Johannesburg : équité et eau, une étude géographique

Publié le 07/06/2003
Auteur(s) : David Blanchon - AMN - Université de Paris 10 Nanterre - Laboratoire Géotropiques

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Un enjeu stratégique et symbolique

De l'eau "for all, for ever" .... un défi majeur et symbolique dans l'Afrique du Sud post-apartheid, à la croisée de la quête d'équité et de développement durable. La province du Gauteng nécessite les plus importantes ressources en eau  (seulement 1,5% du territoire mais une population urbanisée à 97%, 8 millions d'habitants, 50% du PIB du pays, 80% de l'électricité consommée). À côté de la ville capitale, Pretoria, à majorité afrikaner, Johannesburg (parfois dénommée Jo'burg ou Joeys) est une métropole au rôle économique majeur, vaste aire urbaine souvent connue pour sa violence, sa diversité, ses inégalités.

C'est également dans le Gauteng (le nom signifie "région aurifère" en nord-sotho) que s'est développée l'exploitation aurifère dont la production diminue progressivement du fait de l'épuisement des filons et de la croissance des coûts d'extraction.

Des déformations urbanistiques dérivent de l'ancienne politique des townships : à la périphérie de Johannesburg, Soweto, emblématique de la lutte anti-apartheid, réunit trente-trois "south west townships" (d'où So-we-to) et une vingtaine de camps de squatters. Alexandra, moins étendue, concentre également les populations les plus déshéritées. L'inégale consommation d'eau entre les grands groupes socio-spatiaux reflète ces distorsions (doc. 1 ci-dessous).


1 - La jouissance de l'eau, miroir des contrastes sociaux

La consommation d'eau, mesure des inégalités
 
Densité de
population
(hab/km²)
Revenu en Rands/an (90)
Consommation d'eau en
litres/hab/jour
Sunninghill
(Sandton)
23
77 300
400
Alexandra
500
13 300
91

Note : d'après l'OMS, le minimum vital de consommation d'eau par jour et par habitant (boisson et usages domestiques compris) s'établit à 40 litres en moyenne.


Cricket ou corvée d'eau ?

Cricket à Sandton
Photo : David Blanchon

Vie quotidienne à Soweto
Photo : David Blanchon

(cliquer sur les images pour les agrandir)

D'après l'adaptation colorée d'une image satellitale visant à mettre en évidence les contrastes de l'occupation du sol. Document initial : image Landsat - Satellite application Center (CSIR) - in Illustrated atlas of Southern africa - 1994

Sur l'image ci-dessus, les espaces résidentiels, aérés par des espaces verts, des populations aisées apparaissent dans ces tonalités jaune-vert
Sur l'image ci-dessus, les quartiers très pauvres, très construits, issus des pratiques de relégation de l'apartheid (townships), apparaissent dans ces tonalités bleues
Espace du CBD de Johannesburg. Notons qu'il est difficile, à partir des seules indications de couleurs et de texture, d'établir la distinction entre les centres-villes très denses de type CBD et les quartiers d'habitat concentré. Mais l'organisation des réseaux donne des indications, telle que leur convergence vers le CBD, à la différence d'Alexandra et de Soweto, à l'écart.

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Le système de transfert d'eau

Au cœur du pays, le "cercle des eaux blanches", constitué par le fleuve Orange (arc sud) et son affluent, le Vaal (arc nord), représente une ressource précieuse pour les besoins des espaces urbains et agricoles. L'eau du Vaal est tout particulièrement vitale pour le Gauteng (doc. 2, ci-dessous à droite). Mais l'ensemble constitue un réseau maillé d'ampleur continentale.

Le "cercle des eaux blanches"

Le fond de carte utilisé est issu de la banque cartographique de Perry-Castañeda (Bibliothèque de l'Université du Texas à Austin)www.lib.utexas.edu/maps/south_africa.html

2 - Une rivière vitale, le Vaal

Adapté d'un document du "Department of Water Affairs and Forestry - DWAF" - www.dwaf.gov.za/default.asp

Le Vaal est un cours d'eau de 700 kilomètres dont le bassin-versant est de 190 000 km² et les débits très variables : la longue série d'années sèches avec des débits annuels très faibles (0.2 km³ en 1982/83) a été interrompue par une année très arrosée, marquée par une forte crue (débit de pointe de 7 800 m³/s) suffisante pour remplir quatre fois le barrage principal Vaal Dam. Les barrages réservoirs qui ont été édifiés ont aussi pour objectif la production hydroélectrique (par exemple, la Vereeniging Power Station - VFP)

À consulter, des informations sur les barrages :www.dwaf.gov.za/Hydrology/daminfo.htm

Alimenter convenablement le Gauteng en eau suppose l'organisation d'un vaste système de transfert d'eau. Le Lesotho Highlands Water Project - LHWP (doc. 3 ci-dessous), dernier né des projets qui se sont succédés, est géré par le Department of Water Affairs and Forestry (DWAF). Il s'agit de transférer 2 200 millions de mètres cubes d'eau par an du Lesotho vers le Gauteng, soit le doublement des ressources actuelles pour la région capitale de l'Afrique du Sud.

