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Le tourisme intérieur chinois, reflet des mutations de la Chine contemporaine

Publié le 04/02/2011
Auteur(s) : Benjamin Taunay - université d'Angers

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1. Le tourisme intérieur chinois, un phénomène massif

2. Un phénomène urbain à destination des villes et des "sites pittoresques célèbres"

3. Les pratiques spatiales des touristes intérieurs chinois

Longtemps, la grande majorité des chercheurs occidentaux n'a pris en compte que le tourisme international dans les pays du Sud, pensant, à l'instar de Georges Cazes en 1989 que les pays en développement ne pouvaient abriter un tourisme intérieur, ou que ces mobilités étaient très faibles (Sacareau, 2006). Seuls quelques pionniers comme Mohamed Berriane dans le cas du Maroc en 1990 et Rémy Knafou pour le Brésil au milieu des années 1990 se sont élevés pour souligner que ces flux étaient plus importants que le tourisme international dans ces pays. Cette relative incapacité à voir l'émergence de pratiques touristiques de la part des classes moyennes urbaines est aujourd'hui caduque : l'Inde, le Vietnam, l'Indonésie, ou encore la Chine abritent des millions de touristes intérieurs dont le nombre est largement supérieur à celui des touristes internationaux dans chacun de ces pays (Cabasset, Peyvel, Sacareau et Taunay, 2010). La métamorphose économique de la Chine notamment, son rang nouveau dans la mondialisation, place ce pays sous les regards d'observateurs qui ne peuvent maintenant manquer de constater l'importance du tourisme intérieur chinois (Taunay, 2009).

Ce phénomène, les flux non professionnels à objectif de recréation [2] des ressortissants chinois en Chine continentale, est encore aujourd'hui largement méconnu, voire même pas ou très peu défini. La plupart des auteurs qui ont travaillé sur la question de ces mobilités touristiques utilisent la plupart du temps l'expression de "tourisme domestique" (Raymond, 1999 ; Cabasset, 2000 ; Sacareau, 2006), plutôt que tourisme "national". D'abord pour plus de clarté par rapport aux définitions de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), qui considère le tourisme national comme la somme du tourisme émetteur et du tourisme interne (soit les résidents d'un pays qui visitent leur pays, ainsi que les flux de résidents de ce pays qui en visitent un autre), et le tourisme intérieur est la somme du tourisme interne et du tourisme récepteur (tableau ci-contre).

En ajoutant que le terme "national" renvoie à l'idée de "construction nationale", Emmanuelle Peyvel (2009) va plus loin dans l'emploi et la définition du terme "domestique" en ayant recours à deux notions de la géographie humaine contemporaine, celle de capital spatial et celle d'habiter.

Les formes de tourisme selon l'OMT

Réalisation : Luc Vacher, université de La Rochelle, d'après l'Organisation mondiale du tourisme http://ctig.univ-lr.fr/page_tourisme4monde.htm

Ici, nous conserverons le terme de tourisme intérieur en raison du sens que recouvre ce mot en langue chinoise : traduction littérale du mot chinois (guonei lüyou), l'adjectif intérieur (nei) renvoie à la dialectique de l'extérieur (au-delà du monde chinois situé dans l'empire du Milieu) et de l'intérieur (les êtres civilisés). Cette opposition intérieur-extérieur traverse l'ensemble de la société chinoise où chaque individu n'existe que parce qu'il peut se situer par rapport à d'autres membres de son réseau. Ce dernier est exigeant en terme de faveur et de disponibilités parce qu'il est exclusif et largement fermé à des membres extérieurs (Sanjuan, 2002).

L'objectif de cet article, qui est aussi une gageure en raison du très faible nombre d'études sur ce thème et encore moins sur l'espace chinois, est donc d'esquisser les grandes lignes d'un fait qui bouleverse aujourd'hui en profondeur la société chinoise, tout en étant lui-même le reflet de ces mutations. À la problématique, en quoi le tourisme intérieur chinois reflète t-il les mutations sociales et économiques de la Chine contemporaine, le développement qui suit répondra par une présentation numérique du phénomène (notamment en le comparant au tourisme international dans le pays) ; l'analyse soulignera ensuite le caractère urbain (au niveau de l'origine des touristes et de leurs destinations) de ce tourisme interne ; pour terminer sur une rapide présentation des pratiques sociales et spatiales des touristes chinois.

Le tourisme intérieur chinois, un phénomène massif

Le tourisme international en Chine, un phénomène surévalué

La Chine est en apparence une vaste aire d'arrivée du tourisme international : plus de 54 millions de touristes auraient visité ce pays en 2007 [3]. En observant le graphique ci-dessous, on observe effectivement une hausse constante du nombre de touristes étrangers depuis l'ouverture économique de 1978 (où 716 000 touristes étrangers, en majorité des Chinois d'outre-mer, sont venus visiter la Chine continentale).

Seuls deux événements ont orienté à la baisse le développement du tourisme international en Chine continentale : la répression sur la place Tiananmen en 1989 (le nombre de touristes de 1988 n'est retrouvé qu'en 1991), et l'épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 (32,9 millions de touristes en 2003 contre 36,8 en 2002, mais 41,8 millions en 2004 et 54,7 millions en 2007).

Les statistiques du tourisme international sont cependant en partie faussées pour la Chine par la prise en compte d'arrivées de "touristes" qui n'en sont pas vraiment, ceux qui viennent de Hong Kong pour un ou deux jours seulement pour affaires, ou pour visiter des membres de leur famille : 56,7% des 46,8 millions de touristes internationaux enregistrés en 2005 étaient des Chinois ressortissants de Hong Kong, de Taiwan et de Macao (Taunay, 2009).

