur la commune voisine d’Élancourt, associée grâce à la communauté d’agglomération, le site de la colline d’Élancourt, point culminant de la région parisienne à 231 m d’altitude, verra sa dimension « sport-loisirs » renforcée par l’épreuve de VTT sur un parcours réaménagé, à 95 % sur des chemins existants, pour des itinéraires accessibles à tout public, dans un parc de loisir déjà aménagé depuis les années 1980 sur d’anciennes carrières de grès reconverties en décharge de la fin du XIXe siècle à 1975, tel un environnement restauré (sécurisé, dépollué), un lieu de détente et de récréation.


 

L’accueil des Jeux bouscule l’agenda des collectivités quant à leurs projets d’équipements sportifs, et peut redéfinir ces mêmes projets, comme pour la grande Aréna prévue depuis longtemps par la Mairie de Paris en direction du basket et du handball de haut niveau (respectivement pour le Paris basket et le PSG handball). Prévue en 2018 dans le parc de Bercy à côté de l’Accor Aréna avec plus de 9 000 places, elle est finalement relocalisée – faute de parcelles suffisantes disponibles – dans le nord de la capitale, près de la Porte de la Chapelle, dans le cadre de la rénovation d’un quartier défavorisé, avec une grande salle de 8 000 places (portée à 8 500 spectateurs en cas de concerts-spectacles), à laquelle sont accolés deux gymnases et des salles de réunion pour les clubs locaux. Mais c’est surtout le département voisin de la Seine-Saint-Denis qui est concerné par ces ambitions urbaines.

2.2. Le cas emblématique de la Seine-Saint-Denis, « au-delà du remède miracle »

Ce département est choisi dès les prémices de la candidature pour bénéficier d’une concentration de sites olympiques, qu’ils soient sportifs ou logistiques, avec le village des athlètes et le village des médias, grâce à une convention entre la ville de Paris et le département de la Seine-Saint-Denis dès le 23 juin 2016. Environ 80 % des chantiers de la Solideo se concentrent dans ce département et nombreux sont ceux qui croient en la chance que représente l’organisation des Jeux olympiques Paris 2024 pour la transformation de ce territoire, précisément dans le passage d’un territoire délaissé à un territoire favorisé. Certains (élus, techniciens, experts, habitants) y voient une simple transformation de surface et d’image, d’autres revendiquent des espoirs de transformation durable pour ce territoire marqué par la désindustrialisation, la concentration de grands ensembles et leurs populations défavorisées (le département a un taux de pauvreté de 28 % en 2021, soit le double de la moyenne nationale). Les Jeux olympiques Paris 2024 s’inscrivent ici dans un contexte bien singulier, à la fois contradictoire et fertile, entre déficit d’image et laboratoire d’innovation urbaine et sociale (Bourbillères et al., 2023). Des élus comme le président socialiste du conseil départemental, Stéphane Troussel, natif de Saint-Denis et impliqué de longue date pour revitaliser cette banlieue nord de Paris, ainsi que l’ancien maire communiste de Saint-Denis Patrick Braouzec et l’actuel maire Mathieu Hanotin, veulent prendre appui sur cette population jeune, mais aussi attirer des classes moyennes. Ils expliquer vouloir embellir le cadre de vie et la vie sociale par les équipements sportifs laissés en héritage pour les habitants, sans oublier les espaces publics qui les entourent (passerelles piétonnes, pistes cyclables, espaces verts). Après les travaux dont a bénéficié le territoire pour la coupe du monde 1998 (Stade de France, couverture de l’A1, gares RER, voies piétonnes, etc.), l’idée est selon Patrick Braouzec d’ajouter « un deuxième étage à cette fusée avec l’organisation des JO deux décennies plus tard […] Les jeux sont l’occasion pour les populations de s’inscrire dans un projet lié à leur territoire » (Collectif, 2024).

Néanmoins, à une échelle microlocale, cette vision est loin d’être partagée par tous, y compris pour des opérations d’envergure comme le village olympique censé répondre aux besoins de logement en quantité et en qualité.

 
Encadré 4. Le village olympique, laboratoire pour la ville de demain ?