L'apartheid et le Lesotho Highlands Water Project (LHWP) : des jalons

On constate que les projets correspondent souvent à des motivations politiques, qu'ils sont une réponse à des pressions et/ou à des situations géopolitiques précises.

L'apartheid
La LHWP
1948 - Arrivée au pouvoir du Parti national

1960: Émeutes de Sharpeville
 



1976 : Émeutes de Soweto



1984 : État d'urgence

1986 : Coup d'Etat au Lesotho

1990 : Libération de Nelson Mandela

1994 : Premières élections libres post-apartheid


1950 : Premières études



1962 : Orange River Project
1971 : Rapport de la Banque Mondiale et de l'UNDP

1978 : Première réunion de travail
1983 : Débuts des études préliminaires


1986 : Signature du traité lançant le projet du LHWP


1991 : Début des travaux du LHWP

1998 : Mise en service de Katse Dam

En complément, voir aussi la "ligne de temps" (timeline, voir > projects > LHWP) proposée sur le site de la TCTA, autorité Sud africaine chargée du développement du Lesotho Highlands Water Project : www.metsi.com/home.htm

Propos sur le LHWP :

Déclaration de Nelson Mandela à la Banque Mondiale : "Nous avons besoin de l'eau du LHWP pour satisfaire les besoins des communautés auparavant négligées".

Discours de Kader Asmal (ministre des eaux et forêts de 1994 à 1999, ministre de l'éducation en 2003) : "Il y a dix ans, je m'opposais au traité du LHWP pour des raisons politiques (…) Entre temps beaucoup de choses ont changé (…). Dans une région où le chômage est omniprésent, nous ne pouvons pas nous en tenir à un développement zéro au nom de la protection de l'environnement (…). Assurons nous que le LHWP apporte le plus à ceux qui en ont le plus besoin : les pauvres urbains à Gauteng et les pauvres ruraux au Lesotho". (1996)

Pour le Lesotho, la vente de l'eau devrait représenter, à terme, entre 3 et 5% du PIB, 25% des exportations et 14% du budget de l'État.

Compte-tenu des besoins à venir, il est envisagé ultérieurement de :

  • renforcer le transfert de la Tugela,
  • réaliser de nouveaux transferts depuis le Transkei,
  • ponctionner aussi les eaux de l'Orange en territoire sud-africain.

3 - Le Lesotho Highlands Water Project : cartes générales

Le Lesotho, un château d'eau

Réalisation cartographique : David Blanchon

Pour retrouver des données climatiques, rendez-vous sur le site des services météorologiques d'Afrique du Sud (voir climate data) : www.weathersa.co.za/

Localisation générale de l'opération de transfert du Lesotho vers le Gauteng

Document provenant du site officiel du projet au Lesotho : www.lhwp.org.ls/overview/concept.htm

Les grandes phases de l'aménagement

Le projet du LHWP comporte cinq phases étalées de 1998 à 2017

Réalisation cartographique : David Blanchon

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La nouvelle loi sur l'eau

La situation post-apartheid repose sur une politique volontariste de répartition plus équitable de la ressource en eau résumée par un slogan : "Some, For All, For Ever". Il s'agit, afin de réduire les inégalités, de partir d'une gestion de la demande, des besoins et non plus de l'offre, avec un instrument clé, le Water Use Efficiency.

Il s'agit aussi d'un défi de santé publique car le choléra rôde de manière récurrente dans les townships : une dernière vague épidémique a pu être observée en mars 2001 (Alexandra), faisant la une des journaux, ce qui a obligé les hommes politiques à réagir face à l'opinion publique.

Une nouvelle législation accroît les rôles et responsabilités des gouvernements locaux (municipalités). L'échelon local doit être structuré pour assumer les responsabilités de "Water Services Authority" (WSA) qui peuvent faire appel alors à des distributeurs d'eau publics, privés ou mixtes, les Water Services Providers (WSP).