Le tourisme international en Chine de 1978 à 2006

Source : OMT, 2007 [4]

Cette importance du nombre de "touristes" originaires des régions spéciales (Hong Kong et Macao) d'abord, celle des Chinois de l'extérieur ensuite (vivant à l'étranger mais revenant périodiquement sur le continent pour visiter leur famille ou faire des affaires), doit également être soulignée. En fin de compte, le "véritable" tourisme international en Chine est bien moins important que ne le laissent croire les statistiques de l'OMT (elles-mêmes tributaires des déclarations chinoises) : ce ne sont sans doute que 10 à 12 millions de touristes (au sens traditionnel du terme) que la Chine a reçus en 2005, guère plus que le Japon.

Le tourisme intérieur chinois est le plus grand système touristique du monde à l'échelle d'un pays

Si le tourisme international en Chine se compte en millions d'individus, le tourisme intérieur se mesure lui en centaines de millions de personnes. En 2007, le nombre de touristes intérieurs était de 1,6 milliard de "déplacements touristiques" [5]  comptabilisés, contre 26,1 millions de touristes internationaux (hors compatriotes de Hong Kong, Macao et Taiwan), soit un rapport de 1 touriste international pour 62 touristes intérieurs [6]. Selon les sources officielles, les ressources liées aux dépenses des touristes intérieurs s'élevaient à 777 milliards de yuans (environ 90 milliards d'euros) en 2007. C'est 4,3 fois plus que les revenus du tourisme international la même année (21,1 milliards d'euros ; hors compatriotes de Hong Kong, Macao et Taiwan) [7].

En considérant que le tourisme intérieur chinois n'est le fait que de la classe moyenne des principales villes du pays, le nombre de touristes pourrait plutôt se trouver dans une fourchette de 250 à 300 millions de "réels" touristes [8], ayant les moyens de voyager (un voyage touristique coûte cher à l'échelle d'un pays aussi grand que l'Europe). Miroir de la "société de loisir" chinoise, le tourisme intérieur est cependant un important secteur touristique émergent à l'échelle du Monde ; c'est même le premier marché touristique mondial en termes de nombre de touristes. Un regard critique doit donc être porté sur la manière de comptabiliser les touristes : si les chiffres officiels concernant le tourisme intérieur chinois différencient assez bien les "compatriotes" de Hong Kong, Macao et Taïwan, il faut savoir que les statistiques touristiques chinoises ne comptabilisent pas les touristes, mais seulement – comme le fait également l'OMT – le nombre de touristes par "fois". Cette unité de mesure (ren/ci) [9], littéralement la "fréquentation", comptabilise le nombre total de déplacements, un compte qui indique un chiffre bien différent du nombre total de touristes. Ainsi, un touriste qui part plusieurs fois en vacances pendant une même année sera comptabilisé comme plusieurs touristes.

Ensuite, en plus des différences dans la manière de comptabiliser les touristes selon les provinces du pays [10], le gouvernement semble confondre les voyageurs et les touristes. Le chiffre de 1,61 milliard de déplacements touristiques cache d'importantes distinctions. Les profils des voyageurs, ainsi que leurs motifs de voyages ne sont pas indiqués, si bien que sous ce chiffre global se cachent des voyages d'affaires, des visites à la famille, des réunions de travail et des colloques, voire même des loisirs (certains déplacements durent moins d'une journée mais sont quand même ici comptabilisés). Par exemple, lors du nouvel an chinois, il est d'usage de retourner voir sa famille, et dans le système statistique chinois, cela s'apparente à du tourisme (l'OMT ne fait également pas la distinction entre les différents motifs des voyages).

Enfin, un autre aspect qui perturbe la bonne compréhension de ce phénomène est que différents termes se côtoient parfois pour exprimer le mot touriste : en Chinois, il y a en effet au moins deux mots désignant les "touristes" intérieurs dans les statistiques officielles. Le premier est "lüke" qui signifie passagers ou voyageurs, alors que le deuxième est "youke" ayant lui pour sens touristes (Xu, 1999) [11]. Si les deux termes se mélangent dans les statistiques officielles, l'acception économique, sociale et culturelle en est très différente. Un travailleur migrant originaire d'une zone rurale, venu travailler quelques mois dans une des grandes métropoles de l'Est du pays, et qui rentre voir sa famille lors des congés du nouvel an, sera par exemple comptabilisé comme un touriste. Le but de son déplacement n'est pourtant pas le tourisme.

Un phénomène urbain à destination des villes et des "sites pittoresques célèbres"

La naissance du tourisme intérieur chinois est tardive à l'échelle du système touristique mondial

On comprend donc que ce phénomène soit longtemps resté "inaperçu" dans la littérature touristique et géographique spécialisée. Il faut de plus ajouter que le réel début du tourisme intérieur ne peut vraiment intervenir qu'après la fin de la Révolution culturelle (1966-1976). Pendant cette dernière, le tourisme était en effet considéré comme un comportement "bourgeois" et donc "banni". Ce n'est qu'avec les politiques de réformes post 1978 qu'une partie de la population chinoise a pu progressivement partir pour des voyages touristiques [12]. Jusqu'en 1989, où pour la première fois le tourisme intérieur est pris en compte par les dirigeants [13], c'est le tourisme international, utilisé comme un outil de développement, qui a la faveur du gouvernement [14]. Depuis 1985 (date à laquelle le bureau national du tourisme crée un département du tourisme intérieur) pourtant, les Chinois qui se déplacent dans leur pays sont plus nombreux que les touristes internationaux : la croissance quasi-continue du nombre de déplacements des touristes chinois est remarquable (graphique ci-dessous). Seules 1989 et 2003 annoncent une baisse de touristes intérieurs, baisse due aux événements sur la place Tiananmen pour la première date (240 millions de déplacements touristiques intérieurs en 1989, contre 300 l'année précédente, soit une baisse de 20%). Il faudra attendre 1992 pour rejoindre le niveau de 1988, baisse due à l'épidémie de SRAS qui a fait plusieurs centaines de morts en 2003.