Ce village est censé être une étape vers la ville durable (nouveaux procédés constructifs, matériaux de construction bas carbone, espaces verts, etc.) en appui sur plusieurs opérateurs et promoteurs : aux yeux d’un investisseur immobilier, les JOP relèvent d’une opération immobilière produisant des surfaces résidentielles et des espaces d’attractivité (Bourdin et al., 2023). Il s’agit de construire un morceau de ville sur d’anciennes friches urbaines, le statut de village olympique n’étant qu’un prologue à une transformation urbaine profonde et pas totalement définie. D’ailleurs, des ajustements ont déjà eu lieu pour faire de ce nouveau quartier un emblème de la ville durable, notamment grâce à une réflexion sur la végétalisation des toitures et sur les corridors écologiques : ainsi, le parc Ampère à Saint-Denis et ses 2,6 ha a été conservé comme espace vert, avec l’abandon de cinq projets d’immeubles suite à une mobilisation collective. Tout cela s’accompagne d’une vaste opération de promotion immobilière dont les effets sur le marché de l’immobilier local se font déjà sentir avec une progression des prix moyens de 50 % en six ans.

Les problèmes concernent aussi les programmes de rénovation urbaine des communes concernées de Saint-Denis, L’Île-Saint-Denis et Saint-Ouen : les tours de la cité Marcel-Paul avec leurs 286 logements sont menacées à cause de l’échéance olympique qui complique le relogement, tandis que environ 400 personnes du squat Unibéton situé en bordure du chantier ont été expulsées en avril 2023, deux ans après la destruction du foyer ADEF de travailleurs migrants (286 hommes évincés en mars 2021) et de la résidence étudiante Pierre-Azou qui jouxtait ce foyer. Cette résidence ayant en fait été reconstruite sur place, dans le village olympique, les étudiants ayant été les seuls à rester sur le site deviennent de fait en mars 2023 les premiers habitants du village olympique, selon la communication habile de la Solideo qui se charge de ces politiques de relogement. Le débat porte aussi sur le type de population liée à l’héritage du village olympique : la gentrification, prévisible compte tenu du faible pourcentage de logements sociaux dans cette reconversion (20 %) et du prix annoncé à plus de 7 000 euros le m², est tantôt perçue comme bénéfique (par exemple Stéphane Troussel ou une directrice d’école qui espère un rééquilibrage social dans un département qui concentre 35 % de logements sociaux, bien plus que la moyenne nationale, et 65 % des sans-abri de l’Île-de-France), tantôt comme inquiétante pour les populations vulnérables qui « paient le prix » des grands projets et devront trouver à se reloger ailleurs.


 

Bien sûr, cette contestation n’est pas spécifique à l’organisation des Jeux olympiques et paralymiques, mais elle trouve son point d’orgue entre les défenseurs et les opposants de l’olympisme (Lindgaard, 2024). L’État français trouve la parade politique dès l’année de candidature puisque la loi olympique du 26 mars 2018 impose la cour administrative d’appel de Paris comme premier et dernier recours des contentieux en lien avec les Jeux olympiques afin de ne pas bloquer l’avancée des chantiers. Ce type de procédure n’empêche pas l’organisation de contestations, de revendications multiples : ce rapport de force a déjà bien été documenté dans la presse traditionnelle (voir par exemple l’article « Du béton et des jeux » de Sébastien Billard dans l’Obs du 29 juillet 2021) et dans la presse alternative notamment via les travaux de la journaliste responsable du pôle écologie à Médiapart : elle parle de violence urbaine et olympique, de dépossession, d’extractivisme, d’héritage négatif (Lindgaard, 2024).

C’est particulièrement tendu quant à l’artificialisation des sols, comme dans le quartier Pleyel, un quartier populaire de Saint-Denis coupé du reste de la ville par l’autoroute A86, situé près du village olympique, dont la desserte doit être améliorée par un nouvel échangeur pour des questions d’efficacité et de sécurité dans le transport des athlètes. Même si cet échangeur est associé à la fermeture d’autres bretelles aux portes de Paris, la dégradation de la qualité de l’air impactée localement par l’aménagement rend le discours écologique plus que contradictoire pour les habitants, d’autant qu’une école primaire existe à proximité et que ces travaux sont déconnectés des besoins réels des habitants. Ces derniers dénoncent l’absence de démocratie locale, perçoivent les jeux comme une sorte d’alibi à la transformation du quartier, accélérée grâce aux procédures urbanistiques simplifiées. Dès lors, ils s’organisent avec des écologistes ou d’autres riverains proches pour monter des collectifs et associations mais aussi des mini « ZAD ». Parmi les collectifs, citons Saccage2024 qui dénonce la bétonisation et la gentrification associés aux projets d’équipements liés aux Jeux olympiques. Parmi les ZAD, citons la « JAD » (Jardins À Défendre) d’Aubervilliers : la piscine, servant d’entraînement aux épreuves de water-polo, avec son solarium complétant l’artificialisation du lieu, remplace les jardins des Vertus, des jardins ouvriers cultivés depuis 1935 sur près de 4 000 m² défendus âprement par les propriétaires des parcelles, des riverains et des militants écologistes. Organisés via une manifestation d’ampleur en avril 2021 du centre-ville aux jardins, ils se mobilisent avant d’être finalement expulsés en novembre 2021, n’obtenant que la suppression du solarium par une action judiciaire en juillet 2022 (Clerval et Wojcik, 2024) : les travaux se sont achevés en mai 2024. Ils questionnent de façon plus globale la tension entre l’événementiel et la transformation durable des territoires au-delà de la Seine-Saint-Denis, donc l’héritage.

