L’élection présidentielle à Taïwan ravive les tensions avec la Chine
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Le 13 janvier 2024 à Taïwan, île revendiquée par la Chine (voir encadré 1), le candidat du Parti démocratique progressiste (PDP), favorable à l’autonomie par rapport à la Chine, a été élu président face au candidat du Kuomintang (KMT), parti opposé à davantage d’autonomie. Le président élu Lai Ching-te succède à Tsai Ing-wen, dont il a été le vice-président, ce qui permet au PDP de rester au pouvoir.
Malgré son recul par rapport aux précédentes élections et une perte de sa majorité absolue au parlement (de nouveau dominé par le Kuomintang suite aux élections législatives), le PDP reste le premier parti de l’histoire de Taïwan à être élu trois fois de suite. Pourquoi cette élection intéresse-t-elle autant le reste du monde ?
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La Chine, sujet central des élections
La Chine a occupé une place centrale dans ces élections, qu’elle a d’ailleurs tenté d’influencer par des pressions économiques et des campagnes de propagande et de désinformation. Mais les élections ne peuvent se réduire à un vote pour ou contre l’indépendance de Taïwan face à la Chine.
D’abord, les enjeux socio-économiques (hausse des loyers, stagnation des salaires et relance du nucléaire) ont aussi joué un rôle. Ensuite, les positions ne sont pas si tranchées. Du côté de la population, une partie de la jeunesse a voté pour le Parti du peuple, qui incarne une position intermédiaire entre pro- et anti-Chine. Certains Taïwanais estiment également qu’un rapprochement avec la Chine profiterait au tourisme et à l’économie – d’autant que la Chine mène aussi une politique de séduction en octroyant des avantages fiscaux aux régions ou entreprises qui lui sont favorables.
Du côté des partis politiques, et malgré un sentiment identitaire croissant (64 % des insulaires se déclarent aujourd’hui taïwanais, contre 20,5 % en 1992, source), aucun ne réclame un pas en avant vers une indépendance formelle, ce que la Chine prendrait pour un casus belli. D’autant que dans les faits, Taïwan est déjà souveraine, ayant un gouvernement et des institutions propres. Même les partis proches de Pékin ne veulent plus d’une réunification, surtout depuis que la Chine a restreint les libertés de la population à Hong-Kong en 2020 (Cabestan, 2021) et tous les partis défendent donc le maintien du statu quo, c’est-à-dire la souveraineté de facto de Taïwan.
Une île soumise à une pression croissante par son puissant voisin
Le président Xi Jinping prévoit de réunifier Taïwan à la Chine avant 2049, sans exclure l’usage de la force. L’armée chinoise multiplie d’ailleurs les exercices militaires dans le détroit de Taïwan. Taipei, de son côté, a augmenté son budget de la défense et la durée de son service militaire. Pourtant, et même si la Chine a présenté le choix du PDP comme une menace pour la paix et la stabilité régionale, en cohérence avec sa version officielle de la situation, le degré de probabilité d’une invasion chinoise reste difficile à évaluer, comme c'est le cas depuis au moins vingt ans (voir Cabestan, 2003).
Toutefois, Taïwan est toujours soutenue par les États-Unis, qui lui fournissent des armes et ont laissé penser qu’ils interviendraient en cas d’invasion. Ensuite, la Chine dépend économiquement de Taïwan (qui lui fournit notamment des semi-conducteurs) et de l’étranger : elle serait fortement affectée par un blocus des ports taïwanais et par des sanctions commerciales internationales. En plus de nécessiter une force militaire à la fois terrestre et maritime, une invasion pourrait, en cas de difficultés militaires sur le terrain semblables à celles éprouvées par la Russie en Ukraine, fragiliser sa posture de puissance régionale et mondiale. Il n’est pas certain non plus qu’une invasion militaire extérieure puisse recevoir le franc soutien de la population chinoise, d’abord soucieuse de son bien-être économique dans un contexte de baisse de la croissance.