De 1992 à 1995, le nombre de "touristes" intérieurs (déplacements touristiques), augmente rapidement : la hausse est supérieure à 20% chaque année et représente une augmentation de 90,9% du nombre de touristes sur trois ans. Le 1er mai 1995 marque un tournant important car le gouvernement réduit la durée du travail hebdomadaire de 44 à 40 heures. C'est le premier engagement fort de l'État dans l'incitation à l'émergence d'une économie des loisirs. Le gouvernement central lance d'ailleurs dans la foulée une campagne de communication sur la culture du loisir et 1996 est déclarée année des loisirs et des vacances. Dès 1997, le deuxième signal fort tient à la création des week-ends non travaillés pour tous les salariés. Il prend place dans un contexte économique difficile (la crise asiatique de 1997 et la baisse de la consommation chinoise menacent la croissance économique), reflété par une quasi stagnation du nombre de touristes en 1996 et 1997 (630 millions en 1995, 640 en 1996 et 644 en 1997).
Déplacements touristiques intérieurs chinois entre 1985 et 2007

Source : Administration nationale du tourisme de Chine

Mais l'élément le plus déterminant pour le développement du tourisme intérieur chinois a lieu le 18 septembre 1999, avec l'instauration de trois jours de congés payés par an : la fête du printemps, le 1er mai (fête du travail) et la fête nationale (1er octobre). Le tourisme devient ainsi une priorité pour la première fois dans la politique chinoise, le comité central du parti communiste décidant de le promouvoir afin de relancer la consommation : "avec les week-ends qui encadrent chacune de ces trois fêtes, les salariés disposent ainsi de trois 'longs congés' (changjia) de sept jours. Ce sont les 'semaines en or' (huangjin zhou[15])" (Thireau I., 2006 ; p. 126) [16]. Ces décisions ont eu d'importantes conséquences sur le tourisme intérieur [17] : de 719 millions en 1999 le nombre de déplacements touristiques intérieurs est passé à 1,61 milliard en 2007 (graphique ci-dessus). L'ensemble de ces évolutions fait que le tourisme intérieur qui représentait 3,45% du PIB en 2004 (0,92% en 1990), totalisait en 2007 plus de 1,6 milliard de "déplacements touristiques" ,soit quasiment 4% du PIB à la fin des années 2000 et près de six fois le volume de 1990.

Les lieux touristiques sont ainsi devenus très fréquentés. Pour répondre à ce tourisme "de masse" le gouvernement a engagé en novembre 2007 une réforme des semaines d'or. Cette réforme a supprimé la semaine d'or autour du 1er mai (la plus longue), ne laissant fériée que la seule journée du 1er mai. Les trois autres jours fériés ont été redistribués sur des fêtes traditionnelles chinoises [18] et le nombre total de jours de congés par an est passé de 10 à 11. Le gouvernement espère ainsi encourager des départs touristiques moins éloignés (un jour férié plus un week-end égal à trois jours de congés disponibles à chaque nouvelle vacance) mais des départs plus fréquents. Car jusqu'en 2007, même si les statistiques officielles, à l'échelle du pays, montraient une répartition très homogène des mobilités touristiques intérieures (pratiquement 25% des mobilités annuelles chaque trimestre), une analyse à l'échelle des principales villes touristiques montraient d'importants pics de fréquentations lors des semaines d'or.

Le tourisme intérieur, reflet des disparités économiques et sociales de la Chine contemporaine

Une autre différence de taille marque ainsi les statistiques chinoises du tourisme intérieur : la distinction entre la mobilité des citadins et celle des ruraux [19].

Les touristes citadins sont moins nombreux que les ruraux (612 millions de déplacements touristiques contre près d'un milliard ; tableau ci-contre), mais les citadins dépensent un peu plus de quatre fois plus lors de leurs séjours touristiques (906,9 yuans pour les citadins contre 222,5 yuans pour les ruraux). Les citadins sont également 60% plus mobiles que les ruraux (166,3% pour les citadins, contre 105,4% pour les ruraux), ce qui montre encore une fois les erreurs de définition du tourisme : les ruraux qui se déplacent vers les villes le font dans le cas de migrations économiques (pour trouver du travail, notamment à cause du manque de terres cultivables à la campagne), pas pour du tourisme.
Principales caractéristiques du tourisme intérieur (citadins et ruraux) en 2007 [20]

Source : Administration nationale du tourisme de Chine

Dans l'autre sens, c'est le phénomène de retour vers la famille restée au village, souvent à l'occasion du nouvel an chinois (également lors des fêtes traditionnelles), qui prédomine. S'agit-il alors de tourisme ? La réponse n'est certainement pas facile à apporter, mais nous choisirons ici de penser que non, étant donné que la principale motivation de cette mobilité n'est pas la "recréation" (Équipe MIT, 2002), mais bien le regroupement familial où les pratiques touristiques, si elles peuvent exister, ne sont alors que marginales.

