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De villes en métropoles

Tôkyô, métropole japonaise en mouvement perpétuel

Publié le 20/09/2006
Auteur(s) : Natacha Aveline - bureau CNRS Japon Corée à Tôkyô, Institut d'Asie orientale

Mode zen

Près de 80% des Japonais vivent en ville [2]. Ce taux n'est que légèrement supérieur à celui de l'Espagne ou de la France, mais le gigantisme urbain atteint sur l'archipel des niveaux inégalés en Europe. Onze villes ont plus d'un million d'habitants (2006), dont onze se regroupent dans quatre grandes conurbations qui structurent un cordon urbain quasi-continu de mille kilomètres s'étirant le long du littoral Pacifique de Tôkyô à Fukuoka. Deux se distinguent par leur démesure : Tôkyô, première agglomération [3] de la planète avec 34 millions d'habitants, et Ôsaka, la dixième avec 17 millions d'habitants, cumulent un produit régional brut de quelque 1 850 milliards de dollars, équivalent à celui de l'Italie et des Pays-Bas réunis.

Si la macrocéphalie est un phénomène commun à bien des pays d'Asie, la structuration en mégalopole (réseau urbain continu de grandes villes échangeant davantage entre elles qu'avec le reste du pays) est plus spécifique au Japon. Elle résulte des choix industriels effectués dès l'époque Meiji (1868-1912), mais aussi de l'expansion singulière d'un espace urbanisé d'autant plus difficile à cerner que la ville ne s'est jamais opposée à la campagne, dans un pays où seuls les châteaux étaient fortifiés à l'époque féodale. Le phénomène d'émiettement urbain atteint ainsi une intensité sans équivalent dans les autres grands pays industrialisés. Il a été, au Japon, une cause majeure de pathologies pendant la Haute Croissance et reste source de problèmes aujourd'hui, en dépit de perspectives économiques et démographiques radicalement nouvelles.

En pop-up : Essor industriel et dynamiques spatiales de la mégalopole Pacifique

Les logiques d'organisation spatiale de la ville japonaise

Les villes japonaises présentent plusieurs traits qui les distinguent de la plupart de celles des autres pays développés. Le premier est l'entremêlement de fonctions rurales et urbaines dans les périphéries, et parfois jusque dans les zones centrales, où il n'est pas rare de trouver des rizières ou des cultures maraîchères encadrées par des immeubles, à quelques encablures seulement des quartiers d'affaires. Un autre trait est la faible hauteur des constructions. Jusqu'au milieu des années 1980, Tôkyô présentait un profil à dominante horizontale ; la maison individuelle constituait l'élément le plus prégnant du paysage urbain et même les quartiers d'affaires étaient peu denses, à l'exception du "petit Manhattan" de Shinjuku-ouest, qui était alors l'unique concentration de gratte-ciels de tout l'archipel. Cet étonnant étalement du bâti présentait un contraste saisissant avec la compacité d'autres grandes métropoles d'Asie orientale, comme Hong Kong, Singapour ou Séoul. Même si le profil de Tôkyô s'est passablement verticalisé dans les années 1980-1990 –  tout comme celui des autres grandes villes japonaises – sous l'effet des multiples opérations de rénovation urbaine, la morphologie de la capitale n'a pas pour autant gagné en compacité. Au contraire, l'urbanisation continue de grignoter les espaces interstitiels des franges urbaines, tandis que les zones plus centrales connaissent une densification désordonnée des constructions. Ce mouvement complexe tient à quatre facteurs dont la combinaison est spécifique aux villes japonaises : la faible intervention de l'État dans la gestion urbaine, le rôle majeur qu'ont joué à cet égard les opérateurs ferroviaires privés, la toute-puissance de la propriété foncière et l'extraordinaire plasticité du bâti.

La faible intervention de l'État dans les affaires urbaines

L'aspect désorganisé des villes japonaises donne l'impression qu'il n'existe pas de planification urbaine et que l'État s'y engage peu. Nul principe organisateur ne semble émerger, sauf le soulignement des artères principales par des alignements de grands immeubles, tels des arbres bordant une rivière, et l'irruption brutale de gratte-ciels autour des grandes gares. Ce faible engagement de l'État s'explique, à l'origine, par les maigres ressources financières dont disposait le régime de Meiji qui concentrait ses efforts sur le développement industriel. Toutefois, les progrès de l'industrialisation n'ont pas conduit les pouvoirs publics à mieux prendre en charge les services urbains et le logement : il était de tradition d'en confier pour partie la gestion à la population depuis l'époque médiévale. Au cours de la période Tokugawa, le contrôle des quartiers à Edo avait été délégué à des chefs de quartier (nanushi), issus de grandes familles qui se transmettaient héréditairement cette charge, puis, la plupart des villes-châteaux furent administrés sur ce modèle. La prise en charge par les habitants de la majeure partie des services urbains de base a perduré après la Restauration de Meiji. Le nouveau régime a élargi le champ d'activité des organisations de quartier, désormais baptisées chônaikai, chargées de la collecte des ordures, du nettoyage des rues, de l'entretien des réverbères, de l'organisation des cérémonies religieuses, des services d'incendie et du maintien de l'ordre, de la prise en charge des plus pauvres, des soins médicaux gratuits. Ces organisations prouvèrent leur efficacité lors du séisme catastrophique de Tôkyô, en 1923. À la fin des années 1930, le gouvernement militariste généralisa les chônaikai à tout l'archipel, selon une politique de quadrillage systématique, et en fit des instruments de contrôle politique. Des attributions nouvelles leur furent confiées : dénonciation des habitants "déviants", promotion de l'épargne en vue de l'effort de guerre, distribution des rations alimentaires.