Les Water Boards, qui émanent directement du ministère (le DWAF) ont pour fonction initiale d'approvisionner les autorités locales qui assument la fonction de Water Service Provider.

En dehors de Johannesburg, très peu de villes en Afrique du Sud ont fait appel au privé (doc. 4, ci-contre), mais ce choix pourrait faire école : le besoin en capitaux et l'incapacité des gouvernements locaux à faire face aux investissements nécessaires, expliquent le recours aux compagnies privées, ce qui ne va pas sans susciter des réactions d'opposition.

La Water Use Efficiency porte sur des choix, avant tout politiques, dont les objectifs sont :

  • le rattrapage des inégalités passées qui suppose de procurer 6000 litres par famille gratuitement (lifeline service of free water),
  • la nécessité de ne pas aggraver la dégradation de l'environnement (le droit à un environnement protégé est prévu par la Constitution).

 

L'État sud-africain s'appuie essentiellement sur la politique des prix pour que les plus gros consommateurs financent la mise à niveau des réseaux. Mais il faut aussi lutter contre les gaspillages qui pourraient être favorisés par la politique de gratuité des 6 000 premiers litres d'eau. Le bon équilibre tarifaire est difficile à trouver et les autorités comptent, à terme, sur l'éducation des consommateurs.

4 - Le circuit de l'eau à Johannesburg

Les approvisionnements proviennent du Vaal Dam (barrage du Vaal), à 100 km au sud dont les réserves sont également destinées à d'autres régions plus éloignées. Lorsque les réserves du Vaal Dam sont trop basses, l'approvisionnement provient du Lesotho à partir des barrages du Lesotho Highlands water scheme (LHWS).

Fournir l'eau en quantité ne suffit pas, encore faut-il qu'elle soit consommable. C'est la mission du Rand Water Board, une des plus grandes compagnies de traitement de l'eau dans le monde : elle approvisionne 16 municipalités dans et autour du Gauteng. L'eau purifiée leur est ensuite vendue. Enfin, au bout de la chaîne de l'approvisionnement en eau, la Johannesburg Water, distribue l'eau grâce à un réseau de 9 500 km de conduites d'eau et plus de 120 réservoirs et châteaux d'eau. La Johannesburg Water fait partie d'un consortium contrôlé par la Johannesburg Water Management Company (JOWAM) du groupe Ondéo (ex Suez - Lyonnaise des Eaux). La JOWAM doit respecter un contrat d'objectifs et fournir, tous les ans, son Business Plan.

D'après la page des services de l'eau de la ville de Johannesburg :  www.joburg.org.za/services/water1.stm

Le circuit de l'eau : du ministère à l'entreprise

D'après Lise Breuil - Organisation des services d'eau dans les pays en développement : peut-on caractériser un modèle émergent ? - Rapport de DEA, septembre 2001 : www.engref.fr/labogea/doc_pvd2.html

Sur le site du laboratoire "gestion de l'eau et de l'assainissement" de l'ENGREF - www.engref.fr/labogea/

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Références

David Blanchon - AMN - Université de Paris X Nanterre - Laboratoire Géotropiques - Juin 2003

D'après une présentation power-point, "Johannesburg, l'eau et l'apartheid", support d'une intervention dans le cadre des séminaires du Laboratoire Rhodanien de Géographie de l'Environnement (Institut de Recherche en Géographie / UMR 5600 CNRS "Environnement, ville, sociétés") - Gé-Eau-Graphies le 14 mars 2003

Travaux en cours :
  • Coordination scientifique d'un atlas socio-économique d'Afrique du Sud
  • Thèse en cours : "Enjeux sociaux et impacts environnementaux des transferts d'eau inter-bassin en Afrique australe" sous la direction de J.-P. Bravard (Université de Lyon II) et A. Dubresson (Université de Paris X). Soutenance prévue à l'automne 2003.
Autres publications (avec comité de lecture) :
  • La nouvelle politique de l'eau en Afrique du Sud : vers une gestion environnementale des ressources ? - L'Espace géographique, 1- 2003, p. 21-23
  • De la géopolitique à l'économie : Le Lesotho Highlands Water Project - Congrès de la Société Hydrotechnique de France, 27ème journées de l'Hydraulique, Paris, 24-26 septembre 2002, p. 219-225.
  • Les nouveaux enjeux géopolitiques de l'eau en Afrique australe – Hérodote, n°102, troisième trimestre 2001, p. 113-137
  • Des montagnes au service de la cause nationale : La Société des Alpinistes du Trentin et l'irrédentisme de 1872 à 1915 - HES, 2000, 19éme année, n°1, p. 133-148
  • Le Kosovo, géographie d'un territoire à reconstruire - Revue Internationale et Stratégique, n°36, Hiver 1999-2000, p. 71-82
À paraître prochainement :
  • L'économie au secours du transfert : Le Lesotho Highlands Water Project - La Houille Blanche, article en cours de révision.
  • Grands barrages et aménagements locaux, la prise en compte des synergies d'impacts dans la gestion environnementale, article proposé pour le numéro spécial sur l'eau, BAGF.