Document 3. Le chantier du centre aquatique olympique à Saint-Denis, en juin 2022

Piscine olympique en travaux

Cliché d’Edoirefaitdel'art, licence C.C. (source).
 

3. La question de l’héritage olympique : coûts et bénéfices pour les territoires

L’organisation de grands manifestations publiques demande toujours de forts investissements, surtout dans le contexte de compétition internationale des villes olympiques : « Au terme d’un processus d’enchère où les villes candidates offrent les meilleures conditions d’accueil pour espérer emporter la mise, un seul candidat l’emporte mais au prix le plus élevé : en économie on parle de modèle des enchères et de la malédiction du vainqueur, celui-ci n’ayant pas toutes les informations pour estimer le coût final » (Augustin et Gillon, 2021). Il existe souvent de nombreux coûts cachés ou sous-évalués qui font grimper la facture globale des jeux, provoquant parfois des dépassements importants (jusqu’à plus de 28 milliards d’euros pour les jeux de Pékin en 2008, document 4). Sans parler des dépassements, la facture globale des jeux est souvent très élevée, parfois astronomique comme à Sotchi 2014 : 37 milliards d’euros dépensés en Russie pour accueillir des jeux d’hiver dans une station balnéaire et des stations sous-équipées.

Document 4. Budget d’organisation des Jeux olympiques, écart entre le prévisionnel et le budget réel estimé (2000–2024)
bar
Milliards d'euros   Sydney 2000;Athènes 2004;Pékin 2008;Londres 2012;Rio 2016;Tokyo 2020;Paris 2024   true
  Budget prévisionnel 3;5.3;2.6;4.8;9;10.5;3.2   #cccccc
  Budget réel (estim.) 5.5;10;31;11;16.5;12;?   #e31e51

Source : Aubin, 2024

Pour Paris 2024, le maître mot du comité organisateur est la sobriété, en appui sur la formule marketing « les jeux financent les jeux », avec des recettes issues du sponsoring, de la billetterie (10 millions de billets pour Paris 2024, contre 11 millions à Londres 2012 et 8,5 millions à Atlanta 1996 qui restent les meilleurs résultats), de la contribution du CIO (notamment issus des droits de retransmission télévisée), que complètent les contributions des pouvoirs publics. Un dernier poste de recette est celui du marchandisage, qui dépend à la fois des services marketing en amont (qualité des produits estampillés, politique commerciale, succès populaire) et d’une logique de commémoration post-événement (souvenirs prisés par les collectionneurs, entretien du succès populaire).

Quant aux dépenses, elles sont de trois ordres : le comité organisateur et son enveloppe de 4,4 milliards d’euros, la Solideo pour une enveloppe similaire, financée à hauteur de 1,3 milliards d’euros par l’État (plus 170 millions de la Mairie de Paris, autant de la région Île-de-France, 85 millions du département de la Seine-Saint-Denis, 44,3 millions de l’EPCI Plaine Commune, 24,7 millions de la Métropole du Grand Paris, presque autant de la Mairie de Marseille, etc.). Les budgets ont été sous-estimés au moment de la candidature, par exemple celui du Comité organisateur estimé à 3,2 milliards d’euros, soit près de 40 % inférieur à son évaluation cinq ans plus tard. En fait, c’est plus le périmètre des dépenses qui pose question, comme à Londres où les experts se sont affrontés sur le montant du dépassement.