Démantelées sous l'occupation américaine, les chônaikai ont refleuri dès les années 1950, souvent avec les mêmes leaders, en conservant une grande partie de leurs fonctions. Aujourd'hui, elles rassemblent toujours une majorité d'habitants dans chaque quartier et jouent un rôle éminent dans la vie urbaine. On leur doit la sécurité et la propreté caractéristiques des grandes villes japonaises, ainsi que la préservation de traditions telles que les matsuri (festivals religieux de quartier). Cette forte solidarité communautaire a pour revers une surveillance parfois pesante, notamment pour les nouveaux venus, dont le moindre faux-pas est détecté ; par exemple, des erreurs répétées dans le tri sélectif des ordures – qui ne cesse de se complexifier, au point que certaines villes, comme Yokohama, distinguent 15 catégories de déchets – peuvent déclencher l'hostilité du voisinage.

L'autre inconvénient de ce système est d'exonérer les pouvoirs publics d'une partie de leurs responsabilités en matière de services et d'infrastructures d'intérêt collectif. Les grandes villes souffrent d'un engorgement endémique du trafic automobile dû au sous-équipement du réseau routier, qui ne couvre que 7,6% du territoire de Tôkyô, contre environ 25% dans les grandes villes des États-Unis, 20% à Paris et 16% à Londres. Dans les quartiers résidentiels, beaucoup de rues ont une largeur inférieure à quatre mètres, ce qui gêne considérablement la collecte d'ordures et le passage des véhicules de secours, faisant de certains îlots de véritables "trappes à feu", comme on a l'a vu lors du séisme de 1995 à Kôbe. En cas de catastrophe naturelle les conséquences en sont d'autant plus désastreuses que les espaces verts – lieux privilégiés de refuge – sont insuffisants : à Tôkyô, leur superficie n'excède pas 3 m² par habitant, contre 12 à Paris et 27 à Londres. Quant au tout à l'égout, seuls 62% des japonais y étaient reliés en 2000, taux très inférieur à celui des pays européens (79% pour la France et plus de 90% pour la Grande-Bretagne et l'Allemagne en 1999).

Une rue étroite du quartier de la gare d'Aoto

Cliché : S. Tabarly, 2004

La gare d'Aoto est située à environ 14 km à l'est du centre de Tôkyô. Les rues font fréquemment 4m de large et sont mal adaptées à la circulation automobile

Imbrication des réseaux et localisations

Pour localiser lignes, gares ou stations des Japan Railways Lines et des autres lignes privées, à télécharger  un plan en .pdf avec fonction de recherche (ci-dessus, un extrait)

 

 

Les réseaux ferroviaires privés comme facteur structurant du développement urbain


Face à cette carence de la puissance publique, le secteur privé s'est naturellement intéressé aux services urbains susceptibles d'être rentables et qui dépassaient le champ d'action des associations de quartier. Le transport ferroviaire de banlieue, en particulier, a été pris en charge dès l'origine – au tournant du XXe siècle – par des compagnies privées, qui ont, dès avant la guerre, mis au point le concept de "gestion privée généraliste" (sôgôtekina minkan eigyô), dont le principe consistait à pourvoir aux besoins les plus variés des voyageurs en opérant une large diversification hors du rail. Elles commencèrent par offrir des services à proximité immédiate de leurs réseaux, avant d'intervenir dans d'autres régions de l'archipel. Au cours des années 1910, dans la banlieue d'Ôsaka, l'opérateur ferroviaire Hankyû fut le premier à construire des lotissements le long de ses lignes. Ce pionnier de la diversification construisit ensuite, dans la gare centrale d'Ôsaka (Umeda), terminus urbain de ses lignes, un grand magasin, prototype du tâminâru depâto (terminal department-store) qui allait devenir le marqueur incontournable des grandes gares japonaises. Au même moment, dans la même région, la compagnie Hanshin s'est diversifiée vers le secteur des loisirs en construisant en lointaine banlieue des parcs d'attraction implantés au bout de ses lignes pour stimuler le trafic dans le sens inverse des flux dominants. Elle aménagea aussi les premiers grands sites balnéaires du pays et se dota d'une équipe de base-ball professionnel (les Tigers), investissement coûteux mais bénéfique pour son image de marque, qui fut imité par quatre autres compagnies ferroviaires privées (Hankyû, Kintetsu, Nishitetsu et Seibu).

Principes de diversification de groupes ôtemintetsu, l'exemple d'Ôdakyû


Source : N. Aveline

Expansion urbaine et déploiement du réseau ferroviaire de la mégalopole des débuts de l'ère Meiji aux années 1980

Source : Bureau of City Planning - Planning of Tokyo www.toshiseibi.metro.tokyo.jp/plan/pe-014.htm

Ci-dessus : Le développement du réseau ferroviaire vers les secteurs résidentiels de l'ouest a généré une structure urbaine polycentrique.

Ci-contre à gauche : Les groupes ferroviaires privés ôtemintetsu ont joué un rôle déterminant dans ce processus en aménageant très tôt des zones résidentielles le long de leurs lignes, équipant leurs gares de banlieue des services de proximité de base (distribution, restauration) et parfois aussi d'espaces de loisirs. Avec la hausse des valeurs foncières, ils ont développé des services de transport automobile (bus et taxi) au départ de leurs gares pour pouvoir aménager des lotissements à distance de leurs lignes.

Pendant la Haute Croissance, avec l'émergence massive d'une classe moyenne concentrée dans les grands centres urbains et l'amélioration massive de son niveau de vie, les trois grands secteurs de la diversification, hors du rail, – immobilier, distribution et loisirs – connurent un développement spectaculaire, au point de transformer certaines compagnies ferroviaires (notamment Meitetsu à Nagoya et Tôbu à Tôkyô) en de grosses nébuleuses de près de 200 entreprises.