En fait, l'administration nationale du tourisme de Chine donne un élément de réponse pour mieux évaluer l'importance du tourisme rural : 70,3% des ruraux ne se déplacent que pour une journée, sans passer la nuit. Le chiffre de  998 millions de touristes fond donc à hauteur de 296,4 millions de touristes qui passent au moins une nuit. Mais là encore, il est difficile de savoir quelle est la part des migrations économiques (une nuit dans un train pour retourner voir sa famille restée dans un village très éloigné de la grande métropole où travaille le migrant ?) dans ce chiffre. Pour les citadins, il existe également des formes de mobilités économiques (des villes moyennes vers les grandes métropoles) qui sont prises en compte dans les statistiques du tourisme intérieur et des séjours de moins d'une journée sont comptabilisés comme des voyages touristiques : la plus grande part d'incertitude concerne ici l'importance grandissante des loisirs. La disparité entre ville et campagne est en effet "l'une des caractéristiques marquantes de la société chinoise depuis les années 1950 (Cheng et Selden, 1994). Elle résulte d'un système administratif qui classifie la population comme 'urbaine' ou 'rurale' selon le lieu d'origine, et exclut les ruraux des protections sociales accordées aux citadins, ainsi que d'une politique qui a favorisé le développement urbain (Naughton, 1995). En matière d'éducation, de revenus, de santé ou de mobilité sociale, le citadin chinois est privilégié par rapport à ses compatriotes d'origine rurale" (Leicester, 2008 ; p. 225).

Les touristes intérieurs chinois préfèrent d'abord les villes

Les touristes urbains sont donc plus mobiles que leurs homologues ruraux et ils dépensent plus que ces derniers. C'est que le tourisme intérieur chinois est avant tout un phénomène urbain, ce que démontre la carte ci-dessous : elle indique, pour chaque province, le nombre de touristes partis avec une agence de voyages ainsi que le nombre de touristes reçus par ces mêmes agences en 2006. Bien que ce soit une vision partielle de la réalité du tourisme intérieur chinois (le nombre de touristes émis pour l'ensemble du pays est ici de 229,3 millions, pour 213,5 millions de touristes reçus), cette planche nous montre un "vrai" tourisme : tous les clients passés par une agence de voyage sont a priori des touristes.

Origine et destinations des touristes intérieurs chinois par province en 2006

Source : Administration nationale du tourisme de Chine. Réalisations : Benjamin Taunay

Le tourisme intérieur chinois est clairement un phénomène urbain à l'échelle du pays : comme le montre la carte ci-dessus à gauche, les touristes intérieurs sont d'abord originaires des principales villes de l'Est. Tous profitent de l'amélioration considérable de leur niveau de vie et des congés payés (les semaines d'or). Les provinces du Nord envoient plus de touristes qu'elles n'en reçoivent (à l'exception de la municipalité de Pékin qui reçoit presque autant de touristes qu'elle en envoie), et c'est le phénomène inverse qui se produit dans le sud, qui reçoit plus de touristes qu'il en envoie. Un examen approfondi de la carte met cependant en lumière la spécificité du cas de Shanghai et des provinces voisines du Zhejiang et du Jiangsu. Ces trois zones, bien qu'étant situées dans le sud de la Chine, présentent des caractéristiques du nord du pays : leur réception de touristes intérieurs est moindre que leur  émission (23,3 millions de touristes envoyés contre 15,4 reçus pour la province du Zhejiang ; 23 millions envoyés contre 14,7 reçus à Shanghai ; 19,1 millions contre 15,3 millions au Jiangsu). La raison en est simple : les provinces littorales de l'est du pays sont plus riches et plus développées. Les grandes métropoles qu'elles abritent sont d'importants foyers d'émission de touristes chinois (Cai L. A., Hu B., Feng R. M., 2001).

Ensuite, comme le montre la carte ci-dessus à droite, les touristes "urbains" se dirigent d'abord vers les principales villes du pays où ils recherchent une certaine "modernité" dans des pratiques qui ignorent souvent l'aspect "patrimonial" des anciennes constructions "historiques" (infra). La carte montre également le poids du Sud-Ouest et du Centre en termes de réception de touristes : ici ce sont des lieux connus, des zones "d'intérêt paysager et historique d'importance nationale" (zhongdian fengjing mingshengqu) qui attirent les touristes intérieurs. Ces zones sont centrées sur des lieux "célèbres" ("Mingsheng" en Chinois), visités depuis le XVe siècle par une noblesse lettrée. La filiation entre les pratiques des anciens voyageurs et celles des touristes actuelles a été réalisée par l'État dans un but de "construction nationale" (David, 2007 et Nyíri, 2006). En Chine c'est en effet l'État qui a élu les lieux touristiques après la fin de la Révolution culturelle (1966-1976), époque pendant laquelle le tourisme était considéré comme un comportement "bourgeois" et donc "banni". Après cette période, nous avons affaire à une sorte "d'État aménageur" qui ouvre le tourisme. L'État lance et contrôle à long terme les grands projets touristiques au sein de villes possédant d'abord des sites très connus, choisis sur la base de sites proto-touristiques créés par l'élite chinoise au XVe siècle. L'État soutient en ce sens la revalorisation du concept chinois de Mingsheng, littéralement des "sites célèbres" [21]. Le terme même de Mingsheng, qui guidait les circuits des nobles à travers le pays pendant la période impériale, fut d'ailleurs repris par l'État pour désigner un nouveau canon de sites touristiques fondé essentiellement sur ceux valorisés par la tradition lettrée. Après la mort de Mao, les illustrations des billets de banque changent et arborent désormais des vues de sites pittoresques célèbres (des Mingsheng). Ces lieux sont aujourd'hui parmi les plus visités par les touristes intérieurs. Ce qui montre que l'apparente filiation touristique entre les lieux visités par les lettrés à l'époque classique et les lieux visités aujourd'hui par les touristes intérieurs est le fait de l'État, un acteur fondamental de la mise en tourisme des lieux et de la promotion de ceux-ci à l'échelle locale, régionale et nationale. L'État a aussi formaté les discours (des guides par exemple), en s'occupant de la formation des ressources humaines.