De même, l’épineuse question des effets socio-économiques et des retombées positives d’un tel événement n’est pas tranchée, malgré les nombreuses études. Une des plus reconnues est celle du CDES de Limoges, accessible en ligne. Elle porte une réflexion intéressante sur les effets touristiques : l’évaluation des dépenses des visiteurs en Île-de-France au moment des Jeux porte sur un montant de 2,7 milliards d’euros et repose sur des données compilées (du comité organisateur des Jeux, du comité régional du tourisme, de l’office du tourisme de Paris ou encore de l’observatoire pour la recherche sur les méga-événements qui a tiré un bilan des JO de 2012 et 2016). Elle identifie au moins cinq catégories de visiteurs : les spectateurs, la famille olympique, les médias, les volontaires et les sponsors. Mais elle intègre aussi un effet d’éviction, dû aux nuisances perçues par les touristes non sportifs (difficultés et inflation des tarifs d’hébergement, congestion des réseaux de transport public, saturation de certains espaces, inaccessibilité pour des sites patrimoniaux mobilisés pour les épreuves olympiques, insécurité, etc.). Cet effet est difficilement quantifiable, surtout a priori, notamment parce que les touristes peuvent soit décaler temporellement leur venue en amont ou en aval, soit annuler leur visite pour une autre destination. Du coup, les études retiennent soit plusieurs taux d’éviction comme celle de 2016, soit un taux assez élevé, de 22 % pour l’étude 2024, tout en intégrant un effet prix puisqu’en moyenne, les touristes olympiques dépensent plus que les autres touristes.

Par ailleurs, d’autres travaux tentent une approche plus globale mais toujours liée aux défenseurs de l’olympisme, tels le Centre d’Étude de l’Olympisme à Lausanne, notamment autour du professeur Chappelet, auteur d’un tableau synthétique (document 5).

Document 5. Tableau récapitulatif des impacts des Jeux olympiques

Impact

Avant (8 ans)

Pendant (2 mois)

Après (4 ans)

Probable

  • dépense des organisateurs dans l’économie locale
  • création d’emplois directs et indirects
  • acquisition de connaissances par les organisateurs
  • croissance des exportations
  • augmentation des recettes fiscales
  • nuisances des chantiers
  • éviction/relogement d’habitants des sites
  • dépenses des visiteurs dans le tourisme
  • recettes fiscales
  • bien-être des participants
  • nuisances des foules
  • augmentation des prix
  • renforcement très ponctuel de la pratique sportive
  • bons résultats aux Jeux (si financement supplémentaire)
  • valorisation des connaissances acquises
  • par les organisateurs
  • augmentation de la notoriété / image du territoires
  • croissance des exportations
  • infrastructures nouvelles, régénération urbaine en fonction des investissements
  • installations sportives nouvelles en service

Improbable

  • augmentation du tourisme
  • localisation de nouvelles entreprises
  • renforcement de la pratique sportive

/

  • augmentation du tourisme
  • localisation de nouvelles entreprises
  • renforcement de la pratique sportive

Source : Chappelet, 2016, p. 127.

L’évaluation est encore plus difficile pour les autres enjeux : sécuritaires, politiques, symboliques en matière d’identité et d’attractivité du territoire. Au-delà de l’affichage promu par les organisateurs des méga-événements sportifs, il faut une prudence méthodologique, une précaution sémantique (à l’images des chercheurs anglophones qui distinguent heritage, legacy et impact), une vision multiscalaire bien utile en géographie.

Conclusion

En conclusion, nous rejoignons les géographes Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon qui parlent des Jeux olympiques et paralympiques comme d’un « événement spatial qui laisse des traces », « qui nécessitent la construction d’équipements spécifiques de pratique sportive, d’hébergement et de communication qui modifient l’image des villes » (Augustin et Gillon, 2021). Certes, les Jeux olympiques apparaissent comme une occasion rare, voire unique, de repenser un territoire à différentes échelles. Plusieurs perspectives positives apparaissent quant à cet héritage : absence d’éléphants blancs grâce à des infrastructures adaptées ou temporaires, exposition d’un savoir-faire français en matière de construction, mise en place d’infrastructures lourdes qui doivent devenir des facteurs d’attractivité, de mobilité, d’accessibilité, c’est-à-dire améliorer la qualité de vie des habitants, rééquilibrer le dynamisme entre Paris et sa périphérie, bref insérer le projet sportif dans un projet de territoire métropolitain.

Mais, avec ou sans les Jeux, cela reste difficile à Paris compte tenu des tensions dans la gouvernance métropolitaine (Grand Paris, région Île-de-France, ville de Paris). De même, laisser un héritage positif à Paris 2024 semble difficile à anticiper, en particulier pour les équipements sportifs questionnant leur potentiel devenir et leurs futurs usagers, laissant présager une dynamique sportive renforcée avec un engouement pour les nouveaux sports, mais dans une réelle dépendance aux résultats sportifs et à la médiatisation qui y est associée. Certains parlent même de sport washing (Blough, 2020) : les Jeux sont une occasion de promouvoir les vertus du sport (sociales, éducatives) mais il n’existe pas de vertus intrinsèques, et surtout le sport reste le reflet de la société, avec ses côtés négatifs (violence des supporteurs, quête de performance et ses logiques d’exclusion, jeux paralympiques en décalage, avec une billetterie encore délaissée en juin 2024 malgré un léger effet de rattrapage). Cet impact social reste flou même si le CIO et le comité organisateur valorisent des jeux renouvelés, plus ouverts, plus accessibles, valorisant plus les aspects culturels dans un esprit coubertinien (qui associait sport et anciennes épreuves culturelles et artistiques, réactivé par la célébration du centenaire des JO de Paris 1924).