Le chemin de fer privé profita du retard pris par la motorisation, l'État ayant choisi, afin d'éviter un déferlement des importations, d'attendre que les constructeurs japonais soient en mesure de fournir le marché intérieur. Quand ils le furent, il était déjà trop tard pour conformer les grandes villes à la circulation automobile. Les opérateurs ferroviaires privés surent même utiliser la motorisation pour étendre encore leur sphère d'influence. Ils ont organisé en grande banlieue des services de bus et de taxi articulés à leurs réseaux ferrés, en aménageant toujours plus loin de nouvelles zones résidentielles. Les recettes du trafic ferroviaire et celles des supermarchés et shopping malls installés dans les  gares se sont accrues.

Si l'essentiel des 2 860 km de lignes de banlieue a été laissé au secteur privé, les pouvoirs publics ont pris en charge le  plus coûteux : les réseaux de métro (650 km au total, pour la plupart souterraines), exploités par des régies municipales, et les 20 055 km du réseau national, détenus par les Japan National Railways (JNR). Mais en 1987, les JNR ont été privatisés et leurs réseaux repris par six compagnies régionales privées : trois sur l'île de Honshû (JR East, JR West et JR Central, exploitant respectivement le trafic autour de Tôkyô, Ôsaka et Nagoya) et trois autres à Hokkaïdô, Kyûshû et Shikoku. Très vite, ces compagnies ont commencé à leur tour à implanter de multiples équipements de distribution et d'hôtellerie/restauration dans leurs gares, et à aménager des lotissements et des sites de loisirs dans les zones desservies par leurs lignes.

C'est ainsi que le rail  assure encore, au Japon, 32% du trafic de voyageurs (contre 8% en France et 6% en Grande-Bretagne et en Allemagne), et plus encore dans les agglomérations géantes de Tôkyô et Ôsaka, où il fait jeu égal avec l'automobile. S'il est si bien adapté au gigantisme des mégalopoles nipponnes, c'est parce qu'il a joué un rôle structurant dans la morphogenèse de leurs banlieues, en repoussant sans cesse le front d'urbanisation pour satisfaire une demande de logements tournée vers la maison individuelle, et en faisant des gares de véritables petits pôles urbains innervés par des équipements de proximité, qui ont servi de noyau attracteur pour l'implantation d'institutions scolaires,  et même de grandes universités.

La ville modelée par le rail

Le rail a aussi fortement imprimé sa marque au centre même des mégalopoles, en y générant des structures multipolaires. La zone centrale de Tôkyô, délimitée par la ligne circulaire Yamanote, juxtapose ainsi sept pôles autour d'autant de gares, dont quatre sont des terminus de lignes de banlieue. Shinjuku, la plus importante, est la première gare au monde pour le trafic de voyageurs avec plus de 2 millions de passagers par jour. C'est une constellation de douze stations (la gare JR, trois terminus de banlieue et huit stations de métro) exploitées par six opérateurs différents et reliées par un gigantesque labyrinthe souterrain jalonné de shopping malls et de restaurants. En surface, la gare est matérialisée par plusieurs "bâtiments-gares" (eki biru) de la JR abritant des galeries commerciales, et par deux grands magasins et un hôtel qui se dressent sur les terminus des compagnies ferroviaires de banlieue Keiô, Ôdakyû et Seibu. Au-delà de leur fonction de transit, ces gares géantes où le voyageur se transforme en consommateur sont aussi, tout naturellement, les lieux les plus conviviaux du pays. Les deux lieux de rendez-vous les plus connus de Tôkyô sont le grand écran de l'Alta, à la sortie est de la gare de Shinjuku, et la statue du chien Hachiko, devant celle de Shibuya. Fief du groupe Tôkyû, cette dernière draine la jeunesse dorée des bassins résidentiels huppés de la capitale ; depuis les années 1980, elle est devenue la gare qui donne le ton de la mode des tribus urbaines, dont les jeunes "shibuyettes" sont l'emblème.

Aire urbaine de Tôkyô : diffusion de la flambée foncière le long des axes ferroviaires

Source : Tokyû fudôsan / Tokyo Land Corporation (2003)

Plan du "quartier-gare" de Shinjuku

Réalisation : N. Aveline La "gare" de Shinjuku est un véritable labyrinthe qui relie douze gares différentes : la gare JR, le terminal Odakyû, le terminal Keiô, le terminal secondaire de Seibu, trois stations de la régie de métro et cinq stations du métro préfectoral. Ce vaste dédale piétonnier souterrain de plus de 2 km emprunte surtout les couloirs de métro et offre un accès à des espaces commerciaux de diverses natures.

L'extraordinaire expansion des réseaux ferroviaires, prolongés par l'articulation rail-bus en grande banlieue, a aussi été une cause majeure de l'étalement incontrôlé de la nappe urbaine qui a commencé avec la Haute Croissance et auquel seule la crise des années 1990 a mis un frein. Les compagnies ferroviaires ont pourvu au logement de masse, pour lequel l'offre publique était très insuffisante. En le faisant à coups de lotissements installés sans plan d'ensemble, elles ont généré un mitage urbain qui a entraîné un gaspillage foncier et des surcoûts en équipements et infrastructures laissés à la charge de la collectivité. Les emplois n'ont pas suivi l'étalement de la nappe urbaine, faute de politique dans ce sens ; même les villes nouvelles aménagées par l'opérateur public Housing and Urban Development Corporation (HUDC) dans les années 1970 n'ont pas été conçues pour accueillir des entreprises, d'autant que leur desserte – comme pour la ville nouvelle de Tama, à l'ouest de Tôkyô, desservie en partie par le réseau Keiô – a été souvent confiée aux compagnies ferroviaires privées, qui n'avaient aucun intérêt à la déconcentration des emplois. Il en a résulté une explosion des migrations pendulaires de plus en plus coûteuses en temps et en énergie : jusqu'à quatre heures quotidiennes dans les cas extrêmes à la fin des années 1980.