De la fin des années 1970 au début des années 1980 l'État a également puisé dans l'histoire impériale pour constituer (ou reconstituer) un ensemble de pratiques touristiques. En témoigne la publication de nombreuses compilations de récits de voyages classiques (youji), alors renommés "littérature touristique" (lüyou wenxue). Les revues touristiques qui apparaissent au début des années 1980 consacrent d'ailleurs de nombreux articles aux pratiques touristiques des lettrés. La forme même des guides touristiques de cette époque évoque celle des guides classiques destinés aux "touristes" lettrés. Cette revalorisation du concept de Mingsheng avait pour objectif principal d'ancrer le tourisme dans une tradition nationale tout en contrôlant son contenu idéologique : les touristes intérieurs des années 1980 suivaient des circuits, la plupart du temps organisés par les unités de travail, elles-mêmes tributaires des autorités. Il semble que cette volonté étatique de contrôler le contenu du tourisme fut payante, car comme l'indique Leicester (2008), "lors d'un sondage réalisé en 1997, 62% des personnes interrogées considéraient que seul un Mingsheng pouvait constituer un site digne d'intérêt".

La carte (supra à droite) suggère que les touristes intérieurs commencent à se rendre de plus en plus dans l'Ouest de la Chine (provinces du Xinjiang, du Gansu et du Qinghai), alors même que les Chinois ont une vision péjorative de la campagne et des espaces ruraux. La société chinoise n'est pas encore majoritairement urbaine (environ 45% des Chinois vivent en ville à la fin des années 2000) mais beaucoup de touristes font partie de la "génération perdue" (Bonnin, 2004), ces jeunes instruits envoyés à la campagne entre 1968 et 1980. Pour eux, l'expérience fut traumatisante, elle a marqué les individus de façon indélébile (McKhann, 2001) et peu souhaitent retourner dans un espace qu'ils considèrent comme "répulsif". Cependant, même si la visite actuelle de provinces isolées, complètement ignorées par les touristes jusqu'à présent, laisse supposer que l'évolution du niveau de vie dans les grandes métropoles chinoises tend à rapprocher les lieux, voire les pratiques du tourisme intérieur et du tourisme international, ces généralisations hâtives doivent être menées avec circonspection.

Les pratiques spatiales des touristes intérieurs chinois

La recherche de la modernité est constante pour les touristes chinois

Les touristes qui se rendent en ville veulent avant tout aller à la rencontre de la modernité des principales métropoles du pays. Il s'agit ici de découvrir les symboles de la puissance renouvelée d'un pays longtemps dans l'ombre et même humilié par les défaites imposées par les Occidentaux à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il y a donc une fierté nationale à visiter ces hauts-lieux du pays, également lieux symboliques de la Chine dans le monde. Shanghai est l'archétype de ces motivations : elle représente le monde en Chine et la Chine dans le monde. Ces pratiques de découverte s'inscrivent dans un cadre où l'accès aux sites est facilité par des routes et équipements nouveaux et où l'altérité [22] est donc réduite. Nous avons noté l'aversion pour les espaces ruraux en Chine, il faut également souligner que les touristes intérieurs ne sortent que peu des villes qu'ils visitent [23]. Ils ne sont que peu enclins à avoir des pratiques dites "d'aventure", et quand certains se risquent à ces pratiques, c'est d'abord en groupe, même au sein de leur propre pays.

De nombreuses municipalités ont bien compris ce goût pour les lieux urbains et modernes et, pour attirer encore plus de visiteurs, elles créent de nouveaux circuits où la modernité des quartiers centraux est mise en avant. À Guilin par exemple (dans le sud-ouest du pays), la municipalité a créé un nouveau circuit dans la ville, qui associe le regard sur le paysage à la vision de la modernité recherchée par les touristes. Ce circuit fluvial fait en effet le tour de la ville historique. Il permet aux touristes d'observer les collines, emblème de la ville, tout en voyant les aménagements urbains créés pour ce circuit, des équipements qui donnent à Guilin l'image d'une ville moderne et d'histoire, alors même que les aménagements sont très récents et ne montrent pas forcément l'histoire de la ville. Les aménagements sont en effet assez divers. Un pont semblable à celui de San Francisco (de 100m de longueur ici), une arche rappelant celle des Champs-Élysées (à l'échelle ½), des statues copies de celles de la Renaissance. Le manque d'unité architecturale dans ces aménagements ne semble pourtant pas préoccuper les touristes intérieurs qui suivent, attentifs, les descriptions du guide alors même que tous les aménagements, et même les collines karstiques environnantes, sont mises en valeur par des illuminations de couleurs variées et diverses : rouge, jaune, vert, bleu, rose, etc., effets d'éclairage "lumineux et multicolores" (wu guang shi se) [24]. La communication publicitaire de la ville s'appuie sur ces éclairages pour vanter sa modernité, sa vie culturelle, son histoire et le paysage environnant :  les publicités décrivant ce système d'eau le disent comparable au canal d'Amsterdam, à la Seine parisienne, et aux canaux de Venise, et indiquent qu'une croisière sur ce système est "un circuit avec des milliers d'années d'histoire". Il faut donc noter que la question du vrai et du faux semble être éloignée des préoccupations chinoises : "le culte de la mémoire en Chine ne s'exprime pas avec la même déférence pour les constructions prestigieuses qu'en Europe" (Zhang Liang, 2005).

