Limite(s)
Ligne réelle ou imaginaire discriminante, la limite définit une entité spatiale en la distinguant d’une autre : par exemple, Romulus crée Rome en traçant sa limite à la charrue. C'est l'un des principaux attributs d'un espace, avec l'étendue. Par extension, c’est la ligne au-delà de laquelle on passe dans un « ailleurs » ou bien la ligne qu’on ne peut pas franchir. La limite crée donc une discontinuité qui peut être plus ou moins marquée entre les deux systèmes territoriaux qu’elle sépare, selon leurs différences et les rapports qu’ils entretiennent.
Lorsque la limite est d’ordre spatial, on peut alors parler de frontière, même si au sens strict, seule la limite entre deux États souverains est une frontière (on parle de limite administrative pour les échelons inférieurs comme la province ou la région). Mais si toute frontière est une limite, toutes les limites spatiales n’ont pas forcément le statut de frontière qui est reconnu par l'appropriation des espaces et la reconnaissance juridique internationale de la limite.
(La rédaction).
Pour compléter
- Gay J.-Ch., 2016, L’Homme et les limites, Paris, Anthropos/Economica.
- Pascal Clerc, « Monastère, agora, forteresse ou nœud d’échanges. Quatre modèles pour définir les relations entre les écoles et leurs environnements », Géoconfluences, janvier 2021.
- Jean-Christophe Gay, « Réflexions microgéographiques sur les limites dans la vie quotidienne au temps du covid-19 » in Collectif, « La pandémie de Covid-19, regards croisés de géographes », Géoconfluences, mai-octobre 2020.
Limites (de l'Europe) | Limites (du domaine, de l'aire, du monde méditerranéen)
La vulgate fait de l'Oural la frontière "naturelle" de l'Europe. Pourtant, cette limite n'est pas évidente. Alors que les géographes européens ont longtemps hésité sur la question des limites orientales de l'Europe, c'est pour des raisons politiques que l'Oural a été choisi par les Russes comme séparant l'Europe de l'Asie. Comment se fait-il que cette chaîne de montagnes qui ne dépasse pas les 2 000 mètres, aisément franchissable et qui, vers le sud, se prolonge par une plaine, ait été choisie comme limite naturelle du continent ? Ce choix ne s'est fixé que tardivement, à la rencontre des traditions cartographiques occidentales et des géographes russes qui cherchaient à l'imposer.
Avec la christianisation de l'Europe et la nécessité de la défendre, l'idée d'Europe va acquérir une signification religieuse et politique, qui l'opposera aux autres continents. D'une terre hétéroclite au nom mythologique, elle deviendra un territoire à défendre contre l'invasion des infidèles.
Longtemps, la Russie reste indifférente à tous ces débats. Mais cette attitude va changer en quelques décennies : l'expansionnisme russe découvre qu'il n'est pas seul et qu'il doit composer avec les puissances européennes. La Russie de Pierre le Grand veut s'affirmer comme une puissance et aussi donner une justification aux avancées territoriales vers l'Est. Or, si la Russie se veut un État européen, elle doit aussi se définir en termes géographiques comme appartenant à l'Europe. Les vieilles cartes faisant apparaître la limite de l'Europe à proximité de Moscou ne conviennent donc plus. C'est l'historien et géographe Vassili Tatichtchev, à qui le tsar avait commandé une géographie de l'Empire, qui avança l'idée de l'Oural comme limite. Le choix n'avait rien d'évident. L'Oural avait été, tout au plus, une étape de la conquête et de la colonisation de l'est, un point de passage vers les avant-postes sibériens. Ce choix obéissait à la nouvelle image que Pierre le Grand voulait donner de la Russie : un "empire" selon le modèle des grands empires coloniaux, avec une partie européenne, vue comme la métropole civilisatrice, et une partie asiatique, vue comme une périphérie.
La vision de l'Oural comme frontière de deux continents et axe médian de l'Empire deviendra à la fin du XVIIIe siècle la règle enseignée dans les manuels scolaires. Ce modèle sera repris par les géographes occidentaux contemporains de Tatichtchev et par leurs successeurs. Modèle constamment critiqué, il finira cependant par s'imposer comme pratique dans les manuels de géographie et dans les atlas du monde entier, le besoin de fixer des limites étant plus fort que celui de cohérence géographique.
Il reste que l'approche de l'Europe par la recherche de ses limites est à la fois une bonne et une mauvaise question : elle mérite d'être posée mais doit être dépassée. La compréhension de l'objet géographique Europe n'est pas réductible à la fixation de ses limites. Mais un enjeu fort est sous-jacent : celui de qualifier, ou non, les candidats à l'adhésion à l'Union européenne.
- Olivier Vilaça : L'Europe vue de la Lituanie, "La carte du mois" - revue EspacesTemps, novembre 2003 - http://www.espacestemps.net/articles/leurope-vue-de-la-lituanie/
Sur le même thème, voir le glossaire Territoires européens : régions, États, Union
Mise à jour : juin 2004
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