 

 

Le statut du foncier dans l'économie japonaise

Une autre caractéristique des villes japonaises est la puissance du droit de propriété foncière. Alors que dans les autres pays industrialisés, l'État est parvenu à instaurer un certain équilibre entre intérêts individuels et intérêt collectif dans la pratique de l'urbanisme, la notion d'utilité publique ne s'est pas vraiment imposée au Japon. Pourtant, dès le début du XXe siècle, les autorités se sont dotées de procédures d'utilité publique d'inspiration occidentale. Mais l'usage de ces instruments coercitifs est très mal admis, non seulement par les propriétaires concernés, mais souvent aussi par l'opinion. Le cas le plus célèbre est celui de l'aéroport international de Narita [4], exemple extrême qui illustre bien le dilemme devant lequel est placée la puissance publique : tenter de passer en force et risquer une mobilisation, ou négocier pour acheter un consensus au prix fort. Dans les deux cas, le processus requiert de nombreuses années et comporte des coûts, politiques ou financiers, très élevés. Cet état de choses a beaucoup contribué au sous-développement des infrastructures publiques dans les grandes villes, où il est fréquent qu'un projet soit interrompu – par la résistance têtue d'un seul propriétaire – un obstacle que rencontrent d'ailleurs aussi les opérateurs privés. Ces difficultés sont maximales dans les trois plus grandes agglomérations – Tôkyô, Ôsaka et Nagoya – du fait du très haut niveau des prix fonciers et du morcellement des droits de propriété.

Le dernier épisode spéculatif, la bulle foncière de la seconde moitié des années 1980, a fait exploser les prix dans la plupart des grandes villes, et tout particulièrement à Tôkyô et Ôsaka. En 1991, le m² de terrain dans les quartiers les plus chers de la capitale (Ginza et Shinjuku ouest) culminaient à 38,5 millions de yens (282 970 € selon le taux de change 2006). Le Japon concentrait alors théoriquement à lui seul 60% du patrimoine foncier mondial, Tôkyô "valait" autant que tout le territoire américain et le seul Palais impérial autant que la Californie entière ! Bien que les prix aient beaucoup reculé depuis 1991, notamment dans les quartiers d'affaires de Tôkyô et Ôsaka où la décote a atteint 70%, leur niveau demeure un handicap pour l'amélioration des infrastructures urbaines et la construction d'équipements publics.

À la cherté du foncier s'ajoute le morcellement extrême de la propriété du sol. Dans les 23 arrondissements de Tôkyô, les parcelles détenues par des particuliers ont une surface moyenne de 211 m², et presque la moitié sont inférieures à 100 m² ; la proportion de micro-terrains atteint 75% et 61% dans les arrondissements centraux de Chûô et de Chiyoda, où la pression foncière est à son comble. Cet émiettement est aggravé par l'enchevêtrement de droits de propriété sur les constructions et les terrains. À Tôkyô, un tiers des parcelles sont louées par des particuliers bénéficiant d'un droit à bail foncier (shakuchi-ken), qui ont fait construire des bâtiments et en sont propriétaires. Conçu dans les années 1940 pour protéger les familles des soldats partis au front et jamais révisé, le shakuchi-ken rend les locataires d'un terrain quasiment inamovibles. Mais le gouvernement n'a jamais osé prendre le risque politique de réviser ces baux qui compliquent à l'infini toute transaction foncière.

Le morcellement parcellaire et juridique du foncier a imposé des contraintes très lourdes à l'aménagement urbain, notamment au début des années 1980, quand l'essor de la finance et des services a provoqué l'explosion brutale de la demande de bureaux à Tôkyô. Pour construire un grand immeuble, il fallait acquérir de multiples petites parcelles, dont beaucoup grevées d'un droit au bail foncier. Des marchands de biens nommés jiage-ya (rassembleurs de parcelles) se sont spécialisés dans le rachat des droits de propriété et des baux pour constituer de vastes emprises foncières, sans hésiter à recourir aux yakuza [5] pour "convaincre" les propriétaires récalcitrants. Mais la cherté du foncier n'est pas imputable à la seule spéculation et résulte tout autant de la faible implication de la puissance publique dans l'organisation des villes. En outre, pour inciter le secteur privé à prendre en charge une partie croissante du coût des infrastructures de transport et des espaces publics (parcs, placettes), les autorités ont multiplié les dispositifs dérogatoires aux règles d'urbanisme, renforçant les anticipations spéculatives des acquéreurs de terrains.

Rénovation urbaine dans le quartier d'affaires de Shinjuku-ouest (1989)

Source : UDC (ex-HUDC / Housing and Urban Development Corporation)

Simulation du projet de rénovation urbaine typique des quartiers d'affaires de Tôkyô où le parcellaire émietté entre de nombreux propriétaires laisse la place à des opérations complexes augmentant considérablement la surface plancher.