Bibliographie

Références citées
  • Aubin Lukas, 2024, Sport power, le sport : nouvel atout géopolitique pour les villes françaises ? Autrement, 160 p.
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  • Blough David, 2020, Sporwashing, que sont devenues les valeurs du sport ? éd. Rue de l’échiquier, 96 p.
  • Bourdin Alain, Dang Vu Hélène, Ldt Joël, 2023, Grand Paris olympique, premier tour de pistes, éd. Archibooks, 132 p.
  • Bourbillères Hugo et al., 2023, « Promesse olympique : nouveau départ pour la Seine-Saint-Denis ? » Projet, n° 394, p. 14–18.
  • Chappelet Jean-Loup, 2016, Jeux olympiques, raviver la flamme, PPUR, 140 p.
  • Clerval Anne et Wojcik Laura, 2024, Les naufragés du Grand Paris Express, la découverte, 252 p.
  • Lindgaard Jade, 2024, Paris 2024 une ville face à la violence olympique, éd. Divergences, 168 p.
  • Machemehl Charly et Robène Luc, 2014, « L’olympisme et la ville. De la candidature à l’héritage », STAPS n° 105, p. 9–21.
  • Polychroniadi, 2022
Pour aller plus loin
  • Attali Michaël (dir), 2021, Héritage social d’un événement sportif : enjeux contemporains et analyses scientifiques, Presses universitaires de Rennes, 242 p.
  • Attali Michaël et Viersac Mathys, 2021, « Discuter l’héritage social et culturel des grands événements sportifs. Une revue de littérature internationale », STAPS n°134, p. 113–136.
  • Augustin Jean-Pierre, 2007, « Compétitions internationales et grands sites sportifs », in : Géographie du sport : spatialités contemporaines et mondialisation, Armand Colin, 224 p.
  • Baudry Rocquin, 2017, « Faut-il financer les JO à Paris ? », in : Le sport en France : histoire, économie et sociologie, Bréal, 144 p. (p. 75–91).
  • Bourg Jean-François et Gouguet Jean-Jacques, 2021, « les retombées économiques du sport » in Socio-économie du sport : une analyse critique, Presses universitaires de Limoges, 256 p.
  • Callède Jean-Paul, 2018, « Paris 2024, quel projet ? Quels enjeux ? », Cahiers français, mars-avril 2018, p. 101–106.
  • Chaix Pïerre, 2018, Les jeux olympiques de 1924 à 2024 : impacts, retombées économiques et héritage, L’Harmattan, 246 p.
  • Chanavat Nicolas, Richard Arnaud et Waquet Arnaud, 2021, Les défis de l’olympisme, entre héritage et innovation : approches historique, sociale et managériale du mouvement olympique, INSEP, 243 p.
  • Clastres Patrick, Dietschy Paul et Laget Serge, 2004, La France et l’olympisme, association pour la diffusion de la pensée française.
  • Collectif, 2024, « Géopolitique de l’olympisme », Hérodote n° 192, 160 p.
  • Collectif, 2024, « Les jeux ont-ils perdu la flamme ? », Le 1 hebdo, n° 480, 24 janvier 2024.
  • Faure Alexandre, 2021, « Les Jeux sont-ils l’apanage des villes globales ? Histoire et géographie d’un événement concentré », carnet OGGC (Olympics Games and Global Cities), décembre 2021.
  • Iosa Ioana, Lallement Emmanuelle, Rozenholc-Escobar Caroline, 2022, Le pérenne et le temporaire dans la fabrique urbaine : la place des grands événements sportifs et culturels contemporains, L’Harmattan, 202 p.
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  • Terret Thierry, 2020, Balades olympiques : le chemins politiques, L’Harmattan, 239 p.
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  • Traganou Jilly, 2016, Designing the olympics: representation, participation, contestation, Routledge, 348 p.

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : gentrification | marketing territorial | métropolisation | métropolisation et inégalités | mise en tourisme | sobriété | territoire | ville durable.

 

 

Stéphane MERLE

Docteur en géographie, université de Saint-Étienne

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Stéphane Merle, « Les Jeux olympiques de Paris 2024 et leurs effets territoriaux », Géoconfluences, juillet 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/les-jeux-olympiques-de-paris-2024-et-leurs-effets-territoriaux