Les touristes intérieurs se représentent donc les lumières multicolores durant les périodes nocturnes comme un symbole de modernité [25]. Parfois ils osent le rapprochement entre ces lumières et  les images de Hong Kong nocturne : c'est beau, parce que c'est "moderne". Pas systématiquement avoué mais néanmoins visible, ce tropisme pour la modernité est une des clés des comportements touristiques en ville. Descriptions officielles, publicités au sein de l'espace urbain, etc., toute occasion est saisie pour exalter la vie moderne, comme dans le cas d'une publicité pour la "Banque chinoise de construction" montrant (10 mètres sur 4), le paysage nocturne de Hong Kong vu depuis la plus grande place du centre-ville, et titre : "la banque chinoise de construction, la banque de la vie moderne" (zhongguo jianshe xiandai shenghuo) [26].

Le paysage nocturne de Hong Kong la nuit depuis le Victoria's peak

Cliché : Yifang Liu Taunay, 2010

Cette photo a été prise depuis les hauteurs de l'île de Hong Kong, sur la colline Victoria. Alors que la journée les touristes étrangers non asiatiques sont très nombreux, leur nombre se réduit lorsque la nuit tombe, laissant progressivement la place aux touristes chinois du continent désireux de voir les lumières des vertigineux gratte-ciels de la ville. On constate ainsi la différence de regard entre ces deux populations touristiques.

"Gagner de la face" dans la société du statut

La vive inclination des touristes chinois pour tout "déploiement" de la modernité a une conséquence que l'opinion occidentale peut juger de manière péjorative : leur distance à l'égard du patrimoine matériel, bâti. Ils ne réprouvent pas l'association, ou la juxtaposition, des nouvelles constructions et des édifices anciens "authentiques" (photo ci-dessous) et ils ignorent passablement les sites où les bâtiments de la cité sont "d'époque". Ils préfèrent se rendre dans des rues où le bâti a été en très grande partie reconstruit selon des plans qui diffèrent parfois largement des originaux. C'est la logique de "faire du vieux avec du neuf". Le regard chinois laisse donc peu de place à la question du vrai et du faux, de l'authentique et de l'artifice. La déférence pour le bâti est donc ici moins grande qu'en Occident ce qui correspond au souhait des touristes chinois de vivre une expérience moderne plutôt qu'une expérience "authentique". Ce que recherchent égalemet avant tout les touristes, ce sont les lieux animés ("renao") [27], c'est-à-dire des lieux "re", (chaud, chaleureux), et "nao" (bruit, vacarme, agitation), la synthèse des deux idéogrammes produisant le mot "animé" qui signifie d'abord "un lieu où il fait bon vivre", et ensuite "ce qui détend l'esprit, ce qui rend joyeux". Les espaces urbains en Chine, avec leur foule et leur vie en continue, correspondent parfaitement à cette quête.

Ce cliché montre le détail d'une rue touristique à Tianjin, à 150 km au sud-est de Pékin. La photo a été prise dans un quartier de la ville reproduit à l'ancienne et souvent plus fréquenté par les touristes que d'autres quartiers architecturalement préservés et "authentiques". Ici au contraire, tout est récent. On voit à droite la reproduction d'un bâtiment qui a été détruit pour laisser la place à un édifice dont le rez-de-chaussée est un magasin de souvenir alors que l'étage est un "musée". Pour faciliter l'accès et les déplacements des touristes, des escalators ont été placés à plusieurs endroits dans la rue, notamment ceux qui permettent d'accéder aux principaux centres commerciaux et restaurants (au centre de la photo, en haut de l'escalator). Les touristes, comme ceux de ce cliché, attachent souvent plus d'importance à la sociabilité dans le lieu, le fait qu'il soit animé (renao), et moderne, c'est-à-dire commode et accessible.
La juxtaposition de "l'ancien" et du moderne à Tianjin

Cliché : B. Taunay, 2007

Une des raisons de ces comportements est que tout le monde ne peut pas encore s'offrir un séjour touristique dans les sites les plus connus : aussi, être un de ceux qui a la possibilité de s'adonner à cette activité récente fait gagner de la considération sociale, de la "face". Par exemple, si Deng Xiaoping est venu observer les formes des cavités karstiques de Guilin, alors c'est une affaire sérieuse que chaque touriste doit également réaliser (la dite grotte est d'ailleurs maintenant nommée grotte "présidentielle"). Dans une société où le collectif prime sur l'individu (au profit d'une cohabitation, d'une "harmonie"), une telle visite ne fait donc qu'amplifier le conformisme des pratiques touristiques, voire la manière d'être touriste.

Une conséquence de cet "endoctrinement" (Nyíri, 2008) est visible sur les sites : l'endroit précis où la photo doit être prise est fléché par de nombreuses indications telles "le meilleur endroit pour une photo", etc. (voir photo ci-dessous). La lecture se fait donc de haut en bas et de droite à gauche, comme dans les poèmes traditionnels. La structure même des phrases est stéréotypée : chaque phrase est constituée de sept caractères, ici plus précisément de deux proverbes (quatre caractères chacun ; chengyu) et de trois caractères précisant le lieu. Cette structure grammaticale, deux énoncés parallèles, est connue en Chine pour faire l'éloge d'un lieu, d'un homme, d'une situation : "ce paysage ne se voit qu'au paradis" et "dans le monde, où et combien de personnes peuvent le visiter ?". Celui qui a donc les moyens de venir faire du tourisme, de se faire prendre en photo pour montrer celle-ci aux autres, gagnera immanquablement de la "face".