L'extraordinaire plasticité du bâti

Le sol a ainsi acquis une telle valeur que les constructions, par rapport à lui, n'en ont presque aucune. C'est donc sans état d'âme qu'on les détruit. Les villes japonaises pratiquent depuis longtemps l'amnésie architecturale ; la mémoire du passé y prend d'autres formes, comme l'atmosphère vibrante des festivals et des fêtes populaires (matsuri) ou le pullulement des minuscules autels shinto (inari jinja) qui égayent les quartiers de leur couleur vermillon. À Tôkyô, si les temples bouddhiques et les sanctuaires shintos conservent pour la plupart une allure traditionnelle,  bien qu'ils aient été maintes fois déplacés et reconstruits à neuf, le patrimoine historique civil a presque entièrement disparu. Seuls certains hôtels de luxe et les clubs très fermés des grands keiretsu ont conservé quelques rares vestiges de l'architecture de l'époque Meiji et Taisho. Ce patrimoine architectural a été ravagé par le séisme catastrophique de 1923, puis par les bombardements américains, mais ce sont les aménagements urbains successifs de l'après-guerre qui ont achevé de faire disparaître ce qui en restait.

Matsuri : une cérémonie de port du mikoshi (autel des dieux) dans le centre ville de Fukuoka (Kyushu)

Un autel shinto (inari jinja) inséré entre les immeubles du quartier de Yûrakuchô, dans l'hypercentre de Tôkyô

Clichés : N. Aveline, 2002 / 2003

Ci-contre à gauche : des fêtes religieuses de ce type ont lieu dans tout le Japon et tout au long de l'année.

Puisqu'elle n'inscrit pas sa mémoire dans la pierre, la société japonaise s'est désintéressée des qualités intrinsèques de l'immobilier, conçu comme périssable, voire "jetable". À mesure que les progrès techniques et l'assouplissement des règles de densité ont permis de construire de plus en plus haut à Tôkyô, on a assisté à un étourdissant turn-over des constructions, d'autant plus que la plasticité du bâti est facilité par l'absence de mitoyenneté des bâtiments. Pour produire toujours plus de surfaces-plancher, les immeubles ont été reconstruits en moyenne tous les 20 à 30 ans, certains étant même démolis à peine sortis de terre pour céder la place à un autre encore plus haut. Ainsi  libérée des contraintes liées aux impératifs d'utilité publique, à la réglementation et aux constructions, la "main invisible" du marché du foncier a pu jouer un rôle prédominant dans l'organisation de la ville, dont elle est le dessinateur caché. Cet apparent dédain pour les constructions n'a pas pour autant conduit à un manque d'intérêt pour l'architecture. Bien au contraire, le rapide renouvellement du bâti et les normes de construction peu contraignantes ont ouvert un formidable champ d'expérimentation pour les architectes japonais, leur offrant une grande liberté dans la conception des formes et le traitement des détails.  Le mouvement désordonné de renouvellement du bâti caractéristique de la ville nipponne a même été érigé en modèle par certains architectes, tel Ashihara Yoshinobu, qui voit dans la "ville-amibe" un principe d'organisation particulièrement bien adapté aux mutations à venir du XXIe siècle.

 

Le nouveau paradigme urbain

Depuis le début des années 1990, la  crise économique a brutalement marqué l'arrêt de la hausse quasi-interrompue des prix fonciers depuis 1955 et mis un terme à la croissance exceptionnelle qui soutenait l'économie. À cela s'ajoutent les effets du vieillissement de la population, qui touchera les plus grandes villes avec un peu de retard (vers 2008-2010 au lieu de 2005-2007 en moyenne nationale) mais avec plus de vigueur, en raison des flux migratoires exceptionnels qu'elles ont connus lors de la Haute Croissance. D'ores et déjà, une nouvelle forme d'urbanisation se fait jour, caractérisée par un retour du centre de gravité et de l'aménagement vers les espaces centraux, et l'amorce d'un déclin des banlieues.

La politique de "revitalisation des villes"

L'éclatement de la bulle spéculative en 1990 a provoqué un effondrement spectaculaire des prix fonciers, atteignant 50% pour les appartements dans les 23 arrondissements de Tôkyô et jusqu'à 70% pour les bureaux dans les arrondissements centraux. En 2001, pour tenter de stabiliser les prix, le gouvernement a fait d'une politique de "renouvellement urbain" (toshi saisei) une de ses sept priorités. Des "périmètres spéciaux d'intervention d'urgence" ont été délimités dans le centre des trois plus grandes villes (Tôkyô, Osaka et Nagoya), au sein desquels les coefficients d'occupation des sols ont été exceptionnellement relevés afin de stabiliser les valeurs foncières en augmentant les droits à construire. Les aménageurs ont aussi obtenu une liberté d'action beaucoup plus grande.  Le gouvernement s'est vu reprocher d'abandonner toute la production urbaine au secteur privé, sans plus exiger aucune garantie de qualité des projets ni aucune fourniture d'infrastructures. En 2003, 17 périmètres ont été désignés, pour une durée de 10 ans dans les plus grandes agglomérations, dont 7 à Tôkyô (surtout concentrés dans la baie) et 8 à Ôsaka. Il n'a été question ni de préserver un tant soit peu l'existant, ni de se soucier du devenir des occupants, à l'exception des ayants-droit protégés par les baux fonciers.

Au "tout-bureaux" ont succédé des opérations complexes, incluant du commercial et du résidentiel, et offrant une véritable vie "after five" grâce à un continuum de restaurants et de boutiques de luxe implantés au rez-de-chaussée des immeubles. Les autorités soutiennent cette évolution pour "revitaliser la ville" et rapprocher domicile et travail, en accordant aux promoteurs de généreuses augmentations des surfaces à construire s'ils réalisent des logements, de petits espaces publics (placettes, mini-parcs) et des équipements commerciaux et culturels de proximité. Les bureaux ne sont pas pour autant absents. Dans la seule année 2003, 217 ha d'immeubles de bureaux de grand gabarit ont été construits dans les 23 arrondissements de Tôkyô, battant le record (183 ha) atteint en 1994 lors du paroxysme de la "bulle". Cette nouvelle génération de gratte-ciel de plus de 10 000 m², équipés de technologies d'information et de communication les plus sophistiquées, parvient sans mal à attirer les grandes entreprises internationales et les sociétés de services. Mais cette offre  pénalise les programmes plus anciens, construits dans les années de bulle, qui se voient frappés d'obsolescence au bout d'à peine 15 ans.