 

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Pour aller plus loin

Ouvrages
  • Bénit C. - Johannesburg : déségrégation raciale, ségrégation sociale ? In : Dureau, F., Dupond, V. (et al.) - Métropoles en mouvement, une comparaison internationale - Anthropos et IRD.
  • Bruyelle P. (dir.) - Les très grandes concentrations urbaines - Afrique subsaharienne par Alain Dubresson - Sedes - 2000
  • Dubresson A., Marchal J.Y., Raison J.P. - Les Afriques au Sud du Sahara - Géographie universelle (tome VI) - Belin-Reclus - 1994
  • Frérot A.M. (dir.) - Les Grandes Villes d'Afrique - Ellipses-Marketing - coll. Les dossiers du Bac. Géographie - 2000
  • Gervais-Lambony P. - Les très grandes villes dans le monde - Atlande - 2001
  • Gervais-Lambony P. - La question urbaine en Afrique australe - IFAS-Karthala - 1999
  • Guillaume P. - Johannesburgh, géographies de l'exclusion - Karthala - 2001
  • Houssay-Holzschuch M. - Le Cap, ville sud-africaine : ville blanche, vies noires - L'Harmattan - 1999
  • Pourtier R. - Afriques noires - Hachette - Coll. Carré géographique - 2001
  • Troin J.F. - Les métropoles des "Sud" - Ellipses - 2000
  • Vennetier P. - Les villes d' Afrique tropicale - Masson - 1996
Périodiques
  • Dubresson A. - Les grandes villes africaines : trois questions sur le futur urbain du continent - L'information géographique, n° 2 - 1999
  • Haghe J.P. (dir.) - Les frontières de l'eau - TRAMES, n° 10 - Sceren/CRDP de Haute Normandie - décembre 2002
  • Jaglin S. - Villes disloquées ? Ségrégations et fragmentation urbaine en Afrique australe - Annales de géographie, n° 619 - 2001
  • Pourtier R. - Villes africaines - Documentation Photographique, n° 8009 - 1999
  • Collectif - Regards sur l'Afrique - Historiens et Géographes, n°379, Juillet 2002
  • Collectif - Les villes géantes à l'ère de la mondialisation - Problèmes politiques et sociaux, vol. 841 - La Documentation française - 2000
  • Géographies et Cultures, n°28, consacré à l'Afrique du Sud et coordonné par Ph. Gervais-Lambony

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Ressources en ligne, une sélection

Approvisionner les populations du Gauteng, de la République sud-africaine

Les acteurs

 

Autres, divers

 

Des images satellitales

 

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Gestion de l'eau, approvisionnement des populations : sites d'intérêt général

Espaces, forums multi ou trans-nationaux, institutionnels ou non.

 

Presse scientifique, lieux de la recherche, sites experts, documents pédagogiques

 

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Pour d'autres études de cas

L'eau à Jérusalem, au Proche-Orient, une question géopolitique

Il s'agit d'une question souvent abordée à travers médias et ouvrages. On peut, par exemple, consulter les sites suivants :

  • Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs (PASSIA), une institution arabe indépendante. Voir notamment dans la section Palestine Facts, les bulletins intitulés : Water - The blue gold of the Middle East (juillet et septembre 2002), en documents .pdf à télécharger :www.passia.org/index_about.htm
  • Water and conflict - Un site sur le rôle de l'eau dans les conflits et la coopération, plus particulièrement consacré à la situation au Proche Orient : http://waternet.UGent.be

 

L'eau en Espagne et vers l'Espagne

 

David Blanchon - AMN - Université de Paris X Nanterre - Laboratoire Géotropiques - Juin 2003

Adaptation, compléments : Sylviane Tabarly, responsable du développement du site

 

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Mise à jour : 07-06-2003

 


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Pour citer cet article :  

David Blanchon, « Johannesburg : équité et eau, une étude géographique », Géoconfluences, juin 2003.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/developpement-durable-approches-geographiques/corpus-documentaire/johannesburg-equite-et-eau-une-etude-geographique