Prise de soi en photo à la plage de Beihai

Cliché : B. Taunay, 2005

Ce cliché montre que même à la plage, se faire prendre en photo est indispensable. Toutefois, ce qui différencie réellement cette pratique de celle des Occidentaux est le fait de rechercher des lieux facilement identifiables pour leurs photos. En l'occurrence, une "chaise photo". Cette dernière n'est pas spécifique à la plage de Beihai : au sommet de nombreux sites touristiques de montagne, on retrouve les mêmes chaises. Ainsi, si le décor est différent, le fondement de la pratique reste le même.

Les usages des touristes chinois déconcertent souvent les Occidentaux. Sur la plage par exemple, on se baigne peu, on ne s'allonge pas sur le sable et l'on cache son corps sous des vêtements et des ombrelles pour éviter les morsures du Soleil, comme l'illustrent les pratiques sur de nombreuses plages en Chine. Le bain n'est, de plus, pas le plaisir le plus recherché et très peu nagent. L'arrière-plage est bien plus fréquentée que la mer et on cache souvent son corps des assauts du Soleil. Ce phénomène s'explique par le fait que le hâle de la peau est encore perçu comme le sceau de la pauvreté, celui de la paysannerie soumise au travail harassant de la terre sous les intempéries. Dans cette société encore majoritairement rurale (45% de la population était urbaine en 2007), la blancheur est considérée comme un signe extérieur de richesse, qu'il faut à tout prix conserver pour montrer que l'on est issu des classes privilégiées, peut être plus encore chez les femmes [28].

Conclusion

Le tourisme intérieur chinois est un phénomène méconnu alors même qu'il est massif : plusieurs centaines de millions de Chinois se déplacent aujourd'hui pour leur agrément en Chine continentale. Malgré des statistiques emphatiques, l'analyse nous montre que ce sont en majorité des citadins qui se dirigent vers les villes et qui apprécient ces mêmes villes de l'est du pays, prospères et modernes. Les habitants originaires des provinces les plus rurales, tout comme la plus grande partie de ces mêmes provinces, sont exclus des mobilités touristiques qui traversent la Chine contemporaine.

En cela, le tourisme intérieur est bien le reflet des disparités qui secouent la Chine d'aujourd'hui, avec un Est riche où les villes sont bien intégrées à la mondialisation économique et sociale, voire commencent à l'influer pour Shanghai (comme cela a été le cas avec l'exposition universelle qui s'est tenue dans cette ville et dont la devise était "meilleure ville, meilleure vie", une question dont Shanghai veut se faire l'ambassadrice) et pour une grande partie du pays plus à l'Ouest, en retard de développement, à des degrés divers. Le tourisme intérieur est d'ailleurs un bon moyen, pour ceux qui peuvent le pratiquer, de se faire valoir devant ses collègues de retour au bureau, photos à l'appui des principaux sites connus à l'échelle du pays.

Le tourisme intérieur en Chine constitue donc un intéressant laboratoire pour appréhender les pratiques d'une population qui devient urbaine, s'enrichit et accède aux activités récréatives, comme c'est aujourd'hui le cas dans les sociétés des pays émergents, pays de plus en plus nombreux en Asie et dans le monde.

Notes

[1] Docteur en géographie, Benjamin Taunay est actuellement enseignant-chercheur à l'université d'Angers. Après une thèse sur le thème du tourisme intérieur chinois, il se penche maintenant sur l'évolution des mobilités et des destinations internationales chinoises. En privilégiant une approche interdisciplinaire, il analyse le rapport de la société chinoise contemporaine au tourisme, ainsi que les mutations socio-spatiales engendrées par ce phénomène en pleine croissance, en Chine continentale comme à l'étranger.

[2] La recréation est un "concept permettant de synthétiser un grand nombre de pratiques de rupture vis-à-vis des pratiques routinières, aboutissant à un relâchement plus ou moins contrôlé de l'auto-contention des émotions (relâchement, défoulement, permissivité, etc., liés à une mise à distance du quotidien)" (Équipe MIT, 2005, p. 341).

[3] Taiwan et les Régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao sont comptabilisés à part : en prenant en compte les données relatives à ces trois territoires, la "grande Chine" totaliserait 88,5 millions de touristes en 2007. Ces trois entités bénéficient cependant d'un niveau de vie comparable à celui de pays développés, et à l'inverse de la République populaire, elles ne se contentent pas de recevoir de nombreux touristes, elles en émettent également un grand nombre.

[4] Dans ses déclarations, sous le vocabulaire de "touristes", l'OMT comptabilise en fait des "déplacements touristiques" et pas réellement les touristes eux-mêmes : un touriste qui se rend deux fois dans le même lieu la même année sera donc considéré comme deux touristes.

[5] Comme l'OMT, les déclarations chinoises ne comptent pas des "touristes", mais bien des "déplacements touristiques". C'est-à-dire qu'un touriste qui passe deux fois par le même endroit est comptabilisé comme deux touristes. Dans les deux cas cependant, les déclarations indiquent des "touristes".

[6] Cependant, en considérant que le tourisme intérieur chinois est le fait de la classe moyenne urbaine, le chiffre reviendrait plutôt à 250, voire 300 millions de touristes chinois (Infra) ; soit un rapport de 1 touriste international pour 11 touristes intérieurs.

[7] Bien que 11 fois plus nombreux, les touristes intérieurs ne rapportent "que" 4,3 fois plus de recettes à l'État que les touristes internationaux. C'est en grande partie la raison pour laquelle les autorités se focalisent principalement sur les touristes internationaux et également pourquoi les statistiques sont beaucoup plus complètes sur ces derniers (coût d'enquête plus réduit et plus grande facilité de récolte des données).