La "revitalisation urbaine" a pu s'appuyer sur de vastes friches ferroviaires et industrielles libérées récemment, qui ont créé une abondance foncière tout à fait inédite. L'offre de terrains s'est accrue avec la délocalisation des entreprises japonaises vers d'autres régions d'Asie, et, plus encore, avec la mise sur le marché d'une partie du patrimoine foncier des JNR après leur privatisation. Les friches ferroviaires, en localisation centrale,  jouent un rôle majeur. À Tôkyô, deux sites sont emblématiques : Shiodome, véritable "morceau de ville" de 31 hectares sur l'emplacement d'une ancienne gare de fret JNR (à l'est), et la gare de Shinagawa, nouvel élément sur le réseau Shinkansen, flanquée de deux projets de 17 et 7,2 hectares (au sud). De même, les quartiers des gares centrales de Ôsaka (Umeda) et de Nagoya connaissent une "renaissance" (runesansu), basée sur la requalification des anciennes friches ferroviaires des JNR.  Ces opérations, bien plus vastes que celles des années 1980, ont entraîné une forte verticalisation du profil des villes, où la plupart des grandes gares sont désormais marquées par des bouquets de gratte-ciel.

Aspects d'une grande métropole : Tôkyô - Diaporama

 

 


 


Commentaires

Pour les repérages et localisations, à télécharger : un plan en .pdf avec fonction de recherche

1 - La gare de Ikebukuro, au nord-ouest du centre de Tôkyô, sur la ligne circulaire Yamanote. Le terminal de Seibu, au premier plan, prend la forme d'une grande muraille, composée par le magasin Seibu (à g.) et des espaces de vente Paco (à d.). De l'autre côté des voies ferrées, au second plan, le terminal Tôbu est matérialisé par une juxtaposition de bâtiments de tailles diverses, dont le grand magasin Tôbu (à d.) récemment construit.

2 et 3 - Sortie ouest de la gare de Shinjuku. Le terminal Keiô se développe sous une forme rectiligne homogène, à gauche, occupée par le grand magasin Keiô. Le décroché à droite correspond au terminal Odakyû, lui aussi matérialisé par son grand magasin. Devant le terminal Keiô, une bretelle d'accès routier permet aux taxis et aux bus de s'approcher des quais.

4 - Sortie sud de la gare de Shinjuku. Un projet immobilier devrait voir le jour à la place des voies ferrées du premier plan.

5 - La gare d'Ueno, typique des dernières rénovations de gares depuis la privatisation de la Japan National Railway (JNR) en 1987, donnant naissance à différentes compagnies privées Japan Railway (JR).

6 - Quartier italien "pastiche" de Shiodome : il ne s'agit que de façades derrière lesquelles se trouvent des bâtiments ordinaires. Ce type d'aménagement témoigne d'une mode actuelle consistant à donner des tonalités "exotiques" à certains ensembles immobiliers. On peut y voir une tendance à la "disneylandisation" de la ville.

7 - Un îlot destiné à une opération de rénovation urbaine dans le quartier de Shinjuku. Le processus de rénovation a été stoppé en raison de l'éclatement de la bulle foncière.

8 - La "ville à la campagne" (Denentoshi) de 500 000 habitants, aménagée à Yokohama dans les années 1950 par le groupe ferroviaire Tôkyû.

9 - Ambiance de rue de l'hypercentre de Tôkyô

10 - L'aspect actuel du quartier de Shiodome résulte d'une opération de rénovation urbaine sur friches ferroviaire de l'ancienne gare de Shimbashi fermée en 1986. Celle-ci avait été, en 1872, le terminal de la première ligne de chemin de fer au Japon qui reliait Tôkyô à Yokohama. Les immeubles se sont élevés sur les vastes friches de l'ancien terminal de fret ferroviaire. Les gares contemporaines de Shimbashi et de Shiodome, proches l'une de l'autre, sont d'importantes interconnexions entre JR, métro et ligne Yurikamome (monorail). Sur la photographie, prise depuis  l'immeuble Caretta, la gare de Shiodome sur la ligne Oedo. L'immeuble Caretta (conçu par les architectes Jon Jerde et Jean Nouvel) abrite le siège de Dentsu, des bureaux, de nombreux bars et restaurants, des commerces.

11 - Depuis le Caretta, vue sur la ville en "légos", à l'apparence désordonnée.

12 et 13 - Enchevêtrement de l'habitat et des systèmes de transport dans le secteur de la gare d'Ochanomizu : les lignes du Japan Railway et du métro Maranouchi s'entrecroisent au-dessus de la rivière Kanda.

14 - Un parking à vélo, spectacle typique des abords de gare témoignant de l'importance de l'intermodalité rail / deux roues.

15 - Retrait de tickets en gare de Shimbashi : pour l'étranger, l'opération peut être assez complexe du fait de la diversité des lignes et des tarifications.

16 - Aoto, une entrée de gare de la compagnie privée Keisi dont le réseau dessert la zone de Tôkyô à Narita.