À une invasion coûteuse et risquée (Niquet, 2023), la Chine préfère donc pour l'instant les campagnes de désinformation et les pressions économiques (en rétablissant certains tarifs douaniers). Elle pourrait également renforcer l’isolement de Taïwan en sanctionnant ses partenaires commerciaux, ou éroder la souveraineté effective de Taipei sur son territoire en multipliant les incursions dans l’espace maritime ou aérien de l’île ou en influençant la politique locale via le Kuomintang majoritaire au Parlement (Duchâtel, 2023).
En revanche, on ne peut exclure un risque d’incident lors des manœuvres militaires dans le détroit de Taïwan. La Chine pourrait aussi intervenir si les États-Unis se trouvent affaiblis ou si elle estime qu’il lui faut agir avant que les puissances régionales (Japon et Australie notamment) ne préparent leur réarmement (Duclos, 2024).
Une élection qui affecte les équilibres mondiaux
Même si une invasion chinoise est loin d’être certaine, et même si le parti élu est le même qu’avant 2024, cette élection et l'instabilité de la région ont déjà des conséquences pour les équilibres diplomatiques et économiques mondiaux.
D'abord, l’avenir de Taïwan peut être instrumentalisé dans le cadre des tensions entre Chine et États-Unis, ou par les démocraties libérales qui voient Taïwan comme un reflet du succès du modèle démocratique qu’ils défendent.
Cette situation affecte aussi l’Union européenne. Elle doit traiter avec Taïwan de manière détournée, pour éviter des représailles de Pékin, partenaire commercial essentiel mais hostile à toute relation avec le PDP. Les douze États qui reconnaissent officiellement Taïwan, eux, font l’objet de pressions intenses de la part de la Chine. Quant aux pays d’Asie du Sud-Est, ils profitent de la diversification économique entamée par Taïwan face à la menace chinoise (Vaulerin, 2023).
Le détroit de Taïwan est une route commerciale par où transite notamment 40 % du commerce entre Chine et Union européenne. En plus de causer le risque d’un conflit de grande ampleur, une invasion de Taïwan causerait une perte de 10 % du PIB mondial et perturberait les chaînes de production et le commerce avec l’Asie : l’île produit en effet 90 % des semi-conducteurs les plus avancés (ces puces dont dépend l’économie mondiale).
Document 2. Le détroit de Taïwan, un passage maritime stratégique |
Bibliographie
Références citées
- Cabestan Jean-Pierre (2003), Chine Taïwan, la guerre est-elle concevable ?, Economica.
- Cabestan Jean-Pierre (2021), Demain la Chine. Guerre ou Paix ?, Éditions Gallimard
- Duclos Michel (2024), « 2024 : dix idées fausses (ou presque) en géopolitique », Institut Montaigne, 10 janvier 2024.
- Vaulerin Arnaud, Taïwan, la présidente et la guerre, Novice, 2023.
- Valérie Niquet, Taïwan face à la Chine. Vers la guerre ?, Éditions Tallandier (2023)
Pour aller plus loin
- Stéphane Corcuff, « Taïwan : naissance des frontières d'une démocratie insulaire », Géoconfluences, juillet 2006.
- Barthélémy Courmont (IRIS) « Taiwan : après les élections, quels enjeux ? » (16 janvier 2024)
- Victor Louzon, L’Étreinte de la patrie. Décolonisation, sortie de guerre et violence à Taïwan, 1947, Éditions de l’EHESS (2023)
- Pour faire un pas de côté : Emmanuel Lincot (IRIS), « Comment la déesse Mazu est instrumentalisée par la Chine », La Croix, 7 janvier 2024
Radio, baladodiffusion
- Géopolitique le débat (RFI) : « Peut-il y avoir une guerre pour Taïwan ? », 7 janvier 2024.
- Affaires étrangères (France Culture) : « Taïwan, élections sous pression », 13 janvier 2024.
- La Story (la baladodiffusion des Échos) : « Taïwan : le pied de nez à Pékin », 17 janvier 2024.
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : géopolitique, passages maritimes stratégiques, PCC, puissance, Taïwan.
Marie DOUGNAC
Agrégée de géographie, doctorante à l'ENS de Lyon, vidéaste (chaîne Archipel sur Youtube)
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Marie Dougnac, « L’élection présidentielle à Taïwan ravive les tensions avec la Chine », Géoconfluences, février 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/tensions-chine-taiwan