[8] Pierre Gentelle propose le chiffre de 240 à 290 millions de consommateurs dans les villes chinoises en 2004. Il souligne cependant que ce chiffre cache de grandes disparités : "Un ensemble de 240 à 290 millions de consommateurs, qui ne constituent pas encore ce qu'on appelle dans les pays riches une classe moyenne, tant sont grandes les disparités en son sein", p. 26 In : Gentelle P., (2004-a) Une société en mouvement, Questions internationales, La Documentation Française, n° 6, p. 26-38.

[9] 人次 (ren/ci)

[10] Les échelles identifiées dans les registres statistiques restent ainsi trop lâches pour une étude détaillée et les données sont également incomplètes à l'échelon régional et local.

[11] 旅客 (lüke), 游客 (youke).

[12] Des formes de tourisme intérieur existaient également depuis les années 1950, mais réservées à la "nomenklatura" de l'époque. Des photos nous montrent par exemple des cadres du parti se baignant à Beidaihe, une station sur le littoral de la mer de Bo. Ce genre de pratiques réservées à une élite repose cependant sur d'autres logiques que celle du tourisme intérieur qui s'est développé dans les années 1980.

[13] Date à laquelle l'ex-directeur de l'Administration nationale du tourisme de Chine, M. Liu Yi déclare que : "le tourisme intérieur devrait maintenant être la base du tourisme chinois". Zhang W., (1997) China's domestic tourism : impetus, development and trends, Tourism Management, Volume 18, Issue 8, p. 565-571.

[14] Pour une description détaillée du tourisme intérieur pendant les années 1980, voir : Xu G., (1999) Tourism and local economic development in China, Case studies of Guilin, Suzhou and Beidaihe, Curzon Press, Padstow

[15] 长假 (changjia) et 黄金周 (huangjinzhou).

[16] Article loisir dans : Sanjuan T., (2006), Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, Paris, 303 p.

[17] Sur le rôle du tourisme intérieur dans l'économie chinoise, voir : Ghimire K., (2001) The Economic role of national tourism in China, p. 86-108 In : Ghimire K. (dir.), The Native tourist : Mass Tourism within Developping Countries, Eartscan, London, 224 p.

[18] Un jour à la fête des Morts (elle se situe entre le 4 et le 6 avril), un à la fête des Bateaux-Dragon (le 5ème jour du cinquième mois lunaire, environ en juin), et un troisième à la fête de la Mi-automne (le 15ème jour du 8ème mois lunaire).

[19] Le dernier recensement général de la population chinoise indique que 562 millions de personnes vivent en ville et 745 millions de personnes habitent dans les régions rurales.

[20] La fréquence des déplacements est le résultat du rapport entre le nombre de touristes citadins / ruraux et la population citadine / rurale. Le fait que les résultats soient des pourcentages dont la valeur est supérieure à 100 est dû au mode de calcul de la fréquentation ("ren/ci"), le nombre de "touristes" étant supérieur à la population totale chinoise.

[21] Le terme "Mingsheng" est la contraction de l'expression "ming shan sheng di" qui signifie "des montagnes célèbres et des endroits sans pareil". Ce terme été utilisé pour désigner des lieux avec un beau paysage depuis la dynastie des Qi du Nord (550-577 AP JC). (Pal Nyíri 2006).

[22] Littéralement : "caractère de ce qui est autre" (dictionnaire le Robert). Ici on évoque la différence entre les espaces urbains, origine de la très grande majorité des touristes intérieurs chinois, et les campagnes, vues comme rudes et difficiles à vivre.

[23] On commence toutefois à observer depuis le début des années 2000 une nouvelle sorte de mobilité touristique des urbains vers la campagne. Les touristes choisissent de plus en plus de se loger dans des "joyeuses maisons rurales" (nongjiale), où ils découvrent la vie paysanne et peuvent goûter aux spécialités locales (un des principaux buts de la visite par ailleurs). Ces joyeuses maisons rurales ne se situent plus seulement en périphérie des grandes métropoles, mais également autour des villes moyennes, voire petites, comme c'est le cas dans le sud-ouest de la Chine (Taunay, 2010).

[24] 五光十色 (wu guang shi se)

[25] Des couleurs que beaucoup d'observateurs étrangers décrivent comme "kitch" mais que les Chinois considèrent comme "belles" en raison de ce qu'elles représentent par rapport à leur image du spectre coloré. Les temples bouddhistes et taoïstes en Chine n'étaient-ils pas peints avec des couleurs "lumineuses et multicolores" depuis plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires ?

[26] 中国建设现代生活 (zhongguo jianshe xiandai shenghuo)

[27]热闹 (renao)

[28] Toutefois, l'étonnement des vacanciers européens témoigne surtout de leur méconnaissance de leur propre histoire. En effet, on ne peut qu'être frappé par les similitudes très fortes qui existent entre les pratiques des chinois du XXIe siècle et celles des Occidentaux du XIXe. Pour une comparaison plus poussée de ces pratiques dans l'espace et dans le temps, voir : Pickel-Chevalier S., Taunay B., Violier P. (2010) "La mondialisation, facteur d'homogénéisation ou de régionalisation dans le rapport nature/tourisme ? (Chine/Occident)", communication au colloque international "Tourisme et Mondialisation" (les rendez-vous Champlain du tourisme), 31 mai-02 juin 2010 à Angers. Cette communication sera publiée en 2011 dans un ouvrage scientifique issu des actes de ce colloque, à paraître aux Cahiers Espaces.

Références bibliographiques

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Références webographiques

Benjamin Taunay, Docteur en géographie, enseignant-chercheur à l'université d'Angers

pour Géoconfluences le 4 février 2011

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Mise à jour :  04-02-2011

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Pour citer cet article :  

Benjamin Taunay, « Le tourisme intérieur chinois, reflet des mutations de la Chine contemporaine », Géoconfluences, février 2011.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourScient3.htm