17 - Ici une campagne publicitaire des Japan Railways, en 2004, ventant la rapidité du Shinkansen Nozomi reliant Tôkyô à Shin-Osaka en 2h30, avec une cadence rapprochée (jusqu'à 7 départs par heure). La phrase japonaise Nozomi wa itsumo soko ni aru signifie, au premier degré, "Le train Nozomi est toujours là". Mais le terme nozomi désigne, outre le désir ou le souhait, également l'espoir voire l'ambition, renvoyant implicitement au désir d'accomplissement technologique ainsi qu'au positionnement du Japon dans la compétition internationale.

Source du cliché de P. Boyries, Clio-Photo (d'autres photographies disponibles) :  http://cliophoto.clionautes.org

Les impacts du renouvellement urbain

Cet intense processus de recyclage urbain n'est pas sans effet sur les équilibres socio-spatiaux. Dans les zones de "renouvellement urbain", il n'est pas question de construire du logement social ni d'imposer des plafonds de loyers aux investisseurs : l'objectif du renouvellement n'est pas la mixité sociale, comme en France, mais la mixité fonctionnelle. Néanmoins, la baisse des prix a beaucoup amélioré les conditions de logement. Dans les résidences neuves situées aux abords de la ligne circulaire Yamanote, à l'ouest, les prix des appartements avoisinaient, en 2005, ceux des arrondissements parisiens les plus recherchés (de 7 500 à 10 000 €/m²). Des logements plus accessibles sont proposés aux salariés sur des friches industrielles récemment recyclées de l'est de Tôkyô, à moins d'une demi-heure en métro des grandes gares de la Yamanote. Vendus autour de 3 000 à 4 000 €/m², ils rencontrent plus de succès auprès des ménages que les lotissements pavillonnaires situés à 30 km du centre.

Croquis stylisé d'un plan d'aménagement de la région capitale conçu par la Préfecture de Tôkyô

Source : Bureau of City Planning - Planning of Tokyo -
www.toshiseibi.metro.tokyo.jp/plan/pe-004.htm

Schéma circulaire de l'aire métropolitaine

La réalisation de ce schéma idéal est problématique à plusieurs égards : la coordination entre collectivités n'est pas acquise (notamment la collaboration des trois préfectures limitrophes), les ressources nécessaires au développement du réseau routier sont limitées, la pression foncière est telle que la libération de terrains pour des espaces verts en première couronne paraît utopique.

Notes :

  • Minato-Mirai 21 (MM21) : nouvelle opération urbaine d'ampleur sur des friches industrialo-portuaires de Yokohama.
  • Tama : ville nouvelle des années 1970 destinée à répondre à l'expansion périphérique sur un plan avant tout résidentiel, sans déconcentration d'emplois, dont le périmètre déborde les limites de la préfecture de Tôkyô ; elle résulte d'un partenariat entre le Tokyo Metropolitan Government, la Housing and Urban Development Corporation (HUDC) et des entreprises du secteur privé dont des compagnies ferroviaires ; elle est conçue pour accueillir 360 000 habitants.

 

Schéma d'aménagement de la préfecture de Tôkyô

À la différence du schéma d'aménagement de l'aire urbaine de Tôkyô ci-dessus, ce schéma est conçu par la préfecture qui a la maîtrise sur l'ensemble du territoire.

Source : Bureau of City planning - Planning of Tokyo - www.toshiseibi.metro.tokyo.jp/plan/pe-020.htm

Une autre inquiétude porte sur le sort des secteurs les plus reculés de la grande banlieue dans un contexte de retour vers le centre et de tassement démographique. Au milieu des années 2000, un processus de dévitalisation était déjà à l'œuvre en maints endroits. Des commerces ferment et les logements sont devenus très difficiles à vendre, piégeant les ménages les plus modestes qui n'avaient pas hésité à s'éloigner de 50 km pour acquérir le  pavillon de leurs rêves et se retrouvent aujourd'hui captifs alors que la population reflue vers le centre. Les groupes ferroviaires sont aussi menacés par ce rééquilibrage spatial, qui met à rude épreuve les surfaces commerciales, culturelles et de loisirs qu'ils exploitent dans les grandes banlieues. Habitués à s'adapter, ils ont cependant pris la mesure de la situation en développant de nouveaux services pour accompagner le retour vers les centres, notamment en implantant des agences immobilières le long de leurs lignes pour aider leurs clients banlieusards à se reloger. Ils cherchent aussi à tirer profit de la revitalisation des centres en développant de nouvelles surfaces de distribution dans leurs gares principales. Les collectivités locales sont conscientes des dangers de la rétraction urbaine et s'efforcent de cristalliser les activités en grande banlieue de Tôkyô et Ôsaka par une planification appropriée. Mais cette politique entre en contradiction avec le vigoureux soutien qu'elles apportent aux grands projets de rénovation sur les friches ferroviaires des centres urbains.

Il est donc fort vraisemblable que ce seront avant tout les lois du marché qui décideront, comme à l'accoutumée, de l'évolution des équilibres spatiaux dans les villes japonaises.

Notes

[1] Ce texte de Natacha Aveline (directrice du bureau CNRS Japon - Corée à Tôkyô, chercheuse à l'Institut d'Asie orientale rattaché à l'ENS de Lyon à Lyon) est adapté du chapitre Urbanisme et civilisation urbaine  de l'ouvrage "Le Japon contemporain", dirigé par Jean-Marie Bouissou, paru en septembre 2007 dans la collection Fayard/CERI dirigée par Christophe Jaffrelot : www.editions-fayard.fr

Les ouvrages de cette collection présentent la trajectoire de pays ou de régions du monde à l'époque contemporaine. Celui-ci aborde le Japon depuis l'après-guerre à travers divers aspects : vie politique, économique et sociale, religieuse et culturelle ; relations avec le monde ; histoire du Japon rural, des forces armées japonaises, du crime organisé et de la police, de la classe ouvrière, de la culture populaire (y compris l'histoire de la télévision japonaise, de la chanson, des loisirs, du sport et, bien entendu, du manga), de l'éducation et des communautés locales.  www.ceri-sciencespo.com/cerifr/publica/fayard/fayard.php

[2] Ville, ici le shi, correspond aux limites communales de la ville - centre.

[3] Le terme agglomération est ici un regroupement statistique qui correspond à l'aire du Tôkyô ken qui englobe la préfecture (ou département) de Tôkyô et les trois (parfois cinq) préfectures limitrophes de Saitama, Kanagawa, Chiba. Il n'y a pas au Japon l'équivalent des statistiques de l'INSEE prenant en compte la continuité du bâti.

[4] Le gouvernement décida en 1966 de construire dans une petite commune rurale à une soixantaine de kilomètres de Tôkyô le nouvel aéroport de Narita. Faute d'avoir négocié au préalable avec les agriculteurs propriétaires, il se heurta à une violente résistance qui prit une ampleur nationale. La première piste ne fut achevée qu'en 1978, avec huit ans de retard, et il en fallut encore plus de 20 pour construire la seconde (ouverte de justesse en 2002 pour la Coupe du monde de football), qui dut être réduite de 320 mètres faute que certains terrains aient pu être expropriés.

[5] Les yakuza sont à l'origine issus des exclus de la société. Aujourd'hui, ils ont une structure semblable à celle de la mafia sicilienne. Ils sont organisés en "familles" (ikka) hiérarchisées, mais sans liens de sang.

 

 

Références, bibliographie : une sélection

De l'auteure :

http://iao.ish-lyon.cnrs.fr/Francais/naveline.html

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  • "Les marchés fonciers à l'épreuve de la mondialisation, nouveaux enjeux pour la théorie économique et pour les  politiques publiques", mémoire d'Habilitation à diriger des recherches (HDR), Institut d'urbanisme de Lyon, université Lyon 2 , 211 p., soutenu le 10 octobre 2005
  • "The impact of aging on urban railway transport : comparative strategies of the JR group and the ôtemintetsu groups", papier présenté au XIe congrès de l'EAJS, Vienne, 31 août-3 septembre 2005
  • "Diversification extra-ferroviaire et mise en valeur du patrimoine foncier du groupe JR East à Tokyo, vers le modèle de la "compagnie ferroviaire  généraliste" papier présenté au IIe congrès du réseau Asie, Paris, 29 septembre 2005
  • "The Overall Context of the Asian Financial Crisis ands its Interaction with the Domestic Property Markets" in Natacha Aveline, Ling-Hin Li (dir), Property Markets and Land Policies in Northeast Asia. The Case of Five Cities : Tokyo, Seoul, Shanghai, Taipei and Hong Kong, Hongkong-Tokyo - Maison Franco-Japonaise / Center for Real Estate and Urban Economics, 2004
  • Le Japon, géographie - coll. mémento, Paris, Belin, 2004
  • "Un financement original, la valorisation des gares au Japon", in Hervé Mariton (dir.), Politique des transports : le contribuable et l'usager, XIe rencontres parlementaires sur les transports, Paris - Altedia, 2004
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  • "L'expérience particulière du Japon en matière de renouvellement urbain", Actes de la journée d'études sur le  renouvellement urbain du 18 oct. 2002 - Droit et Ville, n°55, 2003
  • La ville et le rail au Japon, l'expansion des groupes ferroviaires privés à Tôkyô et Ôsaka - CNRS éditions, collection Asie orientale, Paris, 2003
  • "La diversification des compagnies ferroviaires privées à Tôkyô, les groupes ôtemintetsu et la JR East", in Pascal Griolet, Michael Lucken (dir.) - Japon Pluriel, Arles, Piquier, 2003
  • "Cycle foncier et aménagement à Tôkyô", Actes du colloque du Réseau Asie, Paris, septembre 2002. Disponible en cd-rom.
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  • Film documentaire : Natacha Aveline, Jean Jimenez, Mourir à Tôkyô, film documentaire en bétacam de 52 minutes sur le marché du foncier funéraire dans l'agglomération de Tôkyô, Centre Audiovisuel de l'Université Toulouse 2, 2000
  • "Formes de la croissance urbaine, filières de production immobilière et prix fonciers à Tokyo", in Antoine Bailly et Jean-Marie Huriot (dir.), Villes et croissance, théories, modèles et perspectives - Anthropos, collection géographie, Paris, 1999
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Autres
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Des ressources en ligne pour compléter

Nous remercions Franck David du lycée français de Tôkyô pour sa collaboration.

Documents d'aménagement urbain des collectivités territoriales :
Le système de transports urbains en site propre du Grand Tôkyô :
Documents historiques :
Expertises et études externes :
Images :
Divers :

 

Natacha Aveline,
directrice du bureau CNRS Japon - Corée à Tôkyô, chercheuse à 
l'Institut d'Asie orientale (UMR 5062 du CNRS) associé à l'ENS de Lyon,

pour Géoconfluences le 20 septembre 2006

Recherche et adaptation documentaires, mise en page web : Sylviane Tabarly

Mise à jour :   20-09-2006

 

 

Pour citer cet article :

Natacha Aveline, « Tôkyô, métropole japonaise en mouvement perpétuel », Géoconfluences, 2006.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/urb1/MetropScient3.htm

 

Pour citer cet article :  

Natacha Aveline, « Tôkyô, métropole japonaise en mouvement perpétuel », Géoconfluences, septembre 2006.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/urb1/MetropScient3.htm